Chapitre 58
Boom. Boom. Boom. À chaque fois que mon poing entrait en contact avec les pattes d'ours, ça faisait boom. Comme une explosion. Mais c'était quelque chose qui explosait chaque fois un peu plus tout au fond de moi. Il y avait d'abord des étincelles puis des flammes. Des flammes qui brûlaient chaque parcelle rationnelle et sensée de mon corps. Heureusement, qu'on ne m'avait pas laissé que ma colère dans la poitrine, sinon j'aurais commis un meurtre depuis bien longtemps.
- Bon c'est quoi le problème ? me demanda Jeremy au bout de 30 minutes d'entraînement.
Ah ! Il se décidait enfin à parler ! Ce n'était pas trop tôt, je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi peu réceptif. Avant même d'arriver à notre entraînement, j'ignorais comme j'allais gérer les choses. À vrai dire, je n'étais même pas sûre de venir. Le voir me mettait tellement en colère après tout ce que j'avais appris et vu. Et lui, il se pavanait comme si de rien n'était. Je n'avais pas pu le supporter. Moi aussi je pouvais faire la fière, mais j'allais surtout agir en adulte et régler mes problèmes calmement, même si la tête de Jeremy qui se tenait juste au-dessus de ma cible n'aidait pas.
- Qui a dit qu'il y en avait un ? répondis-je les dents serrées en me retenant de ne pas lui lancé un regard noir.
Pour la maturité, on allait repasser. Je n'avais pas à cacher ce que je ressentais après tout. Il m'avait baratinée pendant si longtemps que je pouvais bien le laisser mariner encore un peu.
- C'est ça, prends-moi pour un idiot, très bonne idée, Savannah.
C'est exactement ce que je pense que tu es, imbécile !
Je me mordis la lèvre et ne répondis pas. À la place, je me concentrai sur ma position, l'angle de mes coups et tout ce dont je m'étais entraînée depuis que j'étais à Minneapolis. Jeremy ou pas Jeremy.
- Je repose ma question. Quel est le problème Savannah ? fit-il d'un ton impatient, presque en colère.
C'est lui qui est en colère ? Non mais je rêve !
Je frappai plus fort. Deux secondes plus tard, il éloigna ses mains à la dernière minute mais contra mes coups avant qu'ils n'atteignent son torse.
- Savannah, je...
- Pourquoi ?! m'écriai-je enfin en me libérant de son emprise. Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
Et puis merde je mérite une explication !
Il se redressa et me regarda droit dans les yeux. Il savait très bien de quoi je parlais.
- De quoi parles-tu ?
J'aurais presque pu en pleurer tellement j'étais déçue. Ne lui avais-je pas tendu assez de perches ? Ils se fichaient vraiment de moi !
- Je t'aurais déjà moins détesté si tu l'avais admis, tu sais. Mais apparemment ce n'est pas le cas.
Pourquoi faisait-il ça ? Je ne lui offrais pas moins qu'une chance de se racheter et c'était comme s'il me crachait à la figure.
- Je ne te suis pas, dit-il calmement.
- Arrête ! Arrête ! Arrête de me mentir ! criai-je en sentant les larmes me monter aux yeux et en lui frappant le torse, ce qui le fit reculer et j'espérai réagir. Pourquoi tu ne me l'as pas juste dit ?! J'aurais pu comprendre ! Que tu ne te sois pas excusé c'est une chose, mais que tu ne l'avoues même pas c'est encore pire !
Ne pleure pas. Tu as versé suffisamment de larmes ces dernières semaines.
- Savannah, je te conseille de te calmer.
- Et arrête tes conseils merdiques ! J'en ai marre que tout le monde me mente ! Je ne suis ni triste, ni en colère... ou peut-être un peu, mais je n'ai pas besoin qu'on me dise de me calmer, j'ai besoin de comprendre !
- Savannah ! cria-t-il à son tour avec exaspération. Ça suffit maintenant !
Mais pour qui il se prend ?
- Sinon quoi ? Tu vas me punir ? Tu vas me donner des heures de colles ? T'es sûr que tu n'as pas mieux comme réparti parce que là je te le dis c'est à chier, j'ai trop peur ! fis-je avec ironie.
Je crois qu'on ne pouvait plus m'arrêter. J'avais tant de colère à déverser. Par ailleurs, il était temps que quelqu'un le remettre à sa place. Jeremy le Dieu, Jeremy le parfait Soleil, Jeremy le prince charmant, ce n'était que des conneries.
- Mais qu'est-ce qui te prend enfin ? me demanda-t-il comme s'il ne se doutait vraiment de rien.
- Je veux juste comprendre, dis-je plus calmement. Pourquoi tu ne m'as pas expliqué que ce mur de glace apparu comme par...magie, était de toi ? Qu'est-ce que ça pouvait bien te coûter ? Ce n'est pas comme si je t'aurais dénoncé !
Il ne répondit pas tout de suite et laissa son regard partir dans le vague.
- Tu ne comprendrais pas, finit-il par dire.
Je restai moi-même silencieuse, attendant la suite, jusqu'à ce que je comprisse que c'était tout ce qu'il me donnerait.
- C'est tout ? Tu ne crois pas sérieusement que je vais me contenter de ça ? Comme je te l'ai dit, que tu ne te sois pas excusé c'est limite parce que d'un côté tu ne faisais que ton travail et encore ça aussi c'est discutable, mais par la suite tu n'as même pas daigné me dire la vérité ! J'ai cru que j'allais devenir folle et toi tu n'as rien fait pour que j'aille mieux ! De quoi avais-tu peur ?
Il passa une main dans ses cheveux châtains comme s'il était au-dessus de tout ça.
- Savannah, tu es tellement jeune, tu ne peux pas tout comprendre du monde qui t'entoure et c'est normal, mais ne laisse pas tes émotions prendre le dessus comme ça.
Je le dévisageai, ahurie. Ce n'était pas ça son excuse, si ?
- Mais qu'est-ce que tu me chantes là ? Tu ne vas quand même pas me dire que je suis stupide et croire que ça va suffire à justifier tes actes ?!
- Bien sûr que non. Mais je suis ton instructeur alors je t'enseigne ce qui est bien...
-...Parce que c'est bien d'utiliser la magie pour blesser une élève ?
Il m'ignora complètement.
-...Et là tu te laisses dépasser par ce que tu ressens et c'est la plus grosse erreur que tu puisses faire.
- Oh c'est vrai, pardon d'avoir un cœur ! Je te signale que ce n'est pas exactement ce que tu disais la dernière fois.
- Parfois je me demande si tu fais exprès de ne pas comprendre, grogna-t-il.
C'était tout bonnement incroyable. Un vrai dialogue de sourd. Mais je n'allais pas baisser les bras aussi facilement. Pour une fois, j'allais avoir des explications, pour une fois, j'allais avoir ce que je méritais. Plus jamais je n'allais laisser quelqu'un me marcher sur les pieds, me donner des ordres et agir comme si je n'avais pas d'âme, comme si on ne pouvait pas me blesser mais que même si ça avait été le cas, on s'en ficherait royalement.
- C'est toi qui me dis ça ?!
- Oui Savannah ! Tu as un vrai potentiel et tu es la mieux placée pour protéger Mlle Darcy. Mais tu gâches tout parce que tu ignores ce qu'est le contrôle de soi.
- Tu as tort, rétorquai-je simplement en croisant les bras.
Il avait tort. Tellement.
- J'ai raison. Le genre de comportement désinvolte que tu as, cette peur des responsabilités, ce temps que tu gâches à faire des choses insignifiantes comme lancer des muffins à la figure d'un camarade et passer des heures en colle, toutes ces bêtises que tu fais en entraînant Elizabeth avec toi, les bagarres avec des membres de l'Élite, cette insolence permanente et le fait que tu sois toujours fourrée avec des garçons dans toutes sortes de circonstances, tu crois vraiment que c'est ça qui te feras devenir la meilleure ?
C'était d'un ridicule hilarant.
- Attends non mais tu m'espionnes ou quoi ?! Je regrette mais je ne m'excuserai jamais de vivre !
- Personne ne te le demande, mais fais un effort ! Tu ne pourrais pas arrêter d'être aussi entêtée trente secondes ?
- C'est toi qui me hurles dessus ! me défendis-je en ricanant.
- Tu vois ? s'écria-t-il en écartant les bras. Tu es incapable de suivre la moindre règle et tu es en conflit permanent avec chacune des personnes qui t'entourent !
Alors ça il n'avait pas le droit.
- Ça ne te regarde pas, c'est de ma vie privée qu'on parle !
Jeremy leva les yeux au ciel.
- Si seulement elle l'était ! À chaque fois que je te vois tu t'exhibes avec un garçon différent devant tout le pensionnat et tu sembles trouver ça normal ! m'accusa-t-il sur un ton lourd de reproches.
Ne serait-il pas jaloux, là ?
- Mais encore une fois qu'est-ce que ça peut bien te faire ? repris-je, ahurie. Dès l'instant où tu m'as vue, tu as décidé que je serai telle qu'on me décrivait dans mon dossier. Au début, je croyais que tu essayais sincèrement d'apprendre à mieux me connaître mais quand j'ai su pour tous les mensonges et les coups bas j'ai compris que tu n'en avais jamais vraiment eu l'intention, balançai-je. Tu t'es juste rapproché de moi pour encore mieux me blesser.
- Non, tu n'as rien compris, nia-t-il en secouant la tête.
- Oh tu vas encore me dire que je suis trop jeune pour comprendre ? Réveille-toi, ton mur de glace avait beau être costaud il ne m'a pas rendu stupide pour autant, dis-je d'un ton méprisant.
- Ton comportement incite à se poser la question tout de même, grogna-t-il la mâchoire serrée.
Il ne le pensait pas.
- Je reste avant tout ton mentor et même ça tu es incapable de le respecter. Être contre moi ne t'apportera rien.
- Mon job c'est d'apprendre à me battre, pas de te plaire.
Il poussa un soupir profond. De toute évidence, il ne supportait pas cette situation mais je n'en avais rien à faire, elle durerait aussi longtemps que je le souhaitais.
- Pourquoi est-ce que tu ne peux pas simplement faire ce qu'on te dit, c'est dingue. C'est... tellement fatiguant. Grandis un peu.
Je le dévisageai avec mépris. Il pouvait toujours tenter de paraître autoritaire, les bras croisés sur son torse musclé, la tête haute et une expression sévère sur le visage, mais il ne me tromperait plus.
- Tu peux parler ! Tu répètes sans cesse des vieux discours sur l'importance de la confiance dans toute relation mais avec toi tout est plus facile à dire qu'à faire ! Depuis que je suis revenue, tu sembles passer ton temps à te demander si tu dois me protéger ou me mentir ! Finalement, tu me protèges au moment où je n'en ai pas besoin et tu me mens à propos des choses les plus importantes. Alors dis-moi, comment suis-je censée te faire confiance ?!
Il ricana une seconde.
- Ça t'arrange quand même bien que je sois là pour couvrir tes arrières dès que tu te fourres dans je ne sais quelle embrouille, ce qui arrive bien plus souvent que tu ne veux l'admettre.
Il ne manquait pas de culot, la vache.
- Dit le gars qui a failli tuer sa propre élève, répliquai-je sèchement.
Celle-là, il ne s'y attendait pas. Son regard surpris et presque douloureux me le confirma. Mais je ne regrettais en rien ce que je venais de dire, au contraire. Il ne pourrait jamais être officiellement puni pour ce qu'il avait fait, mais je voulais qu'il lût dans mes yeux tout le jugement, toute la colère, toute la douleur dont il serait épargné venant des autres.
- Ta vie n'était pas en jeu, souffla-t-il comme pour se rassurer lui-même.
C'était pitoyable.
- Alors tu reconnais que ce qui s'est passé s'est réellement passé ? fis-je en le défiant. Ce n'est pas trop tôt.
Jeremy plissa les yeux avec énervement.
- Ne joue pas à ça.
- Personne ne joue ici. N'est-ce pas la vérité ? fis-je en me rapprochant lentement de lui. Quand tu m'as vue étendue sur le sol au beau milieu de la forêt sous un froid glacial, n'est-ce pas ce que tu as ressenti ? N'as-tu pas eu peur que ton foutu mur aie fait plus que me blesser ?
C'était une question purement rhétorique parce que nous connaissions tous les deux la réponse. Jeremy recula et prit son visage dans ses mains un court instant. Je voyais à quel point il était épuisé de se battre contre moi mais je n'avais toujours pas fini. Je l'avais écouté pendant des semaines. Il allait sérieusement devoir m'écouter plus dix minutes.
- Que crois-tu que j'aie ressenti quand je me suis réveillée dans cette chambre d'hôpital moisie en ne me souvenant de rien !? Et il a en plus fallu que je te regarde me mentir, encore et encore. Tu es fatigué de te battre parce que ce combat te semble inutile ? Bienvenu dans mon monde...
Il redressa la tête comme si je venais de lui donner l'argument qu'il attendait.
- Oh je t'en prie Savannah, arrête un peu cinq minutes de faire l'enfant martyre. Tu as parfaitement conscience de tes actes et c'est pour ça que tu n'as aucune excuse. Même si j'avais voulu te faire du mal, même si j'avais voulu te pénaliser, je n'aurais pas eu à le faire. Tu te débrouilles déjà parfaitement toute seule, me cracha-t-il d'une voix pleine de venin accompagnée d'un regard méprisant.
Finalement j'en avais assez. Trop, c'était trop. On dit que les actions parlent dix fois plus que les mots, non ?
Je récupérai mon sac et m'engageai vers la sortie du gymnase d'un pas décidé.
- Ça aussi tu vas devoir arrêter ! me cria-t-il. Tu ne pourras pas fuir quand tes amis se feront attaquer ou quand tout ça deviendra enfin réel à tes yeux.
- Je ne fuis pas ! hurlai-je en lui faisant à nouveau face. Tu ne me connais pas aussi bien que tu le penses alors arrête de prétendre le contraire ! Toi, tu as un super job, de l'argent, tu es libre de faire ce qui te plaît et tu défends quelqu'un qui le mérite. Moi, je dois me battre tous les jours pour avoir une vie qui ressemble à peu près à ça plus tard, alors je t'interdis de me dire que je fuis ! Je ne fuirais jamais si quelqu'un tente de s'en prendre à mes amis, je les protégerais au péril de ma vie, parce qu'eux je les aime. Mais je ne suis pas encore Soleil, ajoutai-je en reculant vers la sortie. Alors tu vas me laisser partir. Mais je viendrai au prochain entraînement, ne t'inquiète pas. Et je ferais de mon mieux pour laisser mes sentiments au placard.
Je franchis la porte en furie. J'avais à peine fait quelques pas que je me retrouvai trempée. Comme par hasard, c'était quand j'avais libre qu'il pleuvait des cordes et quand j'étais retenue que le soleil hurlait au monde de se prélasser. Soudain, quelque chose me frappa. Je fis donc demi-tour et retournai dans le gymnase au même instant où Jeremy évacuait sa colère sur le premier mannequin qui lui était tombé sous la main.
- Je te donne une dernière chance d'être honnête à propos d'un point, lançai-je pour attirer son attention.
Il se tourna vers moi et détailla ma tenue trempée et mes membres grelottants. On aurait dit qu'il avait uniquement envie de me réchauffer à cet instant mais je restai froide comme la glace.
- Que sais-tu à propos des adolescents membres de l'Élite qui se révèlent être des enfants du Soleil ou de la Lune ?
Mon mentor sembla se prendre un coup de massue sur la tête. Il resta parfaitement immobile mais je pouvais voir à travers son regard sombre qu'il était en panique. Que dois-je faire ?! pouvais-je entendre hurler son esprit. Mentir ? Dire la vérité !?
Apparemment, son instinct l'avait toujours poussé à me mentir. Qu'en serait-il à présent alors que je me tenais à cœur ouvert devant lui ?
- Je...à vrai dire je n'en avais jamais entendu parler jusqu'à maintenant.
Je fermai les yeux et baissai la tête une seconde, afin d'évacuer la déception de mon système.
- Tu es la preuve vivante que ça existe Jeremy, je le sais.
La souffrance se mêla alors à la surprise dans ses yeux. Pourquoi ? Pourquoi avait-il encore fait le mauvais choix ?
- Ne te fatigue pas à le nier, soufflai-je avec épuisement. Mais tout compte fait, tu vois, je ne suis pas celle qui fuit le plus.
Sur ce, je quittai à nouveau le gymnase, mais cette fois, je ne me retournai pas.
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Salut ! L'heure est sombre pour Savannah et Jeremy. Ce dernier n'est pas un excellent menteur finalement, mais la vraie question, c'est pourquoi ment-il ? 🤔
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