Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

12

         Bénie soit la personne qui a inventé le savon, songeai-je en ramenant ma tignasse encore humide sur mon épaule droite.

⸺ Tu te feras une beauté plus tard, princesse, on est déjà en retard.

⸺ Et c'est de ma faute, peut-être ?

De toute façon, ce n'était pas comme si je ne pouvais pas descendre les escaliers en même temps.

⸺ En tout cas, c'est pas de la mienne, et vous feriez bien de vous en souvenir !

⸺ Quoi ?

⸺ Règle numéro une du Clan, édicta Samira en levant bien haut l'index : c'est jamais d'la faute de votre aînée. Et à partir de là, vous improvisez.

⸺ C'est stupide, grommelai-je.

⸺ C'est un truc de moins auquel faut réfléchir, répliqua la voleuse en haussant les épaules.

*

La grotte était moins grande que la fosse principale, mais elle avait quand même sa petite taille. Un peu partout dans la « salle » était disséminés des tables, des chaises et des bancs de plus ou moins bonne facture, plus ou moins abimés, plus ou moins bancales... et les fesses posées dessus, des femmes, des hommes, un ou deux gamins et une poignée de vieillards...

Les Chasseurs de Nuit.

Un homme apostropha Samira dans la foule. En un clin d'œil, celle-ci disparut dans la masse, nous laissant plantés là.

Euh... Et nous ?

⸺ Eh bien je pense que l'on va devoir se débrouiller tout seuls, murmurai-je à mon compagnon d'infortune.

⸺ Bah, on a l'habitude maintenant, pas vrai ? rétorqua-t-il en ponctuant ses mots d'un clin d'œil à mon intention.

⸺ Oui...

            Sans attendre de réponse, je me dirigeai vers une table au loin où était assise une troupe de jeunots d'à peu près notre âge. Je vis du coin de l'œil mon compagnon se recomposer un sourire rayonnant qui s'était un peu effrité entre-temps.

À mesure que nous nous approchions, les répliques enflammées d'une dispute se firent entendre.

⸺ Répète un peu pour voir ?

⸺ On ne va pas y passer la nuit ! Tu t'es foiré sur ce coup-là, c'est tout !

⸺ Et à quel moment je me suis « foiré », au juste ? Quand tu t'es pris les pieds dans le tapis du vieux schnoque et que tu t'es rétamée en t'assurant de réveiller tout le quartier – avec le vieux schnoque par la même occaz' ?

⸺ Ce n'était pas moi !

⸺ Et c'était pas moi non plus !

⸺ Dites, vous allez pas continuer comme ça jusqu'à dompter l'Eolwënn, si ? Z'avez du public, en plus, fit remarquer l'un des autres gars attablés à la table en pointant son pouce dans notre direction.

Les deux antagonistes rompirent leur lutte de regard pour se tourner vers nous.

⸺ Oh, hey ! s'exclama la première. Désolé pour ça. Je suis Lola, au fait. Ça fait du bien de voir de nouvelles têtes quand on ne voit presque jamais la lumière du jour ! Surtout quand on n'est pas près d'y retourner... ajouta-t-elle en glissant un regard lourd de sens à son adversaire.

Celui-ci fit mine de s'offusquer, mais son compagnon le retint.

Lola avait un joli visage, des joues roses encadrées par deux épaisses tresses d'un brun sombre – couleur plumes de corbeau – qui tressautèrent légèrement lorsqu'elle s'écarta pour nous faire de la place.

⸺ Comment tu sais qu'on est nouveaux ? lui demanda mon camarade en s'asseyant à côté d'elle.

⸺ Pas beaucoup d'entrées au Clan. On remarque facilement ceux qui viennent juste d'arriver, surtout quand ils ont l'air aussi perdus que vous deux. C'est quoi, vos noms ?

⸺ Moi, c'est Liam. Liam Leigh.

Il lui offrit un sourire éblouissant. Qu'est-ce qui lui prenait de sortir son numéro de charme maintenant ? Je ne me souvenais pas l'avoir déjà vu aussi mielleux...

C'est un rôle, Hana. Rien d'autre qu'un rôle. Rappelle-toi : ce garçon joue la comédie depuis qu'il est né.

⸺ Et toi ?

Je redressai la tête, pris de court.

⸺ Moi ?

⸺ Ton nom.

⸺ Ah ! Euh... Hana. Hana Myrddin.

⸺ Myrddin, hein ? C'est un joli nom.

⸺ Merci.

Je souris légèrement... avant de remarquer le mutisme évident des autres adolescents. Ceux-ci gardaient ostensiblement le silence, se contentant de nous lancer des regards furtifs en feignant de nous ignorer. Celui qui avait attiré l'attention des autres sur notre présence avait blêmi à la mention de mon nom, et chuchotai nerveusement à l'oreille de son voisin (celui qui se disputait avec Lola et qu'il avait ensuite retenu) des murmures inaudibles de la place où je me tenais.

Nous n'étions pas en territoire conquis. J'allais devoir m'en souvenir par la suite...

Encouragés par leur amie, ils se présentèrent chacun leur tour avec quelques réticences qui s'évaporèrent rapidement après une poignée de grains de sables. Youseph, un géant à l'air calme et apaisant, nous tendit son épaisse main couleur de sable mouillé pour la serrer, tandis que la jeune fille mélancolique à ses côtés – Mélisande, nous indiqua-t-elle – se contenta d'un signe de tête.

Finalement, les deux garçons daignèrent se présenter. Celui qui avait haussé la voix tantôt s'appelait Ashe et était, nous apprit-il sans surprise, le jumeau de Mélisande. En effet, outre le fait qu'ils partageaient la même carnation d'un brun profond, dans leurs traits se dénotait une similitude particulièrement évidente, que ce soit dans leurs lèvres pleines ou la hauteur de leurs pommettes. Seuls les yeux brisaient ce mimétisme génétique qui était le leur : brun chocolat pour Mélisande, contre vert émeraude clair pour Ashe (couleur d'ailleurs tout-à-fait saisissante et surprenante, qui se démarquait particulièrement sur sa peau sombre).

            Son acolyte nous céda son prénom du bout des lèvres. Aaron avait la peau d'un homme ayant passé sa vie sous le soleil avant d'en être complètement dépouillé, une tignasse de rouille et un regard acéré perdu au milieu de ses taches de rousseurs. Un renard. Farouche, rusé... prédateur. Fourbe. Au creux de mon estomac, une sensation fiévreuse que j'identifiai comme mon instinct me hurla de toutes ses forces de me tenir sur mes gardes en sa présence.

Je me demandais où était Reyja pendant ce temps. Et Fafnir. Liam aurait sans doute pu me répondre, mais il était occupé à faire la pêche aux informations auprès de nos nouveaux camarades. C'était peut-être la première fois que je le voyais parler aussi longtemps à un groupe sans qu'une insulte soit échangée. À Arkën Soa, les gens – qu'il s'agisse de Liés ou pas – l'évitaient et il leur rendait bien. Et quand confrontation inévitable il y avait, elle ne se passait pas sans faire de vague. Ici, il semblait presque... détendu. À l'aise.

Il se trouvait que notre venue arrivait comme un cheveu sur la soupe d'une série de nouvelles préoccupantes : d'abord, la capture du rebouteux du Clan avait été un gros coup dur pour eux (à la mention de celui-ci, Liam conserva un air curieux et compatissant, mais j'étais encore assez vigilante pour remarquer la lueur meurtrière qui brillait dans ses yeux gris).

Nul ne savait ce qu'il était advenu de lui, nul ne savait qui le retenait prisonnier. Dragons, Nobliaux, Fées... on lançait les paris en riant, mais tous vivaient dans la crainte qu'il ne craque sous la torture et avoue jusqu'au moindre secret des Chasseurs de Nuit – en particulier l'emplacement de leur planque. Peu de Chasseurs connaissaient véritablement la position des grottes, mais l'homme faisait justement partie des rares à savoir où le Clan s'endormait.

De plus, l'un de leur dernier cambriolage avait mal tourné, et deux de leurs hommes avaient été tués (on refusa de nous expliquer ce qui devait être cambriolés), brûlés vifs par un dragon avoisinant le marché après avoir été mis au pilori. Fiona et l'autre garçon, Ashe, y étaient... et y avaient laissé quelques plumes – d'où la question de savoir lequel d'entre eux avaient précipité la catastrophe, même s'ils traitaient l'accident avec une nonchalance effrayante.

Et, pour couronner le tout, les raids se faisaient de plus en plus nombreux, tant et si bien qu'il ne s'agissait plus que d'une affaire de septaine avant qu'apercevoir un Vol dans les cieux ne soit considéré comme aussi commun qu'y apercevoir un nuage.

⸺ Et toi ? Tu dis rien ?

Mon menton quitta le poing dans lequel il s'enfonçait tandis que je me redressai pour faire face à celui qui m'avait posé la question.

⸺ Comment ça ?

⸺ T'as pas causé une parole depuis que vous vous êtes installés ici, ton cara et toi. On est pas assez bien pour toi ?

⸺ Aaron ! lui reprocha Lola en lui jetant un regard noir.

⸺ Quoi ? J'ai plus le droit de poser des questions, maintenant ?

D'un taquin un peu trop acéré, son ton exhalait désormais une sorte d'agacement méprisant alors qu'il renvoyait son œillade furieuse à la jeune fille.

⸺ Aaron... tenta de le calmer Ashe en posant une main sur son épaule.

Il l'ignora et se dégagea de sa poigne.

⸺ Alors ?

⸺ Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?

⸺ Je sais pas, d'où tu viens, par exemple ?

⸺ Ça te regarde ?

⸺ Un peu que ça me regarde ! Tu pues la soie. Qu'est-ce qui me dit que t'es pas une Nobliaute en déguise ?

Sous la table, je serrai les poings. Au-dessus, je forçai un sourire glacial.

⸺ La vraie question est plutôt : qu'est-ce qui te fait croire que j'ai quelque chose à carrer de tes suspicions ?

Lola éclata de rire.

⸺ Elle t'a bien eu sur ce coup-là !

Aaron continuait de me fixer, les paupières mi-closes.

⸺ Ouais... on dirait bien.

Mal à l'aise, je détournai les yeux. Je n'avais pas besoin de ça pour le moment...

Mon regard croisa celui de Liam. D'un commun accord (dicté par le bon sens, entre autres), nous avions décidé de faire abstraction de notre lieu de naissance, au moins jusqu'à ce que nous retrouvions Reyja et Fafnir : il avait été officieusement établi qu'être Liés ne nous attirait pas que des amis...

 Cela dit, que fera-t-on lorsque on les retrouvera ? Si on les retrouve...

⸺ S'il vous plaît... S'il vous plaît !

Aussitôt, le silence se fit parmi les Chasseurs de Nuit. J'aperçus Kent, debout sur l'une des multiples tables installées dans la salle. Celui-ci, certain d'avoir obtenu toute l'attention, reprit d'une voix que je lui trouvais bien plus grave et profonde que précédemment – était-il un Mage ? :

⸺ Mes chers Chasseurs de Nuit... J'ai entendu dans nos rangs souffler un vent d'épuisement, d'agacement. J'en comprends les raisons, et je ne blâme pas ceux qui l'ont nourri. Cependant, laissez-moi vous rassurez : toutes ces rumeurs que vous avez pu entendre au cours des dernières septaines sont infondées, et ne sont que le fruit pourri de l'imaginaire fertile mais engoncé dans la boue de l'inaction de certains membres survoltés...

Des rumeurs ? Intéressant... Mais de quelle sorte ?

⸺ ... nos réserves, en dépit de ce que certains ont pu croire ; ne sont pas vides, au contraire ! Elles regorgent d'or, d'argent et de tant d'autres ressources ! Ce qui ne l'ont pas encore eu obtiendront leur part du butin, mais ce n'est pas pour cela que je vous ai tous réunis. Certains doutaient de l'intérêt de nos actions, de leur influence. Aujourd'hui, je peux vous l'affirmer : ce que nous faisons n'est pas vain ! En ce jour, nous sommes plus près du but que nous ne l'avons jamais été !

⸺ Ah bon ? ironisa Ashe dans un murmure.

Fiona le foudroya du regard, pendant que Kent continuait, imperturbable :

⸺ ... Ceux de là-haut nous ont tout pris, mais l'aube du changement approche ! Les Nobliaux et les Lézards... D'ici peu, nous pourront leur rendre la pareille !

Une sensation désagréable émergea brusquement au creux de mon diaphragme, avant de disparaître aussi abruptement qu'elle n'était apparue. Je fronçais les sourcils, mais n'y prêtai guère plus d'attention, et me concentrai de nouveau sur ce qui se passait autour de moi.

⸺ Bientôt, nous hanterons les pires cauchemars de ces monstres, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun !

Cet homme est fou, pensai-je, avant de me rendre compte que tous ceux présents étaient pendus à ses lèvres. Je frissonnai.

⸺ Cela fait trop de temps que le ciel est couvert, affirma le vieillard d'une voix sombre. Quand il le sera moins... entama-t-il.

⸺ ... ALORS JE POURRAIS ENFIN SAVOIR !!! hurlèrent les Chasseurs de Nuit en cœur.

Des cris de joie s'élevèrent de part et d'autre de la pièce, se répercutant sur les murs de pierres. Dans le brouhaha ambiant, je jetai un coup d'œil à Liam, qui semblait sur le point de s'évanouir.

⸺ Ça va ? lui soufflai-je.

Il acquiesça douloureusement. Un nouveau spasme secoua mon estomac, mais l'état de mon ami était trop préoccupant pour que je n'en tienne réellement compte, aussi je préférais le mettre sur le compte de la faim et de la fatigue.

Au fond de moi, j'étais parfaitement consciente que ce n'était pas ce dont il s'agissait.

Je lançai un regard anxieux autour de moi, cherchant une possible aide extérieure, mais tous semblaient trop obnubilés par le discours tenu par leur chef pour se rendre compte du malaise de mon compagnon. Seule Mélisande, alertée par mon agitation, se retourna vers moi, en quête d'explications à mon trouble manifeste.

Je pointai Liam du doigt, qui suait désormais à grosses gouttes. Le regard de la jeune fille se posa brièvement sur lui, jaugeant l'ampleur de la situation.

Elle tapota l'épaule de son frère pour attirer son attention.

Celui-ci se retourna avec une expression d'exaspération ostentatoire, mais elle changea du tout au tout lorsqu'il aperçut les traits convulsionnés de mon voisin.

« Qu'est-ce qu'il a ? » articula-t-il silencieusement.

Je haussai les épaules, de plus en plus paniquée.

Krâl, Liam !

Comme un bruit de fond, la voix de Kent résonnait autour de nous, assourdie :

⸺ ... notre nombre grandit de jour en jour ! Cet après-midi encore, deux jeunes ont rejoint nos rangs au péril de leur vie. Mieux encore, l'un d'eux n'est autre que le fils de Thierragan Cúchulainn !

À ces mots, tous les regards se braquèrent sur Liam. Les questions et les murmures commencèrent à affluer de tous les côtés, ensevelissant le pauvre garçon sous un brouhaha opaque, increvable. Des mains se tendaient pour le toucher, l'effleurer. On se poussait de tous les côtés, cherchant à l'entrapercevoir.

Je tentai de les calmer, mais la parole d'une nouvelle venue n'ayant jamais fait ses preuves ne paraissait pas avoir d'impact.

Manifestement, celle de Samira en possédait.

Pinçant sa langue entre son index et son majeur, elle émit un sifflement puissant qui eut pour effet de recentrer l'attention sur lui. D'une voix affreusement calme – glaciale, en vérité – elle les enjoignit au calme, doucha leur frénésie et les invita plus ou moins poliment à se reconcentrer sur ce que leur chef avait à leur dire. Je lui adressai un merci silencieux auquel elle répondit par un bref hochement de tête avant de se réasseoir et de disparaître dans la foule.

Même si je désapprouvais la quasi-totalité de ses paroles, je fus tout de même soulagée que Kent reprenne la parole, nous laissant un peu de répit.

Alors qu'il parlait, je posai une main sur l'épaule de Liam pour lui témoigner mon soutien, avant de la retirer avec effarement en reconsidérant la minuscule cloque qui venait de se former sur ma paume au contact de nos deux peaux. Brusquement, je fus prise d'une soudaine envie de vomir, et ne maîtrisai qu'à grand peine la montée de bile qui me prit la gorge.

Je savais. Je savais.

Des hourras se firent entendre en écho à je ne sais quel discours tenu par Kent, mais retombèrent brutalement lorsque les Chasseurs de Nuit virent Liam se lever et partir en courant plus vite que s'il n'avait eu le Kraôl aux trousses.

⸺ Liam ! hurlai-je en m'élançant à sa poursuite.

Il ne ralentit pas d'un iota et disparut dans un tournant. Derrière moi, j'entendais les pas des autres Chasseurs de nuit qui galopaient après moi.

Des bruits d'altercations me parvinrent. J'accélérai.

⸺ Liam ! Liam !!!

La scène à laquelle j'assistai me tira un hoquet de stupeur.

Au fond de la fosse, une dizaine d'hommes et de femmes en armes encerclaient deux dragons bien familiers à quelques pas d'une immense Fenêtre toute brillante d'avoir été utilisée. Et collé à la paroi, dévalant à toute allure un ersatz d'escalier pour les rejoindre...

Liam.

Évidemment.

Krâl !

Nous étions dans la fiente jusqu'au coup.

Réfléchis. Réfléchis réfléchis réfléchis !

Il fallait que je calme le jeu. Quelle blague ! Liam serait mille fois meilleur que moi à ce jeu, mais... je ne pouvais pas exactement compter sur lui ce coup-ci.

Bon. D'abord, descendre. Descendre ! J'étais déjà en train de descendre !

La suite. J'avais besoin d'attirer leur attention... mais comment ? Comme si les dieux m'avaient entendu, mon regard glissa sur un immense gong doré à proximité, au pied duquel jonchaient plusieurs lames abandonnées.

Liam était déjà au sol et courait vers son frère d'écailles, mais j'avais encore quelques précieux grains de sables avant de pouvoir le rattraper.

Il fallait que je saute.

... Il faut que je saute ?

Je ne pouvais pas sauter, c'était trop haut, c'était trop...

Non.

Je ne devais pas y penser. Pas réfléchir. Oublier le déséquilibre, l'absence de sol, de repères, la souffrance, les os qui se disloquent...

Juste foncer.

Sans plus hésiter, je me jetai dans le vide.

La douleur m'arracha un grognement lorsque je roulai sur la pierre pour amortir ma chute, mais je me relevai sans m'arrêter. Je me précipitai vers le gong, saisis la garde de l'une des épées...

Et frappai le plus fort possible sur le disque métallique.

L'effet fut immédiat : tous se stoppèrent en plein mouvement pour se tourner vers moi.

Profitant de l'effet de surprise, Liam se rua sur Fafnir et l'enlaça avec vigueur. Reyja se tourna vers moi. J'eus la sensation que des forces extérieures tentaient d'écrabouiller mon cœur lorsque je remarquai l'ichor soleil levant qui s'écoulait en minces filets poisseux sur sa tempe, mais je devais être forte.

Reyja ?

Un chatouillement à la porte de mon esprit m'affirma qu'elle m'avait entendue. Je détestais communiquer par la pensée : au bout d'un moment, je ne savais plus quelle réflexion était la mienne et quelle était celle que l'on me soufflait. Reyja était blessée de manque de confiance, même si elle ne l'avouerait pour rien au monde. Mais je ne pouvais pas m'en empêcher : mon esprit était à moi, et à personne d'autre.

Cela dit, je pouvais difficilement lui parler de là où je me trouvais, et le barrage de gros bras entre elle et moi me dissuadait quelque peu de camper indéfiniment sur mes anciens principes.

Groupuscules moins haineux, tu parles !

J'inspirai profondément.

Il faut que je leur parle.

Je sais.

Sinon, on va tous se faire écharper.

Oui.

... Je t'aime.

Moi aussi.

Je me retournai lentement. Derrière moi, milles yeux me scrutaient avec avidité. J'allais devoir convaincre un ramassis de voleurs et de mercenaires que moi et les miens n'étions pas une menace à leurs plans tandis qu'ils aiguisaient les couteaux pour nous égorger.

Tout allait pour le mieux.

Au premier rang se tenaient la petite bande de notre âge ainsi que Samira et l'une de ses chefs – la blonde –, encadrant leur damné vieillard de chef. Étrangement, malgré ses paroles haineuses proférés quelques poignées de sables auparavant, le vieil homme arborait désormais une mine amusée, quoique voilée par une seconde émotion que je ne parvenais pas à décrypter.

L'idée que nous allions bientôt nous faire découper en fines lamelles devait le faire rire.

Pas moi.

Sous terre, le silence était aussi lourd que la pierre que les Nains avaient jadis excavée.

⸺ Écoutez...

Un concert de cris et d'insultes s'éleva, me coupant la parole. Je portai un nouveau coup au gong.

⸺ FERMEZ-LA ! beuglai-je.

Tous se turent, et le silence revint.

Révèle la barde en toi, ma fille.

⸺ Liam et moi... on vient d'Arkën Soa.

Ma voix portait fort, et tous eurent le loisir de protester quant à cette déclaration.

⸺ C'est pas possible !

⸺ Tout l'monde sait qu'c'te cité, c'est qu'du vent !

⸺ Elle existe pas !

⸺ Rien qu'un conte à faire pieuter les gamins !

⸺ Pas un gaillard qui l'a jamais trouvé !

⸺ Et pourtant, pourtant ! repris-je en haussant encore le ton. Pourtant, elle existe ! Enfin, existait. J'en sais quelque chose, j'y suis née !

Levant le menton, je défiai les sceptiques d'argumenter.

⸺ Par les dieux, pas un seul d'entre vous n'a jamais trouvé le désert de Mih, et pourtant vous êtes tous prêts à croire qu'il existe !

⸺ C'est pas la même chose !

⸺ Le désert est blindé de sables, il se raccourcit aussi vite qu'un brin d'paille qui prend feu !

⸺ C'est pas pour rien qu'on l'appelle l'Mauvais Mari, y fuit plus vite que l'bonhomme qui veut pu voir sa madone !

Une belle bande d'abrutis.

⸺ Et quoi ? Arkën Soa n'est pas un mythe. Je ne sais pas qui a décidé que seuls les chercheurs d'asiles et les dragons prêts à se délester d'un œuf pouvaient la trouver, mais j'ai vu cette cité, j'y ai vécu, pour l'amour des dieux !

Allez. Je devais rester calme, peu importe les idioties que je pouvais entendre.

⸺ Les deux dragons que vous voyez derrière, c'est nos frère et sœur d'écailles. Il y a quelques septaines, Arkën Soa a été réduite en cendres par un Vol de Draskáhn. On ne sait pas comment, on ne sait pas pourquoi. Mais là d'où on vient, il n'y a plus que des ruines et des cadavres. Certains parmi vous penseront que j'invente. Faites ce que vous voulez. Moi... moi, j'ai vu les cadavres brûler, et ça hantera mes nuits jusqu'à mon dernier souffle de vie, murmurai-je en baissant la voix au fur et à mesure.

Un sanglot monta dans ma gorge. Je soufflai pour tenter de l'expulser. Je ne pouvais pas me laisser aller, pas maintenant.

La main de Liam vint se poser sur mon épaule. J'ignorais à quel moment il s'était rapproché, mais il était là et c'était tout ce qui comptait. Dans mon esprit, la douce présence de Reyja pulsait imperceptiblement, témoignage d'affection sans invasion. Je n'étais pas seule, et ça faisait du bien.

Je fermai les yeux, m'abandonnai à l'instant.

⸺ Tout ce qu'on veut, c'est des réponses, supplia Liam en fixant Kent. Vous dites que vous connaissiez mon père, que c'était votre ami. Si c'est vrai... alors laissez-nous rester ! En faveur des crasses qu'il m'a faites. On peut se rendre utiles, je vous jure.

Personne ne bougeait, comme si tout avait été figé dans le temps.

Un raclement de gorge trancha le silence.

Samira.

⸺ On peut pas vraiment laisser le fils de Cúchulainn à la porte, si ? Sans vouloir vous manquer de respect, monsieur, ce s'rait insulte à not' code d'honneur...

Elle avait parlé un peu trop fort, pour être sûre que tout le monde puisse l'entendre.

Il y eut un instant d'insupportable tension.

Un instant où je crus qu'il allait falloir que l'on se taille notre chemin vers la sortie à coups de craches de feu.

Finalement, un franc sourire creusa les rides du vieillard et Kent donna son verdict en notre faveur, avant d'ordonner à ses sbires de se disperser.

⸺ Eh bien, c'était effrayant !

Les poings sur les hanches d'Ashe pouvaient évoquer une posture d'intimidation, mais le large sourire sur ses lèvres infirmait assez facilement l'idée.

⸺ Euh... balbutia Liam.

⸺ Qu'est-ce que ça peut te faire ? rétorquai-je en croisant les bras.

⸺ Holà, tout doux ! C'est pas moi l'ennemi, ici...

⸺ Qui, alors ?

⸺ Ceux que votre discours a pas convaincu. Moi, il m'a happé au crochet ! T'as le sens de la parlote, toi, c'est sûr ! Mais bon, des grincheux, on en trouve partout. C'est comme ça ! À votre place, je m'en ferais pas trop. Surtout qu'on a des choses plus urgentes à régler !

⸺ ... Comme quoi ? finit par articuler Liam, les doigts enfoncés dans la crinière de Fafnir.

Je jetai un œil en direction de mon compagnon d'infortune. Celui-ci était entièrement focalisé sur le voleur qui bavardait dans le vide, avec une expression étrange que je ne lui avais jamais vu.

⸺ Manger, tiens ! (Ashe poursuivit, pour lui-même :) De façon assez bizarre, voir ses camarades griller comme un porc à la broche vous donne envie d'en manger hein...

⸺ C'est morbide, commenta Lola en fronçant les sourcils, dégoutée.

⸺ Quoi, t'as pas envie d'en manger un, peut-être ?

Elle haussa les épaules. Il eut l'air ravi.

Ce garçon est complètement cinglé.

⸺ Vous aurez besoin de grottes plus grandes que celles-ci pour les deux dragons.

Je sursautai en poussant un glapissement. La deuxième jumelle s'était glissée dans mon dos sans que je ne m'en aperçoive, et avait parlé d'une voix si douce que pour un peu, je ne l'aurais pas entendue.

Tu saurais nous en montrer ? lui demanda Reyja en s'approchant.

⸺ Ce n'est pas difficile... il suffit de s'éloigner un peu.

Ses inflexions étaient si calmes, si paisibles... rien à voir avec son frère. Je voulus la suivre quand elle tourna les talons pour nous guider, quand mes oreilles captèrent les propos qu'Aaron échangeait avec le colosse – Youseph, me semblait-il – en aparté :

⸺ ... jamais vu un Drâkorian aussi beau, en tout cas.

⸺ C'est vrai que ses couleurs sont étonnantes. Tellement vives...

⸺ Alors que l'autre, tu l'as vue ? On lie les deux à la naissance, non ? Comment ça se fait qu'elle soit aussi pâle ?

⸺ Aucune idée...

Comment connaissaient-ils la race de Fafnir ? Ce genre d'acquis ne se retrouvait généralement que chez les habitants de cités de jumelages ou chez les Dragonniers, ces mercenaires sans foi ni loi.

Se pourrait-il que... ?

Je secouai la tête. Tout cela n'avait aucun sens : les Dragonniers se déplaçaient en groupe, et n'agissaient jamais que pour leur compte. Que l'un d'entre eux puisse se retrouver ici... Il n'y avait aucune logique là-dedans.

Ridicule.

À bien y réfléchir, les races n'étaient pas secret gardé : il n'y avait rien d'étonnant à ce que les Chasseurs de Nuit soient au courant de ce genre de choses.

Mais, si tel était le cas... le Clan avait-il eu déjà affaire aux Dragonniers ?

Hana ! me pressa ma sœur d'écailles.

Mélisande n'avait pas pris la peine de se retourner pour voir si nous la suivions ; elle disparaissait déjà dans les coursives obscures du repère.

⸺ J'arrive !

Je m'élançai à sa poursuite avec Liam et Fafnir sur les talons. Derrière nous, Ashe nous informa en criant qu'il nous rapportait « de quoi bectancer » avec Lola. Et en regardant brièvement par-dessus mon épaule, je remarquai que les deux experts en dragons nous emboîtaient le pas.

La troupe était complète.

Plus on est de fous, plus on rit, hein ?

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro