Chapitre 54
- Enfin ! Ce n'est pas trop t...
Quand M. Carter nous ouvrit la porte de son bureau et nous aperçut, son visage sembla se décomposer. Il y avait de quoi. Il portait une chemise blanche moulante dont les premiers boutons étaient défaits, laissant apparaître le haut de son torse poilu, ainsi qu'un jean slim noir. J'avais presque envie de rire et à la fois de rougir de honte pour lui. De plus, son eau de Cologne était si forte qu'on la sentait probablement à des kilomètres et ses cheveux n'étaient pas parfaitement coiffés à l'aide de gel comme d'habitude, ils étaient plus ou moins en bataille mais avec un côté était recherché. Je ne préférais pas savoir qui il attendait...
- Oh ! Hamilton, fit-il d'un hochement de tête en me dévisageant, Hunter, puis avec un autre pour Jason.
Aidez-moi à ne pas rire !
- Que puis-je faire pour vous ? nous demanda-t-il froidement.
- La question est plutôt que pouvons-nous faire pour vous ? lui répondis-je.
Il haussa un sourcil avec une petite moue de mépris.
- À moins que vous ne soyez pas celui qui a commandé un pique-nique, ajoutai-je.
Je lui montrai le panier.
- En fait, c'est bien moi, s'empressa-t-il de répondre.
- Nous avons croisé une des cuisinières et il se trouve qu'elles sont particulièrement débordées aujourd'hui alors notre aide était la bienvenue.
- Je n'en doute pas, répondit-il avec exaspération.
Je lui tendis son panier, tout sourire. S'il l'avait pu, il m'aurait certainement pétrifié sur place.
- J'imagine que nous sommes quittes maintenant, Hamilton.
- Je suppose, oui.
Je fis un petit signe à Jason et nous sortîmes de ce bureau à l'atmosphère pesante. Et bim ! Un point pour Savannah.
- C'était quoi ça ? me demanda Jason après que notre cher principal eut fermé sa porte.
- Seulement un petit règlement de compte à la Hamilton. Tu me connais ! lui fis-je avec un clin d'œil.
Nous commençâmes à nous éloigner dans le couloir.
- D'accord. En revanche, mettons-nous d'accord, il n'est plus question de l'espionner ! Je n'ai aucune envie de savoir ce qu'il compte vraiment faire avec ce pique-nique.
- Je t'avoue qu'au début j'hésitai, mais compte tenu de la chemise, je crois qu'on fait bien de s'abstenir ! éclatai-je de rire.
Nous nous retrouvâmes alors dans la cour, peu occupée à cette heure-ci.
- Mais c'est quand même dommage, soufflai-je.
- En effet, mais...on a toujours nos muffins !
Je me mis alors à pouffer comme j'en avais l'habitude jusqu'à ce que quelque chose de froid me touchât le nez. Je levai immédiatement la tête en portant ma main à mon visage. Jason s'était aussi immobilisé. Quelques secondes plus tard, ce furent des dizaines de ces « choses » que nous reçûmes dans les cheveux et un peu partout en fait. De la neige. Des flocons. Enfin, il neigeait.
- J.
- Anna.
- Il neige, murmurai-je d'abord.
- Il neige ! cria alors Jason.
Je sautai dans ses bras et il me fit tournoyer parmi les flocons.
- Il neige ! m'écriai-je à mon tour.
C'est le moment où vous vous dites : « Mais...ça fait longtemps qu'il neige, non ? » et ce n'est pas faux. Seulement ces derniers jours, une malédiction nous poursuivait et il ne se mettait à neiger que pendant la nuit ou alors lorsque Jason et moi n'étions pas ensemble.
Pour nous, les premières neiges étaient importantes. Elles n'annonçaient pas juste une nouvelle période de batailles de boules de neige, même si nous adorions tout ça. Pour Jason et moi, c'était un peu comme notre anniversaire. Une rencontre sous la neige.
J'avais douze ans et demi à l'époque, depuis peu de temps même, et c'était la première que je fêtais Noël toute seule ou plutôt que je ne le fêtais pas. J'étais donc une fille triste et solitaire.
Je me promenais à la lisière de la forêt quand j'entendis des cris. Bien qu'on m'eût défendu de le faire, je m'enfonçai dans la forêt et trouvai cinq garçons de mon âge. De ma classe, même. Ce que je pouvais les détester...
Mais ce n'étaient pas simplement cinq garçons. L'un d'eux était au sol, dans la neige. Les quatre autres lui lançaient toutes sortes de choses : cailloux, branches, pommes de pains, boules de neige. Je ne supportais pas cette scène. Je ne connaissais que trop ce que ce pauvre garçon devait ressentir et surtout, j'en avais marre de la jouer profil bas pour éviter les ennuis. J'en avais marre de continuer à faire ce que ma mère me disait alors que pour une fois dans ma vie je n'étais plus sous son emprise. Mais j'en avais aussi marre de ces petits insolents qui se croyaient plus malins que nous. Quand j'avais vu le regard de ce garçon me lançant un appel à l'aide, j'en avais eu marre de laisser de côté toutes les choses pour lesquelles on m'avait moi-même mise de côté. J'avais refusé de devenir le monstre qu'ils voyaient en moi en m'abandonnant.
Je pris donc sur moi et utilisai ma psychokinésie pour retourner les projectiles de ces abrutis contre eux. Ils n'avaient rien compris. Mais du coup, ce fut sur moi qu'ils portèrent leur colère. J'étais frigorifiée et lente. Je reçus une boule de neige contenant des cailloux juste en dessous de l'œil. Je tombai à terre et vit trente-six chandelles pendant quelques instants. Alors que je les entendais très bien s'approcher à nouveau de moi, le garçon auparavant au sol cria et s'interposa entre eux et moi. Dix secondes plus tard, ces imbéciles se retrouvèrent projetés à plusieurs mètres. Il fallait croire qu'ils avaient quand même une once d'intelligence en eux parce qu'ils fuirent après cela. Le garçon qui venait de m'aider se tourna alors vers moi et m'aida à me relever.
- Je suis désolé qu'ils t'aient blessée, finit-il par me dire.
Je touchai ma pommette. J'avais en effet une petite coupure qui se retrouverait plus tard accompagnée d'un bleu mais je m'en fichais complètement. Pour la première fois, j'avais utilisé mes pouvoirs, j'avais frappé quelqu'un, mais pas parce que j'étais en colère. Pour la première fois, j'avais utilisé tout ce que je ressentais pour défendre une personne. Et on en avait fait de même pour moi.
- Ça aurait pu être pire, merci de m'avoir aidée.
- Merci à toi, tu es la seule à m'avoir défendu, me remercia-t-il à son tour.
- Je t'en prie.
Nous restâmes quelques instants sans rien dire.
- Tu as l'air plutôt doué avec la psychokinésie, le complimentai-je alors.
- C'est gentil mais c'est plus un instinct de survie qu'autre chose. Toi, en revanche, c'était impressionnant.
- Merci, murmurai-je.
- Tu trembles, il fait froid. Tiens, dit-il en me tendant sa veste.
- Non merci.
- Tu es sûre ?
- S'il fait froid tu devrais plutôt la garder, moi j'ai déjà la mienne.
Il sembla quelque peu surpris par ma réponse mais finit par enfiler à nouveau sa veste. Je lui souris.
- Je m'appelle Savannah !
- Moi c'est Jason. Et juste pour info, ajouta-t-il en redressant fièrement la tête, j'aurais fini par les envoyer bouler.
- Ah oui ? fis-je amusée. Quelque chose me dit que sans moi tu serais encore par terre !
- Ce n'est pas exactement ce que je dirais mais...
- Mais c'est pourtant la vérité.
Il me dévisagea puis sourit lentement.
- Tu es une fille étrange, Savannah.
- Devrais-je prendre ça pour un compliment ? demandai-je en souriant moi aussi.
- Hum...
- Chut ! Ne réponds pas !
Il se mit à rire.
- J'allais pourtant dire la vérité.
- Serais-tu en train de te moquer de moi ? le défiai-je.
- Moi ? Jamais je n'oserais. Mais tu devrais mettre de la glace sur ta blessure.
Il me tendit une boule de neige. Mais c'est qu'il se croit drôle, avais-je pensé. J'imitai son sourire et pris la boule de ses mains. Finalement, elle finit contre sa nuque.
- Ah ! s'écria-t-il. C'est froid ! Ah !
Je pouffai de rire.
- Tu es un garçon étrange, Jason.
- Arrête ça fond dans mon dos ! se plaignit-il.
Il fit semblant de se tordre dans tous les sens pour pouvoir attraper discrètement une poignée de neige. Une seconde plus tard, il me la lança en plein dans le ventre. Cette histoire avait fini en duel de boule de neige au milieu de la forêt. C'était le meilleur moment que j'eusse vécu depuis qu'on m'avait envoyée à Minneapolis.
Aujourd'hui, nous étions toujours là. Sous la neige. La seule différence, c'était qu'avec l'étrange soleil qui nous illuminait aujourd'hui, elle fondait à la seconde où elle rencontrait quelque chose de consistant, mais ce n'était pas le plus important. Cette neige, c'était une promesse. La promesse d'un avenir meilleur, encore plein de chocolats chauds avec des morceaux de guimauves, encore plein de batailles, encore plein de danses, encore plein de Jason et Savannah. Encore et toujours. Alors même si pour le moment on n'avait pas encore de quoi faire des boules de neiges, je dirais qu'on avait toujours été doués faire avec les moyens du bord.
Je sortis donc un muffin de ma poche, je le déballai et en manger un gros bout sous les yeux de Jason. Sa mâchoire s'ouvrit bêtement et il me lança son regard de chiot perdu. C'était le même depuis des années. Je souris et lui lançai le muffin à la figure.
- Alors là... Tu n'as quand même pas osé faire ça...
Il avait récupéré le muffin dans ses mains, en croqua un bout et me le relança. En plein dans le ventre. Il tomba donc par terre mais en moins d'une seconde, j'en brandis un autre qui lui arriva dans les cheveux. Nous revoilà donc parti pour un tour. Des muffins volèrent un petit peu partout et nous nous retrouvâmes avec des miettes et des pépites de chocolat dans les cheveux et sur nous vêtements, mais ça me faisait incroyablement du bien de rire. Je ne voulais pas que cela s'arrêtât.
Nous nous cachâmes à tour de rôle derrière les colonnes du préau pour préparer nos missiles en miettes. Je me rapprochai de la fontaine qui trônait au milieu de cette cour, mais ignorai que Jason en faisait autant de son côté. Même si la neige ne tenait pas, cela ne nous empêcha pas de glisser sur une plaque de verglas à l'instant où nous nous surprîmes. Je tombai sur le dos et Jason me tomba dessus. Je ne mentirai pas en disant que ça ne m'avait pas fait mal et que le poids de mon ami n'avait pas empiré les choses mais ça ne changeait rien non plus au fait que je ne pouvais me retenir de rire. D'exploser de rire même. J. non plus apparemment.
- Ah là là, ton rire m'avait manqué Anna. Ton vrai rire. Celui qui te fait froncer le nez et presque respirer comme un porc !
Je ris aux éclats de nouveau. Le pire c'était qu'il avait raison. À moi aussi cela m'avait manqué de rire ainsi. Je finis par essuyer rapidement sa joue pleine de miette et il m'embrassa sur le front. Comme un ami. Comme un frère. En revanche, nous semblions être les seuls à comprendre cela.
- Hamilton ! cria une grosse voix. Hunter !
Merde, c'était Jeremy. Jason commença à se relever et me proposa sa main.
- T'as vu ? Ils disent toujours ton nom en premier.
Je souris discrètement, puis me relevai aussi.
- Vous n'avez rien à faire ici !
Je m'apprêtai presque à m'excuser quand je remarquai qu'il était accompagné de Mlle Carson. Encore elle ?! Ne me dites pas qu'elle ne l'a pas quitté depuis ce matin quand même ! Immédiatement, ma vision des choses changea.
- Et pourquoi ça ? demandai-je. Cette cour est bien libre aux élèves ?
- Savannah je te défends de commencer ce petit jeu-là avec moi, m'avertit clairement Jeremy.
S'il pensait que j'allais me gêner...
- Personne ne joue ici.
- Vous si, apparemment, répondit-il avec un regard sévère. Vous trouvez ça normal de vous balancer des muffins à la figure comme des gamins de cinq ans ?
- Chacun s'amuse à sa manière, intervint Jason en louchant directement vers Mlle Carson.
Cette fois, Jeremy parut vraiment furieux.
- On ne t'a pas sonné, Hunter ! s'exclama-t-il.
- Bah un peu quand même ! Savannah n'est pas seule ici !
Mon mentor croisa les bras avec mépris.
- C'est bien ce que j'ai vu.
- Alors ne rejetez pas toute la faute sur elle, continua de me défendre mon ami.
- Tu crois que je te demande ton avis ? rétorqua Jeremy, la mâchoire serrée.
- D'accord, là on va peut-être se calmer, ce n'étaient que des muffins, dis-je calmement.
Il me foudroya du regard.
- Et comment les avez-vous eus, je peux le savoir ? La cafétéria n'est même pas encore ouverte et vous en aviez un nombre assez étrange.
- On s'éloigne un peu du sujet, non ? demandai-je sur la défensive.
- Laisse-moi en décider, maintenant vas-tu m'expliquer d'où ils sortent ?!
Il me faisait peur. Sérieusement, je ne l'avais jamais vu aussi énervé contre moi. Bizarrement, j'avais des doutes sur les vraies raisons de cette colère. Il ne s'agissait certainement que des muffins. Un instant, l'idée qu'il pût être jaloux de me voir avec Jason me traversa l'esprit, mais je la rayai de la liste presque aussitôt en me souvenant qu'il avait préféré partir voir Mlle Carson hier soir. En effet, j'étais la seule qui avait une bonne raison d'être remontée. Du moins, une raison – si elle était bonne ou non c'était une autre question.
- Je les ai volés en cuisine, finit par dire Jason avant que je n'eusse le temps de réfléchir à la moindre excuse.
- Jason !
- C'est bon Savannah, c'est ma faute, tout ça c'était mon idée.
Jeremy examina l'attitude de mon ami avec précision.
- Peut-être, ...
Cette explication ne semblait vraiment pas lui convenir.
- ...mais comme tu me l'as si bien rappelé, aucun de vous deux n'étaient seuls. Quatre heures de colle, déclara alors mon mentor, déterminé.
- Quoi ?! m'écriai-je. Mais on n'a rien fait ! Ce n'étaient que des stupides muffins ! On n'a gêné ni blessé personne ! Et mis à part le vol de malheureux gâteaux qui auraient finis à la poubelle de toute façon nous n'avons vraiment rien fait qui soit contre le règlement.
- Je te déconseille de me répondre, Savannah, lâcha-t-il en me tournant le dos pour rejoindre Mlle Carson.
- Sinon quoi ? lançai-je en attrapant son bras pour qu'il me fît face.
Jeremy se retourna alors si rapidement et avec tant de force, qu'un instant, je crus réellement qu'il allait me frapper. Je n'aurais pas dû, mais c'était comme ça. J'avais brusquement reculé et Jason m'avait lui-même attrapé le bras pour me ramener immédiatement vers lui. La peur devait se lire dans nos regards et nos gestes parce que Jeremy recula lui-même de son côté, comme perdu dans ses propres pensées, avant de déclarer sèchement :
- Quatre heures.
Il nous tourna ensuite le dos pour de bon et disparut dans le bâtiment le plus proche, suivi de Mlle Carson. Moi, je fixais la porte qu'il venait de franchir, stupéfaite, tandis que Jason serrait ma main de manière protectrice.
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Notre Jeremy serait-il jaloux ? 🤔 Pensez-vous qu'il se passe quelque chose de sérieux entre Mlle Carson et lui ? Il ne serait pas le seul à être jaloux...
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