-Jess, ouvre cette porte!

-Non.

Je ne peux pas me calmer. Je ne le veux pas. Je préfère m'acharner sur la toile et tirer une bouffée de cigarette entre deux coups de peinceau. Ça fait un baille que je n'ai pas fumé mais une demi heure avec Seth m'ont suffit à reprendre. Cet homme est la source de tout mon stress. Dès qu'il est là, de vieux démons refont surface. Je ne peux pas les affronter toute seule alors je me défile. Ils auront ma peau, un jour, juste, pas aujourd'hui, pas maintenant. Laissez moi au moins finir mon tableau, avant. 

Je me défoule sur le papier et ça fait un bien fou. Je me rappelle enfin pourquoi je m'était inscrite en art: j'aime sentir les pigments tacheter le papier et exprimer des sentiments que je tais. Chaque fois que je regarde l'un de mes tableaux, c'est comme si je relisais mon journal intime, écris dans un langage que moi seule peux comprendre. Je peux me remémorer mes bons comme mes mauvais souvenirs, sans avoir à les partager avec qui que ce soit et sans être jugée ou pris en pitié. Je déteste ça.

 En quoi la pitié des autres peut elle m'aider à me sentir mieux? En rien. Je n'ai pas non plus besoin qu'on prenne soin de moi! Qu'il aille se faire foutre Angel avec ses reproches paternel et ses jeux pervers. Je vais parfaitement bien. Et, même si ce n'était pas le cas, me faire attacher sur une croix n'améliorerait pas la situation.

-Jess, je commence à m'inquiéter. Qu'est-ce que ton prof t'as dit?

-Ne me parle plus de cet idiot, Charly!

-Ok mais ouvre la porte...s'il te plaît.

-Mais je...

-Ce n'est comme ça que tu vas arranger les choses. Parle moi, que je puisse t'aider. Meilleurs amis pour le meilleur et pour le pire, tu te rappelle ?

-Oui c'est vrai.

J'abdique et ouvre la porte de la chambre. Charly semble horrifié par les taches de peinture et ma cigarette qu'il m'arrache des doigts. C'est vrai que je n'y suis pas allé de main morte. J'en ai même dans les cheveux. Mais il ne me juge pas. Lui, ne ferait jamais ça. À la place, il me tire par la main et me fait assoir sur le lit.

-Qu'est-ce qu'il y a Jessi?

-Je ne veux pas en parler.

Je cache mon visage entre mes mains. Charly est mon seul confident. Je lui dis toujours tout mais aujourd'hui, c'est au bout de mes forces. Je ne sais même pas par où commencer. Je m'étais fais un film de cette relation en me disant que Seth voulait quelque chose de sérieux avec moi. Alors que non.

-J'ai été tellement stupide.

-Il t'a fait du mal? Parce que si c'est le cas...

-Du calme, non il ne m'a rien fait...du moins physiquement. Pas encore.

-Alors c'est quoi le problème ?

-Il ne veut rien de sérieux avec moi.

-Comment tu le sais? Attend...il est marié ?

-Non, il veut que je sois sa...

-Sa...?

Je le suppli silencieusement de ne pas me forcer à le dire. Mais il insiste toujours autant. Après tout, c'est  normal. Il serait le pire meilleur ami s'il ne se souciait pas de moi. C'est juste que se confier, n'est pas mon point fort. Je garde tout au fond de moi et personne n'arrive à me faire sortir le moindre mot. C'est ma nature, je l'assume. Juste qu'il y a des jours comme celui-là où j'aimerais être un livre ouvert. Que Charly puisse lire dans mes pensées sans que je n'ai à lui parler.

-Jessi...tu sais que tu peux tout me dire.

Il me prend tendrement la main.

-Je sais Chacha, surtout avec ton palmarès de bêtises.

-Je confirme. Alors ... ?

Les mots se bousculent en moi. Comment je pourrais le dire sans sentir cette colère qui brûle en moi. Je décide de me lancer sans réfléchir.

-Il veut que je sois sa soumise.

Voilà c'est dit. Charly ne cache pas son étonnement. Ses yeux s'écarquillent comme s'il avait vu une monstre imaginaire apparaître.

-Je sais Chacha, c'est...

-Génial !

-Pardon ?!

-Pourquoi il ne m'arrive jamais rien d'aussi incroyable?

-Charly !

-Quoi ? Tu devrais un peu plus profiter de la vie et lui donner une chance.

-Ce n'est pas aussi facile...je...ça ne m'interesse pas !

-Comment tu peux le savoir ? Tu n'as jamais essayé.

-Je le sais, c'est tout.

Il bondit du lit et sort de la chambre. Je trouve la réaction légèrement trop excessive. Puis il revient, avec mon ordinateur portable qu'il me pose sur les genoux et se rassoit.

-Montre le moi !

-Charly...

-Tu crois que je ne sais pas chercher quelqu'un sur internet ?

J'ouvre Facebook et recherche Seth, à contre cœur. Je le trouve facilement et les images comment à défiler. Mon professeur à la chevelure d'ange qui sirote un verre de vin rouge ; ses abdos scisellés à la piscine ; son sourire charmant devant la tour eiffel.

-Bordel...il est sexy.

Je me serais bien donné une claque pour avoir prononcé ces mots. A quoi bon ? C'est 100 % vrai. Merci conscience, je m'en rappellerais.

-Tu ne vas pas me dire que tu n'aimerais pas qu'il t'attache au lit.

-C'est mon prof, Charly.

-Et alors ? Il t'attacherait en dehors des cours.

-Tu es irrécupérable.

-C'est lui qui sera irrécupérable quand je lui aurais mis le grapin dessus.

Je ris nerveusement mais un pic de jalousie me foudroie quand je l'imagine toucher quelqu'un d'autre que moi. Je ne devrais pas être jalouse, je l'ai clairement repoussé. Il pourrait très bien être avec une autre fille, là tout de suite et je n'y pourrais rien.

-Dans tous les cas, c'est trop tard Charly.

-Tu as refusé ?

-En quelque sorte...

-Qu'est-ce que t'as fabriqué encore ?

-Rien, j'ai juste fuis sous la pluie. Et...

-Et?!

-Je l'ai peut-être traité de psychopathe et conseillé f'aller voir un psy.

-Quoi?!

Il soupire lourdement.

-Bon, alors appelle-le et excuse-toi!

-Je n'ai pas son numéro et je ne le veux pas !

-T'es sérieuse ?! Ecoute au moins ce qu'il a à dire.

-Non merci. Se faire fouetter et dominer par un mec plus agé ne m'intéresse pas !

-Ne dis pas ça !Je trouve que tu as beaucoup de présugé sur cette pratique. Ce n'est pas si...affreux que ce que tu penses. Tu pourrais même y trouver beaucoup de plaisirs.

Je le trouve quand-même beaucoup sur la défensive pour quelqu'un qui est aussi novice que moi.On dirait que j'insulte sa grand-mère Hanriette, alors que pas du tout. Je dis juste que la souffrance physique ne me procure aucune excitation. Chose qu'il devrait comprendre. Enfin, sauf s'il n'est pas si novice que ça.

-Chacha...

-Quoi ?

-Tu ne te serais pas fait fouetter quelques fois ? Par tes plans-culs louches ?

-Arrête...où tu vas chercher ça ?

-Allez, avoue !

Il se lève précipitamment, prend l'ordi et s'en va.

-Chacha !

-Je ne te répond plus, il crie du salon.

Je ne vais pas l'embêter avec ça mais je suis sur de mon hypothèse. Il a déjà essayé. Je me demande comment c'était. Pas si traumatisant apparemment, vu comment il défend le BDSM. Mais ce n'est pas parce que, lui, a aimé que je vais y prendre goût. Surtout, je ne peux donner autant de pouvoir sur mon corps à un inconnu. Ou à qui que ce soit. Je ne pourrais pas être totalement à sa merci et aimer ça. J'arrêterais tout et prendrais la fuite donc autant ne pas essayer. 

Au final, j'aide Seth. Je l'empêche de perdre son temps avec moi. Je ne ferais pas une bonne soumise, j'ai trop peur et il le saurait s'il me connaissait vraiment. Ou s'il faisait plus attention. Je sursaute quand son visage se durcis, alors comme je réagirais si Seth me fouettais ?! Je penserais à lui et c'est tout ce que je ne veux pas. Plus jamais je ne donnerais autant de pouvoir à un homme sur ma vie. Plus jamais je n'agoniserais sur le parquet froid à recevoir des coups de pieds aux côtes. Plus jamais je ne sentirais cette peine dans mon cœur.

-Hey...

Je n'avais pas remarqué que Charly étais revenu. Il s'agenouille devant moi et essuie mes larmes avec ses doigts.

-Je suis désolé d'en avoir parlé, il débute. Je ne savais pas que ça te mettrait dans cet état.

-Ce n'est pas grave. Et puis, ça n'a pas vraiment de lien avec notre discussion. J'ai juste...repensé à quelque chose.

-A quoi?

Je détourne le regard. Il comprends que je ne veux pas en parler.

-Ok, je n'insiste pas. Et si on se faisait un bon diner ce soir ?

-Ouais...c'est une bonne idée.

Quelqu'un va t-il perturber ce diner? Peut-être...