Mia 

Je pousse fermement la grande grille de mes mains gelées. Les portes s'ouvrent doucement en un grincement lugubre et métallique, me dévoilant l'endroit. Cet endroit dans lequel je n'étais pas venu depuis des mois. 

Le cimetière de la ville. 

Mes yeux parcourent l'enceinte délimitée par de hauts murs en pierre archaïques, d'un regard triste. Il n'y a personne. Les quelques arbres présents sont dépourvus de leurs feuilles, dénués de vie, rendant l'endroit encore plus déchirant que dans mes souvenirs. Je plonge mes mains dans mes poches et expire profondément. Un fin nuage de fumé se dégage de ma bouche avant de s'amenuiser dans les airs. 

Ça y est, j'y suis. Je suis parvenue à entrer dans ce lieu emprunt à la tristesse.  

Je pince durement mes lèvres et je commence à marcher maladroitement entre les différentes tombes. Elles sont toute surplombées d'une grosse couche de neige, donnant  au cimetière une blancheur et une clarté inhabituelle. Je regarde tous les sépultures gris et me rend compte qu'ils sont tous semblables. Enfin, tous sauf un. Un n'est pas comme les autres. Pas à mes yeux en tout cas. 

Celui de Kate n'est pas banal. Non, sa tombe n'est pas comme les autres. 

Je marche, le visage enfouie dans mon manteau, suivant un chemin que je connais par coeur. Je venais ici tous les jours, avant. Les trois mois qui ont suivi la mort de ma soeur, je venais sur sa tombe tous les soirs. C'était devenu une habitude. J'avoue que je ne sais pas pourquoi je faisais ça alors que je la détestais. Je crois juste que j'en avais besoin et que ça me faisait du bien. 

Alors oui, pendant un peu plus de trois mois je suis venue ici tous les jours. Je n'ai jamais pleuré et je ne lui ai jamais apporté des fleurs pourtant. Je restais juste debout devant sa tombe durant de longue minutes, le coeur gros et le regard dans le vide. Mais je n'ai jamais versé une larme. Non, je n'allais quand même pas sangloté devant elle. 

Puis, un soir je n'y suis pas allée. Et à partir de ce jour j'ai commencé à y aller de moins en moins souvent pour finalement ne plus y aller du tout. Et maintenant, je suis incapable de me souvenir de la dernière fois où je suis venue. Je ne suis même pas sûre d'être revenue depuis que je suis rentrée de l'hôpital psychiatrique.  

Arrivée au trois quart de l'allée principale je tourne à gauche et enjambe deux tombes avant d'arriver à celle de ma soeur. Je m'accroupis et balaye la neige qui se trouve sur la dalle grise pour la dévoilée. Je me relève et regarde l'ensemble de la tombe. 

" A notre petite fille partie bien trop tôt. "

C'est l'inscription qui est gravée sur la pierre tombale. Un message anodin qui aurait pu être inscrit sur la tombe de n'importe quelle jeune fille défunte. Je soupire. Je ne sais pas pourquoi mais cette phrase m'insuporte. "Partie bien trop tôt." C'est elle qui a choisi de partir alors ne la plaignez pas en disant qu'elle est partie trop rapidement. C'était son choix. 

Mes genoux cèdent et viennent percuter douloureusement le rebord de la pierre tombale de Kate. Je n'avais pas remarqué que mes jambes tremblaient à n'en plus finir jusqu'à maintenant. J'ai l'impression de ne plus être maitresse de mon corps. Mes actions ne sont plus contrôlées, mes idées ne sont plus lucides.

Je peux le faire, il ne reste plus que deux jours. 

Je dois tenir bon pour Harry. Pour nous. Même si je sais que j'ai déjà tout foutu en l'air en lui mentant. Oui, j'ai arrêter le traitement. Complètement. Du jour au lendemain j'ai tout foutu en l'air. Et si il venait à l'apprendre, je sais que ça ne passera pas. 

-Tu sombres Mia, je sombre avec toi. Alors, ne fais pas de conneries, m'avait-il chuchoter hier soir au téléphone. 

Ses mots avaient eu un impact brutal sur moi. " Tu sombres, je sombre avec toi. " Que cela veut-il dire exactement ? Que nous sommes liés ? Qu'il ne s'imagine pas vivre sans moi ? Je n'en sais rien. J'avoue que je n'ai pas réussi à décoder tous les sens de cette phrase. 

Je sors ma main droite de ma poche et la pose sur la dalle gelée de la tombe. Mes doigts tremblent et rougissent rapidement au contact du froid. C'est alors qu'une question de ma psy me revient en tête. Comme ça, sortie de nulle part. Une question qu'elle m'avait posé au second rendez-vous que j'avais passé avec elle. Ca devait être il y a un peu plus de deux ans et demi. Elle m'avait demandé ce que je voulais faire de ma vie. Qu'il fallait que je me trouve un objectif pour aller de l'avant. Quelque chose dont j'avais vraiment envie et qui me permettrait d'avancer. A l'époque, je n'avais pas pris sa question en considération, elle m'avait parut futile et sans importance. Mais ce n'est plus le cas. Je crois même que j'aurais du chercher une réponse à cette question il y a un bon bout de temps déjà. 

Je ferme les yeux et me concentre. Qu'ai-je envie de faire demain ? Qu'ai je envie de faire le mois prochain ? Qu'ai je envie d'accomplir l'année prochaine ? Qu'ai je envie de faire dans ma vie ? 

Je passe de longues minutes agenouillée dans la neige blanche en essayant de trouver un but à ma vie. En essayant de réorienter mes désirs pour me construire un futur. Depuis trois ans maintenant j'ai laissé mon futur de côté et je ne me suis concentrée sur les événements passés. 

Alors, de quoi ai-je envie ? 

Mais je me rends compte que rien ne me vient à l'esprit. J'aurais du souhaiter aller de l'avant, garder Harry à mes côtés ou encore guérir de cette maladie qui me ronge. Oui, j'aurais du avoir envie d'une de ces choses, seulement ce ne fut pas le cas. Je n'ai envie de rien, et c'est ça qui m'effraye le plus. Je suis d'accord avec ma psychiatre pour une fois, je crois que la vie est basée sur les envies. Sur nos projets futurs, sur nos conquêtes, sur notre ambition. Oui, maintenant je comprends que la vie est basée sur les envies. 

Mais alors, qu'est-ce que je vais devenir si je n'ai plus envie de rien ? 

Brusquement, je suis prise par une violente crise de larmes. J'ai envie d'hurler un grand coup. De libérer toute cette affliction qui me cisaille les tripes. Je me lève brusquement, le visage assaillis par les larmes et par le vent glacé. Je shoote dans un pot de fleur vide qui trônait sur le dessus de la tombe de Kate. Il vole quelques secondes avant de s'éclater sur le rebord d'un autre sépultures.

-Putain ! Tu m'as vraiment tout pris ! criais-je. T'avais pas le droit de tout m'enlever Kate ! Regarde, même quand tu n'es plus là, t'arrive à faire de ma vie un enfer ! 

Ma vision est brouillée par les larmes et par la rage. J'ai l'impression qu'une vague d'agressivité s'empare de mon corps sans que je ne puisse rien contrôler. Il faut que je m'en aille. Je serai capable de faire quelque chose de regrettable. J'essuie mes joues humides d'un revers de main et enjambe à nouveau les tombes pour rejoindre l'allée centrale. Je cours le long de cette dernière, le plus rapidement que la neige me le permet. Il faut que je m'en aille, j'ai l'impression de suffoquer. J'arrive à l'entrer du cimetière. Je pousse les grandes grilles et sors enfin de cet endroit… 

Reviens vite Harry, je déraille sans toi… 

" Que vais-je devenir si je n'ai plus envie de rien ? C'est le début de la fin. "

***

Voilà le chapitre 38 ! Il n'est pas très long mais j'ai posté il n'y a pas longtemps alors…

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