11 ~ Think
Eryn arriva chez elle aux alentours de dix-huit heures trente. Ses parents n'étaient pas encore rentrés de leur journée de travail. Allan et Maude s'occupaient de la gestion de divers champs. En apparence, le travail d'agriculteur pouvait paraître simpliste, mais il fallait certaines compétences pour pouvoir faire partie de cette fonction sociétale supérieure. Les agriculteurs étaient triés sur le volet. Ils devaient posséder des connaissances suffisantes dans le domaine de la botanique, de la biochimie, mais également dans le domaine de l'informatique afin de savoir manier et programmer les machines agricoles. Et enfin, il fallait être organisé et prêt à travailler très dur. Le métier qu'exerçaient les parents d'Eryn était donc très prenant. Ils partaient aux aurores et rentraient juste à temps pour le dîner.
Il restait environ une heure à la jeune soigneuse pour se changer les idées avant leur retour. Heureusement pour elle d'ailleurs. Si Mélodie arrivait à voir que quelque chose la perturbait, sa mère s'en rendrait compte à coup sûr et elle ne lâcherait pas l'affaire avant de savoir ce qui tracassait sa fille.
Même si penser à autre chose qui ne soit pas en rapport avec le jeune soldat de feu était mission impossible, Eryn se dit qu'une longue douche chaude pourrait lui apaiser l'esprit. De plus, ses longs cheveux blonds avaient bien besoin de soins. Avec tout ce stress accumulé, ils devenaient ternes. On pouvait également en voir les ravages sur son visage aux traits tirés. C'est pour cela qu'une fois sortie de sa douche relaxante, elle se décida à se faire un masque hydratant dans l'espoir de retrouver une mine éclatante. Si elle ajoutait à tout cela une bonne nuit de sommeil réparatrice, plus personne ne pourrait voir que quelques chose la préoccupait, tout du moins en apparence.
Lorsque sa séance de soins fut terminée, elle s'attela à préparer le dîner avant que ses parents ne rentrent. Elle savait bien qu'après une longue journée de travail, ils seraient épuisés. Préparer le repas à leur place leur enlèverait vraiment une épine du pied.
La jeune fille éminça les légumes frais que sa mère avait rapportés la veille et y ajouta des pâtes ainsi que quelques pincées d'épices pour donner plus de saveurs à son plat. Et pour finir, elle accompagna le tout avec plusieurs petits morceaux de poulet grillé. L'odeur emplit rapidement la cuisine, juste avant que ses parents ne passent la porte.
— Oh ma chérie, merci d'avoir cuisiné. On est exténués avec ton père. L'une des machines a cessé de fonctionner aujourd'hui. Ça nous a rajouté une charge de travail considérable ! annonça Maude en se dirigeant vers elle pour l'embrasser.
— Ça oui. Sans cette machine, on était dans le pétrin jusqu'au cou ! En tout cas, ton plat sent rudement bon. Je suis pressé d'y goûter, rajouta Allan avant de déposer un baiser sur le front de sa fille.
Le repas se déroula paisiblement. Cependant, Eryn n'arrivait pas à manger autant que d'habitude. Elle ne cessait de penser à sa journée de demain qui s'annonçait déjà bien compliquée. Elle allait devoir affronter Mélodie toute l'après-midi au centre médical et toute la soirée, lorsqu'elles seraient sur le champ de bataille à rechercher des survivants. Ce qui était sûr, c'était que cette fois Eryn vérifierait plus soigneusement la température corporelle des soldats blessés. S'occuper de Killian était déjà mission impossible, alors si elle se retrouvait avec un autre soldat de feu sur les bras, elle allait finir par perdre la raison.
La jeune fille n'avait encore jamais subi de pression pareille. Elle était du genre à tout analyser et à retourner encore et encore dans sa tête, mais cette situation était quelque chose qu'elle parvenait à peine gérer. Elle n'avait jamais été une personne sereine. Dès qu'un élément imprévu lui tombait dessus, elle mettait un temps fou à l'accepter et à s'y adapter. La blonde avait tendance à ressentir plus intensément les émotions négatives. C'est pourquoi son implication dans le sauvetage d'un être de feu la perturbait tant. Ces deux derniers jours avaient été plus stressants que tout ce qu'elle avait pu endurer auparavant.
Demain, en plus de devoir affronter sa meilleure amie, elle allait devoir discuter avec son superviseur pour obtenir plusieurs jours de congés. Faire une pause alors qu'elle venait à peine d'entamer sa formation de soigneuse sur le terrain était très risqué. Son superviseur pourrait penser qu'elle manque de motivation et décider de la renvoyer du programme. Eryn allait devoir se montrer convaincante et trouver les bons mots pour ne pas mettre en péril sa précieuse formation.
Pourtant, malgré tout cela, c'était le troisième et dernier point de sa journée de demain qui la préoccupait le plus. Ramener Killian chez elle et cohabiter avec lui plusieurs jours. C'était seulement maintenant qu'elle se demandait où est-ce qu'il allait bien pouvoir dormir. Deux possibilités s'offraient à elle. Il y avait son lit deux places particulièrement confortable et sa petite méridienne. Seulement, la méridienne pourpre présente dans sa chambre servait davantage de décoration. On pouvait en profiter pour s'y asseoir quelques heures. Y dormir n'était pas prévu dans ses usages et devait être fort inconfortable. En sachant que Killian avait une, voire plusieurs côtes fêlées, elle allait être obligée de lui céder son lit et de se résoudre à dormir sur ce long fauteuil décoratif.
Sa mère, voyant qu'elle ne mangeait que très peu et qu'elle ne prenait la parole que rarement, la sortit de ses pensées.
— Tu es bien silencieuse ce soir. Ta journée de repos avec Mélodie s'est bien passée ?
Eryn n'avait aucune envie de raconter sa journée fictive passée avec sa meilleure amie. Elle était forcée de mentir à ses parents, mais elle n'avait pas non plus à mentir plus que nécessaire.
— Oui ma journée s'est bien passée mais je suis morte de fatigue. J'ai intérêt à me reposer comme je travaillerai tard demain. Ça vous dérange si je monte me coucher ?
Maude hésitait à lui demander si tout allait bien. Elle sentait que sa fille n'agissait pas comme d'habitude. Elle lui laissa le bénéfice du doute. Après tout, c'était peut-être dû au surmenage pensa-t-elle.
Pendant que sa mère l'analysait du regard pour savoir si quelque chose allait de travers, c'est son père, Allan, qui prit la parole pour lui répondre.
— Bien sûr ma chérie, va te reposer, tu l'as bien mérité après nous avoir cuisiné ce bon petit plat. Nous nous occuperons de tout nettoyer avec ta mère.
— Merci papa. Je ne pense pas qu'on se verra demain si vous partez tôt. Je ne commence ma journée au centre qu'après le déjeuner donc je vais sûrement en profiter pour faire une grasse matinée. Et puis comme d'habitude, je risque de rentrer tard le soir alors ne m'attendez pas.
Demain soir, lorsqu'elle ramènerait Killian avec elle, il fallait impérativement que ses parents soient couchés et qu'ils dorment à points fermés.
— D'accord, mais fais bien attention à toi demain soir, lui demanda son père.
— Oui, ne vous inquiétez pas. Bonne nuit, conclut Eryn avant de monter dans sa chambre.
Il n'était que vingt et une heures trente mais la fatigue se faisait déjà sentir. Après tout, la journée avait été plutôt mouvementée. Sans plus de cérémonie, la jeune fille enfila son short de pyjama rose poudré avec un simple tee-shirt blanc à bretelles fines. Elle se glissa ensuite sous la couette.
Elle ne pouvait s'empêcher de réfléchir à toutes les étapes de sa journée de demain. Pourtant, celle qu'elle n'arrêtait pas de tourner et retourner de long en large dans son esprit était le moment où elle irait chercher Killian pour le ramener dans sa chambre. Sans compter qu'en plus, il allait devoir rester ici plusieurs jours, le temps que la douleur causée par ses côtes fêlées s'estompe. Pour être vraiment rétabli, il fallait normalement compter plus de deux semaines, mais il était absolument hors de question qu'elle partage sa chambre avec ce jeune soldat de feu durant tout ce temps. D'ici deux ou trois jours, la douleur se serait atténuée et il serait en mesure de se déplacer à peu près correctement. Il faudrait juste qu'il ménage ses efforts pendant leur voyage vers les montagnes.
Le seul point positif d'attendre plusieurs jours avant de partir était bien sûr de permettre au jeune homme de récupérer, mais cela donnait également le temps à Eryn de peaufiner les détails de son plan et de s'organiser convenablement.
Ce qui l'inquiétait plus que tout, c'était de devoir rester avec Killian aussi longtemps. Elle se demandait si elle allait réussir à le supporter. Depuis qu'il s'était réveillé, il ne s'était pas montré très aimable. Il avait carrément mauvais caractère. Eryn se demandait s'il s'agissait d'un trait saillant de sa personnalité ou bien si cela était dû à la situation dans laquelle il se trouvait. Être éloigné de sa famille qui devait le penser mort et se retrouver en terre ennemie ne devait pas être facile. Ou bien peut-être que tout bêtement, le mauvais caractère était commun à tous les êtres de feu. La jeune fille se posait beaucoup de questions à son sujet. Elle allait devoir cohabiter avec lui durant un certain temps et elle ne le connaissait pas du tout. Elle voulait en savoir plus sur lui.
Malgré toutes ses pensées qui se bousculaient dans sa tête, Eryn finit tout de même par trouver le sommeil.
De son côté, Killian aussi pensait à elle. En fait, il était perdu. Il ne savait plus vraiment quoi penser. Tout ce qu'on lui avait dit sur les monstres de glace s'était avéré vrai. Lorsqu'il les avait vus sur le champ de bataille, il s'agissait bien d'êtres sanguinaires, mauvais par nature. De véritables abominations qui ne vivaient que pour le plaisir de la mort.
Cependant, Eryn ne correspondait pas du tout à cette description. Elle lui avait sauvé la vie et elle continuait à prendre soin de lui. Elle était douce et d'une beauté renversante. Killian avait pourtant croisé de bien jolies filles de feu par le passé, mais cette jeune fille de glace était vraiment très belle. Il avait du mal à détacher son regard de son visage angélique et de ses yeux aussi bleus qu'un ciel d'été. Il avait l'impression qu'elle dégageait une sorte d'enchantement pour capter toute l'attention sur elle.
Il avait ressenti un tel plaisir lorsqu'elle l'avait touché timidement avec le bout de ses doigts pour ensuite parcourir son torse avec ses mains, qu'il s'en sentait coupable. Il ne pouvait pas être attiré par un être de glace. C'était insensé. Ils étaient bien trop différents, ou du moins c'était ce qu'il avait toujours cru. En tout cas, lorsqu'il voyait Eryn, ce n'était pas l'image d'un monstre qui lui apparaissait, même s'il essayait de s'en convaincre.
Il écouta les conseils de sa soigneuse. Après avoir mangé plus de la moitié de l'énorme plat de lasagnes et une bonne partie des gâteaux, il prit un antidouleur et essaya de dormir. Il n'avait qu'une hâte, que la jeune fille revienne pour ne plus rester seul ici. Et aussi pour la revoir tout simplement.
Après s'être suffisamment reposée, Eryn décida d'aller travailler au centre médical plus tôt que prévu. Elle en avait marre de tourner en rond chez elle en appréhendant cette journée. En plus, s'y rendre en avance ne pouvait pas lui porter préjudice. Cela montrerait à son superviseur qu'elle était impliquée et motivée. La jeune fille ne devait pas lui faire subir la moindre petite contrariété aujourd'hui. William devait rester de bonne humeur pour entendre ce qu'elle avait à lui dire au sujet de sa formation.
Tout s'était calmement déroulé au centre. Il y avait peu de patients à traiter. Eryn n'en avait eu que trois avec des blessures mineures. En revanche, un froid glacial régnait entre les deux meilleures amies. Elles ne s'étaient pas adressées la parole de la journée. C'était une vraie guerre froide.
En plus des tensions qui étaient présentes entre elles, la recherche de blessés n'avait pas été bonne. Loin de là. Seul deux blessés avaient été retrouvés et l'un d'eux avait succombé à ses blessures durant le transport. Quant au dernier, il était dans un état tellement critique que tous les superviseurs présents au centre avaient dû travailler sur son cas pendant des heures pour le maintenir en vie. Ils avaient même été forcés de s'arrêter pour laisser le temps au corps du soldat retrouvé de récupérer avant de pouvoir continuer leurs interventions chirurgicales.
Tous espéraient que ce patient passe la nuit, même si les probabilités n'étaient absolument pas de son côté. La journée n'avait fait que s'assombrir encore et encore. La mort semblait plus présente que jamais.
Malgré cette ambiance macabre et pesante, Eryn ne se débina pas. Dès qu'elle aperçut son superviseur, elle se dirigea vers lui, décidée à avoir cette fameuse conversation.
— Je, euh... Je souhaiterais vous parler de ma formation, lui dit-elle en l'interpellant timidement.
— Oui ? lui répondit son mentor d'un ton las qui transpirait la fatigue.
Depuis qu'Eryn avait commencé sa formation, il avait été agréablement surpris par ses nombreuses connaissances médicales ainsi que par son savoir-faire. Elle était appréciée des patients. Elle avait un bon contact avec eux, mais elle se laissait parfois submerger par ses émotions, ce qui la poussait à trop s'impliquer. Elle avait également tendance à poser une multitude de questions sur tout et n'importe quoi et parfois même, à remettre en cause les directives données par ses supérieurs. Elle était certes, l'une des meilleures élèves, mais elle avait aussi des défauts qui irritaient quelquefois ses formateurs.
— Eh bien j'ai réfléchi et je pense que faire une pause de quelques semaines me serait profitable. En voyant le visage de son supérieur se fermer, elle ajouta : Mais j'ai... J'ai un projet ! Je souhaiterais partir à la rencontre des habitants des villages plus éloignés du champ de bataille et offrir mes services à ceux qui en ont besoin. Qu'en pensez-vous ? Votre avis est très important pour moi, termina-t-elle anxieuse d'entendre la réponse de son superviseur qui arborait toujours une expression neutre.
Il prit soin de réfléchir à ce projet. Les minutes semblaient durer des heures pour Eryn. Elle ne voulait pas être renvoyée du programme des soigneurs. Avoir été sélectionnée avait été un tel honneur pour elle qu'elle serait tout simplement anéantie si elle devait changer sa perspective d'avenir pour aider Killian. Elle n'arrivait pas à s'imaginer exerçant une autre fonction que celle de soigneuse. Elle ne pouvait pas non plus envisager de laisser le jeune homme de feu livré à lui-même pour ce long périple jusqu'aux montagnes.
La jeune fille était pendue aux lèvres du trentenaire à la coupe en brosse.
— Je dois dire que c'est une bonne idée. C'est une belle initiative qui peut se révéler être un réel atout pour ta carrière. J'aimerais qu'on en reparle demain si tu veux bien. Je suis exténué. Je m'arrête là pour ce soir, lui annonça William avant de tourner les talons et de se diriger vers la sortie.
— Oui, oui bien sûr monsieur ! Reposez-vous bien. À demain, lui répondit Eryn qui n'en revenait toujours pas.
Elle était soulagée de la tournure de cette discussion. Parmi tous les scénarios qu'elle s'était imaginés, aucun ne se déroulait aussi bien. Son « voyage » avec Killian avait eu l'effet inverse de celui escompté sur sa formation. Cela pouvait carrément devenir avantageux.
Depuis sa rencontre avec le brun, Eryn n'avait pas cessé d'angoisser. C'était la première fois que les choses tournaient en sa faveur. Pourtant, son sentiment d'euphorie s'arrêta net lorsqu'elle vit que sa meilleure amie n'avait pas perdue une miette de sa conversation.
— À quoi tu joues bordel ? lui dit Mélodie en l'attrapant par le bras pour l'emmener à l'écart des oreilles indiscrètes.
— Je... mais à rien, c'est juste que..., bégaya Eryn qui était plus que mal à l'aise de devoir justifier ses propos.
La jeune métisse voyait très bien que sa meilleure amie était repartie pour lui mentir de plus belle. De ce fait, elle la devança.
— Non c'est bon. C'est pas la peine d'essayer d'inventer un nouveau mensonge. Ça en devient insultant à la longue. Je préfère encore que tu ne me répondes pas.
La blonde garda le silence et baissa les yeux. Elle savait que son attitude faisait souffrir Mélodie, mais elle ne pouvait pas lui dire la vérité. C'était bien trop dangereux. Dangereux pour Killian si Mélodie décidait de le dénoncer, et dangereux pour Mélodie elle-même. Si elle décidait de soutenir Eryn et de s'impliquer dans cette histoire de protection d'être de feu, elle risquait gros. Eryn ne voulait pas lui attirer des problèmes. Lui dissimuler cette situation infernale était la meilleure chose à faire, même si elle mourrait d'envie de tout lui avouer.
La jeune fille proposa à Mélodie de la raccompagner chez elle, mais son offre fut vite refusée. Sa meilleure amie n'était pas d'humeur à faire comme si tout allait pour le mieux entre elles. En revanche, elle était d'humeur à découvrir ce qui se tramait.
Eryn ne le vit pas, mais la jeune métisse aux yeux verts se dissimula à l'arrière du camion médical pour l'espionner. C'était donc avec une passagère clandestine que la jeune soigneuse se mit en route vers le centre désaffecté où se trouvait Killian.
❄️ Fin du chapitre 11 ❄️
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