Chapitre 38
Pas encore. Non, pas ça, pas encore... Pourtant ce sentiment que je n'avais jamais pu oublier s'insinua de nouveau dans ma poitrine et saccagea absolument tout sur son passage. Mon sang se glaça à l'intérieur de mes veines et j'en restai paralysée plusieurs instants. Quand j'arrivai enfin à me redressée, une affreuse douleur me déchira le dos. Mes cheveux brûlaient contre ma nuque et il me fallut encore quelques secondes pour comprendre qu'ils étaient en flammes. Je portai toujours un débardeur blanc et un short noir, mis à part le fait que le débardeur n'avait presque plus rien de blanc.
Paniquée je regardai mes poignets. Ils étaient intacts, mais une bien plus grande coupure me barrait le bras gauche. Elle était profonde, douloureuse. Tout mon avant-bras était engourdi et le sang continuait de couler de ma blessure. Cela commençait par une goutte, puis deux, puis trois qui chutaient en fendant l'air pour s'écraser sur la neige immaculée. Je regardai là où était posé mon dos, et ce fut une mare de sang que je trouvai. Je me levai en sursaut et m'écartai vivement. Du moins j'essayai. J'avais l'impression qu'on m'avait planté des broches dans les jambes et bouger ma nuque devenait de plus en plus douloureux.
Je reculai de plusieurs pas jusqu'à ce que mon corps heurte quelque chose de dure. C'était un mur, un mur épais, un mur de glace. Une chose me frappa enfin. Je pouvais voir les feuilles tourbillonner au gré du vent au-dessus de moi, je pouvais voir le ciel gris parsemé de rayons de soleil, mais tout ce qui m'entourait était glace. De grands murs étaient élevés autour de moi et il m'était impossible de voir à travers.
Je retournai au centre de l'espace libre dont je disposais. Je marchais alors dans la flaque de sang mais elle était brûlante, comme de la lave en fusion. J'en perdis presque l'équilibre et me rattrapai contre une des parois du mur. À mon plus grand étonnement, je ne ressentis aucune nouvelle douleur due à ce contact. Je me remis donc debout comme je pouvais. Il ne se passa rien. Absolument rien.
Quelque chose me chatouilla alors le bras gauche. C'était une goutte de sang qui suivait lentement la courbe de mon avant-bras avant tomber sur le sol. À l'instant où elle entra en contact avec la neige, ce fut une toute nouvelle douleur que je ressentis. Mes doigts étaient en train de se transformer en glace. Je ne pouvais plus les bouger et chaque tentative ne m'épargnait aucune douleur. Je me mis alors à frapper le mur, comme s'il pouvait se briser aussi facilement, mais quand ma fameuse main le toucha, elle se brisa et tomba littéralement en mille morceaux sur le sol. Je tombais à genou et passai mon autre main dans les cheveux avec effroi. Après quelques instants, je commençai à avoir du mal à respirer, comme si le sang avait arrêté de circuler jusque dans mes poumons. Je voulus crier avec le peu d'air qu'il me restait, mais ce fut un rugissement de flamme qui sortit de ma bouche.
Mes paupières s'ouvrirent d'un seul coup. Instinctivement je cherchai ma respiration comme si on m'avait privée d'air depuis un moment mais une douleur fulgurante me sciait le cou. Je fis de mon mieux pour ne pas paniquer mais je n'osais même plus bouger. Que s'était-il passé ? Pourquoi avais-je si mal ? Une toux s'empara de ma gorge et rester immobile devint très dur.
- Doucement, doucement...
Jeremy. Il était là, il était près de moi, je le sentais. Son visage apparut ensuite dans mon champ de vision. Soit il avait énormément grandi, soit j'étais allongée par terre et lui debout. Il s'agenouilla en effet à mes côtés et me serra brièvement la main.
- Tout va bien.
Il se plaça ensuite dans mon dos et m'aida lentement à me redresser, ce qui m'arracha un gémissement de douleur.
- Je sais, ça fait mal, je suis désolé, dit-il en me massant la nuque.
La douleur s'intensifia d'abord, mais elle commença ensuite à s'estomper doucement sous les doigts agiles de mon mentor. Je toussai encore un peu avant de pouvoir souffler librement.
- Tu peux respirer, ça va ? me demanda Jeremy avec un peu d'inquiétude dans la voix.
Il écarta doucement mes cheveux de mon visage et se pencha vers moi. Je tournai faiblement la tête vers lui en sentant encore ses doigts sur ma peau brûlante et lui fis signe que ça allait. Il soupira de soulagement et déposa rapidement un baiser sur mes cheveux.
- Je suis désolé d'avoir dû en arriver là, s'excusa-t-il tendrement.
Je n'étais pas sûre de savoir exactement de quoi il parlait mais j'avais encore si mal que je laissai aller ma tête contre son épaule. J'observai alors autour de moi et constatai que je me trouvai toujours dans le jardin des Darcy, juste en dessous du pommier, au milieu de l'herbe recouverte de neige. Je réalisai que j'étais enveloppée dans une grosse couverture en laine et je n'avais finalement pas si froid que ça malgré cet environnement hivernal. J'imaginai sans problème que l'agitation due à mon cauchemar y été pour quelque chose.
- Où est Lizzy ? demandai-je finalement d'une voix enrouée.
Jeremy sourit un instant. Il n'avait pas cessé de me masser la nuque et cela me soulageait beaucoup trop pour que je lui avoue que ça allait déjà mieux.
- Tu sais, c'est admirable ce réflexe que tu as de toujours penser à elle avant qui que ce soit d'autre, y compris toi-même, mais là tout de suite tu n'as pas à t'inquiéter. Elle est en sécurité avec les autres.
- Et nous, pourquoi on n'est pas avec eux ?
Je commençai lentement à décoller ma tête de son épaule pour pouvoir le regarder.
- Ce n'était pas une très bonne idée le moment venu. J'ai appelé les Soleils, ils vont bientôt nous envoyer une voiture, en attendant Mme Diggle t'a fait des premiers soins comme elle a pu et ça devrait aller jusqu'à ce qu'on t'emmène à l'infirmerie, m'expliqua-t-il calmement.
Son torse effleura mon dos et j'eus envie de m'abandonner à nouveau à ce contact mais je résistai.
- Pourquoi ce n'était pas une bonne...
J'eus alors l'impression de recevoir toute une série de gifles à la vue de mes souvenirs.
- Oh mon Dieu, mais qu'est-ce que j'ai fait ? demandai-je en prenant mon visage entre mes mains.
- Ce n'est pas ta faute Savannah, me contredit Jeremy en éloignant mes mains de mon visage.
- C'est entièrement ma faute !
- À moitié disons. Écoute, tu as 17 ans, tes pouvoirs vont bientôt se déclarer mais en attendant tu dois en subir les effets secondaires, tes sautes d'humeur ne sont qu'un exemple, c'est comme les hormones à l'adolescence.
Je n'écoutai rien de ce qu'il me disait, revoyant la scène en boucle, désormais coincée dans ma propre horreur.
- Je ne voulais pas le blesser.
- Je sais.
Je redressai mon dos, me tournai vers mon mentor et le regardai dans les yeux, en ignorant la douleur que ces gestes me procuraient.
- Enfin si, mais...pas à ce point ! Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je ne me contrôlais plus. Tout d'un coup, j'ai ressenti cette rage brûler au fond de moi et il fallait qu'elle sorte, c'était presque vital. Je le soupçonne toujours de vouloir s'en prendre à Lizzy et je ne peux vraiment l'encadrer, c'est vrai, mais je n'ai jamais voulu lui faire aussi mal.
- Je vois, dit-il en hochant la tête, l'air compréhensif.
- Et ce n'est pas la première fois que j'ai ce genre de crise.
- Pardon ? fit-il, à moitié surpris et en colère.
- Parfois ce sont juste des petites sautes d'humeur ou un gros coup de fatigue, parfois j'ai vraiment mal et c'est presque impossible de me contrôler.
Il passa nerveusement une main dans ses cheveux.
- Savannah, qu'attendais-tu pour en parler ? J'aurais pu te le dire bien avant, mais il va falloir que tu attendes que ça passe.
- Je...je ne veux pas attendre que ça passe, je veux que ça s'en aille maintenant ! m'écriai-je complètement paniquée à l'idée de revivre ce genre de chose.
- Ça c'est impossible.
- C'est tellement cruel, grognai-je les dents serrées.
Les yeux sombres de Jeremy se durcirent.
- Non c'est la vie. Tu ne peux pas attendre qu'elle arrête d'être injuste, mais tu peux prendre les choses en main et te battre pour tu penses être juste.
Il baissa la tête et se mordit la lèvre comme s'il hésitait à me dire quelque chose.
- Je ne suis pas aveugle tu sais. Je le vois que tu ne vas pas bien. Tu es fatiguée, tu ne manges pas beaucoup, tu ne peux pas fermer les yeux sans avoir peur de faire un de ces cauchemars que tu sembles faire à chaque fois que tu t'endors ou presque. Et je sais bien que tu n'es pas non plus celle qui m'expliquera de quoi il s'agit. Je ne sais pas exactement ce qui t'arrive mais je le découvrirai ça tu peux en être sûre, m'annonça-t-il avec assurance.
Je levai les yeux au ciel.
- Qu'est-ce qui te fais croire que je ne suis pas simplement comme ça tout le temps ?
- Arrête Savannah, tu sais que tu peux me parler, tu le sais ça, alors pourquoi ne le fais-tu pas ?
Je me levai et fis quelques pas pour m'éloigner de lui et avoir le temps de faire discrètement disparaître les larmes qui me montaient aux yeux.
- Ça ne changerait rien, murmurai-je.
- Tu as tort, dit-il en me rejoignant. Tu te sentirais bien mieux.
- Ne fais pas ça, répondis-je sans même le regarder.
Mon visage faisait face au ciel et une éclaircie me réchauffa de ces doux rayons.
- Ne fais pas quoi ?
Il entra dans la zone ensoleillée du jardin à un mètre de moi et je ne me tournai que légèrement pour le regarder avec exaspération.
- Ne me mens pas pour essayer de me protéger. Ça n'ira pas mieux tant que je n'aurais pas mes fichus pouvoirs et on le sait tous les deux, alors ne me mens pas.
Il haussa les épaules.
- Pourquoi pas si ça me permet de te garder en sécurité ? demanda-t-il sincèrement.
Me protéger. Me garder en sécurité. Je ne savais même pas ce que cela signifiait. Depuis des années, on m'enseignait à prendre soin des autres, pas de moi-même. Je fermai les yeux et laissai cette fois une larme couler en espérant naïvement que le soleil la sécherait d'une manière ou d'une autre. J'espérais aussi que Jeremy ne la verrait pas, mais c'était comme tout le reste, mes espoirs ne se réalisaient pas. Contre toute attente, il ne me donna pas un nouveau discours sur l'inutilité de pleurer mais se plaça devant et essuya délicatement ma joue de son pouce.
- Savannah...
- ...Ça marcherait si j'étais une personne sensée mais ce n'est pas le cas, désolée.
Je reculai d'un pas en regardant mes pieds et essayai d'oublier la sensation de son pouce caressant ma joue, mais au fond de moi je souhaitais trop qu'il refasse ce geste pour l'effacer de ma mémoire. Il esquissa un sourire mais resta silencieux. Mon regard se posa alors sur une tache rouge de ma couverture de laine. Le sang venait de ma coupure au bras, je le compris rapidement. Étonnamment, je commençai seulement à en ressentir la douleur maintenant. Je découvris alors quelques gouttes de mon sang sur la neige blanche. Cette vision me retourna l'estomac.
- À chaque fois j'ai l'impression d'être sur le point de mourir, avouai-je finalement d'une petite voix.
J'osais à peine jeter un coup d'œil à Jeremy, ne sachant toujours pas si j'avais raison de me confier. Il fronçait les sourcils.
- Dans chacun de ces rêves j'ai l'impression c'est la fin. Je pourrais arrêter d'être égoïste pendant quelques minutes et rêver plutôt de la mort de quelqu'un que j'aime mais il n'y a jamais personne. Seulement moi et d'affreux souvenirs. Peut-être que j'affronte seulement ma plus grande peur. (Un petit rire ironique m'échappa). Il faut croire que seule je ne vaux plus grand-chose parce qu'à chaque fois ça finit mal.
Je passai mes mains sous mes yeux et redressai enfin la tête.
- Mais je dois être plus forte que ça, je le sais, et je finirais par y arriver. Peu importe le temps que ça me prendra, je finirais par vaincre ça. Un jour, j'ai entendu une personne dire à quelqu'un qu'elle avait vu quelque chose en cette personne qu'elle-même n'avait pas encore vu. C'est ça que je recherche. Je veux croire que moi aussi j'ai quelque chose qui me rend différente, qui me rend moi-même, même si je ne la vois pas encore.
Jeremy fit un pas vers moi.
- Moi je l'ai toujours su que tu avais quelque chose en toi Savannah, et ce quelque chose ça s'appelle du courage, de la force et de l'amour.
Je souris tristement, puis murmurai :
- Si seulement tu n'étais pas le seul à voir cela...
Je restai muette en voyant dans quel état nous avions mis le salon. J'avais vraiment dépassé les bornes, là. Comment avais-je pu aller si loin ? N'avais-je pas plus de volonté que ça, effets secondaires ou non ? Étais-je réellement en train de perdre le contrôle de moi-même ? Jeremy avait raison : je n'allais pas bien. Et il fallait impérativement que ça s'arrête.
Je m'approchai de la table basse sur laquelle j'avais écrasé Luke de toutes mes forces. Je remarquai alors une note posée dessus ainsi qu'une plaquette de médicament. C'était de la part de Mme Diggle. Je pris la note entre mes mains gelées et commençai à lire.
Savannah, surtout ne t'inquiète pas, on ne t'a pas abandonné ici seule avec Scandola par cruauté mais par sécurité. C'est son devoir à lui, comme c'est notre devoir à nous de protéger Luke. Ce pauvre garçon n'avait aucune idée de ce qui l'attendait en te provoquant mais malheureusement il ne sera pas le seul à en payer le prix. Cet incident m'a permis de réaliser que tu as déjà commencé à payer Savannah. Les effets secondaires de ton pouvoir, quel qu'ils soient, sont de plus en plus forts et dangereux. Il faut faire quelque chose avant que tout ça ne dégénère. J'ai trouvé des morceaux de glace dans ta blessure à la tête, voilà pourquoi j'avais demandé des analyses. Savannah, je pense sincèrement que tu es Glace. Ce qu'il t'est arrivé dans la forêt (parce que bien sûr Scandola t'a menti) aurait pu te tuer et pourtant tu es là. Puis il y a aussi la manière dont ton organisme s'est débarrassé de la glace dans ta blessure et comment tu t'es battue aujourd'hui. Je ne comprends en rien ce qu'il t'arrive mais ces cachets devraient t'aider. Ils lutteront contre les effets secondaires mais tu es la seule à pouvoir faire en sorte que tes pouvoirs se déclarent. Parles-en à Scandola, il est insupportable mais pas stupide et il pourra sûrement t'aider. Ne prend surtout pas ces cachets en même temps que ce que tu as déjà et fais très attention tu ne dois pas en prendre plus d'un par jour. Prend soin de toi.
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Savannah commence enfin à partager ses tourments avec Jeremy, mais une nouvelle bombe vient aussi de lui tomber dessus. Qu'en pensez-vous ? 🤔
Si vous avez des questions ou juste des petits commentaires, n'hésitez pas, ça fait toujours plaisir, et si c'est plutôt une critique qui vous vient en tête vous pouvez en faire autant, je serais ravie de savoir ce que vous en pensez 😍
Bon week-end !
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