Chapitre 27
Ces mots continuaient de résonner en moi, même après que je me sois éloignée de Jeremy pour le laisser dormir. Il s'agissait des dernières paroles que l'on m'avait adressée avant de m'anesthésier et de me transférer à Minneapolis. Je détestais toujours la personne qui les avait prononcées, mais aujourd'hui, dans ma bouche, c'était presque devenu une promesse. La promesse qu'il pouvait lâcher prise, succomber au monde des rêves, et savoir qu'il était en sécurité. Et je tiendrai la mienne. Pour cette fois, j'allais faire ce qu'on me demandait de faire sans me plaindre, je lui devais bien ça. Ça avait beau ne faire que peu de temps que Jeremy était devenu mon mentor, j'avais l'impression que cela faisait des semaines qu'il essayait de m'enseigner de ne serait-ce qu'une leçon. J'avais quant à moi passé mon temps à le malmener ou tout simplement à l'envoyer se faire voir ailleurs, pour rester poli.
Cela avait peut-être duré suffisamment longtemps... Et puis, à quoi cela m'avait bien avancée ? J'avais toujours des doutes sur ce qui se passerait dès que je cesserais de le repousser et je détestais ça. Le récent incident de la forêt n'était qu'un exemple. J'avais 17 ans, pas 7. Aucune branche ou aucune flaque de verglas n'aurait pu me blesser. Quelqu'un m'avait fait ça. Mais pourquoi ? Je n'avais fait que m'enfuir dans une forêt, de telles mesures n'avaient jamais été nécessaires alors il ne pouvait s'agir que d'un accident de la part de mon agresseur ou d'une attaque préméditée pour des raisons que j'ignorais encore. Dans le premier cas, je ne souhaitais pas voir un Soleil expérimenté être renvoyé pour une erreur, on n'en faisait tous, mais dans le deuxième cas, devais-je sérieusement m'inquiéter ?
Jeremy pouvait bien être un chieur de première, cela ne faisait pas de lui mon ennemi. Néanmoins, il m'avait menti en racontant cette histoire de branche bien stupide. Protégeait-il quelqu'un ? Malgré tous mes doutes, quand je regardais le doux visage endormi de mon mentor, je n'y voyais pas une menace. Pas du tout. Il n'avait fait que s'occuper de moi depuis mon retour à Minneapolis et il m'avait sauvé la mise plus d'une fois. Si son but avait été de me nuire, il aurait été un imbécile fini car je n'avais pas cessé de lui donner des occasions de le faire. Plus j'y repensais, plus il m'était difficile d'imaginer qu'il pouvait être celui qui m'avait blessée dans la forêt. Je ne le croyais pas capable de me faire du mal de cette manière. Il en était même arrivé à utiliser des moyens peu recommandables pour rester à mon chevet jusqu'à ce que je me réveille. C'était bien plus que ce que son travail exigeait de lui.
Par ailleurs, une autre question me taraudait l'esprit. Pourquoi devait-il se protéger de moi ? Comme l'avait dit Lizzy un peu plus tôt, je ne ressemblais pas vraiment à une menace et j'étais persuadée qu'il ne m'avait jamais considérée comme telle. D'autant plus qu'il s'était endormi si rapidement en ma présence que je ne devais pas l'inquiéter plus que ça.
Finalement, j'en profitai pour parcourir sa chambre. C'était plutôt confortable, je dirais même qu'il se mettait carrément bien ici. L'entrée débouchait sur un petit couloir menant au salon. Il y avait là un grand canapé à l'aspect moelleux et deux grands fauteuils. Au milieu se trouvait une table basse sur laquelle étaient posés en vrac quelques papiers. Sur le mur de droite était accroché un grand écran plat parfaitement propre et à côté duquel se trouvaient deux étagères. Deux étagères pour le moins vides. Il n'y avait genre...pas le moindre objet personnel.
Je me retournai pour faire face à la chambre, du côté gauche du couloir, seulement séparée du salon par une marche. Sa table de chevet portait uniquement une lampe et un réveil. Son armoire, dont la porte était entrouverte, ne me laissait voir que des vêtes bien rangés et tous neutres. La chambre non plus n'abritait rien de personnel.
À travers la baie vitrée du salon, je pus observer le magnifique balcon auquel il avait droit. Rien non plus. Aucun pot de fleurs, aucune petite table avec une tasse ou un livre oublié. Il n'y avait tout simplement aucun objet qui semblait appartenir à Jeremy. Pas de cadres photos, pas de livres, pas de journal, pas d'ordinateurs, pas de téléphones. Rien.
Cela m'était presque familier. Nous faisions la même chose avec Lizzy quand nous étions en fuite. Nous devions toujours être prêtes à quitter notre planque le plus vite possible si nous étions repérées. Le moins nous avions d'affaires, le mieux c'était. Lizzy avait un peu de mal avait ça mais nous n'avions pas vraiment le choix. Notre condition nous y obligeait. Jeremy, lui, n'avait rien à fuir à priori. Peut-être était-il juste carrément associable.
Je fus donc finalement intéressée par la seule chose accessible qui se trouvait ici. Les papiers en vrac sur la table basse étaient en fait pour du courrier pour la plupart. Tiens, il a des amis ! Certaines enveloppes n'étaient même pas encore ouvertes. J'en pris quelques-unes dans mes mains et regardai les noms. Stella Scandola. Ce nom était celui qui revenait le plus souvent. Alors comme ça on ne répond même pas à sa famille ? J'étais peut-être un peu folle mais Jeremy ne portait pas d'alliance et n'était donc pas marié, il ne pouvait alors plus que s'agir de sa mère ou d'une sœur, une tante ou une cousine. Dans tous les cas, il devait avoir une résistance surprenante pour pouvoir ne pas ouvrir quatre lettres de la même personne. Je ne savais pas trop si c'était bien ou mal.
Une autre lettre attira finalement mon attention. Celle-ci venait de Washington. Il avait peut-être plus d'amis que je ne le pensais. En revanche, il n'y avait pas d'expéditeur. Et...la lettre était ouverte.
Ce n'est pas bien Savannah et tu le sais...
Trop tard. J'étais bien trop curieuse je n'y pouvais plus rien à ce stade. La lettre était tapée à l'ordinateur et n'était pas très longue. Je regardai tout d'abord la signature...qui se résumait à n'être que des initiales. Ce n'était pas marrant ! Les lettres en question me donnèrent tout de même un mauvais frisson après coup. A. H. C'était aussi les initiales de mon père. Comme j'aimerais ne plus penser à lui. J'entendis alors un grognement dans mon dos. Je me raidis à l'idée que Jeremy m'ait prise en flagrant délit mais il n'était même pas réveillé, il s'était seulement tourné sur le côté. Je soupirai de soulagement.
Préférant tout de même ne pas prendre le risque d'être découverte, je reposai les lettres comme je les avais trouvés et me dirigeai vers la porte. Étais-je en train de commettre une erreur ? Devais-je lire cette lettre ? Non. Pour une fois, j'allais me mêler de mes affaires. Lizzy devait se demander où j'étais. Néanmoins, alors que je m'apprêtai à sortir, un bruit étrange parvint à mon oreille. Cela n'avait rien à voir avec le son qu'avait émis Jeremy un peu plus tôt, cela ressemblait plus à un frottement, presque un grattement. J'avais présumé que la porte qui se trouvait dans un coin du salon donnait simplement sur la salle de bain. Se pouvait-il qu'il y ait quelque chose ou quelqu'un à l'intérieur ? Le bruit était très léger mais mon ouïe de Soleil me permettait de l'entendre. Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire... Le son cessa quelques secondes plus tard et je me demandai finalement s'il avait réellement existé. Je finis par laisser tomber et sortis de la chambre en fermant doucement la porte derrière moi.
- Hamilton.
Je me retournai si vite que mon dos cogna la porte dans un bruit sourd et je croisai les doigts pour cela n'ait pas gêné Jeremy.
- John, fis-je surprise.
Le Soleil Smith (alias John le sadique) se tenait devant moi avec sa tête de sociopathe en série. Il ne manquait plus que celui-là pour que le mercredi devienne aussi une journée pourrie, merci !
- Que faites-vous là ? me demanda-t-il sévèrement.
Il m'examinait en même temps avec intérêt, sûrement à la recherche d'indice. Il ne pensait quand même pas... oh au secours ! S'il commençait à croire que j'ai une relation avec Jeremy j'étais morte ! Et ça me répugnait légèrement au passage de le sentir me dévisager de cette manière... Voyons voir, ma tenue était tout à fait normale je dirais, je n'avais jamais été particulièrement ordonnée et ça John le savait. En revanche, mes cheveux étaient toujours coiffés en queue de cheval de fortune, c'était peut-être le seul argument qui était contre moi.
- Le Soleil Scandola ne se sentait pas bien, expliquai-je. Je lui ai conseillé d'aller se reposer c'est tout.
- Et il avait besoin que vous l'accompagniez jusqu'à sa chambre ? me demanda-t-il encore de plus en plus suspicieux.
Il existait une bonne réponse à ça ?
- On ne peut pas parler d'un besoin mais on en a profité pour discuter et cela tombe bien parce que justement, je dois vous demander quelque chose.
Il haussa un sourcil. Oui moi aussi je m'étonnais d'avoir dit ça.
- De quoi s'agit-il ? fit-il en se rapprochant de moi.
Mon dos était déjà collé à la porte, j'étais presque pris au piège. Je fis de mon mieux pour cacher mon malaise, il fallait au moins que j'arrive à rattraper le coup.
- À cause de son état de santé, le Soleil Scandola ne sera pas en mesure d'assurer la surveillance de mes heures de colles cet après-midi. Il vous prie de bien vouloir le remplacer.
Savannah, qu'est-ce que tu viens de faire ?!
Bizarrement, son visage s'adoucit.
- Oh je vois. J'imagine que cela devrait pouvoir se faire. Quelle heure ?
Je vous jure, il était presque en train de sourire.
- Euh... de 15 h à 17 h ça me semble pas mal.
- Hum. Vous avez intérêt à être à l'heure, Hamilton.
Il me regarda étrangement une dernière fois puis s'enfonça dans le couloir. Ceci était flippant !
Après le déjeuner, je repassai à l'infirmerie à la demande de Mme Diggle, avant d'aller en colle. Le temps qui me séparait de ce moment me paraissait toujours trop court.
- Alors ? Comment te sens-tu ? me demanda-t-elle sans aucune surprise.
- C'est si quelqu'un me repose encore cette question que je vais commencer à me sentir mal, répondis-je légèrement sur les nerfs.
Elle ne put s'empêcher de sourire.
- Je vois que tu vas mieux en effet. Des vertiges ?
Je secouai la tête.
- Des maux de têtes ou autres douleurs ?
- Non.
Elle me fit son petit examen habituel puis s'apprêta à repartir.
- Mme Diggle ? l'arrêtai-je.
Vous pensez bien que je n'étais pas uniquement revenue pour m'entendre dire ce que je savais déjà.
- Savannah ?
- Pouvez-vous m'en dire plus à propos des fameuses analyses de ce matin ? demandai-je, pleine d'espoir.
- Je crains que non, pardonne-moi. Il s'agit de quelque chose de sérieux et je tiens absolument à ne pas me tromper dans la conclusion que j'en tirerai et je n'en suis pas encore là. J'en suis sincèrement navrée, ma belle.
J'avais beau énormément apprécier Mme Diggle, toute la gentillesse et les « ma belle » du monde ne pouvait pas me rendre de meilleure humeur.
- Mais enfin c'est de moi qu'on parle, de ma tête. Ne pensez-vous pas que je mérite d'être informée de tout ça ?
Le pire était qu'elle était sincèrement navrée.
- Tu le seras Savannah, tu dois seulement être patiente.
Cette fois elle quitta la pièce et je ne pus que la laisser partir, déçue de n'avoir obtenu aucune réponse. Pourquoi est-ce que rien n'allait aujourd'hui ? C'était tellement fatiguant. J'étais presque surprise que M. Carter ne soit pas déjà venu me voir avec son air hautain pour me virer. Je devais sûrement m'en réjouir.
Je sortis rapidement de l'infirmerie et traversai la cour plongée dans mes pensées. La situation était réellement de plus en plus étrange. Et puis qu'est-ce qu'il pouvait bien être si grave pour que Mme Diggle n'en parle ni à moi ni à Jeremy ? D'ailleurs, est-ce que Jeremy dormait toujours ? J'imaginais que oui. C'était dommage ça aussi, j'allais devoir être surveillée par John ! Mais bon, je devais bien ça à Jeremy.
En attendant, je ne pouvais même pas m'entraîner avec tous les autres. L'entraînement me manquait. Même Mr Beau Gosse le prof de karaté me manquait, c'était dire à quel point j'étais désespérée. Et il y avait aussi ce problème avec la Battle. Il fallait absolument que je puisse la faire sans me faire virer. Rien que ça... L'idéal aurait été que Jeremy lui-même de ne soit pas là, ainsi que tous les Soleils au courant pour mon arrêt, ce qui franchement en faisait pas mal. J'étais pour le moins fichue.
L'heure fatidique finit par arriver et je me dépêchai alors d'aller dans le bâtiment où se trouvait la salle de permanence. De mon côté de la cour, j'aperçus John franchirent la porte de celui où je devais me trouver.
Vous avez intérêt à être à l'heure Hamilton.
Merde ! Je me mis à courir et arrivai seulement vingt secondes après John, que je bousculai même en arrivant. Oups. Non mais en même temps qui restait de dos en plein de l'entrée alors que qu'il attendait quelqu'un ?!
- Hé ! John, je vois que vous êtes aussi pressée que moi de passer ces deux interminables heures. C'est super, hein ?
Le regard qu'il me lança signifiait certainement : « Ferme-la, Savannah ». Mais il répondit ça :
- En effet, vous aurez l'occasion de rattraper un devoir et moi de pouvoir enfin dire que j'ai remplacé Scandola.
À peine tordu...
Attendez ? Est-ce qu'il venait vraiment de me sourire là ? Je lui souris poliment en retour et il s'écarta enfin de l'entrée pour me laisser passer. En général, les Soleils restaient dans le fond de la salle contre le mur. Cela permettait d'avoir une vue d'ensemble et de pouvoir évaluer tous les dangers potentiels. Bon, nous n'étions que deux dans cette salle, mais quand même. J'allais donc m'asseoir tout devant. Il passa alors près de moi en me frôlant et je retins un frisson de dégoût, puis il se mit devant moi et posa sur ma table une copie.
- Vous avez deux heures, me dit-il en se plaçant contre le mur.
Le mur en face de moi... Pourquoi me faisait-il ça ?!
- Avez-vous peur que je triche ?
Il afficha un air suffisant.
- Comme je suis certain que vous n'avez pas ouvert un manuel de géographie depuis un moment je pense que même avec une aide vous n'auriez pas plus de 8/20. Mais oui, je dois néanmoins m'assurer que vous ne le fassiez pas.
Je lui sortis mon plus beau sourire ironique.
- Merci beaucoup pour votre vigilance. M. Gardiner vous en sera certainement très reconnaissant.
- Je m'en doute. De votre côté faite un effort pour ne pas rendre une copie blanche.
Je fronçai le nez.
- Ce n'est pas mon genre, voyons.
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