43
*Hana*
Une douce caresse sur la joue m'extirpa au domaine des songes. Mes paupières papillonnèrent quelques grains de sables avant de se stabiliser, ouvrant mes yeux sur le décor environnement.
Plus rien de la clairière d'hier à l'aube de cette nouvelle journée.
Où...
Plus de Liam, plus d'Aaron, de Fafnir... À la place, une chambre somptueuse entièrement fabriquée de bois.
D'un rapide coup d'œil, je remarquai que mes habits crasseux avaient été remplacés par une chemise de nuit soyeuse dont le tissu cascadait sur mon corps comme une chute d'eau satinée ; un luxe que je n'avais jamais rencontré auparavant.
Je me débarrassai des draps dont on m'avait recouverte, sautai du lit et me précipitai à la porte pour me jeter sur la poignée.
Celle-ci se tourna sans difficulté. Des fragrances de mousse et d'herbe fraiche s'engouffrèrent dans les narines, une brise soudaine dressa mes poils sur mes avant-bras et souleva ma robe.
Dehors, la nuit régnait.
À travers les feuillages, seule la clarté acérée de ses trois reines déposait çà et là des touches d'argent sur ma peau et sur les lieux alentours. Tout le reste était nappé d'un voile de ténèbres.
N'avais-je donc que si peu dormi ?
Quoique teintés d'un soupçon de familiarité, les lieux m'étaient définitivement inconnus.
Je m'aventurai entre les arbres titanesques à tâtons ; pressai le pas ; me mis à courir.
Toujours aucune trace de Liam – ni de lui, ni des autres.
Aucune trace de personne, en fait !
Crac.
Crac.
Crac.
Crac.
Crac.
À chaque foulée, les brindilles se disloquaient entre mes orteils.
J'avais envie de hurler.
OÙ JE SUIS ?
À bout de souffle, je finis finalement par m'arrêter.
J'étais toujours en chemise de nuit.
Que faire ? Je ne savais ni où j'étais, ni où étaient les autres, ni qui étaient mes ravisseurs, encore moins pourquoi ils m'avaient abandonnée ici, toute seule.
Calme-toi, ma fille, calme-toi.
En posant les choses, je pouvais trouver les réponses à mes questions, j'en étais capable.
Bon.
Les Fayes m'avaient capturée. Ça ne pouvait qu'être eux, le Bois leur appartenait. Je n'avais rien perçu la veille, mais il était surprenant qu'ils ne nous aient pas remarqué dès lors que j'avais posé un pied dans leur forêt.
Surtout que Liam et moi n'avions pas forcément été des plus discrets...
Donc ! Donc, les Fayes m'avaient capturée, et m'avaient emmenée... chez eux ? Dans une prison ? Et les autres ? Où avaient-ils été emmenés ? Étaient-ils seulement encore en vie ?
Non, il n'y avait pas de raison.
... Mais en même temps !
En même temps, je ne savais pas où ils étaient et ce qu'il était advenu d'eux, et je ne savais pas où moi je me trouvais et je ne savais rien et tout pouvait arriver et je ne pouvais rien faire !
Je paniquai tant et si bien que, à court d'options, je finis par beugler le plus fort possible :
⸺ LIAM ! AARON ! FAFNIR !
J'étouffai un sanglot. Repris mes braillements.
⸺ Pas la peine de hurler, ils ne sont pas là.
Une voix ! Une voix que je connaissais.
Je fis volte-face.
⸺ Lola ?
Enroulée dans une cape sapin, la jeune fille se tenait accroupie sur un rocher rongé par des tâches verdâtres et m'observait avec nonchalance.
Lola, ici ! Je ne rêvais pas, c'était bien elle !
Elle sauta de son perchoir pour atterrir gracieusement à mes côtés.
⸺ Alors ? dit-elle en se redressant. Je t'ai manqué ?
Incapable d'articuler une syllabe, je la reluquai, ébahie. Quelque chose dans son regard m'était dérangeant, sans que je n'arrive à deviner quoi.
Sa pupille !
Elle lui barrait l'iris horizontalement au lieu d'être ronde. Comment n'avais-je jamais pu m'en rendre compte, au Repère ?
On n'y voyait rien, en même temps...
De fait, la luminosité n'y était pas idéale. Mais tout de même, c'était...
Lola soupira.
⸺ Allez, viens. Il y a encore beaucoup à te montrer et... et vraiment pas assez de temps pour le faire, mais... tu comprendras bientôt.
Je dissimulai du mieux que je pus le trouble qui m'assaillit face à ses dernières paroles dont le son faisait écho à celles d'un certain inconnu qui s'invitait un peu trop souvent dans mes rêves depuis des cycles.
Inconnu, hein ?
Ses cheveux avaient été ramenés en chignons.
S'il y avait bien une chose stupide dont je n'aurais pas dû me soucier, c'était définitivement sa coiffure. J'en étais tout à fait consciente, mais voilà : je n'arrivais pas à m'en détacher. Je n'avais vu aucune épaisse tresse encadrant son visage comme à l'accoutumée, aussi les deux protubérances qui relevaient sa capuche ne pouvaient être que ses cheveux – même leur forme un peu biscornue ne leur donnait pas vraiment l'allure de chignons.
En fait, je ne pouvais pas m'empêcher de la regarder.
D'où sors-tu, Lola ?
Son apparition revenait plus de l'hallucination que d'autre chose, et je peinais à reprendre pieds.
Pouvait-elle être une Faë ? Je ne voyais pas d'autres raisons pour laquelle elle serait ici, et en même temps... en même temps ça n'aurait pas eu de sens ! Tant de cycles à la côtoyer, et je ne me serais rendu compte de rien ? Et puis, quelle raison aurait-elle eu de traîner avec les Chasseurs de Nuit ? C'était Mélisande qui m'avait envoyée ici : étaient-elles de mèche ? Était-ce un ordre de Kent ? Le Bois était-il vraiment le domaine des Fayes, où était-ce le point de ralliement des Chasseurs en cas d'abandon brutal du Repère ?
Je l'avais tuée.
Ils l'avaient tuée.
Indifférente aux innombrables interrogations qui se disputaient la priorité sous mon crâne, Lola gambadait devant, monologuant gaiement dans le vide.
⸺ Je suis contente que tu sois là, tu sais ? J'avais vraiment peur que tu ne t'en sois pas tirée, même si elle m'a assuré que si tu y passais, on l'aurait tous senti. J'ai beau savoir qu'elle a toujours raison... ben, j'étais inquiète. Voilà. Ça peut paraître bête, je sais ! Mais je pense que je me suis attachée à toi... plus que ce à quoi je m'attendais, en tout cas.
« Ce à quoi je m'attendais » ?
⸺ De quoi tu...
⸺ Au début, tu étais pile ce que je m'imaginais : froide, hautaine, arrogante... sa digne Héritière. Bon, et puis au fil du temps, l'autre toi s'est découverte ; enflammée, maladroite, colérique, sensible... pas du tout ce à quoi on m'avait préparé. Enfin, tu me diras, supporter cette version de toi n'était pas tous les jours une partie de plaisir non plus...
« Ce que je m'imaginais » ? « Préparée » ? « Tout ce que je détestais » ?
Qui était cette fille ? Et quelles étaient ces balivernes qu'elle me déblatérait ?
⸺ Stop !
De nous deux, je ne sus laquelle fut la plus surprise par mon ordre.
Devant moi, la silhouette encapuchonnée se figea. Dans l'ombre de sa pelisse, ses yeux brillaient surnaturellement ; le regard qu'elle me coula par-dessus son épaule en aurait fait reculer plus d'un.
⸺ Qu'est-ce que tu fais là, Lola ?
⸺ ... Comment ça ?
Il y avait quelque chose, dans sa voix... un mélange de menace et de malice, quelque chose d'indéfinissable, quelque chose... d'anormal.
⸺ Tu... tu ne devrais pas être là. Ça n'a pas de sens. Sauf si c'est bien un deuxième repère pour le Clan, mais... est-ce que c'est ça ? Est-ce que c'est vraiment un plan de repli ? Est-ce que c'est pour ça que les derniers mots de Mél...
Lola éclata de rire.
Elle se tourna vers moi, le sourire aux lèvres ; porta une main au nœud sur sa poitrine, et la pélerine s'affaissa dans la mousse.
Krâl...
Ce que j'avais tantôt pris pour deux chignons maladroitement noués étaient en fait deux immenses cornes transperçant le rideau de sa chevelure qui rebondissait librement sur ses clavicules et ses seins.
Mais le pire, c'était ses jambes.
Ses jambes ! Pouvait-on seulement parler de « jambes » ?
Ses cuisses dodues qu'entouraient autrefois d'interminables arabesques de henné s'étaient recouvertes d'un poil dru et brillant. Ses jambes s'étaient pliées dans un sens puis dans l'autre, et elle se retrouvait là avec deux pattes de cheval, des sabots fendus à la place des pieds.
⸺ Tu es... un centaure ?
⸺ Une faune. Raté.
Je m'autorisai le luxe d'être abasourdie quelques instants (des pattes de chèvre, donc), avant de reprendre, un brin de cynisme dans la voix :
⸺ ... D'abord Liam... puis Aaron... et maintenant toi ? Vous vous êtes tous passé le mot, ou quoi ?
⸺ Et tu n'es pas au bout de tes surprises... le monde ne tourne pas toujours autour de toi, tu sais ?
Elle secoua la tête et se remis à marcher d'un pas vif.
Qu'est-ce qu'elle a ?
Si quelqu'un avait le droit d'être contrariée ici, c'était moi !
Je lui emboîtai le pas, mais comme ses cornes disparaissaient déjà dans un tournant, je dus courir pour la rattraper.
⸺ Lola, attends !
Elle attendit.
⸺ On m'appelle Fiadhúlra, ici.
Je posai une main sur son épaule pour qu'elle se retourne, ce qu'elle ne fit pas.
⸺ Qu'est-ce qui se passe ?
À vrai dire, ses états d'âmes m'importaient peu pour l'instant – j'avais déjà un dragon et deux garçons à récupérer –, mais j'avais désespérément besoin d'informations.
Elle ôta ma main.
⸺ Je ne suis pas certaine que ce contact soit nécessaire, Héritière.
Encore ce nom !
Elle m'avait déjà appelé comme ça, comme... comme dans la vision de Mélisande. Celle qu'elle avait eu à notre retour de Rohïshceinrs.
Qu'est-ce que c'était, déjà ?
« Le Chien revient à son maître
Le Porteur fuit ses jappements.
Sous ses yeux l'Héritière vient de naître,
Ils ne pourront plus se cacher longtemps.
... »
Et après ?
Je ne parvenais plus à m'en souvenir. Une histoire d'épée, peut-être ? Mais ces mots faisaient écho à la prophétie que son père avait confiée à Liam. Le Porteur... quoi que cela veuille dire, on avait l'air de toujours en revenir à Liam. Le Chien... pour Thierragan ? Après tout, Liam n'avait eu cesse de le fuir... Et l'Héritière pour moi. Mais ça n'avait pas de sens ! Liam avait le même âge que moi, comment aurait-il pu me voir naître... ? À moins que les deux n'aient rien à voir.
⸺ Lola...
⸺ Fiadhúlra, me corrigea-t-elle doucement. (elle prit une profonde inspiration et clappa entre ses mains). Nous avons une tâche à accomplir, toi et moi !
Le ton se voulait être enjoué, mais toute la chaleur qui l'habitait d'habitude paraissait l'avoir déserté. Les intonations étaient froides, distantes.
Malgré tout cela, malgré l'incompréhension qui me tenait en laisse, je la suivis sans discuter. Instinctivement, j'avais l'impression que les réponses à mes questions se trouvaient avec elle.
*
J'avais l'impression de me noyer dans une mare de sang. Le vêtement que Lola – non, Fiadhúlra – retombait parfaitement, mais je m'y sentais incommodée, mal à l'aise. J'aurais aimé retrouver mes anciens habits, mais selon Lola – Fiadhúlra ! –, il n'en était pas question.
Elle était restée mutique aux milles et unes questions que je lui avais posées. Toute information que j'avais pu demander sur la condition ou la localisation de mes compagnons m'avait été refusée, tout juste si j'avais pu obtenir un semblant d'explication quant aux anneaux d'ogams qu'elle traçait sur son corps lorsque nous étions parmi les Chasseurs de Nuit.
J'aurais pu m'en douter, cela dit : des tatouages partout là où sa morphologie différait des humains ? Qu'est-ce que ça aurait pu être d'autre !
Ça n'a pas dû être simple, la vie d'infiltrée !
User de sorcellerie pour se mouvoir dans un corps qui n'était pas tout à fait le sien, ce n'était pas...
Pas le temps pour ça, me rappelai-je en suivant la Faë à travers bois : que je le veuille ou non, je ne pouvais pas pour l'instant la considérer dans mon camp : Fiadhúlra était définitivement de mèche avec ceux qui nous avaient enlevés – des Fayes, qui d'autres ? – et repoussait toute demande que je pouvais lui formuler. M'apitoyer sur une espionne ne servirait à rien.
Pire, ça risque de me desservir.
Je devais garder ça à l'esprit.
En suivant le fil de mes pensées, je m'aperçus avec effroi que cette façon de penser n'était pas la mienne. Si froide, si... calculatrice... ce n'était pas moi.
Cependant, je ne pouvais pas non plus me permettre de retourner à mes anciennes habitudes. L'impulsivité ne sauverait personne sur le coup ; et tant que j'ignorais où se trouvaient les autres, baisser la garde n'était pas une option – pas plus que de laisser cours à l'Ire.
L'Ire.
Elle était là, grondant dans mon bas-ventre.
Bouillonnante.
Chaque goutte qui s'écoulait entre mes cuisses traçait un sillon brûlant avant de se perdre dans les linges noirs de mes bas, recueillant ma rage comme on récolte l'eau de pluie.
Qu'il aurait été facile de la laisser exploser !
Sur mon bras, le tatouage me picotait. Ses volutes d'encre me promettaient tout, rien, l'impossible.
Mais je devais me contenir.
Le feu était immense. Ses langues ardentes léchaient les feuilles des premières branches, laissant derrière elles les prémices d'un vert un peu trop roussi.
Autour du feu, des gens. Beaucoup de gens.
Je marquai un arrêt. Lola se retourna et me pressa d'avancer d'un petit signe de tête. Réticente, j'obtempérai malgré tout et avançai d'un pas dans la lumière.
Je ne compris que les chants du vent n'étaient en fait qu'un bloc de murmures persistants lorsque tous ceux qui l'alimentaient alors se turent pour se tourner dans ma direction.
Je déglutis. Les êtres qui me fixaient n'avaient rien d'humains.
Pâles et décharnés ; couverts de mousse ; lèvres rouge vif et iris charbon d'Ishaa ; immenses ou minuscules ; griffes ; ailes ; queue...
Des Fayes. Fées. Créatures. Sidhí, comme se plaisait à les appeler Liam.
J'étais entourée d'une foule de Fayes.
Et j'avais beau savoir...
Il existe un monde entre deviner et se confronter.
⸺ L'Héritière, enfin ! Nous ne nous lassions plus d'attendre !
Sueur froide.
Un frisson dévala ma colonne vertébrale.
Séparant l'attroupement, une femme se dirigea vers moi, aussi majestueuse que mortelle.
Teint translucide, épaisse crinière d'un blond glacé, traits taillés au couteau...
⸺ Johana ?
*
*Liam*
Quelques temps auparavant
⸺ Krâl ! Quand est-ce qu'ils vont finir par nous libérer ?
Je ramenai vers moi le poing que j'avais envoyé dans le mur, examinai dédaigneusement tour à tour la surface intacte puis mes jointures meurtries.
⸺ Quand ils auront eu ce qu'elle voulait.
Adossé au mur, bras croisé et regard perdu dans les racines de notre prison, Aaron assistait à mes ronds en cage avec une mine distante.
Je me tournai vers lui.
⸺ Qui ça, « elle » ?
Un grain de sables, il perdit un peu de sa superbe. Ses épaules se rentrèrent, ses bras se resserrèrent. Il baissa la tête.
⸺ Elle, c'est Nimuë. La Morgane. Celle qui...
Ses mots se bloquèrent dans sa gorge.
Fafnir... où es-tu ?
J'avais beau étendre ma pensée aussi loin qu'il me l'était possible, nulle part l'empreinte familière de mon frère d'écailles ne se faisait sentir.
Je m'étais éveillé à l'aube – merci à la minuscule lucarne qui laissait filtrer un rayon de lumière sur nos visages fatigués – dans cette cellule, et les premières étoiles avaient illuminées le ciel sans que je ne respire sa présence, boive le flux de ses émotions.
Attendons de voir de quoi demain sera fait, tu parles !
Ici, il n'y avait que nous, Aaron et moi.
Et je devais sortir d'ici.
⸺ Nimuë... tu as l'air de bien la connaître.
Aaron accusa le coup.
⸺ Connaître, c'est un euphémisme ! (le cynisme dans sa voix ne m'échappa pas). Disons que j'ai déjà eu affaire à elle.
⸺ Et ?
⸺ Et, pour ton bien et celui de Hana, j'aurais préféré qu'aucun de vous l'ait jamais croisé...
Pardon ?
⸺ Comment ça, « l'ait jamais croisé » ?
Mon interlocuteur blêmit.
Je réitérai :
⸺ Comment ça, « l'ait jamais croisé » ? Aaron ? Aaron ! PARLE, ROI-PÊCHEUR !
Nous nous dévisageâmes pendant plusieurs poignées de sables dans le silence le plus complet. Finalement, il finit par avouer, des remords plein la voix :
⸺ Nimuë, c'est...
*
*Hana*
⸺ Johana ?
Par tous les dieux de Gaërwhenn... où est-ce que j'ai atterri ?
Je tendis une main vacillante dans sa direction, m'attendant à ne rencontrer que le souffle d'un mirage, mais l'épiderme glacé qu'effleurèrent mes doigts était bien réelle.
Sa main recouvrit la mienne, l'encageant contre sa peau gelée.
⸺ C'était toi... dans mes rêves, c'était toi !
Je tentai de me dégager, en vain.
Son sourire s'élargit.
⸺ Allons, allons... nous sommes entre amies, n'est-ce pas ?
⸺ Où sont les autres ? Qu'est-ce que vous leur avez fait ?
Elle ricana.
L'angoisse fit place à la fureur, à cette Ire incontrôlée qui ravageait tout sur son passage.
Je tremblai. Non, je vibrai.
Je vibrai de rage.
Quelques grains de sables supplémentaires, et je lui sautais à la gorge.
⸺ Intéressant... murmura-t-elle. Tes yeux ont déjà commencé à changer. Il n'aura pas fallu longtemps pour que les effets de ton bandeau s'estompent !
« Johana » lâcha ma main. Comme une vague après l'assaut, la colère reflua d'un seul coup.
Qu'est-ce qui m'arrive ?
Je fixai mes doigts flageolants avec ahurissement.
La Faë me fit suivre de la suivre. Bien malgré moi, ce fut ce que je fis.
Sur son sillage, les Fayes s'écartaient ou disparaissaient, comme s'ils craignaient qu'elle ne les remarque. Ils ne manquaient pas, toutefois, de me jeter pléthore de regards méfiants en marmonnant dans leur barbe.
Je devais retrouver les autres. C'était ma priorité, peu importe que toutes les réponses aux milles et unes questions qui me taraudaient sans répit semblaient reposer ici.
... peu importe où ici se trouvait.
⸺ On me connaît sous de nombreux noms.
Mon attention revint se fixer sur la femme devant moi.
⸺ Pour certains, je suis Nimuë. Pour d'autres, je suis la Morgane. Pour toi, j'étais Johana. Mais fut un temps, il y a bien longtemps de cela... où l'on me surnommait la Fée de l'Aurore. Melhéaïanoska.
Je cillai.
Était-ce seulement possible ? Johana, que je considérais comme une amie sincère à défaut d'être tendre, qui était une Chasseuse de Nuit, qui était toujours là pour m'entraîner...
L'entraînement.
Non, c'était impossible.
⸺ Menteuse. Menteuse !
Ses sourcils s'arrondirent.
⸺ Oh ?
En vérité, elle semblait plus amusée que contrariée.
⸺ Si tu étais vraiment Johana... tu n'aurais pas pu t'approcher de l'arène d'entraînement.
⸺ Et pourquoi ça ?
⸺ Parce que les Fayes ne supportent pas le fer !
Ses yeux étincelèrent.
⸺ D'où tiens-tu ces informations ?
Mes lèvres se refermèrent sur le prénom de Liam juste avant qu'il ne leur échappe.
Elle ne devait pas le savoir.
Face à mon silence obtus, la Faë éclata de rire.
⸺ Hana, Hana... au cours de nos passes d'armes... m'as-tu jamais touchée ?
*
*Liam*
Quelques temps auparavant
⸺ Donc, laisse-moi récapituler...
À l'autre bout de la pièce, Aaron m'observait avec une appréhension résignée.
⸺ Tu savais. Tu savais tout du long, et tu l'as laissée s'approcher de moi, de Hana, sans rien faire !
⸺ J'ai essayé de la mettre en garde...
⸺ Avec le succès qu'on te connait, cinglai-je, amer.
⸺ Liam...
Il parut sur le point de rajouter quelque chose, mais un spasme soudain le cambra en arrière puis en avant ; il dégobilla une substance dorée et visqueuse à la place.
De l'ichor.
De l'ichor ?
Je me précipitai à ses côtés, vérifiai sa température, son pouls. Son front était brûlant, trempé de sueur.
Il se laissa retomber sur les fesses, s'essuya la bouche. Secoua sa main pour la débarrasser des impuretés qui la souillaient, finit par la frotter contre le tissu rêche de son pantalon.
⸺ ...
⸺ Les Larmes, m'expliqua-t-il du bout des lèvres.
Les Larmes... je connaissais cette légende.
C'était celles que la Melhéaïanoska avait versé sur la dépouille de son amant avant de s'élever jusqu'au panthéon. Utilisées par une personne vertueuse, elles pouvaient guérir n'importe quelle plaie. À l'inverse, un individu rongé par le vice ne recevait des Larmes que souffrance et tourments. On racontait qu'un être entièrement pur qui en boirait une gorgée accéderait au panthéon – contre une agonie lente et douloureuse pour tous les autres, aussi vertueux soient-ils. Quant aux meurtriers... les Larmes les noyaient dans le sang qu'ils avaient versé.
⸺ Combien ? me forçai-je à demander, baissant la voix dans la prière qu'Aaron ne m'entende pas.
⸺ Un torrent, confessa-t-il sur la même fréquence que moi.
Je déglutis. Détournai les yeux de sa silhouette prostrée. Je ne pouvais pas lui faire face, pas maintenant, pas tout de suite.
J'avais besoin de temps.
Fafnir ! Fafnir, où es-tu ? implorai-je en silence.
La porte de notre cellule s'ouvrit.
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