6.Brittany
-Je vais prendre un peu l'air, tu viens?
Je regardais Brian quelques instants avant de refuser. C'était un gars bien, certes, mais il n'était qu'un figurant de plus pendant une petite fête arrosée. Vous l'accompagnez une fois ou deux, l'embrassez sur la commissure des lèvres et le mec vous verrez déjà marié avec lui. Ce n'était pas vraiment ça que je recherchais.
Je me dirigeais vers les bouteilles, regardant le volume de chacune avant de me décidé pour une vodka.
Je pouvais sentir le regard de Gabriel sur moi sans que je n'aie besoin de le vérifier en me retournant. Pourquoi ne me quittait-il pas des yeux depuis le début de la soirée? Je savais qu'il n'était pas intéressé par moi, alors pourquoi?
Cherchait-il une faiblesse?
Je levai les yeux vers l'horloge sur le mur et grimaçait en voyant qu'il était minuit passée. Mon regard se porta ensuite sur la petite foule qui dansait, presque emmêlée les uns dans les autres par le manque de place. Beaucoup détestaient ce genre d'attroupement mais pour moi, c'était ce qui me rendait vivante. Cette proximité décuplait chaque sensation. L'euphorie montait alors et finissait par vous faire perdre toute notion du temps.
Je vis Gabriel qui se frayait un chemin, rejetant une jolie fille qui s'était approchée de lui. Je ris en le voyant arriver à mes côtés en soupirant.
-Il fait chaud.
-On ne met pas un sweat lorsqu'on se rend à une party, Gossom, ça fait négligé.
-Je n'ai pas pu rentrer chez moi entre temps.
-Pourquoi?
Je le vis hésiter quelques instants.
-La dirlo' a appelé mes tuteurs pour leur parler d'un petit accrochage dans les couloirs....
-Tu n'as pas osé retourner chez toi?», demandais-je en rigolant.
-Arrête de te moquer, bouda-t-il.
Son regard se porta sur mon verre avant de retourner se loger dans mes yeux. C'était presque déstabilisant, cet éclat doré qui entourait ses prunelles. Ça m'empêchait de le fixer longtemps sans ressentir de malaise.
-Tu as le sida, Fricht?
-Pardon?
Mais il ne prit pas la peine de répéter et se contenter de voler mon verre pour boire une gorgée.
-Vodka? Bon choix. Ça fait un peu désespéré cherchant à noyer ses malheurs mais je suppose que ça te convient, lâcha-t-il mystérieusement en me jetant un regard par dessus le verre.
Sa question me paralysa pendant un court instant avant que je ne comprenne sa ruse.
-Essayerais-tu de remporter un round de notre jeu stupide?
-C'est bon, Fricht, j'essaye juste de rire un peu! On est dans une fête après tout.
-Alors va danser!
-Ah non, j'ai horreur de ça.
Je souris face à sa grimace et tendis la main pour reprendre mon verre. Toutefois, il leva le bras plus haut et j'abandonnais la partie.
Je n'allais pas non plus me pendre à son bras comme une désespérée pour un verre.
-Tout le monde aime danser.
-C'est faux. Il y a trois catégories de danseurs. Ceux qui occupent la piste de danse pour attirer l'attention, ceux qui le font parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire et ceux qui font semblant d'aimer ça pour se fondre dans la masse.
-Et je serais dans quelle catégorie, dis-moi?
Il fronça les sourcils et ses yeux s'assombrirent.
-Tu n'es pas comme eux.
-Ah oui?», lâchais-je, moqueuse.
-Oui. D'une façon ou d'une autre, tu ne te contentes pas d'être une fourmi. Tu veux être la reine de la fourmillière. Mais pas pour te sentir supérieur comme Vanessa.
Je perdais mon sourire au fur et à mesure qu'il parlait.
-Tu veux être la reine pour être intouchable.
-Tu as l'air bien sûr de toi.
J'espérais que ma voix n'avait tremblé que dans mes pensées. Toutefois, la musique résonnait dans nos tympans et je n'étais même pas sûre qu'il puisse vraiment saisir ma phrase.
Mais Gabriel Gossom n'était pas un garçon ordinaire. Il partit et, quelques secondes avant de quitter la pièce, il me regarda droit dans les yeux.
Il m'invitait à le suivre.
Ma raison et la curiosité se disputait ardemment le contrôle de mon corps. L'une voulait que je retourne sagement danser dans les bras de Brian, pour finir par quitter la fête quelques heures plus tard.
Mais j'étais curieuse de savoir jusqu'où, exactement, Gabriel avait réussi à me révéler. Je savais qu'il ne faisait probablement que s'amuser et qu'il finirait très certainement par se servir de ses observations pour se venger de l'humiliation que je lui avais fait.
Mes talons aiguilles suivirent le même chemin que ses baskets avaient emprunté.
Je risquais de me dévoiler un peu plus, mais il n'avait aucune chance qu'il ne découvre réellement ce qui clochait avec moi. Il était bien loin de se douter de ce que la garce du lycée ait pu faire, et ce, à soi-même.
Cependant, c'était peut-être l'occasion de percer un peu la carapace de sale brute qu'il affichait en permanence ou, du moins, de savoir si quelqu'un d'autre se cacher derrière ça.
Ma mère m'avait un jour dit que personne n'était foncièrement méchant et qu'à chaque coup qu'on distribuait, c'était pour tenter d'effacer un autre que l'on avait reçu.
Si je devais appliquer sa théorie pas très philosophique, alors Gabriel avait dû s'en prendre plein les dents.
Il m'attendait, appuyé contre un mur du jardin et je fus surpris de son air. J'avais l'habitude de voir un Gabriel arrogant, en colère, taquin ou encore moqueur.
Mais je n'avais jamais rencontré celui qui se tenait devant moi. Je ne devinais pas vraiment la lueur qui éclairait ses prunelles et faisait briller cet éclat doré, mais ce n'était pas de la méchanceté.
Et, pour une fois, je tombais d'accord avec ma mère sur un sujet. C'était assez rare, dernièrement.
-Tu me jures que tu n'essayeras pas de me violer?
-Allons Fricht, honnêtement, tu te jetterais dans mes bras toute seule comme la grande fille que tu es, répliqua-t-il avec un sourire moqueur.
Je levais les yeux au ciel et fus tentée de lui rappeler l'accident de l'année passée. Pourtant, j'aimais un peu trop l'ambiance qui flottait pour la faire disparaître à coups de railleries.
-Tu penses tout connaître de moi simplement parce que tu m'as regardé danser?
-Non. Simplement.... Simplement parce que.
-Parce que quoi?
-On est pas ami,Fricht. Je n'ai pas besoin de m'expliquer.
Je sentis mes joues rougir sous l'énervement, surtout lorsque je remarquai que la bombe à retardement devant moi arrivait à garder un calme impressionnant.
-Tu as raison, je ne pourrais jamais être ami avec un gorille.
-Il paraît que les gorilles sont plutôt bien foutus...
Je soufflais bruyamment et me préparais à tourner les talons lorsque sa main me retint. Ce ne fut pas son geste qui me fit frissonner. Dans une série romantique, cela aurait été le contact de nos deux peaux.
Toutefois, la vraie vie était une sacré connasse et la raison de ma brusque montée de peur n'avait rien, mais rien, de romantique. Si je me croyais en sécurité quelques minutes auparavant, je venais de comprendre que je ne le serais jamais vraiment, et cette vérité était pire qu'une gifle en plein visage.
Il suffisait que mes bracelets se cassent pour que je devienne irrémédiablement sans défense.
Il crut probablement que j'avais froid car il enleva son sweat pour me le passer.
-T'as cru que j'allais enfiler ton pull plein de sueur?!
Le garçon soupira et se contenta de me le poser sur le dos, nouant les deux bras autour de mon cou. Je le regardais faire, un sourcil surélevé. J'aurais pu rétorquer que j'avais des mains mais, pour la première depuis un petit bout de temps, quelqu'un venait de prendre soin de moi.
Et je n'étais pas assez stupide pour lui enlever tout envie de recommencer.
-Tu sais, Brittany, ce n'est pas toujours en mordant que l'on remporte les batailles.
-Venant de toi, ce conseil me paraît légèrement surfait.
-Ce n'est pas parce que je n'applique pas qu'il n'est pas vrai. Fais ce que je dis, pas ce que je fais.
Mes lèvres s'étirèrent doucement face à la phrase que chaque parent au monde avait un jour utilisé.
Et je réalisais ensuite que, peut-être, Gabriel n'avait jamais eu de parents. Cela me paraissait presque surréaliste, parce que j'en avais toujours eu deux. Ils n'étaient peut-être plus très joignables ces derniers temps, mais je me rappelais d'eux au fond du public lors des pièces de théâtre de l'école. Je me souvenais qu'ils m'avaient accompagné à ma rentrée en primaire, puis à celle du collège. Ils m'avaient bordé lorsque j'étais petite, m'avaient soigné lorsque je m'étais blessée et avaient eu un sourire chaque fois que je racontais quelque chose, aussi futile soit mes dires.
Je m'imaginais un petit Gabriel de cinq ans attendant sur le banc de la cour que des parents viennent le chercher. Je l'imaginais à chaque fête de père et mère, à confectionner un cadeau qu'il ne pourraient jamais leurs donner.
Mon cœur se serra et, d'un seul coup, les gestes un peu brutes du garçon ne me paraissaient plus aussi... Aussi nul.
-Pourquoi tu me fixes comme ça?
-Comment?
-Comme si t'étais en train de chialer sur ma tombe, lacha-t-il en ricanant légérement.
-Parce que je compte bien t'en creuser une prochainement, répondis-je en chantonnant.
Il rigola plus franchement et je finis pas le suivre. Mais lorsque le silence revint, je ne réussis pas à chasser mes dernières pensées.
-Dis, Gossom?
-Ouais?
-Est-ce que.... Est-ce que t'es parents te manquent parfois?
La nuit était tombée depuis longtemps et cela m'empêchait de distinguer nettement ses traits. Pourtant, je pouvais clairement visualiser,dans ma tête, l'éclat doré s'éteindre.
-Brittany, Brittany, Brittany, murmura-t-il en s'écartant du mur.
Pendant une poignée de secondes, mon sang se glaça en entendant le ton froid de sa voix. On racontait beaucoup de chose sur les colères de l'adolescent. Certains avaient une ou deux cicatrices grâce à lui, et l'un de ses adversaires avaient fini à l'hôpital. Il avait ensuite changé de lycée.
J'avais eu du mal à retrouver ce fameux Gabriel cruel ces derniers jours parce que, même s'il s'était montré moqueur et parfois grossier, la plus vilaine chose qu'il avait commis, c'était d'avoir tenté de me faire tomber de ma chaise en littérature.
Je savais qu'il ne ferait pas exception avec moi. Je ne savais pas par quelle stupidité j'avais cru, pendant un millième de secondes, que peut-être je n'était pas qu'une fourmi à ses yeux.
Je me retrouvais contre le mur un instant plus tard et il était désormais assez proche de moi pour que je puisse clairement voir ses yeux noirs de colère malgré le manque d'éclairage.
Ses mains tenaient mes épaules en place sur le mur et je ne tentais même pas de m'échapper. S'il espérait que je fuis ou baisse les yeux, il serait déçu. Je préférais encore le regarder droit dans les yeux et poursuivre la bataille jusqu'au bout.
-On ne propose pas un jeu si on assume pas, Gossom.
Il ne répondit rien et j'entendais à sa respiration saccadé qu'il essayait probablement de ne pas perdre le contrôle.
Sa poigne se desserra et il se recula vivement, comme si je venais brusquement de le brûler.
Il passa sa main sur son front et resta, involontairement ou non, dans l'ombre.
-Je n'ai plus envie de jouer.
-Tu abandonnes? Au bout de cinq jours? Tu me déçois, Gossom.
Je ne pouvais pas voir son visage et, même si ma raison me hurlait de ne pas faire l'abrutie et d'arrêter de le provoquer, ma colère me rendait sourde.
-Tu te permets de t'installer à côté de moi en cours, de me tenir la grappe à un putain de gala de charité, de te moquer de moi douze fois par jour, à me sortir de grand discours sur la faiblesse pour ça ?!
-Tu comprends pas.
- Je comprends tout à fait que tu es un trouillard, Gabriel. Et un énorme lâche.
J'avouais que j'avais touché une corde sensible en parlant de ses parents mais, après tout, n'etait-ce pas les règles du jeu? C'était lui qui me l'avait proposé. Et il n'en avait eu aucune idée lorsqu'il avait touché la plus sensible de toutes...
Il se contenta de donner un coup de pied dans l'herbe avant de se détourner et, au fond, j'étais presque déçue qu'il n'explose pas face à moi.
Pourquoi? Pourquoi avait-il tout simplement fui? Pourquoi était-il le seul à découvrir des facette de moi alors que je n'apprenais jamais rien sur lui?
L'agacement monta d'un cran lorsque Brian arriva et passa un bras autour de mes épaules.
-Gab' m'a dit que tu étais toute seule dehors et que tu étais malade. Ça va mieux?
J'étais étonné de la prévention du brun. Ainsi, il avait peur de me laisser seule? Que craignait-il? Que je le suive?!
Je n'avais jamais rampé pour personne, alors je n'allais sûrement pas commencer aujourd'hui, à l'espionner comme une bonne petite obsédée.
La vérité, c'était que rien ne me liait à Gabriel. J'avais peut-être cru cette semaine que cette année serait différente, qu'il pourrait devenir une sorte d'ami étrange.
Je m'étais vraisemblablement trompé.
-Il a raison, je ne me sens pas trop bien, je vais rentrer.
-Tu veux que je te ramène?
-J'ai ma voiture.
-Oui, mais tu as bu...
-Brian. J'ai envie de rentrer? Je rentre. Point.
Il leva les mains devant lui en reculant et je m'éloignais sans me retourner vers ma petite Volvo.
Je coupais le moteur une rue avant la mienne pour éviter que mes parents n'entendent le bruit du moteur et saisis mes clés pour ouvrir la porte d'entrer.
A pas de loup, je traversais le salon, montais l'escalier et me faufilais jusque dans ma chambre.
Je soupirais en voyait que rien n'avait bougé. Je savais que beaucoup se seraient montrés heureux d'avoir réussir à faire le mur sans se faire choper par leurs parents.
Mais j'aurais bien aimé que les miens le remarquent, justement. Qu'ils me disputent durement et qu'enfin, oui enfin, j'aie la chance de leur crier toutes mes pensées.
Il y a, des fois, des mots qui restent bloqués dans notre gorge. Puis, au fur et à mesure que le temps passe, d'autres paroles interdites s'y ajoutent et on finit par suffoquer par tout ses non-dits qui pèsent sur notre cœur.
J'étais en apnée depuis un peu plus d'un an et j'avais pas en avoir marre. Je voulais simplement que tout cela cesse.
J'avais envie de recommencer mes conneries, de foutre en l'air de tout ce que j'avais fait pour me débarrasser de mes mauvaises habitudes.
Mon regard se posa rapidement sur ma table de chevet mais j'abandonnais vite l'idée.
La main de Gabriel sur mon bras.
L'angoisse que j'avais ressenti à ce moment-là remonta en flèche et j'eus un haut-le-cœur en imaginant la catastrophe qui aurait pu se passer. Et si sa poigne avait fait glisser mes bracelets un peu plus haut?
Je calmais ma respiration et finis par me coucher sur mon lit tout habillé, observant mon plafond sans vraiment le voir.
De toute façon, la scène ne risquait plus de se reproduire. Je ne parlerais plus à Gabriel.
Toutefois, Brittany se trompait.
Un secret est comme un bout de cristal, fragile. Et Gabriel viendrait bientôt l'éclater en morceaux.
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Coucou!
C'est un chapitre un peu bizarre, je l'avoue 😂! J'espère que vous n'en serez pas trop déçus quand même 😛!
Gros bisous à tous ❤️❤️❤️
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