Métro, Boulot...
Laure ouvre lentement les paupières et lève sa tignasse rousse vers les deux hommes penchés sur elle.
"Toi quand tu dors tu fais pas semblant, plaisante Charles."
Éric semble moins confiant, le bar est dans un état pitoyable et si son patron décide sans raison de faire une petite visite, c'est fini. Les chaises au sol, les morceaux de verres brisés: ils témoignent d'une soirée qui a complètement dégénérée!
La jeune femme est vraiment mal en point, ses yeux rougis et cernés posent sur le blond un regard désolé. La gorge nouée, elle se rend compte qu'elle a de quoi culpabiliser.
"Éric... s'explique-t-elle. J'ai tenté de faire de mon mieux! Je vais aider à ranger!"
Le barman ne l'écoute pas. Il va d'un endroit à un autre tentant de mettre de l'ordre dans le fatras de la pièce. C'est mission impossible. Charles lance à la rousse un sourire de soutient et décide d'aider son amant dans sa tâche.
Un cri imprévu lui coupe l'herbe sous le pied et l'homme apparut dans l'encadrure de la porte semble totalement dérouté. Sa moustache tressaute au rytme de ses respirations irrégulières tandis que ses cheveux poivre et sel semblent prêts à tomber de son crâne au premier coup de vent.
" Merde... souffle Éric pour lui-même."
Pensant tout d'abord avoir affaire à un client, le brun s'explique maladroitement:
" Comme vous pouvez le constater, il y a un léger imprévu. Si vous pouviez repasser plus tard...
- Charles, coupe froidement le barman, laisse tomber."
Il se tourne vers le soit-disant client et baisse la tête. Celui-ci se gratte frénétiquement le lobe de l'oreille gauche, ce TIC ne semble pourtant pas le calmer et il semble bouillir sur place.
" Monsieur Solten, grince-t-il, avez vous une quelconque justification pour ce... bordel.
Un instant, l'envie de dénoncer cette indésirable rouquine entre avec force dans l'esprit du blond. Cependant son sens de la morale le lui interdit, les pleurs de la jeune femme suffisent, pas besoin d'en rajouter.
- Non monsieur, se contente-t-il de prononcer amèrement."
Claude-Philippe Valora est le détestable employeur du jeune homme. Seul Éric étant au courant, les deux autres jeunes adultes présents dans la pièce sont totalement perdu.
" Vous vous connaissez? demande poliment Charles dont le regard passe, comme Laure, d'un homme à l'autre.
- Je vous présente monsieur Valora, il est mon employeur.
- Était monsieur Solten, était! Après ce qu'il vient de se passer, hors de question de vous laisser gérer ce bar une seconde de plus!
- Excusez moi? s'insurge Charles. Mais vous n'étiez pas présent! Qu'est ce qui vous dit que c'est la faute d'Éric?
Le gérant semble excédé.
- Écoutez moi bien jeune homme, souffle-t-il. Je suis le seul à décider de ce que je veux pour mon bar, et je ne vais pas laissez un petit con foutre en l'air mon business! Compris.
- Bien compris. Mais maintenant tu vas m'écouter calmement, ok? Tu ne vires pas Éric, tu nous laisses nettoyer le bar et tu te casses d'ici. Tu m'as compris? s'énerve Charles ennuyé de la vulgarité de son interlocuteur.
- Vous oubliez un petit détail. Ce bar est à moi.
- Fils de... commence le brun."
Éric s'interpose entre les des deux hommes qui semblent prêts à en venir au mains et rapproche Charles de lui dans une tentative de le calmer.
Claude-Philippe observe la scène d'un œil hautain.
" Et puis-je connaître le nom de votre chevalier servant, monsieur Solten? provoque-t-il fier de lui.
- Je m'appelle Charles Cebale. murmure le brun, stoïque."
Éric croit discerner sur l'instant un vague "Et je t'emmerde." mais rien ne le lui prouve réellement.
- Et qui êtes-vous pour défendre avec tant d'ardeur mon très cher employé.
- Ça vous regarde? réplique Charles dont les joues rougissent instinctivement, réflexe hérité de son père lorsqu'il était embarrassé."
Lorsque le blond à son tour, détourne le regard, le plus vieux se doute de quelques chose et il n'hésite pas à être franc.
" Alors comme ça, notre cher serveur est une tapette? raille-t-il.
- Pardon? s'étrangle Éric. Alors déjà un minimum de respect, connard et deuxièmement quel est le rapport avec mon emploi?
- Aucun. Mais simple curiosité, dans vos coucheries malsaines... c'est qui la fille? il enchaîne.
Éric frissonne, répugné par celui qu'il respectait autrefois. Comment quelqu'un peut-il parler ainsi? Sérieusement, le monde va mal...
- Je suis sûr que c'est le petit brun là! Il a une tête de soumis, termine l'ancien patron."
Cette fois s'en est trop, Charles s'approche dangereusement de l'homme grisonnant, rapidement retenu par la jeune femme responsable du désastre.
" Enculé... sussure Charles. Je vais te péter la gueule!
- Charles calme toi, conseille doucement Laure en passant son bras sur son épaule. On part."
Laure et Charles aux talons, Éric rend son regard méprisant à son ancien boss et sort du bar en claquant la porte. Le carillon toujours accroché à celle-ci se décroche et tombe au sol dans un bruit métallique.
Le soleil brille du mieux qu'il peut désormais, éblouissant les jeunes sortis de la pénombre. Et pourtant, il n'empêche malheureusement pas le froid de s'infiltrer dans les vêtements.
Le trio passe de rue en rue, sans un mot. Très vite un rythme de marche s'impose. Le brun serre les dents, agacé et dégoûté de n'avoir pas plus réagit que cela, alors que l'ancien barman se reproche de ne pas avoir garder le bar lui même. Laure, de son côté, à une telle boule au ventre que décrire son désarroi serait déjà bien difficile pour elle-même...
Petit à petit, Charles reconnaît le petit quartier populaire et convivial dans lequel vit Éric. Lorsque le bâtiment devient visible le blond accélère le pas, quitte à distancer les autres de deux grandes enjambées. Laure interroge:
" Il va où comme ça?
- Tu vois l'immeuble juste en face de nous? C'est le sien, explique le connaisseur. En gros on va chez lui."
Arrivés sous le porche, le licencié se tourne vers le jeune femme et demande froidement:
" Tu montes?
Plus gênée qu'elle a cet instant est impossible.
- Non... Désolée, j'ai un rendez-vous urgent... Mais à plus tard! souffle-t-elle avant de partir en courant."
Éric ricane intérieurement. Il tape son code et tient la porte au brun avant de la refermer rapidement, les courants d'air sont le fléau de cet endroit.
Ils grimpent quatre à quatre les escaliers et s'engouffrent à toute vitesse dans l'appartement tant convoité. Un odeur d'encens plane dans l'air et une douce chaleur les enveloppe.
Le blond s'affale sur un fauteuil quelques secondes pour se relever aussitôt.
"Je vais voir ce que j'ai à boire, lance-t-il à son invité."
Charles prend aussitôt sa place et pose son portable devant lui, il ferme les yeux, crevé.
Le téléphone à peine posé sur la table basse vibre violemment, le faisant sursauter. Il l'attrape nonchalamment, se promettant de remettre une véritable sonnerie dès que possible.
Apercevant le nom de son appelant, il lève les yeux au ciel et décroche.
" Allo? Mon trésor? demande la joyeuse voix.
- Bonjour mamie, déclame Charles avec lassitude.
- Tu vas bien? enchaîne l'octogénaire en vitesse.
- Oui et toi? récite mécaniquement le jeune homme.
- Super! J'ai une bonne nouvelle mon ange!
- Laquelle? questionne le petit fils, intéressé.
- Il y a longtemps que je ne t'ai pas vu, et depuis la mort de ton papi j'aime varier ma compagnie! raconte la retraitée. Alors serais-tu intéressé par l'idée de passer une ou deux semaines à la maison!
- Il faut que je vois, enfin tu comprends, j'ai des choses à gérer donc...
- Pardon mon cœur? Je n'ai pas entendu, tu sais mes oreilles vieillissent...
Bien sûr, pense Charles, j'y crois!
- Bon, alors c'est d'accord! Dans trois jours à la maison! Gros bisous mon chéri!
- Au revoir, bisous mamie."
Il raccroche en soupirant. Il est forcé d'y aller maintenant, sinon il est bon pour passer pour un odieux connard durant de longs mois...
Ce n'est pas qu'il n'aime pas sa grand mère! Loin de là! C'est juste qu'il a besoin de repos en ce moment, pas du pseudo-rappeur Block N qui passe en boucle dans la maison. Et puis, est-elle juste au courant pour sa fille?
Il pensera à ça plus tard.
Le jeune homme se cale confortable dans un des fauteuils d'Éric, et tente du mieux qu'il peut d'analyser sa situation. Il est vrai que sa situation sentimentale lui semble piétinée par un troupeau d'éléphants: Éric et lui sont dans une étrange bouillie de sentiments et sa maman va...
Sa maman va... partir?
Hors de question!
Il essaye sans succès de ravaler ses larmes mais elles dégringolent ses joues comme des gouttes de pluie. Elle est un peu son ancre dans la vrai vie, un moyen de ne pas sombrer. Maintenant qui va l'empêcher de sombrer?
Dans une agile pirouette, le blond sort de la cuisine, deux gros mugs à la main.
" J'ai du café! C'était qui au- Merde, Charles ça va? s'inquiète le jeune homme.
Le brun baisse la tête et l'enfouit entre ses genoux. Il n'est pas faible, et: "Pleurer devant les autres c'est montrer sa faiblesse!" aurait dit son père si il était encore de ce monde.
- Je suis fatigué, s'explique le brun en frottant discrètement ses yeux clos contre son pantalon. J'ai l'impression d'avoir les sautes d'humeur d'une ado qui a ses premières règles...
Outrepassant cette remarque aussi drôle que misogyne, Éric acquiesce.
- Moi aussi je suis lessivé... se lamente Éric en fermant les yeux très fort.
Il s'affale sur l'accoudoir du siège, aux côtés de Charles.
- Alors bonne nouvelle, tu vas prendre des vacances! Et moi aussi d'ailleurs, sourit malicieusement Charles en finissant d'essuyer ses yeux.
L'ancien barman se redresse soudainement.
- Et où? Si je peut me permettre, demande le blond un peu angoissé.
Son voisin de fauteuil étire son sourire.
- Chez ma grand-mère! conclut-il."
Éric écarquille les yeux.
- Où? demande-il amusé à son tour par cette perspective originale.
- Près de Périgueux, avoue Charles conscient du peu d'exotisme de la destination.
- Parfait pour moi! assure son interlocuteur. Je suis libre pour un bout de temps! On part quand?"
Comme si c'était aussi simple que ça d'organiser un voyage...
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