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24 décembre - Jungkook

Séoul, FRIENDZONE   ̷5̷1̷  7
Le 24 décembre 2020
8h24

J'ai presque envie de jurer tant je ne sais pas comment commencer cette lettre.

Cela m'arrive quelques fois, quand je ne sais pas, mon cerveau est pris en défaut, alors je lâche dans l'air quelques "merde" et "putain", ou même "fais chier" par frustration. Rien ne se débloque, mais au moins j'arrive à respirer de nouveau. C'est crétin, pas vrai, cette façon de se mettre en apnée quand un problème nous dépasse ? Le cerveau moins irrigué, on n'avance pas plus vite, au contraire, c'est élémentaire. Le biologiste que je suis sait cela depuis longtemps.

Mais savoir, ce n'est pas toujours suffisant.

La bonne nouvelle, c'est qu'en vous lisant je réalise que le poto Socrate avait vraiment les neurones bien alignés le jour où il a déclaré : "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien". Parce que wow, l'étendue de tout ce que j'ignore sur vous ferait se sentir défaillant le premier agoraphobe venu.

Alors, ouais, je vais commencer cette lettre par : Merde.

Merde, les gars, comment voulez-vous que je réponde à ça ?

[...]

8h46

Une lettre, c'était déjà la mer à boire à écrire. Et pour rappel, l'eau salée est un poison. Boire de l'eau de mer, c'est se déshydrater. Alors répondre à 22 lettres... Sérieusement ?

Si vous me retrouvez desséché sur le divan, demain, ne venez pas vous plaindre sur ma tombe. Le bureau des pleurs sera fermé pour cause de décès. Merci de votre compréhension.

[...]

9h16

En vérité, je ne suis pas sûr d'y arriver.
Par où commencer ?
Quel ton employer ?
Ce que j'ai écrit plus haut n'est pas sur la bonne émotion. Et dans le fond, un peu plus de 20 jours n'auront pas suffit à faire de moi un virtuose de ces trucs-là...

[...]

9h32

Quand avec Taehyung on parle de couleurs à la place de sentiments, parfois j'ai juste envie de lui écraser une palette sur le visage pour répondre à la question : "qu'est-ce que tu ressens ?" Pardon Hyung, ne le prends pas mal. C'est dit sans agressivité, c'est juste de la frustration. Une façon simple de répondre et de respirer. Un peu comme un "Fais chier", tu vois ? Parce que c'est jamais simple d'exprimer cette saleté de tornade colorée qui gifle à l'intérieur. Et là, après tout ce que j'ai lu ce matin, c'est la tempête du siècle !

Alors, soyons honnête, ce que je ressens en ce moment, c'est pas joli-joli.

Je vous en ai voulu en vous lisant. À chaque lettre, j'étais un peu plus en colère. Et en même temps, je ne pouvais pas m'arrêter de vous lire. Je n'aime pas le dire, mais j'ai eu envie de pleurer plusieurs fois. Et putain, ce que je déteste ça ! J'ai même tout balancé de rage contre le mur, pris mon manteau pour décamper, et donné un coup de pied dans un pauvre pot de fleur qui traînait là. Comme ça, par pur besoin d'extérioriser.

Mais le truc a explosé en mille morceaux et je m'en suis voulu aussitôt. Une douche froide instantanée. La plante était là, toute rabougrie, accrochée à sa terre et aux débris. Une simple pousse difficilement en vie. J'ai pensé à Jiminie-hyung, puis à Namjoon et à tout le soin qu'ils apportent à ces machins-là, et j'me suis dit : wow Kook, qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?

La plante est dans un nouveau pot, ne vous en faites pas. J'ai emprunté la tasse de Hoseok, je sais qu'il ne m'en voudra pas. Cas d'urgence oblige, comme on dit. Nous avions un patient entre la vie et la mort. J'espère que vous pourrez sauver ce p'tit gars demain, c'est un bébé piléa je crois. Croisons les doigts pour qu'il s'accroche, ce n'est pas vraiment le moment de donner une nouvelle raison à Hyung de m'en vouloir, n'est-ce pas ?

Tout ça pour dire que j'ai ensuite ramassé vos messages, avant de les remettre dans l'ordre et de respirer un grand coup.

Dans ma première lettre, je vous disais que Tae était du genre à décomposer les couleurs en explosant. Et il m'aura fallu dix ans pour comprendre que c'est ce qu'il m'apprend à faire depuis tout ce temps.
Décomposer les couleurs = décomposer les émotions.
On tente de déconstruire l'explosion en gros, car tout ce qu'on ressent est une explosion, n'est-ce pas ? Ce n'est pas valable que pour moi. Tout le monde affronte des tempêtes au quotidien.

Et Tae, tu essayes de m'aider à parler de mes coups de vent depuis qu'on se connaît. Je ne sais pas pourquoi je ne m'en rends compte que maintenant. Moi, je voyais ça comme un moyen de te faire plaisir, une façon de combler ta curiosité de l'humain sans que ça ne soit trop gênant pour moi. Les couleurs mettaient de la distance sur mes sentiments, un moyen de les révéler tout en les dissimulant. Malin.
Mais tu es plus malin que ça encore, le but, c'était surtout de démêler les nœuds, de décomposer la palette. Même quand je ressentais mille choses à la fois, penser aux couleurs me permettait de réfléchir plus posément.
Trouver la dominante, ordonner les composantes.
Et c'est sans doute grâce à cela, que dix ans plus tard j'ai réussi à écrire cette lettre un peu dégoulinante.

Je ne sais pas trop si j'en suis fier, mais objectivement, il est évident que ce qu'elle a entraîné est étonnant. Mon père, ce sentimental, risque d'adorer quand je vais lui raconter. C'est comme si j'avais déclenché une drôle d'avalanche avec une seule boule de neige. Mais le plus drôle, c'est que bien que je me sois trouvé au sommet, me voici aussi l'arrivée. Tout en bas dans la vallée. Les dangers du hors piste, sans doute, dirait Jin-hyung.

Après avoir ramassé tout ce courrier donc, j'ai soufflé un bon coup, les yeux braqués sur notre fresque devenue gigantesque, et c'est là que j'ai été forcé de penser aux couleurs-émotions. Ou aux émotions-couleurs, peu importe.
Je n'ai pas fait tout ce chemin depuis l'adolescence pour piquer le caprice d'un enfant, céder à la frustration de ressentir trop de choses à la fois, n'est-ce pas ?

Alors j'ai téléphoné à Minha-noona qui m'attendait dehors (car oui, elle est finalement toujours là) et je lui ai dit de ne pas m'attendre, que j'allais rester ici jusqu'à ce que je sois capable de digérer tout ça. Et me voilà, une pile de vos lettres sur les genoux, à ne pas savoir quoi vous dire tant il y a de choses à penser, à ne plus pouvoir penser tant j'ai besoin de dire, de vous dire. Mais dire, c'est toujours aussi dur.

Et pourtant, comment se taire après tout ça ?

Hoseok-hyung, tu affirmes que j'ai grandi, Seokjin-hyung aussi. Je ne m'en suis pas rendu compte moi-même, mais je vous fais confiance. J'ai l'habitude de vous croire pour tout le reste, alors pourquoi pas sur ça ?
J'ai grandi, alors. Et je suppose que la première chose qu'écrirait un adulte sage et mature, un qui ne s'en prendrait pas à une plante innocente pour surcharge d'émotions, c'est "merci".

Merci les gars. Même si je tape un peu du pied comme un môme mal élevé, et que certains trucs que vous dites me donnent envie de râler, plus sincèrement que jamais : merci.
Ce que vous avez fait pour moi, c'est certes déroutant, mais c'est aussi très précieux, je crois. Jamais je n'aurais cru mériter tout ce temps que vous m'avez consacré.

Non, que dis-je, que vous nous avez consacré.
Parce que, même si j'en suis le seul destinataire, il ne s'agit pas que de moi dans ces lettres. Je vous ai redécouverts pour certains, vous m'avez fait faire un grand plongeon dans l'humain.
Il y a quelque chose d'angoissant à ne pas toujours vous reconnaître, mais passer cette étape, ça devient rassurant. Finalement, vous l'avez dit vous-même, on est peut-être tous des aliens un peu tarés. De grandes boîtes à secrets.

Dire, c'est peut-être une noble idée, mais ça reste un universel et joli merdier.

[...]

10h06

J'imagine qu'il faudrait que je commence par quelques explications concernant Minha.

Parce que bon, si vingt jours n'auront pas suffit à me rendre plus éloquent, il y a quand même tout un monde qui a changé dans ce laps de temps. C'est affolant tout ce qui peut évoluer en moins d'un mois. Une espèce peut s'éteindre, une autre être découverte. Une série incroyable peut tout à coup devenir la pire déception du siècle...

Vingt-quatre jours, c'est presque un cycle lunaire, c'est une révolution.

Quand je suis passé à la Friendzone 51, le 1er décembre, j'étais de toute évidence plus bas que terre. J'ai relu ma lettre et j'en ai un peu honte, maintenant. Pour être franc, si je suis passé aujourd'hui, c'est parce que j'espérais la récupérer avant que quelqu'un ne la trouve demain. Quelques éléments ne sont plus les mêmes depuis, et finalement, j'aurais préféré que vous ne vous rendiez compte de rien. Que ce moment de faiblesse ne vienne pas aggraver ou entacher l'image que vous aviez de moi.
C'était sans compter sur le fait que ce QG est un véritable moulin (Pourquoi tout le monde y vient TOUT LE TEMPS ?).

Heureusement, ce n'est pas exactement ce qu'il s'est passé au final, et j'admets ne plus trop savoir si je suis à l'aise ou non avec l'idée que vous ayez lu ce long ouin-ouin. Ce dont je suis sûr en revanche, c'est que peu importe mon embarras, je ne le regrette pas. Il y a un truc que j'ai compris en vous lisant.

Cela va bien mieux aujourd'hui que cette fois-là, pourtant je suis toujours un peu quelque part cet enfant effrayé, l'alien taré. Mais vous me l'avez dit entre les lignes (notez que ma compréhension de la subtilité est montée d'un niveau s'il vous plait) je ne suis pas uniquement lui, je suis bien plus complexe que ça. Je ne suis pas non plus ce gamin flippé uniquement quand le moral se fait la malle, car il existe au-delà. Au dela du pourpre, du blanc, du gris etc. Il est toujours là, comme un organe sous un exo-squelette. Fragile, mais pas blessé. Ce môme n'est pas une faille en réalité, c'est certes le point d'ancrage de toutes mes fragilités, mais parce qu'il est essentiel à qui je suis. Comme un poumon, un cœur ou un foie. On les cache sous une armure d'os, bien à l'abri de tout ce qui pourrait nous les enlever, car c'est fragile un organe, ça peut coûter la vie si l'on n'en prend pas soin. Et parallèlement, c'est incroyablement résistant, puissant. Ça insuffle de l'énergie dans un corps, ça le met en mouvement. En outre, un organe ne s'abîme pas comme ça, parole de scientifique du vivant ! On sous-estime trop nos organes, comme un sous-estime nos enfants cachés.

Et on en a tous un, un gamin. Il ne s'en ira pas comme ça.
Les vrais adultes, vous dirait Noona, c'est un mythe, ça n'existe pas. On fait juste semblant quand c'est l'heure, quand on nous montre du doigt.
Même ma mère.
Même toi, Jinie-hyung.

Ce n'est facile pour personne de jouer au grand.

Est-ce que c'est triste pour autant ? Ou bizarre ? Il n'a rien d'honteux ce gamin, bien que d'emblée, j'aurais préféré ne jamais vous présenter le mien. Mais vous le connaissiez déjà puisqu'il se voit, que je le veuille ou non.
De la même manière, vos gamins flippés ne sont pas si bien protégés. Alors entre nous, je me demande pourquoi on s'évertue tous encore à les cacher. C'est pas comme s'il existait, là, dehors, un prédateur tout prêt à nous bouffer. On peut pas mourir d'ếtre attaqué à cet endroit là, si ? On ne peut pas dévorer notre enfant intérieur comme on nous poignarderait le cœur. Au sens strict, j'entends. L'abstrait, c'est pas vraiment mon truc, vous le savez.

Je ne sais pas pourquoi c'est si peu correct pour les humains matures et socialisés de se montrer vulnérables sur le plan des émotions, là encore, le monde animal est plus simple, il se contente du physique, de la survie. Aucun loup n'éprouve de honte à pleurer. Est-ce qu'on n'est pas tous fatigués de faire semblant ?

Ce qui est intéressant, c'est que même ceux qui parmi vous m'ont toujours conseillé de me laisser aller (Tae, Jimin, Hoseok...), ont un peu confessé dans leur lettre qu'il s'agit d'un conseil difficile à appliquer. Être digne, se cacher, c'est plus fort que les grandes idées, pas vrai ?

Et je crois qu'on ne le savait pas à ce moment-là, mais c'est pour cette raison qu'est né le QG. Cette zone (d'amis) 51, le repaire d'aliens, comme Tae aime tant nous appeler. Il fallait une zone safe pour assumer notre "extra-terrestrité".
Et puisqu'on ne savait pas encore "dire", la boîte aux lettres est née pour écrire.

Alors merci d'avoir lu cette lettre. Je ne l'assumerai pas toujours à l'avenir, mais on saura tous qu'elle a existé. C'est une saine vérité.

C'est un peu ce que Minha m'a dit, quand je lui ai raconté ce que j'avais fait :
"J'espère qu'ils n'ont pas vu la lettre, j'ai supplié
— Et moi, je crois que votre amitié mérite qu'ils l'aient trouvé."

Il fallait la reconquérir, cette zone safe, pas vrai ?

[...]

10h43

Donc oui, Noona est revenue. À dire vrai, je n'ai pas l'impression qu'elle soit vraiment partie. Vu d'ici, son absence ressemble plus à un long moment suspendu où je n'ai rien fait d'autre qu'attendre. Comme si je savais qu'elle finirait pas revenir. Sans doute que tout ceci ne paraissait pas réel, ou bien j'étais juste trop prostré pour esquisser le moindre mouvement.

Au bout d'un mois et demi de crispation, j'ai fini par vous écrire cette lettre. Ni elle, ni moi n'avions contacté l'autre depuis notre dispute. Je continuais même à répondre aux questions de mes parents concernant notre mariage, ne sachant pas quoi faire de tous ces projets communs qui me restaient sur les bras. À chaque coup de téléphone de sa mère, je redoutais qu'elle ne demande à mon père de tout annuler. Mais le temps passait, et visiblement, Minha n'avait pas parlé de rupture à ses parents.

Alors après vous avoir écrit cette lettre comme si tout était fini, j'ai enfin osé me demander si c'était vraiment le cas et si j'étais prêt à ça. S'il vous plaît, ne prenez pas ce que je vous ai dit pour un mensonge, ça n'en était vraiment pas un. Sur le moment j'y croyais, mais après avoir sorti hors de moi toutes ces émotions, j'ai d'un coup été capable de les interroger. Qu'en était-il sérieusement de notre séparation ? Alors, quoi, une semaine après (?), j'ai déboulé à son atelier sans vraiment réfléchir. Je ne savais toujours pas quoi lui dire, mais il fallait que je sache, qu'on tranche. Il n'y a rien de pire qu'une moitié de décision. Et c'est là qu'il s'est passé le truc le plus inattendu pour moi, elle s'est effondrée en larmes en murmurant qu'elle ne se pensait pas à la hauteur. Pardon ? Mais à la hauteur de quoi ?

Apparemment, sa mère lui avait dit quelques mois plus tôt : "C'est un drôle de personnage que tu t'apprêtes à épouser, ma fille, il va falloir assurer", puis Minha s'est mise à paniquer.
Cest vraiment trop con, parfois, les parents. Comme si j'étais un concours à remporter, ou un défi à relever, moi, l'alien taré qui collectionne les araignées.

Et vous savez ce que j'ai fait ? Ma toute première réaction alors que la femme que j'aime était un peu brisée sous mon nez ? 
J'ai éclaté de rire comme un dégénéré. Un vrai rire, avec les larmes aux yeux et tout le tintouin. Une franche rigolade pour l'ahuri de la bourgade.

Tae a définitivement raison, je suis épouvantable pour réconforter les gens.

Mais toute cette situation n'avait aucun sens. Je venais de passer un mois à me lamenter sur mes incapacités à communiquer, à culpabiliser, alors qu'elle, mon modèle de courage et de sagesse, avait tout simplement flippé ?
Quel sketch !

Je vous passe les détails ensuite, mais disons que je n'ai pas été un exemple d'empathie, une fois encore. J'ai sévèrement dégoupillé, on s'est re-disputé. C'est monté très haut cette fois, ça aurait pu être la fin, la vraie, si un truc ne m'avait pas arrêté.
Je lui en voulais vraiment sans trop savoir pourquoi. Je me sentais trahi, je crois. Tout ce que j'avais traversé depuis ce soir-là me paraissait injuste tout à coup. Alors, amer, j'ai fini par lâcher LE reproche, celui qui m'a instantanément douché :

"Il suffisait de me parler !"

Ha.
Ha.
HAHAHAHAHA.
L'audace du gars, vous y croyez ?

J'imagine que le choc m'a donné un air cocasse sur l'instant, car malgré ses sourcils froncés et ses yeux tout rougis, elle a souri. Comme elle le fait souvent, quand elle, et moi, on est juste deux idiots et qu'elle trouve ça attendrissant.

Donc voilà, à peine une petite semaine après vous avoir écrit que j'étais au bout de ma vie, cette dernière m'est revenue en pleine face comme un boomerang.
Peut-être même qu'elle m'a cassé des dents : "Bien fait pour ta gueule, sale flan".

Parler.
Dire.
Les mots préférés de Nabi, on y revient toujours.
Est-ce que la périphrase exacte pour les définir ne serait pas un truc comme : "ce qu'on attend tous que l'autre fasse sans s'y plier nous-même" ?

[...]

11h27

Plus d'une heure que je suis vautré sur le canap' à relire vos lettres, et y'a pas à dire, ce truc est vraiment inconfortable. Le sofa, je veux dire, les ressorts se plantent dans mon dos. Mais oui, vous lire l'est un peu aussi.

Je voudrais rétorquer, emphaser, acquiescer à chacune de vos phrases. Certaines m'agacent, c'est vrai, beaucoup me font marrer. D'autres... D'autres pincent quelque part dans la poitrine et j'aimerais paradoxalement vous fuir et vous prendre dans mes bras. C'est franchement pas le pied de ressentir tout ça, mais ce serait pire et fade si ces émotions n'existaient pas.

Au final, échanger avec chacun d'entre vous, c'est comme faire un paint-ball géant. On retapisse de couleurs tout ce qui est trop noir ou trop blanc.
À commencer par moi.

J'aurais des centaines de trucs à vous répondre à chacun, sans doute des excuses à faire, aussi. Peut-être les deux en même temps, j'ai pas encore bien fait le tri.

Par exemple, Hoseok-hyung, je n'ai pas tout compris de ce que tu as écrit. Il va me falloir du temps et de la réflexion, beaucoup de réflexion je pense, et puis il y aura une discussion, n'est-ce pas ? Une vraie, pas par lettres interposées. Et comme à chaque fois, ça me paraîtra facile avec toi. On parle depuis que l'on s'est rencontrés en vérité.
De ce que j'ai compris de toutes ces questions qui t'ont chatouillées dernièrement, on se dit quand même les choses mais on y répond pas toujours sur l'instant. En septembre, lors de cette fameuse discussion dans laquelle tu m'as avoué étouffer, j'ai cru que c'était un reproche et que je devais m'éloigner. Et puis quatre mois plus tard, j'ai répliqué dans un sursaut d'indignation, comme s'il n'y avait pas prescription. Tu m'as suivi en décalé, bien agacé dans ce courrier que je trouve avec un peu de retard.
Hyung, il semblerait que les informations mettent un peu de temps à circuler entre nos deux cerveaux. Y'a carrément un décalage calendaire. Mais c'est sûrement parce que, dans le fond, nous n'avons pas l'habitude des reproches à se faire, pas vrai ? Il faut bien doser, être capable d'encaisser les petits remous sur la surface calme de notre relation. On est sur du temps long.
Hyung, tu penses vraiment que Noona t'a remplacé ? J'ai bien compris ? Parce que personnellement, je n'ai jamais eu autant besoin de toi que depuis cinq ans qu'elle est là. Ironique, tu ne trouves-pas ?
Qu'on soit clair, tu ne peux pas être mon intermédiaire avec la femme que je vais épouser, on le sait tous les deux, mais tu restes mon repère, l'incarnation de notre enfance et quand j'ai l'impression de ne plus rien contrôler, c'est toujours chez toi que je viens me réfugier. J'aurais besoin toute ma vie d'un cocon où m'échouer. Même mieux, un cocon dans lequel évoluer. Prendre le temps de digérer tout ce que le monde m'apprend, faire une pause, et revenir plus grand. Percer la chrysalide et renaître un peu. Qui pourrait mieux comprendre cela qu'un papillon ?
Hyung, peut-être que si j'ai tant l'impression de ne pas savoir grandir sans toi, c'est parce qu'on grandit côte à côte depuis presque toujours. Et le problème, n'est pas d'apprendre à le faire seul ou pas (je ne suis plus convaincu que grandir est une chose qui s'apprend finalement), c'est peut-être simplement que je n'en ai pas envie. Je ne veux pas faire ça sans toi, ça ne m'intéresse pas. Alors j'ai sans doute pris un peu peur quand j'ai cru que tu voulais respirer, j'ai sans doute interprété cela de façon exagérée. J'ai pensé que tu me repoussais. Mais en vérité, je crois que sous tes images un peu compliquées et tes jolies phrases sophistiquées, tu exprimes la même chose. Toi non plus tu ne veux pas grandir sans moi. Alors haut les cœurs, tu as peut-être cru que t'y étais obligé à cause de Minha, mais que dalle, je ne te laisserai pas filer.
Bien sûr, ça ne t'empêche pas de chercher tes histoires, celles qui ne parlent que de toi. On n'est pas obligés de tout partager, d'ailleurs on ne l'a jamais fait. Alors vas-y, cherche, prends ton temps. Je veille sur notre chrysalide en attendant.
Et puis si tu ne les trouves pas, ce qui franchement m'étonnerait, je pourrais te les raconter ces histoires-là. Toi même, tu m'en as déjà narré certaines.

C'est dingue à quel point on s'oublie soi-même, vous ne trouvez pas ? Une seconde on affirme avoir la solution, connaitre le résultat de l'équation, on sait enfin quoi faire, et la seconde d'après, savoir n'est plus suffisant.

Surtout quand l'équation, c'est soi-même face aux autres.

N'est-ce pas Taehyung ?
Franchement, tes lettres sont canons. Bon, pas tes poèmes par contre, mais ne te vexe pas, la littérature ça n'a jamais été ma tasse de soda. Ils sont très beaux tes messages, très sages aussi. J'aime comme tu parles de la folie, on dirait presque un de ces élégants vêtements dans lesquels tu t'habilles. Mais hyung, il s'agirait de ne pas laisser cette fringue au placard quand elle te servirait le plus.
Tu t'entends parler de Yoongi à tout bout de champ ? Et ça fait des années que ça dure, on le sait tous les deux. Un jour je te l'ai dit, avant que tu ne t'enfonces dans la bouderie comme on enfile un pantalon.
Fou, ça tu sais l'être, mais seulement quand tu ne risques rien. Et j'en ai assez de te regarder dépérir avec tout ce vide entre les mains. Pire, tu fais semblant de ne rien voir, toi qui as des yeux pour tout, surtout pour la beauté. À quel point tu les trouves laids ces sentiments pour ne pas les regarder ?
Je suis injuste, je saute sur le premier argument pour t'engueuler alors qu'il y a mille raisons de te remercier dans ces lettres, et je te promets que je le ferai, je te remercierai, mais pour le moment, Hyung, il est temps d'être taré. Sois cet alien jusqu'au bout, ne te retiens plus par peur qu'il disparaisse. Si Yoongi migre à l'autre bout de la planète par trouille ou je ne sais quoi, on ira le chercher pour lui enfiler une petite bague GPS, comme à une vulgaire mouette. C'est mon métier de recenser les espèces rares après tout.
Et peut-être qu'il ne partira pas, cette fois. C'est un pari qui doit te sembler fou, limite dangereux, j'en conviens, mais c'est celui qui te ressemble le plus.
Ce n'est plus à moi que tu dois dire tout ça : qu'il te manque, qu'il ne te comprend pas, qu'il t'énerve, qu'il te blesse. Dis-le lui. Ne le peins plus sur tes toiles dans l'espoir qu'il te déchiffre. Tu parles bien l'humain, dis le lui. Il n'y a qu'ainsi que ça l'atteindra. Et puis moi, je ne suis pas le meilleur des confidents quand il s'agit de sentiments, il sera bien meilleur pour accueillir tout cela.
Tu n'es pas fait pour n'être qu'à moitié fou, l'Ourson, ne te contente pas d'arroser ton jardin, provoque une tempête et danse sous la pluie. T'auras l'air con, peut-être, mais ça ne t'a jamais posé de problème de toute façon. Mieux vaut avoir l'air bête qu'avoir l'air libre. Et ça te libérerait de lui faire face, pas vrai ?

[...]

12h40

En parlant de liberté, c'était un plaisir de te lire Joon, comme à chaque fois. Ça va peut-être sonner étrange, mais j'ai eu l'impression de mieux respirer après ta dernière lettre, un poids s'est allégé dans ma poitrine. Je crois que ça m'a fait du bien de te sentir si apaisé, enthousiaste aussi. Si je n'étais pas aussi coincé, je t'aurais sans doute déjà avoué à quel point je suis convaincu que cette bande a besoin de toi. Tu es comme un silence tonitruant, de ceux qui guérissent, et les plus bruyants d'entre nous s'apaisent à ton contact.
C'était naturel pour moi de venir décharger un peu de ma tempête aux portes de ton salon. Il me fallait du silence, du calme sans doute. Mais aussi peut-être de la place pour éclater et lâcher des éclairs dans tous les sens. Il n'y a que toi qui permets vraiment cela, Joonah. Et ne t'y méprends pas, c'est une qualité que j'admire énormément.
L'humain est fait de telle façon que la présence d'un individu paraît presque palpable, alors on s'y heurte parfois, on peut s'y accrocher aussi, et puis il y a ta présence à toi, comme un espace dans l'espace, une autre dimension. À mes yeux, c'est la plus impressionnante des présences, et sois sûre que les autres le pensent aussi. Ça se voit gros comme une maison.

Tiens, puisqu'il est question de maison...

Arf, on arrive au sujet délicat.
Jiminiechimnie, parlons de toi.
J'aurais plein de choses à te dire, je ne sais pas par quoi commencer. Peut-être que tu pourrais m'expliquer ce que tu fiches dans une maison vide, tout seul ? S'il n'y a rien là-dedans, ouvre la porte et rejoins-nous dehors ?
Okay, c'est sûrement pas très fin ce que j'écris là, sûrement que la moitié du concept me glisse entre les doigts, comme d'habitude, mais vraiment, c'est la première chose que j'ai pensé : pourquoi tu t'infliges ça ? Tu nous reproches de ne pas te retourner l'attention que tu mérites, mais Hyung, le premier à ne pas le faire, c'est toi. Sors-toi de là maintenant. Occupe-toi toi-même de te couvrir d'amour, on ne pourra jamais te remplacer pour ce travail-là.
En tout cas, moi, je ne pourrais jamais faire ça. J'ignore encore comment m'aimer correctement, alors comment y parvenir avec toi ? Est-ce que ça veut pour autant dire que tu ne comptes pas ?
Je ne sais, dis-moi.
Qui j'appelle systématiquement pendant une crise d'angoisse ? Quel est le tout premier chemin que j'ai réussi à faire seul, sans me planter et sans paniquer ? Hoseok excepté, avec qui j'ai toujours tout partagé ? Tu es même un des rares qui peut me toucher, Hyung.
Ça me rend dingue que tout ça ne te suffise pas. Je pourrais m'épuiser en démonstrations que tu ne le verrais pas. On ne parle pas la même langue pour se dire ces trucs-là, mais tu as l'air d'exiger que je parle la tienne absolument. Et ouais, je m'obstine à refuser d'essayer, parce que je trouve ça injuste. Et ça te blesse, et je me retrouve en situation d'échec. Parce que, crois-le ou non, ça ne m'amuse pas de te faire de la peine. Et plus j'échoue à être ton ami, plus je m'énerve.
Hyung, je ne suis pas du genre à m'embarrasser de moitiés, tu le sais. Ou les gens sont extrêmement proches de moi, ou bien ils ne sont rien du tout. Quand je laisse quelqu'un m'approcher, il devient un repère dans ma vie, mon monde se met un peu à tourner autour de cette personne. Et tu as été véritablement le premier avec lequel je me suis rendu compte de ça. Pour Hoseok et mes parents, j'étais trop jeune, mais quand tu es arrivé, j'ai vite compris qu'une fois que tu serais entré, je ne pourrais plus te laisser partir sans paniquer. Et bien presque vingt ans plus tard, c'est toujours le cas.
J'ai peur, okay ? J'ai peur si tu t'en vas.
Je nous vois un peu comme ces partenaires de galère dans les films épiques, ce duo qui se colle dos à dos pour affronter l'ennemi. Nous, on s'est tout de suite placés comme ça, on se sentait plus fort, on pouvait se reposer sur l'autre dans les moments de répit. Mais l'ennui du coup, c'est qu'on n'a jamais osé se faire face, comme si les ennemis pouvaient à tout moment nous encercler. Et sans s'observer vraiment, on ne peut pas se déchiffrer, pas vrai ? On ne s'est jamais compris, car on ne s'est pas regardés. On cherchait juste à se protéger. Et attention, même pas mutuellement, non, malgré que tu le croyais. C'était pas sur moi que tu veillais, tu te cachais dans mon dos, et je faisais pareil.
On ne survivra pas à la vie, Hyung, ni toi, ni moi. Tout le monde meurt un jour, au sens propre comme au sens figuré, mais c'est dommage de perdre du temps à avoir peur d'un truc qui nous rattrapera forcément. À vouloir bloquer tous nos ennemis, on en oublie d'être amis.

[...]

13h18

Ouah, il a fallu que je digère et réfléchisse à tout ce que je viens d'écrire, puis que j'aille à l'épicerie du coin me chercher deux, trois ramens. Mais me revoilà !

À Yoongi hyung, maintenant !
Yoongi, Yoongi, Yoongi... Notre petite chauve-souris.
C'était étrangement fascinant d'entrer dans ta tête, elle m'a toujours attiré cette calebasse pleine de secrets.
Touché, je crois que c'est le mot. J'ai été touché que tu partages tout cela avec moi. Je comprends mieux maintenant cette force d'attraction qui te renvoie toujours dans un train. Dans le monde animal, la seule chose qui maintient certaines espèces en mouvement, c'est la peur de la prédation, c'est pour ça que j'ai supposé qu'il y avait de l'appréhension quelque part. Mais je n'aurais jamais imaginé que ça puisse être si intéressant, le mouvement. Tae a raison de vouloir voyager avec toi, ça donne envie. J'espère que tu l'y autoriseras un jour. Bien sûr, tu ne serais plus, dans ce cas, à l'abri de ta solitude la plus complète, mais pour quelqu'un qui aime les expériences nouvelles, peut-être que tu devrais essayer parfois. Quoi qu'on en dise, on est toujours un peu seul dans le fond, c'est une chose que l'angoisse m'a apprise, alors tant qu'on le peut, on devrait essayer d'être deux quand on en éprouve l'envie. Deux, ou trois, ou dix, comme on préfère. C'est, pour ma part, la seule vraie raison qui me pousse à épouser Noona. J'ai envie d'être deux avec elle.
Ça va te paraître dingue, peut-être hors sujet, mais malgré tout ce que tu dis dans ces lettres, je crois que je n'imagine personne mieux que toi être deux dans la vie. Tu n'y es pas obligé, bien sûr, mais si un jour cela arrive, je serai plus qu'heureux d'assister à ça. J'ai encore tellement, tellement à apprendre de toi.

[...]

14h00

Et puis on y est, sans doute le moment le plus compliqué pour moi. Ce que je vais écrire maintenant, je n'en aurais sans doute jamais été capable s'il n'avait pas fallu que je réponde à tous les autres avant d'en arriver là. Vous l'aurez peut-être remarqué, mais écrire, c'est devenu plus facile à mesure que la lettre se déroulait. Bon, ce n'est sûrement pas du grand art, et sans doute que je suis maladroit, comme toujours, mais comme la première fois m'avait fait du bien, cette fois aussi m'apaise un peu. Écrire, même de façon désorganisée, c'est comme défaire le tuba de la tornade. Plus je m'applique à l'exercice, et plus je comprends pourquoi tu m'avais conseillé ça il y a dix ans, Jinie-hyung : "Si tu ne peux pas parler, écris".

Ce que je me demande encore, en revanche, c'est si la profondeur de cette proposition dépassait nos petits avions en papier de l'époque. Tu m'as dit dans ta première lettre que cela t'avait surpris que j'applique aussi bien ton conseil, mais entre nous, Hyung, ça te surprend vraiment ?

Je t'ai lu tu sais, très attentivement, et j'ai pas mal rigolé, forcément. Au début, en tout cas. Parce que plus ma lecture avançait, plus un étrange pincement au cœur prenait le pas sur mes éclats de rire. Tout à coup, toutes ces blagues m'ont semblé... Je ne sais pas, tristes ?
Et j'ai encore du mal à savoir d'où vient cet étrange sentiment : de toi ? De moi ? De cette situation ?

Je suis désolé d'avoir fait silence radio pendant quelques temps. Je ne peux pas prétendre ignorer que ça allait t'affecter, j'suis pas idiot, tu sais ? Je le vois bien que tu paniques plus vite quand il s'agit de moi. Je te demande pardon, et je le referai demain en te regardant dans les yeux c'est certain. C'est juste que cette fois, je n'ai pas été capable de prendre sur moi. J'avais besoin de ce silence, de cette distance aussi, il y avait tout un tas de trucs que je devais remettre en ordre dans mon esprit.

Tu sais, quand ma mère dépasse les bornes avec mon père, que sa froideur le met dans tous ses états, il arrive que mon père finisse par bouder comme un enfant. Je détestais ça avant, je trouvais ça ridicule et puéril, pas du tout digne d'un "grand". Mais depuis, je sais que les adultes n'existent pas, et surtout que mon père ne boude pas vraiment. Il arrive simplement à un degré de douleur qui menace de l'emporter au moindre son prononcé. Alors il disparaît comme il peut dans notre appartement étroit et s'enferme dans le silence. Il me dit qu'il réfléchit plus au calme, qu'il s'apaise lui-même avant de devoir s'expliquer. Et puis, quand ma mère n'en peut plus, car quoi qu'elle en dise au quotidien l'agitation de mon père lui manque rapidement, et qu'elle finit par aller le dénicher, papa lui dit toujours la même chose : "quand on ne parle plus, cela veut dire deux choses: soit que l'on n'a plus rien à se dire, soit que le plus important n'a pas encore été dit."

Je crois que c'est pour ça que je me tais en ce moment, Hyung, il y a quelque chose de très important que je ne t'ai jamais dit. Pendant longtemps d'ailleurs, je n'en ai jamais parlé à personne, je pensais que ça ne regardait que moi. Mais c'était visiblement sous-estimer la connaissance que Minie-hyung et Hoseokie ont de moi. Celle de Noona aussi, évidemment.

Il y a un secret que j'entretiens à l'abri, dans mon intimité, depuis que je te connais. Et crois moi quand je te dis que jamais j'aurais imaginé devoir t'en parler. D'abord parce que je n'en ai jamais éprouvé le besoin, ensuite parce que je pensais vraiment que ça pourrait te blesser. Ce dernier point, je ne l'avais pas conscientisé avant récemment, avant d'en discuter avec Minha et Hoseok, et quand ils m'ont demandé pourquoi je pensais que tu le prendrais mal, ça a comme débouchonné toute une cascade de pensées nous concernant tous les deux. Toutes ces idées et questions étaient là depuis longtemps, mais je n'y avais jamais prêté attention jusqu'à présent : pourquoi j'ai toujours ressenti le besoin de répondre présent avec toi ? Pourquoi, même si ça ne se voit pas comme ça, je te dis rarement non ? Pourquoi est-ce que je fais particulièrement attention à toi ?

Je souris d'avance en t'imaginant t'indigner, me lister toutes les fois où je t'ai jeté sans ménagement, où je t'ai mal répondu, où je t'ai claqué la porte au nez... Mais Hyung, rien n'était vraiment important ces fois-là. Quelque part, je sens qu'il y a des instants où je ne dois pas déconner avec toi. De très courts moments où tu donnes l'impression d'être en équilibre au bord du vide. Bon, ça arrive avec tous les autres aussi, mais ça ne m'empêche pas de n'en faire qu'à ma tête parfois, Jiminie-hyung en aura surement déjà témoigné. Chacun son vide, j'ai tendance à penser. Le mien est suffisamment chiant à gérer pour qu'en plus, je fasse attention à éloigner les autres de leur propre gouffre intérieur. Mais avec toi, je ne me permets pas d'être aussi égoïste. Il y a des messages que tu m'envoies, des invitations que tu me fais, des provocations aussi, que je ne peux pas ignorer, je le sais. Il faut que je sois là. Même si je n'en ai pas envie, même si je suis de mauvaise humeur, même si je ne comprends rien à rien et même si j'ai peur, je te suis, car j'ai l'impression d'avoir cette espèce de malédiction magique qui fait de moi l'un des seuls humains vraiment capable de te blesser. Et je pense que c'est une grande et flippante responsabilité.

Pourquoi moi, Hyung ? Pourquoi un beau jour tu m'as choisi alors que j'examinais une toile sur mon balcon en tirant une gueule de six pieds de long ? Je ne comprends toujours pas. Durant des années, j'ai surtout pensé au fait que, ouais, tu me plaisais. Tu me plaisais vraiment. Tu le sais je crois, j'ai jamais plus préféré les filles que les garçons, mais je dois l'avouer maintenant, je n'ai aimé romantiquement qu'une seule fille et qu'un seul garçon. Minha et toi. Ou plutôt toi d'abord, Minha plus tard.

Je ne ferai pas l'exposé de ce qui m'a charmé, j'en crèverai d'embarras, prends juste cette information comme elle est, d'accord ? J'ai été et je le suis sans doute encore un peu, amoureux de toi.

Oh putain, c'est vraiment bizarre de l'écrire.

Cela explique, ainsi que sa très grande intuition, que Noona ne t'aimait pas. Bon, réjouis-toi, je sais depuis qu'elle t'apprécie quand même, qui ne le pourrait pas, hein ? Elle avait juste un peu peur de toi. Peur qu'un beau jour, à ton contact, je me reveille sur la vraie nature de mes sentiments et que je la quitte avec perte et fracas pour partir avec toi. Il a donc fallu que je la rassure, je n'ai jamais, même pas une seule seconde, souhaité un truc comme ça. Hyung, est-ce que tu me crois si je te dis que je n'ai jamais voulu quoi que ce soit de plus que ce qu'on avait déjà ? J'ai jamais imaginé être en couple avec toi. Peut-être que ta préférence pour les femmes a joué, mais je n'en ai surtout jamais éprouvé le besoin. Même Hoseok a du mal à comprendre ça, je crois, pourtant c'est la vérité. Aimer dans mon coin, en secret, ça me suffisait. Et quand Minha m'a demandé : mais tu n'as jamais espéré plus ? J'ai simplement répondu : plus que quoi ? Qu'est-ce qu'il y a de plus que ce qu'on a déjà, toi et moi ? Il existe d'autres choses, comme ce que je partage avec Noona, mais ce n'est pas plus que le reste, je crois. Pas plus que ce qui me lie à chacun d'entre vous. Elle est bizarre cette idée qui veut que le couple romantique soit l'étape au-dessus du duo amical, je ne l'aime pas. Est-ce que l'amitié n'est pas plutôt à la base de toute forme de relations, comme un champ fertile pour tout ce qui compose l'affection ?

Enfin bref, tout ça pour dire que je t'aime parfois plus que bien, Hyung. Mais ne prends pas peur, ça ne peut pas me faire souffrir, ça ne l'a jamais fait et ça n'arrivera jamais. C'est juste que pour la première fois depuis que je te connais, ces sentiments ont fini par déborder de mon intimité et empiéter sur ma vie. Ils font peur sans raison à Noona. Ils me remplissent la tête sitôt que j'ai affaire à toi. Ils ont fini par déborder dans le réel et m'enfermer dans le silence. Alors j'ai pensé que peut-être, il s'agissait de quelque chose d'important qui devait être dit, finalement. Tu te souviens de nos avions en papier ? Peut-être qu'entre nous, Hyung, il s'agit de lancer un autre de ces avions dans les airs, qui arborerait sur ses petites ailes fragiles, tout ce que je viens d'écrire. Mais cet engin-là n'atterrira jamais nulle part, il n'en a pas besoin. Lui, il traversera le ciel indéfiniment, rempli à ras bord de ces émotions dont je ne sais plus quoi faire, mais qui existent quand même. Tu n'as pas à parler, pas un geste à esquisser, je ne te demande rien, j'ai juste besoin que tu le saches. Dire. Je veux juste dire. Me décharger dans les airs, regarder ce petit avion s'envoler et le laisser voler sans destination. Ce n'est vraiment pas douloureux Hyung, au contraire, c'est agréable. Alors ne te sens pas coupable ou quoi que ce soit, tous nos avions n'ont pas besoin de réponses, tu le sais, je t'y ai habitué. Si ça te suffit également, contente toi de le regarder s'envoler avec moi et chérissons cet oiseau de papier-là.

[...]

14h48

Wow, je ne me souviens pas avoir déjà écrit autant. Il y a bien eu quelques dissertations ou des rapports à rédiger pour l'université, mais c'est la première fois que je m'adresse directement à quelqu'un avec autant d'acharnement.

Dire, c'est dur, mais on trouve toujours un moyen. Je crois que c'est le bilan.

Je ne sais pas trop comment finir cette lettre pour être honnête, j'ai l'impression qu'elle ne peut pas avoir de fin. Pas tant qu'on conservera nos liens. Il me resterait tant de choses à écrire : "pardon", "merci", "tout va bien"... C'est comme s'il était impossible de vous répondre vraiment. Il y aura toujours des choses à vous dire à mesure que la vie à vos côtés s'écoulera. On gardera des secrets, on commettra de nouvelles maladresses (surtout moi) et on ne sera jamais à l'abri d'une embrouille ou deux.

Faut-il pour autant avoir peur ? En 24 jours, ne vient-on pas de prouver que ça n'a rien d'anormal tout ça ? Qu'il nous arrive à tous de nous sentir comme un petit alien sur la mauvaise planète ? Et si nous venons tous d'ailleurs, peut-être bien que le langage humain, ça n'existe pas plus que les adultes finalement. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut apprendre à maîtriser par conséquent. Après tout, les tornades sont censées gifler, souffler, exploser, alors à moins de les vivre, les raconter sera toujours compliqué.
Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas essayer, mais il ne faut pas s'en vouloir de ne pas y arriver. Il suffit de recommencer, de persister. S'accorder du temps, puis réessayer si c'est important. Et puis, à défaut de retrouver sa planète, on peut simplement créer avec d'autres extraterrestres, de petites et chaleureuses zones safe. Pleins de minuscules Zone 51. Rien ne nous oblige à aimer tous les terriens, on peut se contenter des siens, et faire avec ceux-là, des efforts qu'autrement, nous ne ferions pas.

L'amitié, la nôtre en tout cas, ça n'a pas l'air plus sophistiqué qu'un regroupement de gamins flippés et d'aliens tarés. Affreusement simple, incroyablement suffisant.
En regardant la fresque, je me dis que Jiminie savait tout cela depuis longtemps. Il n'a pas ajouté "Friend" devant "Zone 51" pour rien, n'est-ce pas ? Et même si je me suis souvent demandé pourquoi notre QG avait d'un coup pris ce nom bizarre de "Friendzone", je crois désormais que c'était du génie. Tu es brillant, Minie ! Tout part de là, de cette zone d'amis. Il n'existe rien au-delà, tout se passe à l'intérieur. Notre planète, c'est ça.

Je me demande à présent si je dois ajouter un dessin sur le mur. Cette lettre, je ne la posterai pas, en vérité, vous vous en doutez. Vous ne la lirez jamais, je l'ai surtout écrite pour moi. Il y a des choses là-dedans, que nous ne devrions pas partager tous ensemble, certaines ne sont destinées qu'à Joonah, d'autres à Nabi, d'autres encore à Yoongi... Et ainsi de suite jusqu'au nombre de sept, jusqu'à moi.
Je vous ai beaucoup écrit, parce que je ne savais pas parler et je ne le sais toujours pas, mais peut-être que la prochaine étape, justement, c'est d'essayer.

"It's far from over", finalement. C'est vrai.

On se voit demain, les gars.

Jungkook





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