Chapitre 63
Après mon entrée renversante, Marley et Jason étaient venus à ma rencontre pour me féliciter d'être la plus tarée du groupe. Je les en avais chaleureusement remercié, puis avais rapidement rejoint le reste de nos amis sur la piste de danse. Je fus même surprise de constater comme une coupe de bon champagne pouvait vous faire oublier, ne serait-ce qu'un instant, toutes vos préoccupations. Pendant ces quelques minutes, entourées de personnes qui voulaient seulement s'amuser les unes avec les autres, j'avais pu redevenir l'adolescente complètement folle que j'étais avant de quitter le pensionnat un an plutôt.
Finalement, ce n'était qu'à moitié rassurant car la soirée ne faisait que commencer, d'autant plus que je m'étais juré de garder un œil sur Lizzy. J'avais peut-être mis Luke hors d'état de nuire pour un moment mais je n'avais aucune garantie de sa sécurité. Pourquoi avait-il fallu que tout tombât le même soir ? Il ne s'agissait plus de se demander si je préférais m'éclater comme une folle ou humilier Jeremy ou encore frapper le premier connard qui irait un peu trop loin. Je devais choisir entre protéger la vie de mes amis, ce pour quoi j'avais été élevée et entraînée, ou régler mes stupides petits problèmes personnels, ce pour quoi je n'étais pas particulièrement douée. Quel choix difficile...
Peut-être allais-je arriver à trouver un entre-deux après tout. Lizzy était sans cesse entourée de monde et puis nous étions tout de même dans un endroit très sécurisé. D'un autre côté, je leur souhaitais bonne chance pour la protéger d'un danger dont ils ignoraient tous l'existence. Pourquoi est-ce que je ne leur racontais pas tout déjà ? Ah oui. Je m'étais un petit peu laissé emporter et avais assommé trois personnes dont « un membre de l'Élite », encore...
La piste de danse commençait sérieusement à s'enflammer et la température montait en flèche... Tout comme le champagne me montait à la tête. Je pensais tenir l'alcool mieux que ça, mais bon, l'agitation ne devait pas aider non plus. Je me jetai alors vers le bar et commandai un verre d'eau, toute essoufflée. Ce fut ainsi que je l'aperçue, seule, accoudée au bar et regardant son téléphone toutes les 10 secondes. Littéralement. Lizzy attendait certainement Luke. La pauvre, si elle savait... Elle avait immédiatement reconnu ma voix et s'était très bien débrouillé pour faire l'autruche en me voyant. Elle n'était qu'à trois mètres de moi, cette situation était ridicule.
- Ça n'a pas à être aussi gênant tu sais, lui fis-je avec un avec petit sourire en me rapprochant d'elle d'un pas.
Elle hocha la tête et se mordit la lèvre.
- Tu as raison.
Je me tournai complètement vers elle.
- Non. Tu avais raison, Lizzy. Je ne voulais pas le reconnaître mais si ça m'a fait aussi mal c'est sûrement parce qu'il y avait une part de vérité dans ce que tu as dit, avouai-je enfin.
Elle leva ses yeux tristes vers moi et lâcha son verre. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'elle allait me répondre mais au moins j'avais été honnête. Au moins je lui avais dit ce que j'avais sur le cœur et ainsi j'aurais peut-être une chance de passer à autre chose. La seule question qui subsistait était : Serait-ce avec ou sans elle ?
- Peut-être, oui. Mais ce n'était pas une raison, je n'aurais jamais dû te traiter de cette manière, Anna. On a sûrement été aussi blessante l'une que l'autre dans nos propos mais... la plus injuste des deux c'était moi.
J'en eus le souffle coupé. Je ne m'attendais pas à ça. En fait, je n'avais pas la moindre idée d'à quoi je m'attendais. Entendre ça, c'était merveilleux. Elle fronçait légèrement les sourcils, inquiète, et attendait une réponse de ma part. Mais aucun mot ne voulait sortir. Alors je la regardai, encore et encore. Et elle ? À quoi s'attendait-elle ?
- Je comprends que tu ne saches pas quoi dire, répondit-elle alors. Personne n'a été épargné dans cette histoire.
- En effet, répondis-je en reprenant mes esprits. Mais, au fond, c'était probablement un mal pour un bien. Maintenant, tout a été dit. Ce n'était pas le cas avant.
Elle haussa calmement les épaules et me regarda droit dans les yeux.
- Je ne crois pas qu'on devrait regretter ce qu'on s'est dit, continuai-je.
Mon amie secoua silencieusement la tête.
- Je ne le fais pas, ajouta-t-elle. Je regrette seulement la manière dont je l'ai dit.
Cette fois, je baissai la tête. Quelque part, ces quelques mots firent beaucoup d'un coup. Je n'étais pas la seule à porter mes regrets avec moi finalement. Tout ce temps passé à réfléchir, à se poser des milliers de questions, tout ce temps passé à détester et à trahir. Était-il vraiment nécessaire pour en arriver là ?
- Je n'aurais pas dû te juger, m'excusai-je. Tu fais tes propres choix depuis un moment maintenant, je ne sais pas pourquoi j'ai pensé que te faire la guerre sur un terrain aussi glissant changerait quoique ce soit.
Même si aujourd'hui, on m'a prouvé que ma méfiance était justifiée...
- Et je n'aurais pas dû garder toutes ces choses pour moi. Avec le temps, j'ai moi-même déformé la réalité et à cause de mes erreurs, je ne sais combien de choses horribles j'ai pu dire.
- Au moins le message est bien passé, dis-je sur un ton qui se voulait comique mais qui finalement était à des kilomètres de cela.
Un air encore plus triste s'afficha sur le visage de Lizzy. Je ne voulais pas la blesser davantage. On s'était suffisamment fait de mal comme ça. Pourquoi était-ce si difficile pour nous d'avancer ? Nous avions déjà vécu tant de choses et pourtant nous restions de parfaites étrangères dans certains moments.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, me repris-je.
- Si, insista-t-elle. C'est exactement ce que tu voulais dire, ça va, ne t'inquiète pas. Je comprends puisque c'est la vérité. Tu m'en veux encore, c'est parfaitement mérité.
- Je ne t'en voudrais jamais d'avoir dit la vérité, la rassurai-je en posant ma main sur la sienne. Et puis, j'en ai marre d'être en colère.
Cette fois-ci, elle me répondit par un petit sourire. Avant qu'elle ne pût ajouter quoique ce fût, je la pris dans mes bras et enfouis mon visage dans ses doux cheveux. Alors que les projecteurs nous éclairaient de bleus, de vert et de bien d'autres couleurs et que le volume de la musique ne cessait d'augmenter, nos cœurs battirent à l'unisson pour la première fois depuis des semaines.
- Savannah... et Eliza ! s'exclama Cameron en me saisissant par la taille pour me surprendre.
Je sursautai et lui donnai une frappe sur l'épaule.
- On ne t'a jamais dit qu'il ne fallait pas effrayer une fille aux réflexes surdéveloppés !
Je me tournai vers lui et l'observai tandis que Kelly nous rejoignait. Leurs tenues étaient accordées l'une avec l'autre. Kelly portait une robe du même bordeaux que la chemise de mon cousin. Ils auraient pu faire la couverture d'un magazine ces deux-là !
- Mais à part ça...vous êtes magnifiques, les complimentai-je toute souriante.
Cameron prit alors à un petit air malicieux.
- Ouais je dois dire que tu n'es pas mal non plus...
Cette fois, ce fut Kelly qui le frappa.
- Tu plaisantes, elle est splendide ! Vous êtes incroyables, fit-elle en regardant Lizzy qui était juste derrière moi.
Je m'écartai d'un pas pour ne pas la cacher.
- Merci, répondit-elle timidement.
C'était vrai que Lizzy aussi était ravissante. Je n'avais pas pris la peine d'observer sa tenue auparavant et je constatai avec joie qu'elle portait une très belle robe rouge, qui lui arrivait un peu en dessous du genou et qui mettait parfaitement en valeur sa taille. Ma jupe, aussi sophistiquée qu'elle pouvait être, paraissait bien courte à côté de la sienne. Surtout avec la fente qui laissait entrevoir ma cuisse.
Rouge et bleu marine, pourquoi est-ce familier ?
Les deux tourtereaux échangèrent un regard lourd de sens. Le DJ fit ensuite appel aux « meilleurs danseurs » présents dans la salle. Nous étions tous très attentifs et impatients de découvrir quelle musique il allait nous sortir. Surprise ! Ce fut du tango ! La moitié des élèves soupira de déception et l'autre pouffa de rire en voyant à quel genre de DJ on avait eu droit.
- Qui pense-t-il faire danser avec cette musique ? se moqua gentiment Kelly.
- Mais nous bien sûr ! m'écriai-je en saisissant le bras de Cameron.
Il écarquilla les yeux, me prenant certainement pour une folle.
- Tu n'as pas pu oublier quand même ? le défiai-je.
Il pencha la tête en arrière et grogna.
- Comment le pourrais-je ?
- Allez viens !
Je l'entraînai sur la piste de danse, déserte depuis quelques secondes et me remémorai le mieux possible ce que l'on m'avait si durement enseigné.
Quand nous avions 11 ans, nos parents participaient à une œuvre de charité visant à développer les arts dans les pays défavorisés. Notre famille avait mis une option sur la danse, et pour la collecte de fond, ils avaient organisé un grand bal où invités amateurs et professionnels participaient. À l'époque, je trouvais cela admirable mais depuis, je m'étais bien rendu compte que cela servait uniquement à leur donner bonne conscience.
J'étais donc ravie que mes parents m'eussent demandé de participer à une des prestations avec mon cher cousin Cameron...jusqu'à ce que j'apprisse qu'il s'agissait d'un tango. J'étais mortifiée. Cette danse était si complexe et caractérielle. Nos professeurs de danse étaient excellents mais c'étaient aussi de vrais tyrans ! J'étais une petite fille un peu perdue dans un monde trop grand pour elle, qui s'efforçait de trouver sa place quelque part et pour la première fois de ma vie, on me demandait d'être en colère, d'occuper tout l'espace avec ma simple présence, je devais être forte et pleine de charisme. Tout ce que je n'étais pas quoi.
Désormais, j'étais belle, courageuse et sûre de moi. J'avais compris que danser un tango, c'était aussi jouer un rôle. Mais surtout, je devais m'amuser. C'était une danse dominante et forte. Je pouvais être les deux quand je voulais l'être. Et puis ce soir, j'étais déterminée à leur en mettre plein la vue.
Voilà comment nous nous retrouvâmes sous les spots de lumière rouge, en plein duel de regard. Chaque geste, chaque petit mouvement étaient empreints d'une telle puissance et d'une telle passion qu'il devint facile de se laisser emporter par la musique. Nous avions beau faire preuve de colère et de sévérité, nous ne pouvions pas plus nous amuser, quand bien même notre improvisation était maladroite par moment. Je fus aussi agréablement surprise de voir comme ma mémoire ne me faisait pas défaut et pour ce qui était de l'assurance, le peu qu'il aurait pu me manquer était comblé par l'alcool. Cette danse fut donc parfaite.
Un peu plus tard dans la soirée, tandis que notre petit groupe était vautré sur des chaises le temps de reposer nos pieds, le DJ passa une seconde annonce. Chacun arrêta de siroter son verre ou de regarder son téléphone et la session karaoké fut ouverte. En réalité, le terme concourt de fausses notes était davantage de rigueur mais peu importait. En ce qui me concernait, je n'avais déjà plus les idées très claires. Je rigolais comme une imbécile dès que quelqu'un semblait égorgé un chat et j'étais la première à sortir des bagues pourries. Vous savez, ces blagues qui étaient rendues drôles par leur propre stupidité. Bah ça, c'était le signe qui voulait dire que je devais définitivement arrêter de surestimer ma tolérance à l'alcool, bien que j'eusse du mal à le reconnaître. Et malheureusement pour mes amis, cela annonçait aussi le retour de mes idées toutes plus brillantes les unes que les autres.
- Même moi je chante mieux qu'eux, ricanai-je en écoutant un vrai désastre.
- Tu es sûre de ne pas te confondre avec Lizzy ? rétorqua Jason, amusé.
- Non je te jure ! me défendis-je.
- C'est ça...
- Et je vais te le prouver !
Ils levèrent tous le nez vers moi, aussi surpris qu'inquiet.
- Ah ça ce n'est pas une bonne idée, murmura Jace.
- Bien sûr que si ! m'exclamai-je en quittant la table pour rejoindre le côté de la scène.
Je ne les entendis qu'à moitié répéter à quel point c'était une mauvaise idée et à la dernière minute, ces petits manipulateurs finirent par convaincre Lizzy de m'accompagner. J'étais en train de sélectionner les paroles de ma chanson quand elle apparut à mes côtés.
- Qu'allons-nous chanter alors ?
Je la regardai, hésitante.
- Tu n'es pas obligé de faire ça, Lizzy.
- Je sais, mais j'en ai envie, m'affirma-t-elle.
Il y avait tellement de bonté et d'espoir dans ses yeux que je ne pus refuser. Je lui tendis donc un micro.
- Brighter, déclarai-je.
Un magnifique sourire éclaira son visage et elle prit ma main dans la sienne.
- Merci, me fit-elle simplement.
Je la regardai quelques secondes encore, puis nous montâmes sur scène, enfin, Lizzy m'aida à monter sur scène car cela s'avéra plus difficile que prévu dans mon état.
Mais une fois sur scène, seule au monde avec ma meilleure amie et pourtant face à toutes ces personnes, je me trouvais plus prête que jamais à enflammer le monde.
On parlait souvent du pouvoir de l'amour mais qu'en était-il du pouvoir de la musique ? Quand j'étais en classe de sixième, mon professeur de musique nous a demandé si l'on pensait que la musique permettait mieux de s'exprimer que les mots ou non. À l'époque, j'ignorais quel était réellement mon avis sur la question. D'un côté je me disais que l'on pouvait mal interpréter la musique d'une manière qui était impossible avec des mots bien clairs.
Mais depuis j'avais appris comme il était facile de dire quelque chose et de penser le contraire. La musique ne permettait pas cela. Quand elle était sincère et belle, elle ne pouvait tromper personne. C'était quelque chose qui transperçait votre âme et qui faisait ressortir vos sentiments les plus profondément cachés. Elle n'avait ni secrets ni mensonges. Elle était tellement chargée d'émotions, de toutes sortes d'émotions, qu'on ne pouvait que la vivre pleinement. Il n'y avait qu'elle qui vous faisait chanter à en perdre la voix, qui vous faisait danser à en avoir mal aux pieds, qui vous faisait sourire à en avoir mal aux joues et qui vous faisait pleurer toutes les larmes de votre corps. En définitif, elle parlait mille fois plus que de simples mots.
Désormais, vous comprenez certainement mieux quelle réaction avait été la mienne. J'étais dans un état indescriptible. En chantant avec Lizzy, j'avais appris bien plus de choses que lors de notre dernière discussion. J'avais compris une chose qui changeait tout. Elle m'avait pardonnée. Elle m'avait sincèrement pardonnée. J'avais aussi réalisé que j'avais fait la même chose pour elle depuis longtemps. Quand on aime vraiment une personne on retourne toujours vers elle, n'est-ce pas ? Nous pardonnons à la mesure que nous aimons. Et maintenant que mon esprit était en paix avec mon cœur, allais-je enfin trouver la force de me pardonner moi-même ?
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Salut ! 😊 Brighter est une de mes chansons préférées et en l'occurence, elle exprime parfaitement les sentiments de Savannah 😍 Que pensez-vous de la réconciliation d'Anna et Lizzy ? Il était temps, non ?
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