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            Je caressai les écailles de Fafnir du bout des doigts. Là-haut, le soleil tapait dur, et la Squamorphia avait beau nous dissimuler à la vue de tous, nul n'échappait à ses célestes rayons. Mais qu'importe : le vent était là pour nous rafraichir, et de toute façon, voler indemnisait bien quelques petites rougeurs sur la nuque !

Je me régalais des bourrasques qui cinglaient mes joues. Qu'y avait-il de plus exaltant, de plus grisant que les hauteurs ? L'esprit de Fafnir frôlait le mien : il aurait suffi d'une simple impulsion pour que nos deux êtres n'en forment plus qu'un, et cette sensation valait tout l'alcool du monde en termes d'enivrement.

Mais l'enivrement n'était pas une bonne chose.

L'enivrement menait à l'addiction, et l'addiction menait à la décrépitude.

Ma mère m'en avait fait le témoin.

Une minuscule contraction sur ma pommette, qui se répandit telle une tumeur sur mon visage jusqu'à ce qu'il soit entièrement gagné par les crispations.

Je plissai les paupières.

⸺ Pas de mourons, Faf' : je vais bien.

Il grogna, dubitatif.

Essayez donc de conserver une aura de mystère quand vous avez un frère d'écailles...

Je jetai un coup d'œil en-dessous. L'each uisce galopait sur la lande comme un poisson nagerait dans l'eau, ondoyant sur la plaine comme une vague sur la plage, Aaron et Hana sur son dos. Camouflés par la Squamorphia, Fafnir et moi leur faisions office de paravent.

Je scrutai leurs silhouettes superposées les unes sur les autres. Des trois, je ne savais le ou laquelle était le plus à plaindre...


*

*Hana*


⸺ ... Pourquoi est-ce que sa robe est devenue noire ?

Aaron ne m'offrit pas la grâce d'une réponse. Avec reluctance, je me forçai à reformuler ma question :

⸺ ... Il était recouvert d'algues et d'écumes, hier, hier soir. Pourquoi est-ce qu'il ressemble à, à un cheval normal, aujourd'hui ?

⸺ Je t'ai dit, il remonte sur la terre ferme pour aller chasser : faut bien qu'il se fonde dans le décor...

La voix d'Aaron était froide, mécanique.

Je manipulai avec circonspection les brins d'élodées entremêlés dans sa crinière avant d'en retirer un pour le montrer au Renard.

⸺ Et ça ?

Dans mon dos, je sentis son torse se relever alors qu'il haussait les épaules.

Je laissai glisser entre mes doigts le morceau d'algue et le vent l'emporta au loin – sans doute à la mer auquel il appartenait.

Je brûlais d'envie de lui poser plus de questions à propos de la veille (l'échange de bride, celle qui lui bandait désormais les hanches sous sa chemise, l'arrivée de l'each uisce...), mais le souvenir de sa main immobilisant la mienne me censurait.

« ... te sers pas de mes sentiments pour guérir les tiens. »

Si Liam avait été là, il aurait pu éclairer tous ces mystères. Grâce à un vieux manuscrit rongé par la moisissure sur lequel il serait tombé par pur hasard à Arkën Soa et qu'il aurait dévoré en une nuit, il aurait su exactement de quoi il en retournait et ne m'aurait épargné aucun des plus fastidieux détails sur l'affaire, tout content qu'il aurait été de pouvoir étaler son savoir poussiéreux.

Mais Liam n'était pas là. Liam volait là-haut, fuyait la tension du groupe sur le dos de Fafnir.

Je brûlais d'envie de poser plus de questions, mais ma bêtise rendait l'opération impossible. À la place, je me contentai d'un maigre :

⸺ Quand est-ce qu'on devrait arriver ?

⸺ D'ici une petite septaine.

⸺ Tant que ça ? m'étranglai-je.

⸺ Moins si on accélère, peut-être deux ou trois jours.

Le kelpie cavalait sans faiblir depuis l'aube, mais ne risquait-il pas de s'épuiser si le rythme devenait trop important ? C'était déjà un miracle qu'il n'ait pas eu besoin de pause jusque-là... J'en fis la remarque à Aaron, mais celui-ci balaya mes questions comme des fétus de paille déjà coupés :

⸺ C'est une Créature. Elles ne se fatiguent pas au même rythme que nous : il pourrait galoper un cycle sans faiblir qu'il serait encore frais comme la brise.

Je flattai l'encolure de l'étalon pour lui témoigner mon admiration.

⸺ Qu'est-ce qu'on attend pour accélérer, dans ce cas ?

⸺ Faudrait trouver un moyen de prévenir les deux là-haut.

⸺ Ça peut s'arranger.

Je perçus sur moi son regard interloqué et m'autorisai un menu rictus.

Il n'était pas le seul à pouvoir prouver son utilité...

FAFNIR !!!

Quoi ? s'enquit-il, alarmé.

Tu te sens prêt à accélérer ?

S'il le faut, oui... mais vous ?

Ne t'inquiète pas pour nous.


*

*Liam*


Soudain, Fafnir se mit à battre des ailes plus vite.

⸺ Faf' ? Qu'est-ce qui se passe ?

On m'a demandé de forcer le ton, en bas.

Il volait vraiment très vite.

⸺ Et ils arrivent à suivre ?

... Faut croire.

Je glissai un coup d'œil en direction du sol. Effectivement, l'each uisce filait comme une flèche, soulevant une traînée de poussière dans son sillage.

Je savais les kelpies rapides, mais pas à ce point...


*

*Hana*

Deux jours plus tard


Conforme à ce que le Renard m'avait prédit, les premiers chênes du Bois apparurent au soir du deuxième jour, alors que le ciel se bariolait de rubans enflammés.

Deux journées passées à respirer l'essence même de la honte en permanence, à ne plus parler que par monosyllabes, à souffrir le martyre dès lors que l'orteil effleurait la terre, à revivre la mort de Reyja toutes les nuits.

Enfin, le calvaire prenait fin.

Un lied étrange résonna au loin. Une musique inconnue, mais d'une familiarité désarmante. Un air dont les murmures faisaient écho à celui que Aaron avait un jour susurré pour me calmer alors que la rage embrumait mes sens, un air dont les murmures faisaient écho aux battements de mon propre cœur.

Un air intime, d'une sincérité absolue.


L'each uisce accéléra.


Plus la forêt se faisait proche, et plus l'envie de s'y engouffrer se faisait forte. Son appel pulsait dans mes veines.

Je connaissais cet endroit. Ces arbres, leurs entraves de lierre... je les connaissais. Un élément, un seul, m'empêchait de tout à fait reconnaitre le lieu. Quelque chose... mais quoi ?

Lorsque nous dépassâmes les premiers arbres, je me laissai glisser au sol pour essayer de comprendre, et aussitôt tout fit sens.

Le sol.

Le sol !

Le sol, c'était lui, l'élément de trop ! La dernière fois que j'étais venue ici, on ne le voyait pas : il était entièrement recouvert d'un tapis de fumée bleutée.

Mais si j'étais ici, alors...

Lui l'est aussi.


*

*Liam*


Devant nous, Hana marchait d'un pas vif, pressé. Elle ne cessait de jeter des coups d'œil autour d'elle, comme si elle était persuadée que quelqu'un l'épiait dans l'ombre.

⸺ Hana !

Elle se tourna vers moi, une lueur folle dans le regard. Sur ses traits, la crainte et l'appréhension.

⸺ Qu'est-ce qui se passe ?

Elle se retourna et repris sa marche, toujours plus rapide.

Hana !


*

*Hana*


Derrière moi, Liam ne cessait de me tancer, appelant mon nom sans discontinuer.

Et le Mage qui continuait de nous espionner...

Une boule enfla en moi, une bouillie fumasse qui m'étouffait de l'intérieur. Chaque fois que mon prénom résonnait, la rage prenait de l'ampleur et m'envahissait un peu plus.

Cette fureur n'avait aucun fondement – j'en étais parfaitement consciente –, pourtant l'acidité qui me mordait la gorge n'avait rien de creux ; c'était peut-être l'émotion la plus authentique que j'eusse jamais ressentie.

⸺ Hana !

⸺ Quoi ? aboyai-je en faisant volte-face.

Liam recula de quelques pas.

Face à sa mine stupéfaite, presque effrayée, la colère s'évanouit d'un seul coup.

J'esquissai un pas dans sa direction, mais l'effroi me figea sur place. Quelle était cette colère, et d'où venait-elle ? Elle était passée si vite... presque irréelle. D'ailleurs, réelle, l'avait-elle seulement jamais été, ou mon esprit volubile l'avait-il entièrement imaginée ?

Non.

L'ire avait bel et bien existé.

Si mon esprit en niait l'existence, mon corps s'en souvenait. Et si ce n'était pas lui... mes compagnons de route se chargeaient d'ancrer mon humeur à la réalité.

Un soupçon d'amertume tordit le recoin de ma bouche vers le sol quand je notai l'expression méfiante que Liam arborait.

Je ne pouvais pas lui en vouloir, si ?

⸺ On... on devrait continuer à avancer, marmonnai-je en me retournant.

On ne me suivit pas tout de suite. Bientôt, heureusement, les craquements de brindilles et les froissements de feuilles reprirent, à distance.

Quelqu'un s'approcha de moi. Liam, sans doute.

Il doit vouloir des explications.

⸺ Écoute, je suis déso... commençai-je en tournant la tête vers lui.

Mais au lieu de la touffe sablonneuse escomptée, une crinière brune.

De la tourbe mêlée d'azur à la place de l'acier.

Plus de cicatrice, plus de rien. Juste une barbe épaisse escaladant la peau jusqu'aux pommettes.

Le Mage.

Encore lui !

Une encre noire se distilla dans le blanc de ses yeux, recouvrit l'iris trouble d'une nappe de cuivre. Deux cercles dorés dans un océan d'obscurité.

Il fit un pas vers moi.

⸺ Tu comprendras bientôt.

⸺ Comprendre ? Mais comprendre quoi ?

⸺ Hana.

Je le dévisageai, les yeux ronds.

⸺ Quoi, « Hana » ?

Snap-snap.

⸺ Hana. Hana !

Je clignai des yeux. Deux doigts se claquaient l'un contre l'autre à quelques pouces de mes yeux.

⸺ ... Liam ?

⸺ Qui d'autre ? Dieux, ça doit bien faire trois poignées de sables que j'essaye de te parler, mais j'ai l'impression que tu discutais dans le vide...

Je patientai dans l'espoir qu'un son intelligent sorte de ma bouche, en vain. Je ne pouvais pas lui parler de mes visions, si ? Si je lui en parlais maintenant, il voudrait savoir pourquoi je ne lui en avais pas parlé avant... Il considérait suffisamment instable comme ça. Si je lui racontai qu'il m'arrivait de voir un personnage d'une carte de jeu et de discuter avec lui – quoique discuter soit un bien grand mot... Non. Quoi qu'il m'arrive, c'était un problème que je devais gérer seule.

Confondant ma réflexion silencieuse avec de la honte, Liam s'empressa de poursuivre :

⸺ Tu sais, je voulais te dire... je suis désolé. Pour Reyja, je veux dire. Et pour... tout le reste.

⸺ Reyja ?

Qui...

⸺ Je sais que tu es encore sous le choc et je m'en veux pour ce que je vais te dire, mais...

Reyja. Reyja !

Reyja.

... Avais-je réellement... oublié ?


Titubante, je m'approchai d'elle en trébuchant sur chacun de mes pas.


⸺ ... Il faut que ça sorte.

Liam prit une profonde inspiration.


Non... non...

Pas elle.

Ça ne pouvait pas... Ça ne pouvait pas être elle ?


⸺ Je... tu... tu ne réagis pas normalement.

Je lui coulai un regard perplexe entre deux franges de cils bordées de larmes.

⸺ ... Quoi ?

⸺ Tu...

⸺ Je ?

Il passa une main dans ses cheveux, agrippa ses boucles à s'en les arracher.

⸺ ... Tu es trop vivante.

Un laps de temps s'écoula dans le silence le plus complet, durant lequel je le toisai avec effarement.

⸺ Comment ça, « trop vivante » ? finis-je par articuler, la voix blanche.

Liam semblait ne plus savoir où se mettre. Je n'allais pas le plaindre.

Comment ça, « trop vivante » ? Hein ?

Il se mit à bafouiller, posant son regard partout sauf sur moi.

⸺ C'est... je veux dire ! ... par exemple, il y a une demi-révolution... tu avais l'air folle de rage, et, plus tôt encore, tu riais ! Avant que je ne vienne te parler, tu avais l'air morte de peur...

⸺ Où tu veux en venir ?

⸺ Tes émotions... elles sont trop fortes, trop intenses. Imprévisibles.

⸺ J'ai vu ma sœur d'écailles mourir sous mes yeux, Liam. Et tu attends de moi que j'aie des réactions normales ?

⸺ Non, non, bien-sûr que non ! Mais tu réagis comme si un de tes proches venait de mourir, pas...

Je le fixai tandis qu'il se débattait avec la fin de sa phrase, le mettant au défi de continuer.

⸺ ... pas comme si... pas comme si ta sœur d'écailles venait de mourir.

⸺ ... P-pardon ?

Comment ça, « pas comme si ma sœur d'écailles venait de mourir » ?

Se méprenant sur ma réaction, il s'approcha pour m'offrir une épaule réconfortante.

La gifle partit avant que ses doigts n'eussent eu le temps d'effleurer ma peau.

⸺ Mais tu te prends pour qui, croqueur d'œuf ? Tu es qui pour m'affirmer que la peine que je ressens en ce moment... n'est pas la bonne peine ?

⸺ Ce n'est pas...

⸺ Je l'ai vue mourir sous mes yeux ! Toutes les nuits, je vois son corps s'écrouler au sol et je me réveille avec la sensation de son sang sur les doigts ! Et toi, tu te permets de porter un jugement sur ma douleur ? Mais quel nom ? Tu as encore tout !

L'œil de Liam se fit noir.

⸺ Je n'ai pas besoin d'un nom pour essayer de t'ouvrir les yeux, Hana. Des frères d'écailles dont le Lien s'est brisé, j'en ai vu des trâlées défiler sur le pas de ma porte, et je peux t'assurer que leur état n'avait rien à voir avec le tien. Des Anamacha Cráite, des coquilles vides sans émotion, qui errent sans but jusqu'à ce que la mort ne les emporte à leur tour !

» Alors oui, tu souffres. Tu souffres peut-être même tellement que chaque respiration est un poignard qu'on t'enfonce dans le cœur, mais tu es en vie.

» Tu fais le même cauchemar depuis des nuits ? Il te hante le jour et tu as si peur de le retrouver que tu n'oses plus fermer l'œil le soir ? Bienvenue dans mon monde ! Moi, ça fait quinze Möks que j'affronte le même démon en boucle, toutes les nuits, que je l'entends me susurrer à l'oreille que tout est de ma faute. Et tu sais c'est quoi, le pire ? Le pire, c'est qu'il a raison. Si je n'avais pas été là, tu serais encore planquée dans ta petite masure à Arkën Soa, bien au chaud chez tes parents à clamer haut et fort que rien ne te fait peur ou n'importe quelle autre connerie que tu adorais raconter à l'époque !

⸺ Q-quoi ? Attends, de quoi...

Assez.

Je tournai vivement la tête vers celle de Fafnir qui venait de s'insérer entre Liam et moi.

Le sujet est clos.

J'ouvris la bouche pour protester, mais la pupille fendue du dragon me cloua sur place. Son frère d'écailles fronça les sourcils, mais ne réagit pas. À la place, il se contenta de me lancer :

⸺ Quand tu auras ouvert les yeux, on pourra discuter.

Liam !

L'avertissement claqua, menaçant. Trop tard : le jeune homme traça sa route sans un regard en arrière.

Aaron fit irruption, bride de l'each uisce en main.

⸺ Baisser le ton serait pas le plus ridicule des choix : les arbres du Bois aiment pas trop qu'on les dérange comme ça.

Il pointa un bouquet de feuilles racornies constellées de taches brunes, puis un filet de racines entremêlées qui se crispaient avant d'entrer en terre.

Une forêt, quoi.

Je haussai les épaules. Il insista :

⸺ L'harmonie, c'est l'essence des Créatures, Hana !

⸺ Ce n'est pas la magie ? répliquai-je avec humeur.

⸺ Pour eux, c'est du pareil au même. En la perturbant comme vous le faites, vous affectez le développement de la flore, et c'est pas bon : on pourrait nous considérer comme hostiles, si on était pas...

⸺ Pas quoi ?

⸺ Rien.

Tu parles comme si tu étais déjà venu.

Le Renard tressaillit.

⸺ C'est dans la nature d'un pêcheur d'être superstitieux, et puis le Bois nous coupe de tout le reste de la Gaërwhenn, alors ça fait pas de mal de connaître un peu le sujet... pas vrai ?

Coupait, Aaron. Coupait.

⸺ Ce qui m'inquiète, c'est que Liam devrait savoir ça. Vous vous êtes fâchés à quel sujet pour qu'il s'oublie à ce point ?

Aucun, répondîmes simultanément Fafnir et moi.

Mes yeux coulissèrent brièvement sur le dragon, emplis d'incompréhension.

Pourquoi... ?

Aaron haussa les épaules.

⸺ Je vais voir comment il va.

Sans solliciter notre avis, il adopta un pas plus alerte et s'éloigna rapidement, le kelpie trottant à sa suite.

Quand il me dépassa, le monstre marin darda sur moi un œil intense, perçant. J'en ressentis un profond malaise.


*

*Liam*


Crac.

Une branche brisée en deux.

⸺ Tu sais, pour un tueur, tu n'es pas particulièrement discret, lâchai-je par-dessus l'épaule.

⸺ Je cherchais pas à l'être, rétorqua-t-il en s'avançant à ma hauteur. Je voulais juste voir comment tu allais.

Je ricanai.

⸺ Un meurtrier attentionné ? C'est peu commun.

Aaron soupira.

⸺ Honnêtement, je sais pas ce qui est le plus difficile à supporter entre les sautes d'humeur de Hana et ton sarcasme...

⸺ Il reste toujours Fafnir, si tu as besoin d'une épaule pour pleurer.

⸺ Je commence à sincèrement considérer l'option, tu sais ? Au moins, je connais ses raisons de me détester et son humeur reste à peu près stable.

⸺ Tu vois ?

⸺ Je vois surtout que, question épaule pour pleurer, tu occupes déjà la place.

⸺ ... Je l'ai bien cherché, hein ?

⸺ C'est pas moi qui vais te dire le contraire.

Je croisai les mains derrière la tête.

⸺ Et donc, tu as choisi de rester avec moi. Malgré le sarcasme.

⸺ J'ai passé plus de dix Möks en compagnie de l'homme le plus cynique que j'aie jamais croisé sans me plaindre. Je pense que je peux passer un moment en ta compagnie sans devenir fou.

⸺ Trop aimable.

⸺ Et puis, je voulais te demander quelque chose.

Je ne dis rien. J'attendis qu'il développe.

⸺ Hana m'inquiète.

Pour changer.

⸺ Elle passe d'une émotion à l'autre sans prévenir, sans raison. J'avais déjà remarque ça chez elle avant, mais là... c'est de pire en pire.

⸺ La mort de Reyja n'y est pas étrangère.

⸺ C'est à propos de ça que vous vous êtes harponné la sardine ?

⸺ Tu nous as écouté ?

⸺ Non – même si ignorer vos gueulantes était compliqué. Simple supposition.

⸺ Bravo, j'imagine.

⸺ J'ai raison ?

⸺ À ton avis ?

⸺ Pourquoi tu as remis le sujet sur la table ?

Je tiquai. Puis soupirai.

⸺ C'est vraiment important ?

⸺ À toi de me le dire ; c'est pas moi qui braillait au beau milieu du Bois.

Silence de mon côté. Attente du sien.

Je finis par céder.

⸺ Je trouve ça louche.

⸺ Comment ça, « louche » ?

Je passai une main sur ma nuque.

⸺ ... Un Lien brisé est quelque chose de rare, d'accord ? Rare, mais pas inexistant. Des Anamacha Cráite – des âmes errantes, si tu préfères – sont déjà venues chez moi – enfin, chez ma mère- pour essayer de se soigner, trouver une chose à laquelle s'accrocher.

Ma voix se teinta d'accents désespérés, et mes yeux se plantèrent dans les siens comme un drapeau en terre conquise.

⸺ La perte du Lien n'est pas un mal dont on se remet ; c'est une partie de ton âme qu'on t'arrache et que rien ne peut remplacer, celui qui perd son frère d'écailles devient une coquille vide, une enveloppe de papier que plus rien ne peut remplir, rien !

⸺ Ce que Hana n'est pas.

⸺ Exactement !

⸺ Elle exprime la douleur à sa manière...

⸺ Mais ce n'est pas une question de douleurs, Aaron !

Ma main se cramponna à ma tunique avec une telle force que je sentis le tissu céder sous mes ongles.

⸺ C'est une question d'état, de présence ! Sans ton frère d'écailles, tu deviens moins que l'ombre de toi-même, moins que l'ombre de ton ombre !

Sa mâchoire béa quelques grains de sables avant qu'il ne formule un sobre :

⸺ Oh.

⸺ Oui, « oh ».

⸺ Pourquoi Hana réagit comme ça, alors ?

⸺ Si je le savais...

⸺ ... Tu me le dirais pas.

⸺ Non.

⸺ Mais tu as quand même une idée.

Je détournai le chef.

Effectivement, j'avais bel et bien une théorie sur la question. Mais elle était si crue que j'osais à peine l'exprimer en pensée – encore moins à voix haute. J'avais essayé d'orienter Hana sur ce chemin, que l'on puisse décrypter ce mystère ensemble... avec le succès qu'on me connaissait.


Tu as encore tout !


Je serrai les dents. Qu'est-ce qu'elle en savait ? Elle ne savait rien ! Rien ! Jusque-là, j'avais toujours pensé que le silence de Hana sur ma cicatrice avait été une question de respect, mais n'était-ce pas plutôt une forme d'aveuglement ?

Hypocrite.

⸺ Et toi ?

Quoi, moi ?

Je répétai ma question à voix haute.

⸺ Comment tu vis... tout ça ?

⸺ Mal, je suppose.

Comme pour Arkën Soa, comme pour lui, tout enfouir en attendant le moment opportun pour finalement se laisser aller. Moment qui, peut-être, ne se présenterait jamais.

Le Clan, le feu, mes amis, Ashe...

Plus tard.


*


⸺ Je croyais que le Bois était censé nous apporter des réponses.

Recroquevillée dans son coin, Hana grommelait dans sa barbe, le menton coincé entre ses genoux.

⸺ Je te rappelle que c'est toi qui voulais absolument venir ici...

Les yeux plongés dans la contemplation du feu, j'évitai sans peine le regard noir qu'elle me lança.

Ce soir, l'ambiance était saturée de mauvaises ondes. Hana et moi étions brouillés, Fafnir renfermé et l'ombre de son passé planait sur Aaron. Le seul à échapper au carnage était l'each uisce, mais la présence de son dompteur le tenait en laisse.

⸺ C'est pas le Bois qui t'apportera des réponses, corrigea Aaron du bout des lèvres ; plutôt ceux qui l'habitent.

⸺ On ne voit personne.

⸺ On ne trouve pas le Petit Peuple, c'est lui qui se montre à nous, dis-je avec irritation.

Krâl, ce n'était pas non plus traverser l'Oh Almoy Ga et en revenir que de savoir ça !

⸺ Et qu'est-ce qu'ils attendent pour se montrer, alors ?

À l'instar de la mienne, la tension frémissait dans sa voie, attente de la plus infime étincelle pour exploser.

Instables. Elle, moi, les deux.

⸺ Sans doute un test. Les Créatures adorent espionner, suggéra Aaron avant qu'une quinte de toux ne le saisisse.

⸺ Ça va ?

⸺ Hmm. Ouais.

Hana lui jeta un regard en coin. À elle, il avait dû le dire, maigre offrande pour apaiser sa colère. À moi, il n'avait rien dit. il s'était contenté de répéter :

« Pardon ! Pardon ! Pardon ! »

Au final, je ne savais rien de son passé que je n'avais pas deviné tout seul, à part quelques miettes que m'avait lancé Hana.

Je me rappelais l'expression d'Ashe lorsqu'Aaron était parti. Ses yeux tendres, l'amorce hésitante d'un geste de réconfort, le début d'une étreinte...

Mais je l'avais repoussé.

J'avais repoussé la seule personne qui me tendait la main, et désormais je ne pourrais plus jamais l'enlacer.

J'avais raté ma chance.

Comme avec ma mère.

Ashe...

En fermant les yeux, je pouvais presque ressentir la pulpe de ses lèvres, leur caresse soyeuse...

Stop.

Ce n'était pas le moment.

La présence de Fafnir m'enrobait comme une seconde peau, apparemment dans l'attente de quelque chose.

Qu'est-ce qui se passe ?

On nous observe.

Je relevai imperceptiblement le nez.

Personne.

Tu es sûr ?

Certain.

L'espace de quelques grains de sables, il me fit voir ce que lui voyait : là où la lumière des flammes s'éteignait, des ombres naviguaient entre les branches, se penchaient vers nous avant de se laisser avaler par la pénombre.

On devrait les prévenir, non ? demandai-je en lui envoyant l'image de Hana et Aaron ?

On ne peut pas les prévenir sans risquer que ceux qui nous espionnent ne le remarquent. Et puisque de toute évidence, ce sont eux que nous sommes venus trouver...

Mon attention glissa vers Aaron. Usant de gestes lents, plein de précautions, celui-ci avait ramené son arme près de lui, prêt à s'en servir à tout moment.

À côté de lui, sa monture maléfique aplatissait les oreilles et renâclait avec hargne.

⸺ On dirait que tu n'es pas le seul à les avoir remarqués...

Mon frère d'écailles acquiesça.

Une œillade persistante me retourna de trois-quarts : Hana nous scrutait sans vergogne, la suspicion infiltrant chaque pore de son visage.

Si elle n'avait pas perçu la présence de nos invités surprises – à moins que nous ne soyons lesdits invités ? –, elle semblait avoir deviné que Fafnir et moi tenions débat sous nos caboches.

Qu'à cela ne tienne !

Elle savait que nous discutions mais elle ne savait pas de quoi, et je n'étais pas celui qui l'en informerait.

J'imagine qu'il ne nous reste plus qu'à attendre.

C'est sans doute le plus sage à faire. Dors, Liam : je veille sur toi.

Ces mots doux-amers remontèrent en moi des émotions contradictoires en moi ; car tels étaient les mots exacts que mon frère d'écailles m'avait susurré à l'oreille la première nuit suivant l'Accident.

Et je n'étais pas le seul à m'en souvenir.

Dors bien, Faf'.


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