22 ~ Hate Consumes Me
Le trajet avait été exténuant mais ils étaient finalement parvenus à destination. Toutes ces heures passées ensemble sur la route n'avaient pas calmé le jeu entre Killian et Mélodie, bien au contraire. À peine étaient-ils sortis du camion pour récupérer leurs affaires qu'une autre dispute éclata.
En voyant la situation déraper de nouveau, Eryn tenta d'éviter cet affrontement entre sa meilleure amie et son patient à peine remis de ses blessures.
— Killian arrête de regarder Mélodie comme ça ! lui ordonna la jeune fille.
Il faut dire que dès que le jeune homme posait les yeux sur Mélodie, son regard s'assombrissait. Il guettait chacun de ses mouvements et faisait tout son possible pour rester loin d'elle. Cette fille semblait vraiment démarrer au quart de tour. Elle aussi le regardait de travers, c'était un mélange de haine et de peur. Ce cocktail ne donnait jamais rien de bon. Leurs réactions étaient aussi imprévisibles autant à l'un qu'à l'autre.
— Je suis pas le seul à lancer des regards meurtriers. T'as qu'à dire à la connasse aux flocons de neige d'arrêter, la prévint-il en continuant de fixer Mélodie de façon provocante.
Comme prévu, le petit surnom que lui avait attribué Killian dans le but de l'énerver avait parfaitement rempli son rôle.
— La connasse aux flocons de neige hein ? Tu vas voir où je vais te les foutre mes flocons de neige moi !
— Mais BORDEL ! Arrêtez maintenant. On dirait deux enfants, c'est ridicule ! s'insurgea la jeune soigneuse qui n'en pouvait plus de jouer les médiatrices.
Killian regarda Mélodie avec un air de défi en relevant un sourcil. Il faisait exprès de la pousser à bout. Après tout, il se vengeait lui aussi des surnoms dont elle l'avait affublé comme 'la chose', 'démon de feu', 'abomination' ou bien encore 'monstre sanguinaire'.
— Tu sais ce qui se passe quand le feu est en contact avec la glace ? Elle fond illico. Elle s'évapore même complètement avec un feu de bonne intensité. J'aimerais bien essayer cette expérience, enchaîna-t-il malgré le discours d'Eryn.
— Moi l'expérience que j'aimerais essayer, c'est de te transformer en statue de glace et de chronométrer à quelle vitesse j'arriverais à te briser en million d'éclats, rétorqua immédiatement Mélodie qui refusait catégoriquement de se laisser malmener par cet être de feu misérable.
L'expression de Killian changea du tout au tout. Le visage de sa mère assassinée lui apparut et il serra les poings jusqu'à ce que ses jointures blanchissent. Mélodie avait touché un point sensible et Eryn le savait.
La jeune fille se tourna subitement vers Killian en posant une main sur son épaule pour tenter de le calmer. Il ne pouvait pas s'énerver et les faire remarquer dans un tel endroit.
Le jeune soldat se déroba aussitôt du contact de la jeune fille en la repoussant, ce qui ne manqua pas de la faire tomber à terre, en plein dans l'immense flaque de boue. Il reprit son self-control immédiatement en réalisant ce qu'il avait fait et attendait anxieusement la réaction de sa sauveuse.
Eryn resta immobile. Elle ne se releva pas tout de suite. À la place, elle ferma les yeux quelques secondes avant de les rouvrir et de s'adresser à Mélodie.
— Va à l'intérieur et demande à parler à Rose-Marie. On te rejoint tout de suite.
Cette dernière s'exécuta sans rechigner en s'estimant heureuse de pouvoir éviter les foudres de sa meilleure amie.
Étonnamment Eryn garda son calme, du moins en apparence. Elle choisit plutôt de mettre Killian en garde.
— Tu peux pas continuer à te disputer avec Mélodie. Pas ici. C'est trop dangereux.
— Mais c'est elle qui..., tenta de se justifier le jeune homme avant d'être coupé par la voix tranchante de la jeune fille.
— Si tu termines ta phrase, je te jure que je vais te frapper, dit-elle en ancrant son regard dans le sien pour voir s'il allait oser continuer.
Eryn n'avait jamais été une personne violente, mais avoir enduré les chamailleries de Killian et Mélodie pendant plus de douze heures de route l'avait mise à fleur de peau. Ça, et le fait d'être entièrement recouverte de boue lui faisait voir rouge. Une provocation supplémentaire, et elle serait capable d'envoyer valser son poing dans le visage du premier venu.
Killian comprit qu'il n'était pas judicieux de protester lorsqu'il avait vu le regard féroce de la jeune fille. Il l'aida donc à se relever et la suivit docilement jusqu'à l'intérieur de l'auberge.
À peine avait-elle passé le pas de la porte que la femme aux cheveux blonds cendrés un peu potelée discutant joyeusement avec Mélodie la remarqua. Elle avait identifié cette femme d'une cinquantaine d'années comme étant la propriétaire de l'auberge, Rose-Marie.
— Oh ! Mais que t'est-il arrivé mon chou ? lui demanda la gérante en mettant une main devant sa bouche grande ouverte sous le coup de la surprise.
— Je... J'ai glissé, dit-elle en lançant un regard noir à Killian.
Eryn était embarrassée par son apparence, mais elle était encore plus embêtée par la boue répandue dans ses affaires. En glissant dans cette flaque, elle avait non seulement sali ses habits, mais également toutes les affaires de rechange dont elle disposait dans son sac. La boue était tellement liquide qu'elle avait réussi à s'infiltrer partout.
Elle ne pouvait même pas demander une tenue à sa meilleure amie car celle-ci, contrairement à Eryn, était plus proche du mètre soixante que du mètre soixante-dix. Les vêtements de Mélodie seraient bien trop petits pour la jeune fille. Fort heureusement, Rose-Marie proposa gentiment de lui prêter un des uniformes de serveuses qu'il lui restait en stock pour la soirée.
Le regard de la gérante fut soudain attiré par Killian qui, jusque-là était resté parfaitement silencieux.
— Mais quel beau jeune homme ! Je vois que l'une d'entre vous a tenu à voyager avec son petit-ami, dit-elle en souriant de toutes ses dents, Ne vous inquiétez pas, je n'en soufflerai pas un mot à votre superviseur, rajouta-t-elle en faisant un clin d'œil exagéré aux deux filles qui étaient complètement mortifiées.
Le bruit de la clochette en bronze située au-dessus de la porte d'entrée attira l'attention d'Eryn. Quand elle vit qu'un groupe de quatre soldats de glace venait de pénétrer dans l'auberge, elle se figea de terreur. Elle demanda discrètement à Killian et Mélodie de s'éloigner pour dissimuler leur présence et de surtout ne pas se faire remarquer pendant qu'elle terminait sa discussion avec la gérante. Pourtant, la personne qui risquait le plus d'attirer l'attention était bien Eryn, étant donné qu'elle était couverte de boue.
Après s'être éloignés de quelques mètres, Mélodie en profita pour dire à Killian le fond de sa pensée.
— C'est cruel ce que tu fais, dit-elle calmement sans même le regarder.
Le jeune soldat de feu haussa un sourcil, d'abord surpris que Mélodie s'adresse à lui avec autant sérieux sans l'insulter, mais surtout car il ne comprenait pas ce qu'elle pouvait encore lui reprocher.
Elle se tourna ensuite vers lui pour poursuivre son explication.
— Tu fais en sorte qu'elle t'apprécie alors que tout ce qu'on cherche à faire, c'est de te dégager de nos vies. Comment tu crois qu'elle va se sentir quand tu rentreras chez toi hein ?
Il entrouvrit la bouche pour lui répondre mais Eryn les rejoignît en agitant les clés des chambres devant leurs yeux avec un sourire victorieux.
— On a les deux chambres du dernier étage avec des lits doubles, dieu merci ! leur expliqua-t-elle.
Killian lui arracha l'un des jeux de clés des mains avant de partir précipitamment vers les escaliers menant aux étages.
— Qu'est-ce que tu lui a dit encore ? demanda Eryn à sa meilleure amie en plissant les yeux.
— Rien de plus que ce qu'il ne sait déjà, répondit elle de façon énigmatique.
— Hmm. Bon on monte ? J'ai hâte de me débarrasser de ces vêtements pleins de boue, dit la jeune soigneuse sans attendre la réponse de son amie pour se diriger vers les marches.
Rose-Marie avait fini par monter voir les deux jeunes filles de glace pour leur indiquer l'heure à laquelle le repas serait servi et également pour déposer des serviettes de douche propres ainsi que la fameuse tenue de rechange pour Eryn. La jeune fille ne fit pas attention à l'aspect du vêtement et attrapa plutôt des serviettes afin de les apporter à Killian. Malgré les protestations de Mélodie, elle préféra aller voir le jeune homme pour le tenir au courant avant d'aller se doucher.
Eryn dû toquer plus de trois fois de suite avant que le jeune soldat de feu ne daigne lui ouvrir la porte. Il ne semblait pas disposé à la laisser entrer dans sa chambre, mais il avait fini par céder suite aux multiples tentatives de la jeune fille.
Après une brève conversation, elle trouva que Killian avait l'air préoccupé. Il persistait à garder un visage inexpressif et ses yeux semblaient perdus dans le vide.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-elle d'une voix douce en posant la main sur son épaule.
— Mais rien ! Fous-moi la paix putain, rugit-il en s'écartant d'elle brutalement.
Les paroles de Mélodie l'avait fait réfléchir. Il y avait déjà pensé avant cela, mais se l'entendre dire n'était pas la même chose. Eryn ne serait pas la seule à être affectée par leur séparation. Toute cette situation était frustrante. Il ne savait plus comment se comporter avec sa sauveuse. Il avait besoin de prendre ses distances. Il ne pouvait pas continuer à la laisser se rapprocher de lui à ce point. Il devait mettre des barrières et tout de suite s'il ne voulait pas souffrir inutilement et la faire souffrir également.
— Mais pourquoi tu te comportes comme ça ? s'indigna-t-elle en fronçant les sourcils.
— Comment je me comporte, dis-moi ? l'interrogea-t-il d'une voix mauvaise.
— Comme une personne rongée par la haine, lâcha-t-elle de but en blanc.
— Peut-être parce que je le suis ! répondit le jeune homme de feu sans avoir pu réprimer sa réponse.
— Mais pourquoi ? insista la jeune soigneuse décontenancée par l'attitude changeante de Killian.
Il avait rageusement tourné la tête vers la jeune fille avant de se mettre pratiquement à crier.
— Sérieusement, tu me demandes pourquoi ? Mais dans quel monde tu vis pour ne pas comprendre ma haine ? Ouvre les yeux putain ! On a pas de vie. On est rien. Depuis que je suis tout petit on me répète qu'il faut avoir peur des gens comme toi. Que vous êtes des monstres et qu'on pourra seulement commencer à vivre quand les êtres de glace seront éradiqués de la surface de la planète. Depuis que je suis enfant, on me promet une vie meilleure en nourrissant ma haine envers vous. Tout ça avait un sens avant. Tous les gens que je connais ont perdu des proches en pensant que c'était un mal nécessaire. En construisant des relations avec les autres, on prend le risque de les voir mourir et quand ça arrive on ne s'en étonne pas. Mais depuis que je te côtoie, j'ai l'impression d'avoir été rien d'autre qu'un pion qu'on a sorti de sa boîte pour le mettre sur le plateau de jeu et le sacrifier.
Le jeune soldat ressemblait à un lion en cage. Il n'arrêtait pas de marcher énergiquement d'un coin de la pièce à l'autre en agitant frénétiquement ses mains dans les airs.
Il passa nerveusement sa main dans ses cheveux avant de continuer.
— Tout ça avait un sens avant. C'est vous que je blâmais pour cette vie misérable. Mais depuis que je t'ai rencontrée, que j'ai vu la façon dont tes parents te montrent à quel point ils t'aiment, la douleur que vous avez ressentie quand votre ami a été tué, et toi ! Bordel, j'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi intègre et bienveillant que toi. Je peux pas retourner chez moi et être renvoyé tuer des êtres de glace sur le champ de bataille. Je ne sais même plus pourquoi je dois me battre. Cette guerre n'a aucun sens. Elle est basée sur de fausses croyances. Donc je ne suis plus en colère contre les gens comme toi mais contre la planète entière d'être aussi aveugle. On continue de s'entretuer et de commettre des actes abominables et tout ça pour quoi ? Le monde dans lequel on vit n'est rien d'autre qu'une putain de blague. C'est un cercle destructeur qui n'en finira jamais. Donc oui, je me comporte comme une personne rongée par la haine parce que c'est la seule émotion qu'on peut ressentir dans ce monde, finit-il par avouer douloureusement.
Eryn avait été saisie par la détresse de ses mots. Elle prit la parole à son tour.
— Tu te trompes. Tu ne devrais pas dire ça. On est confronté à l'horreur chaque jour depuis notre enfance. J'ai perdu énormément de proches à cause de la guerre. J'ai vu un nombre incalculable de soldats mourir dans d'atroces souffrances au centre médical. J'ai vu tous ces cadavres recouvrir le sol du champ de bataille, mais je refuse de croire que la vie se résume à la mort. Ces personnes qui s'entretuent, elles le font à cause de ce qu'on leur a appris. Elles sont prêtes mourir juste parce qu'on leur a dit que c'est ce qu'elles devaient faire pour leur peuple. On les a motivé avec de la haine, tout comme toi. Pourtant, tu as réussi à changer ta façon de voir les choses. Je garde l'espoir que nous ne sommes pas les seuls à avoir ouverts les yeux, Voyant le jeune homme plutôt réceptif, elle poursuivit, Tu ne peux pas en vouloir à la terre entière parce que ta vie ne te convient pas. C'est vrai, moi aussi j'ai ressenti cette haine, mais j'ai surtout réalisé l'importance de la vie, aussi éphémère soit elle. J'ai préféré me concentrer sur l'espoir que le monde changerait, sur l'amour que je ressens pour ma famille et mes amis, sur le bonheur que l'on trouve dans les moments passés ensemble en sachant qu'il n'y en aura peut-être pas d'autres, sur la tristesse que l'on éprouve quand on perd quelqu'un et qui renforce d'autant plus mon sentiment que la vie est courte et qu'il faut en profiter. Je refuse de me laisser ronger par la haine. Je refuse de laisser cette guerre guider ma vie et d'en devenir une victime collatérale.
— Mais si je laisse tomber ma haine, qu'est-ce qu'il me restera à moi ? Je n'ai plus de famille depuis que ma mère est morte. Mon frère passe son temps à travailler pour ne pas penser et mon père n'est même plus en état de penser. C'est une putain de coquille vide qui se laisse mourir à petit feu. Je n'ai pas d'amis proches à retrouver. Ceux qui m'importaient ont été envoyés combattre et sont morts. L'un a même été tué sous mes yeux. Ma haine est tout ce qui me reste. Je n'ai rien d'autre, lui répondit Killian en murmurant sa dernière phrase de façon à peine audible en baissant la tête.
Eryn s'avança vers le jeune homme et lui releva la tête en plaçant délicatement ses doigts sous son menton de façon à plonger ses yeux bleu ciel dans les siens.
— Tu m'as moi.
— Et pour combien de temps encore ? l'interrogea-t-il avec une voix emplie de souffrance.
Ce fut à son tour de fixer le sol. La jeune fille ne pouvait pas répondre à cette question. Ou du moins, elle ne voulait pas y répondre. À la place, elle se rapprocha davantage du jeune homme pour passer ses bras autour de son cou. Elle avait besoin de le sentir contre elle, de sentir sa présence. Elle enfuit sa tête dans le creux son cou pour ensuite inspirer l'odeur aphrodisiaque de son jeune soldat de feu.
Killian emprisonna aussitôt la jeune fille dans ses bras lorsqu'il sentit ses larmes glisser le long de son cou.
— Pardonne-moi Eryn.
Il s'excusait pour son comportement mais aussi pour tout ce qu'il avait pu lui balancer au visage depuis leur rencontre. Il lui présentait ses excuses pour ne pas avoir su lui montrer sa reconnaissance alors qu'elle lui avait sauvé la vie. Il s'excusait d'être indigne de son aide, surtout en sachant ce que lui avait fait. Il n'avait pas oublié qu'il était le responsable de la mort de l'un de ses amis. Seulement, il ne trouvait pas le courage de lui dire, pas encore.
🔥 Fin du chapitre 22. 🔥
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