Harry :

« J'en ai une ! » crie Louis à travers la cafétéria.
 
Je me retourne précipitamment, mon plateau en mains. Louis a enfin trouvé une table. Ça fait bien dix minutes qu'on tourne dans toute la cantine en attendant qu'une table se libère. Je me fraie un chemin jusqu'à lui et me laisse lourdement tomber sur une des chaises. Je soupire de soulagement, mon sac à dos commençait à détruire mes épaules. Les autres garçons de l'équipe de foot s'approchent de la table et viennent s'asseoir à coté de nous. 
 
« J'ai vraiment cru qu'on ne trouverait jamais de place», commence Josh. « La principale devrait penser à rajouter des tables. Pour une fois elle ferait quelque chose d'utile... »
 
La plupart des garçons assis à la table rit de la remarque débile de Josh. Je baisse la tête et me concentre sur les frites qui remplissent mon assiette. J'en prends une entre mes doigts et l'apporte jusqu'à mes lèvres avides. La saveur se répand doucement dans toute ma bouche, assouvissant d'un coup ma faim.
 
« Bon les gars, cette année on vise les nationales. Je veux que vous soyez présents à tous les entrainements de football de la saison. On doit être prêt, les autres équipes ne nous feront pas de cadeaux » dit Louis. 
 
Je ne l'écoute pas et je continue de manger mes frites. Je sais que les gars sont à fond dans le foot mais ce n'est pas mon cas. Pour eux, ce sport représente beaucoup étant donné que c'est leur seule chance d'obtenir une bourse pour aller à la fac. Ces mecs sont peut-être de très bons sportifs, mais ils sont bêtes comme leurs pieds. 
 
Je me décroche totalement de la discussion, si bien que je n'entends même plus ce qu'ils se disent. Je me contente de manger mes frites, et de relever la tête de temps à autre pour paraître un minimum présent. Je ne sais pas pourquoi mais depuis la rentrée, je n'ai plus envie de rien. Le quotidien me lasse et m'exaspère. J'ai envie de faire de nouvelles connaissances, j'ai envie d'apprendre de nouvelles choses, de relever des défis, de repousser mes limites. J'ai juste besoin de changement, et parler de foot tous les midis, ce n'est juste plus possible pour moi. 
 
« Hey, les gars vous voyez cette fille, là ? » 
 
Je redresse la tête et vois Louis pointant quelqu'un derrière moi. Tous les garçons se sont déjà tournés pour voir de qui le leader parle. Je me tourne à mon tour et jette un coup d'œil dans la direction indiquée. Je cherche quelques instants la fille en question mais il y en a trop pour que je sache de laquelle il parle. 
 
« La brune, là. Celle qui est seule à la table de gauche », continue Louis, comme s'il avait lu dans mes pensées.
 
Je cherche rapidement la fille qui correspond aux critères de Louis. Je l'aperçois. Elle est en train de lire un énorme livre de couleur bleu marine. Ses longs cheveux ondulés cachent une partie de sa tête baissée. Elle a l'air absorbé, presque fascinée par sa lecture. Je la fixe quelques instants avant de me retourner face à Louis.
 
« Qu'est-ce qu'elle a cette fille ? » demandais-je, avant d'avaler une énième frite.
 
Il sourit doucement avant de boire une gorgée d'eau. Tous les footballeurs le regardent en attendant sa réponse à ma question.
 
« Vous n'êtes pas au courant ? A ce qu'il paraît, elle est folle. On dit qu'elle est suicidaire. Certains disent même qu'elle a passé une année dans un asile, ou un truc comme ça... 
-Un centre spécialisé tu veux dire ? » le coupais-je.
« Ouais, c'est ça, un centre spécialisé. 
-Qui t'a dit ça Louis ? » demanda Josh, incrédule. 
« Je ne sais plus exactement. Ce sont des rumeurs. Presque tout le monde est au courant ! Elle vient tout juste d'intégrer le lycée et sa réputation est déjà faite ! »
 
Je tourne discrètement ma tête dans la direction de la brune. Elle est toujours en train de lire son livre. Ses longues mèches auburn tombent en cascade sur ses épaules frêles. Elle paraît calme, intouchable. On a l'impression qu'elle est détachée du reste du monde tant elle parait paisible. 
Je suis presque sûr que ce que raconte Louis n'est rien d’autre que pure invention. 
 
Alors que je continue de la fixer elle relève la tête et regarde de gauche à droite, comme si elle sentait mon regard peser sur elle. J'aperçois alors ses yeux qui étaient jusque là rivés sur son livre. Ses prunelles sont d'un beau bleu clair. En fait, je les dis claires mais elles sont assez indescriptibles. Un ilot de bleu foncé borde ses iris brillants. Le reste de ses prunelles est bleu azur et a des éclats de gris. 
 
« Harry, qu'est-ce que tu regardes, mon pote ? » me demanda soudainement Louis.
 
Je me retourne rapidement et baisse ma tête vers mon assiette, à présent vide. 
 
« Rien » répondis-je instinctivement.
 
Il fronce les sourcils avant de regarder l'endroit que je fixais quelques secondes auparavant. Il secoue la tête avant de soupirer. 
 
« Ne t’attarde pas sur elle, mon vieux. Ce genre de fille n'est pas fait pour les garçons comme nous. » 
 
Je crois qu'il ne m'a jamais parlé aussi sérieusement. Sa voix était plus grave et plus sèche que d'habitude. Je détourne le regard de lui, gêné. 
 
J'hoche doucement la tête comme pour le rassurer et lui montrer qu'elle ne m'intéresse pas et que je la regardais simplement par curiosité. Il sourit doucement, content de ma réponse, et reprend tranquillement sa discussion avec les autres footballeurs. 
 
Pour la première fois du déjeuner j'essaye de me concentrer sur la conversation pour penser à autre chose. A ce moment, je n'ai qu'une envie, c'est de me retourner et de continuer d'admirer le visage de la brune. C'est très étrange mais j'ai comme l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. Son visage me dit quelque chose. Je me retourne vivement et la re-regarde. J'essaye de me rappeler de l'endroit où j'aurais pu la voir, mais rien. 
 
"C'est absurde Harry, tu l'as sans doute juste aperçue au supermarché du coin."
 
« Louis, elle s'appelle comment ? » dis-je, le coupant dans sa discussion avec Josh. 
 
Il soupire et me regarde sévèrement avant de demander une minute à Josh. Il replace une de ses mèches châtaines et s'approche un peu de moi. 
 
« Je t'ai dis de ne pas t'intéresser à...
-Dis-moi juste son nom ! » le coupais-je.
 
Il écarquille doucement les yeux. Il n'a pas l'habitude que je lui réponde, surtout pas de cette façon. 
 
« Si tu veux tant savoir, elle s'appelle Mia. Satisfait ? »
 
Je ne lui donne comme réponse qu’un simple hochement de tête. Ma mâchoire se contracte vivement et mes sourcils se froncent tellement qu'ils finissent par se frôler. J'ai du me tromper. Je ne connais aucune Mia. 
 
Quand je reviens à la réalité, elle a disparu. La seule chose qu'il reste sur la table est son gros livre ouvert. 
 
Mon sang ne fait qu'un tour et je me lève précipitamment avant de dire aux gars :
 
« Je dois y aller, on se voit plus tard. Vous pourrez débarrasser mon plateau ? »
 
Je n'attends pas leur réponse, je récupère mes affaires et me dirige vers la table où se trouvait Mia. Quand j'y arrive je prends délicatement le livre dans mes mains tremblantes, le ferme et regarde la première de couverture. Je passe doucement mon index sur les lettres argentées qui constituent le titre du bouquin. 
 
"Le titre était trouble bipolaire."