21. Les éraflures
Yoongi se para de son sourire bien qu'un masque dissimulait une bonne partie de son visage. Il disait que s'il ne se voyait pas, son sourire s'entendait. A ses yeux, c'était très important d'apporter de la bonne humeur à chaque patient dont il s'occupait. Il s'approcha de son chariot et vérifia qu'il possédait tout le matériel dont il avait besoin. Tout était bon. Ce matin, il commençait son service auprès d'un patient qui venait d'arriver et qu'il ne connaissait pas. Un homme à peine plus jeune que lui. Il frappa à la porte et attendit avant d'entrer.
- Bonjour, je suis Min Yoongi. Je suis infirmier et je vais m'occuper de vous ce matin. Comment vous sentez-vous?
Yoongi entendit une voix plaintive, grave et rauque. Son regard se posa sur un jeune homme, allongé dans le lit. Il venait visiblement de le réveiller. Yoongi s'approcha pour récupérer le dossier. Il devait faire une prise de sang et le préparer pour une échographie. Il était arrivé dans la soirée de la veille, visiblement suite à un malaise cardiaque.
- Je suis désolé de vous déranger, monsieur Kim, mais vous avez des examens à passer ce matin. Je vous promets qu'on vous laissera tranquille après ça.
- Très bien.
Le patient se mit en mouvement et se redressa. Yoongi en profita pour le détailler. Il avait un visage avec des traits assez durs au premier abord, mais il remarqua qu'il avait pourtant une bouille assez ronde. Son nez était rond, ses pommettes aussi, son menton également. Il avait aussi les traits tirés par la fatigue. Il avait sûrement passé une mauvaise nuit. Mais Yoongi savait ce que c'était que le mauvais sommeil. Il reconnaissait un insomniaque à son visage. Celui qu'il avait en face de lui ne devait pas bien dormir depuis longtemps. Il sourit encore, même s'il savait que son sourire ne se voyait pas. Il s'approcha de nouveau et prépara son bras pour une prise de sang tout en essayant de faire la conversation.
- Vous vous sentez mieux qu'hier ?
- Pas vraiment. Je n'ai plus mal dans la poitrine, mais je me sens fatigué.
- C'est normal, votre malaise à fatigué votre corps. Ne vous inquiétez pas, on va bien s'occuper de vous ! On a les meilleurs médecins de la ville !
Le jeune homme esquissa un maigre sourire avant de grimacer à cause de la prise de sang.
- Je n'aime pas le sang, commenta-t-il.
- Moi non plus. Ca a trop le goût de fer ...
Un instant, juste le temps de deux secondes, il y eut un silence profond. Puis le jeune patient rit très légèrement. Yoongi faisait souvent cette blague, même si elle n'était pas vraiment drôle. C'était un autre moyen pour détendre un peu les personnes hospitalisées ici. L'infirmier termina ce qu'il était en train de faire, et quand il rangea les fioles dans une pochettes, il se raidit soudainement. Puis il posa sa main sur son flanc droit en grimaçant. Il avait beau être habitué, ce n'était toujours pas agréable. Son interlocuteur remarqua immédiatement son changement d'attitude mais ne dit rien.
- Vous êtes attendu pour l'échographie dans une heure. Vous voulez prendre une douche ?
- Je peux ?
- Bien sûr. Je reviendrai vous chercher dans trois quarts d'heure. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à utiliser le bouton pour m'appeler.
- Merci.
Yoongi rangea les quelques éléments qui traînaient encore sur son chariot avant de s'élancer vers la sortie.
- Attendez, Yoongi ... Hum, est-ce que je peux vous appeler par votre prénom ?
- Appelez-moi comme vous voulez. Tant que vous ne m'insultez pas, tout me va, monsieur Kim.
- Appelez-moi Namjoon.
- D'accord, Namjoon. Vous vouliez quelque chose ?
- Est-ce que je peux passer un coup de fil ?
- Vous devez attendre d'avoir passé votre échographie, mais sans aucun problème.
- D'accord.
Yoongi finit par sortir de la pièce pour laisser son intimité à Namjoon. Il rencontrait des patients tous les jours, et c'était rare qu'il soit réellement chamboulé par une rencontre. Mais cette fois, il l'était. Ce jeune homme dégageait quelque chose de particulier. Il avait l'air d'être un peu réservé, mais il avait un bon contact social. Bon, il n'était pas à cheval sur la politesse, mais Yoongi ne l'était pas non plus, ce n'était pas un problème.
L'infirmier retourna à ses occupations, il avait encore d'autres chambres à visiter. Bien sûr, il n'était pas seul, mais il devait quand même faire beaucoup de choses. Heureusement, le service n'était pas surchargé, comme dans d'autres hôpitaux. Il retourna rapidement dans la chambre de Namjoon, quand il fut temps de l'emmener passer son échographie. Lui, il ne s'occupait que des trajets, il ne restait pas pendant les examens. Il n'avait pas le temps pour ça, de toute façon. Lorsqu'il alla chercher Namjoon pour le ramener dans sa chambre, le jeune patient semblait être encore plus fatigué.
Puis la matinée se déroula tranquillement. Lors de sa pause déjeuner, Yoongi apprit par une de ses collègues qu'un enfant au service pédiatrie était décédé, touché par un cancer incurable. C'était peu de temps après le début de son service. Yoongi avait travaillé en pédiatrie quelques mois, mais il avait rapidement demandé à changer de service. C'était beaucoup trop difficile pour lui de voir des enfants partir. Les enfants avaient toute leur vie devant eux, normalement. Mais certains étaient privés de leur avenir. La maladie était un fléau. Dans l'après-midi, il aperçut rapidement Namjoon faire un tour dans les couloirs en attendant les résultats de ses examens. Il ressentit une douleur à deux autres reprises, à trente minutes d'écart. En finissant sa journée, il apprit qu'un couple de personnes âgées avaient eu un accident de voiture à quelques rues de l'hôpital. L'épouse était décédée sur place et l'époux sur le chemin du bloc opératoire. Comme toujours, il ressentit énormément de tristesse.
Le lendemain, Yoongi retourna au boulot en souriant, bien que fatigué par sa nuit compliquée. C'était toujours comme ça. Il s'occupa de ses patients avec autant de bonne humeur que possible, pour alléger un peu leur séjour. Quand il entra dans la chambre de Namjoon, ce dernier était déjà réveillé. Il lisait, des lunettes posées sur son nez.
- Bonjour, Namjoon. Comment allez-vous aujourd'hui ?
Le lecteur leva son nez de sur son bouquin et lui sourit faiblement.
- Je suppose que ça pourrait aller mieux.
Yoongi haussa un sourcil avant de se diriger vers son dossier pour savoir ce qu'il avait à faire.
- Vous avez mal dormi ?
- Je n'ai pas dormi du tout.
Yoongi jeta un coup d'oeil à ce qu'il avait sous les yeux, écoutant à peine Namjoon. Ses yeux s'étaient posés sur un mot qu'il n'aimait pas beaucoup. Les examens avaient révélé une pathologie lourde au niveau du coeur. Bien qu'il n'ait jamais eu de symptômes avant, le coeur de Namjoon était en train de le lâcher. Purement et simplement. Il avait été inscrit sur la liste des receveurs, il avait besoin d'une greffe. Sans un nouveau coeur, il n'avait que quelques mois devant lui. Le dossier indiquait également que le jeune homme était sortant dans l'après-midi. Il devait faire attention à son hygiène de vie et passer un examen toutes les semaines. Ca ne servait à rien qu'il reste hospitalisé.
- Je comprends pourquoi. Cet hôpital emploie le meilleur chirurgien cardiaque de la région, alors vous n'avez aucun soucis à vous faire. Votre problème sera réglé rapidement.
- Mais quelqu'un doit mourir pour que je vive.
- Qu'on vous greffe son coeur ou non, cette personne mourra de toute façon. Vous n'avez pas à culpabiliser. Vous ne volerez la vie de personne.
Namjoon soupira, désespéré. Il ne voulait pas être malade. Il ne voulait pas passer son temps à l'hôpital, à espérer que quelqu'un se tue pour lui permettre de survivre. Il ne voulait pas de tout ça, et pourtant, il n'avait pas le choix.
- Est-ce que vous vous occuperez de moi ?
- Ca dépend. Si vous venez juste passer un examen, vous n'aurez pas besoin de moi. Mais si vous êtes hospitalisé, alors oui. J'espère que ça ne sera pas le cas !
- J'espère aussi. Quand est-ce que vous terminez votre service ?
- A vingt-et-une heure. Je finis assez tôt ce soir.
- C'est tard, quand même.
- Pas quand on travaille dans un hôpital. Pourquoi vous vouliez savoir ça ? Ne vous inquiétez pas, vous serez sorti avant moi !
- Je voulais juste m'intéresser à vous, vous avez été très gentil avec moi.
- C'est normal.
Yoongi finit par s'incliner et sortit de la pièce. Il ne faisait que son métier. Et il estimait que la gentillesse et la politesse faisaient partie de son métier. Il savait que ce n'était facile pour personne de se retrouver à l'hôpital, alors il voulait soulager les coeurs perdus.
Le reste de la journée se déroula tranquillement pour lui. Il ne ressentit aucun picotement, à son plus grand étonnement. Les jours sans, c'était rare. Fatigué tout de même par sa journée, il se changea lentement à la fin de son service avant de sortir du grand hôpital. Comme souvent, il se retourna vers le bâtiment qu'il connaissait si bien. Il se demandait à chaque fois s'il devait revenir le lendemain. Régulièrement, il doutait de tous ses choix. Il savait qu'il n'avait pas forcément fait les bons, il ne se protégeait pas alors que c'était ce qu'il devait faire. S'il avait été plus à l'écoute de lui-même, il aurait vécu à la campagne, dans un petit village, à bonne distance des gens et des lieux comme les hôpitaux. C'était douloureux à chaque fois. Mais il était incapable de faire autre chose que ce qu'il faisait déjà. Alors il revenait travailler inlassablement, même si c'était douloureux.
Quand Yoongi se tourna de nouveau pour se diriger vers l'arrêt de bus le plus proche, il fut surpris de reconnaître une silhouette qui semblait l'attendre. Le jeune homme en face de lui s'approcha précautionneusement. Il lui sourit mais Yoongi ne sut pas quoi faire en retour. Il était vidé de toute énergie, incapable de sourire encore pour la soirée qui lui restait. Son coeur le pinçait en voyant celui qui lui faisait face. Il était triste. Son interlocuteur, contrairement à lui, dégageait une chaleur rassurante.
- Je ... Commença-t-il en se grattant l'arrière de la tête. J'ai pensé que maintenant que j'étais sorti, je n'étais plus votre patient alors ...
Namjoon baissa la tête, finalement intimidé. Cette attitude réussit finalement à arracher un sourire attendri à Yoongi, pourtant si vide de tout à cet instant. Il sentait son coeur meurtri se réchauffer en voyant ce jeune homme s'emmêler. Il comprit rapidement ce qu'il voulait, lui aussi avait eu cette sensation en sa présence. Namjoon finit par relever de nouveau la tête, le regard déterminé. Il faisait d'énormes efforts, ça se voyait.
- Vous me plaisez et je veux vous connaître.
C'était dit. Yoongi ne s'attendait pas à ce qu'il soit aussi direct. En général, même si c'était évident, on ne disait pas à quelqu'un qu'il nous plaisait. On le laissait le deviner tout seul. Le jeune infirmier s'approcha de son -désormais ancien- patient. Il était touché par cette attention. Il comprenait maintenant pourquoi il voulait savoir quand il terminait son service. Sachant que Namjoon avait déjà fait un grand pas vers lui, il décida de l'aider un peu.
- Vous êtes venu m'inviter à un rencard ?
- Je crois que oui.
C'était très clair. Mais Yoongi avait besoin d'être sûr, il n'aimait pas quand il devait tout deviner. Il aima la franchise de Namjoon et sa façon d'être direct. Dans sa vie, il ne tournait pas autour du pot non plus. Dans le monde médical, il savait que c'était la dernière des choses à faire. Certains ne partageaient pas son avis et préféraient laisser les patients deviner, lire entre les mots pour découvrir qu'ils étaient condamnés. Lui, ce n'était pas le cas.
- Est-ce que vous avez déjà mangé ?
Yoongi fronça les sourcils. D'accord, Namjoon n'était pas non plus du genre à perdre du temps. Il soupira.
- Non, je n'ai pas eu le temps. Je suis désolé pour ce soir, mais je suis vraiment fatigué, et ...
- Pardon, j'aurais dû penser que vous ne voudriez pas tout de suite, je ...
Yoongi vit les joues de Namjoon rougir. Il avait l'air d'être tellement spontané. Il pouvait voir chacune de ses émotions, ce qui avait déjà été le cas -ou presque- dans sa chambre d'hôpital. Il se sentit mal de refuser la proposition du jeune homme. Il avait l'air tellement bouleversé par son refus. Il était fatigué, c'était vrai, mais il pouvait encore faire un effort de plus. Après tout, le lendemain, il ne reprenait pas si tôt que ça. Et son jour de repos n'allait venir que dans trois jours. Yoongi sentit un léger sourire rassurant se former sur son visage.
- Allons manger dans un endroit décontracté. Sans pression.
Un énorme sourire mangea le visage de Namjoon et ils se dirigèrent vers l'arrêt de bus. Namjoon n'avait pas de voiture lui non plus. Si Yoongi ne s'occupait jamais de sa vie amoureuse, c'était pour plusieurs raisons. D'abord, il aimait les hommes, et il s'était fait une raison sur le fait que ça ne soit pas accepté dans son pays. Ensuite, il savait parfaitement que c'était dur de trouver quelqu'un dans ces conditions. Et puis, il y avait le fait qu'il trouvait que les débuts d'une relation n'étaient pas du tout spontanés. Il n'aimait pas les rendez-vous dans les restaurants chics, où il devait être bien habillé et se comporter comme s'il était parfait. Il se sentait mal à l'aise. Peut-être qu'avec un repas simple, dans un endroit simple, allait rendre les choses plus simples ?
Au final, Yoongi eut raison de donner sa chance à Namjoon dans ces conditions. Il ne se prit pas la tête, ne se stressa pas à l'idée de déplaire. Et la soirée, bien que courte, se passa vraiment bien. Namjoon était un jeune homme très simple lui aussi. Il se sentait bien en sa compagnie. Il n'était pas jugé pour qui il était. Au contraire, il avait l'impression qu'à chaque fois qu'il dévoilait un défaut, il plaisait davantage au jeune patient. C'était reposant.
Et au fil des semaines, une relation se construisit entre eux. Ils se virent plusieurs fois, se croisant même parfois dans les couloirs de l'hôpital quand Namjoon avait des examens à passer. Son état était relativement stable et son espoir de greffe était grand. Il montait petit à petit sur la liste d'attente. Il avait décidé de consulter un psychologue très rapidement afin de l'aider à accepter l'idée qu'il devait vivre avec le coeur de quelqu'un d'autre. Moins il rejetait cette idée, plus il avait de chances que la greffe fonctionne. Il allait vraiment mieux de ce point de vue.
Puis rapidement, ils se mirent à aller dormir chez l'un ou l'autre plusieurs fois par semaine. Seulement dormir. Les médecins avaient interdit toute activité trop physique à Namjoon, qui devait épargner son coeur le plus possible pour éviter un arrêt. Ça leur convenait. Un soir, spontanément, ils se blottirent l'un contre l'autre nus, pour la première fois. Namjoon dégageait une telle chaleur que dans ses bras, Yoongi avait l'impression que rien de mauvais n'arriverait plus jamais sur cette planète. Au petit matin, le plus jeune se réveilla avant lui et en profita pour l'observer. Sa peau blanche était parsemée de petites cicatrices, certaines presque invisibles quand on n'y prêtait pas attention. Il n'avait jamais vu ça. Il avait l'impression que quelqu'un s'était amusé à faire de multiples entailles sur son corps si pur. Délicatement, sans un mot, il caressa cette peau meurtrie. Yoongi se réveilla après quelques minutes de douceur réconfortante. Il se retourna vers lui et lui sourit timidement, comprenant parfaitement que ses cicatrices étaient découvertes. Ils s'embrassèrent doucement puis Namjoon s'éloigna un peu.
- Un jour, tu me raconteras ? Murmura-t-il doucement.
- Je ne sais pas si tu me croirais.
- Je suis prêt à tout croire si ça vient de toi.
Ce jour-là, Yoongi était de repos. Il passa tout son temps chez Namjoon, à ne rien faire de spécial à part rester devant la télévision, calé contre celui qu'il aimait. Il aimait ces moments de calme. Dans sa vie, il aimait aussi ne rien faire de productif, c'était reposant. Et même si Namjoon allait mieux, il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir peur pour lui. Alors il voulait profiter de chaque instant à ses côtés. En début de soirée, alors qu'ils étaient devant un drama, un bruit résonna dans la rue. Namjoon vivait dans un appartement au premier étage, aussi on voyait plutôt bien ce qu'il se passait dans le rue. Yoongi se précipita à la fenêtre et vit que de l'agitation commençait déjà à se former. Alors que plusieurs personnes se dirigeaient vers une jeune femme allongé sur le trottoir au pied de l'immeuble, une seule silhouette prenait la direction opposée en courant. Il tenait une arme entre les mains. C'était donc un coup de feu.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda Namjoon, inquiet.
- Quelqu'un est blessé en bas, je dois descendre.
- Je viens avec toi !
- Alors vas-y à ton rythme et ne te fatigue pas.
Yoongi était infirmier. Il n'était pas médecin, pas chirurgien, pas ambulancier. Mais il pouvait toujours aider en attendant l'arrivée des secours. Il se précipita dans les escaliers de l'immeuble et descendit le plus rapidement possible. Il entendit Namjoon derrière lui, moins rapide. Alors qu'il ouvrait la porte du bâtiment, il la sentit. La douleur. Celle qui annonçait une nouvelle cicatrice. Son regard se porta sur la jeune femme à quelques mètres de lui. Les passants étaient autour d'elle et un homme était au téléphone avec les secours. Il se rapprocha rapidement en annonçant qu'il était infirmier. Il savait que c'était trop tard, il le sentait dans sa nuque. Mais il voulait au moins essayer, pour tous ceux qui étaient présents. Il ordonna aux passants de s'éloigner un peu pour lui laisser de l'espace et entreprit les premiers soins dont il était capable.
Quelques minutes plus tard seulement, les secours arrivèrent. Quand ils prirent la jeune femme en charge, ils firent la même constatation que lui, même s'ils ne le dirent pas. C'était trop tard, ils le savaient bien. Et Yoongi se retrouva là, en plein milieu de cette rue, les vêtements couverts du sang d'une femme qu'il n'avait pas pu sauver. Les policiers vinrent rapidement l'interroger et il raconta ce qu'il avait vu et ce qu'il avait fait. Namjoon, en retrait depuis le début, était sous le choc. Les policiers montèrent à l'appartement pour de derniers détails, embarquant avec eux les vêtements couverts de sang de Yoongi alors qu'il allait prendre une douche. Ils partirent alors qu'il était toujours sous l'eau chaude. Namjoon le rejoignit et l'enlaça.
- Tu as fait tout ce que tu as pu.
Yoongi se mit à pleurer à chaudes larmes. Ce n'était pas la première fois que quelqu'un mourait devant lui. Mais là, c'était différent. Il était à fleur de peau depuis qu'il connaissait Namjoon. Et puis, c'était une très jeune femme, quelqu'un l'avait tuée. Non, il n'avait pas fait tout ce qu'il avait pu. Il avait seulement fait semblant. Parce qu'il ne pouvait déjà plus rien faire quand il était arrivé à son niveau. Ils restèrent ainsi pendant très longtemps avant que Namjoon ne lave délicatement Yoongi. Ils sortirent de la douche et Yoongi s'assit sur le lit. Namjoon prit soin de le sécher avec toute la douceur dont il était capable. Il remarqua quelque chose dans sa nuque mais ne dit rien. Il passa simplement les doigts dessus. On aurait dit que Yoongi s'était coupé, là, à cet endroit, et c'était encore à vif. Ca ressemblait à ce qu'il avait déjà partout sur le corps. Yoongi frissonna à son contact mais resta silencieux. Il avait arrêté de pleurer.
- Viens, allons nous coucher, lui dit tendrement Namjoon. Je vais appeler l'hôpital pour leur dire que tu ne peux pas aller travailler demain.
Namjoon s'éloigna quelques minutes le temps de passer son coup de téléphone. Il expliqua la situation sans rentrer dans les détails et la hiérarchie de Yoongi fut compréhensive. Il retourna rapidement dans son lit, s'installa et laissa Yoongi s'allonger presque sur lui. Il passa sa main dans ses cheveux, couvrit son corps de caresses rassurantes. Ils finirent par s'endormir, mais seulement pour un temps. En plein milieu de la nuit, Yoongi se réveilla dans un cri, en proie à de terribles cauchemars. Il revoyait cette fille mourir, encore et encore, les yeux vitreux grand ouverts, le fixant de cet air déçu. Il aurait dû descendre plus vite, il aurait pu la sauver s'il avait été auprès d'elle quelques secondes plus tôt. Mais elle était morte. Par sa faute.
Namjoon, réveillé par cette agitation, reprit ses caresses rassurantes dans le creu de son dos. Il lui murmura des paroles de réconfort pour le calmer, et ça fit effet. Et finalement, Yoongi brisa le silence, parlant pour la première fois depuis qu'il était allé prendre cette douche.
- A chaque fois ... A chaque fois que quelqu'un s'en va, ça me fait la même chose. Tu l'as vue tout à l'heure ... Elle n'était pas là ce matin. Je l'ai sentie quand j'ai ouvert la porte de ton immeuble. Quand j'ai commencé à la réanimer, c'était déjà trop tard, elle était partie ...
Ses paroles étaient très lentes, comme un supplice. Il n'avait plus peur de passer pour un fou. De toute façon, il était déjà à moitié fou à cause de tout ça. La mort ... Il savait depuis longtemps qu'il devait la fuir. Pourtant, il ne pouvait pas s'empêcher d'aider les gens malades, ceux qui n'avaient parfois aucune autre échappatoire que la mort elle-même. C'était pour ça que son corps était couvert de marques. Toutes ces éraflures avaient laissé des marques parfois indélébiles. Certaines s'en allaient, parce que le choc que son corps subissait n'était pas si grand. Parfois, elles restaient. Les enfants lui avaient laissé ses plus grosses marques. Et cette femme, il le savait, allait rester ancrée sur sa peau jusqu'à la fin de sa vie. Parce que ça s'était passé à quelques mètres de lui, parce qu'elle avait souffert, parce qu'elle avait été tuée.
- Qu'est-ce que j'ai vu ? Finit par demander Namjoon, qui ne comprenait pas tout.
- La marque, dans mon cou.
Namjoon fit un bruit d'étonnement puis le silence retomba. Il ne comprenait toujours pas tout.
- Mon corps est couvert de tous ceux qui sont morts à moins de cinq kilomètres de moi. Quand quelqu'un meurt, il y en a une qui apparaît. Parfois elle cicatrise, parfois non. Je sais que ça paraît dingue, mais c'est comme ça. Je ne suis pas ... normal.
Namjoon finit par comprendre. Il entoura Yoongi de ses bras et le serra contre lui comme s'il allait disparaître d'un moment à l'autre. Alors, c'était ça, cette souffrance qu'il percevait chez lui malgré ses sourires. Yoongi ressentait la mort. Et son corps en portait les stigmates. Rapidement, Namjoon sentit ses larmes déborder. Il l'admirait tellement. Il aurait pu se terrer loin des hommes pour ne pas avoir à vivre tout ça, mais au lieu de ça, il avait décidé d'être infirmier dans un hôpital. Il vouait sa vie aux autres même s'il en souffrait énormément. Yoongi était ... Yoongi était le plus formidable des hommes. Alors qu'ils pleuraient tous les deux, Namjoon déposa un tendre baiser sur le haut du crâne de Yoongi.
- Je t'aime tellement, si tu savais ... Murmura-t-il avant de parvenir à se rendormir.
Après cet événement, leur couple fut encore plus solide. Yoongi ne reparla pas de sa spécificité, et Namjoon ne posa pas de question. De temps à autre, il cajola les cicatrices, comme s'il pouvait les guérir. Celle dans la nuque de Yoongi resta là, boursouflée. Il en vit d'autres apparaître, certaines disparaître. Le corps de Yoongi était finalement en perpétuel mouvement. Ca changeait régulièrement.
Yoongi, même s'il n'évoqua plus le sujet, sembla aller mieux par rapport à ça. Il était soulagé d'en avoir parlé à quelqu'un et d'avoir été cru. Il était en partie apaisé. Il aida la police à enquêter, même s'il n'avait pas vu de visage. Le jeune meurtrier fut arrêté assez rapidement. C'était le petit-ami de la jeune fille.
Et après quelques semaines de vie paisible, l'hôpital contacta enfin Namjoon. La greffe, c'était pour maintenant. Il avait enfin sa chance. Ce qui n'était pas plus mal, depuis peu il commençait à s'affaiblir. L'opération dura de trop longues heures pour Yoongi, qui était terrifié à l'idée que ça ne se passe pas bien. Mais finalement, le chirurgien cardiaque vint lui apporter une bonne nouvelle. L'opération s'était bien passée et Namjoon était en salle de réveil. Quand il put enfin aller le voir, Yoongi ne s'en priva pas. Il assista alors à son réveil. Il lui sourit dès qu'il ouvrit les yeux.
- Hey.
- Hey, répondit douloureusement Namjoon.
- Comment tu te sens ?
- J'ai mal ...
- Ca va aller.
Yoongi resta à ses côtés, faisant de son mieux pour l'aider. Il ne pouvait pas trop le toucher pour le moment, il ne devait pas oublier qu'il venait d'être greffé et qu'il ne devait pas risquer une infection. Il avait tellement envie de l'embrasser. De le toucher. De le serrer dans ses bras. Finalement, Namjoon put enfin sortir de l'hôpital, tout allait bien pour le moment. Ils purent enfin reprendre une vie presque normale. Pour le moment, il était encore très faible et il devait se reposer. Yoongi avait obtenu un congé spécial pour pouvoir s'occuper de lui.
Deux mois s'écoulèrent. Deux mois pendant lesquels Namjoon reprit des forces. Yoongi reprit le travail. Et tout allait bien pour eux. Mais seulement, Namjoon finit par ressentir des douleurs de temps en temps dans la poitrine. Il n'osa pas en parler dans un premier temps. Il avait peur de ce que ça pouvait vouloir dire. Jusqu'à ce qu'il ne puisse plus le cacher, assez rapidement à vrai dire. Yoongi prit un rendez-vous en urgence à l'hôpital, mais ils allaient devoir attendre deux jours. Le lendemain, Namjoon fit un malaise juste après s'être habillé. Il fut rapidement emmené à l'hôpital et pris en charge. On lui fit les examens nécessaires tandis que Yoongi attendit dans la salle d'attente. Une interne revint vers lui.
- Dites-moi ce qui lui arrive, exigea-t-il dès qu'il reconnut la jeune femme.
- Les premiers examens révèlent un rejet de la greffe. Nous allons devoir l'opérer.
- C'est pas vrai !
- Tout va bien se passer, ne vous inquiétez pas. On a le meilleur chirurgien cardiaque de la région.
- Oui, je sais !
Yoongi était mort d'inquiétude. Un rejet de greffe, ce n'était pas rien. Namjoon allait vraiment mal. Et il avait attendu longtemps avant de dire que ça n'allait pas. Trop, sans doute. Il était tellement en colère contre lui. Enfin, il savait que ce n'était pas vraiment de la colère, seulement de la peur. L'interne repartit et Yoongi se rassit, attendant nerveusement.
Là, au milieu de cette salle d'attente, un homme se mit à hurler, se tenant la poitrine. C'était Yoongi. Son haut se tâcha très légèrement de sang et il s'enfuit dans les toilettes. Heureusement, il était seul. Il retira le vêtement et constata qu'une énorme entaille barrait son torse, juste au-dessus de son coeur. Ce n'était pas profond, pas assez pour être dangereux. Mais assez pour saigner. Dès qu'il avait senti la douleur, il avait compris. Des éraflures, il en avait eu des centaines, des milliers même. Mais cette fois, c'était bien plus que ça. C'était une plaie béante, une souffrance à vie. Il avait eu l'impression de mourir lui aussi, et sans doute que c'était peut-être un peu le cas.
Quand l'interne retourna dans la salle d'attente pour lui annoncer que le chirurgien avait fait tout son possible, sans succès, elle ne trouva pas Min Yoongi. Elle le chercha dans les couloirs, mais elle ne le vit pas. Et pendant les jours suivants, personnes n'entendit parler de lui. Il ne réapparut que pour les funérailles. Il resta en retrait, ne se présentant même pas à la famille. C'était tellement douloureux. Il ne pensait pas souffrir autant un jour. Sur tous les plans, son corps était un brasier inéteignable.
Yoongi démissionna. Il quitta son appartement. Il s'en alla, loin. Il quitta le pays, voyageant autour de monde. C'était ce que Namjoon avait toujours voulu faire. Il revint six ans après, complètement métamorphosé.
Son corps avait changé, lui aussi. Presque toutes ses cicatrices avaient disparu. Depuis ce jour où il avait ressenti, dans cette salle d'attente, qu'il avait perdue l'homme de sa vie, plus aucune éraflure n'était venue abimer son corps. C'était terminé. Et celles déjà présentes s'était réparées. Yoongi, au fil de ses rencontres, avait trouvé des réponses à certaines de ses questions. Les cicatrices n'étaient que le reflet des cicatrices laissées par la mort sur les proches. Quand les proches parvenaient enfin à faire leur deuil, plus ou moins, alors elles disparaissaient du corps de Yoongi. Même celle dans sa nuque avait presque disparu, on ne la voyait qu'en y prêtant attention. La seule qui ne partit jamais, laissant une boursouflure blanche, c'était celle sur son torse. Elle lui faisait mal régulièrement. Yoongi savait qu'elle ne disparaîtrait jamais, parce qu'il ne serait jamais capable d'accepter la mort de Namjoon. C'était trop injuste.
Namjoon l'avait sauvé. Il l'avait cru, il l'avait aimé. Mais il lui avait fait sa plus grosse éraflure. Sa dernière éraflure.
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