Chapitre 24
Le froid et la chaleur s'entre-tuaient. La haine et l'amour, le mal et le bien, tous se contredisaient à l'intérieur de mon corps. C'était le chaos. Un combat sans pitié était en train de se dérouler et je ne pouvais rien faire. Il y avait de la force mais aussi de la douleur. Il y avait de la vie. La chaleur encaissait les coups mais brûlait toujours, tandis que le froid luttait avec noblesse mais ne tarderait pas à fondre lentement. Chaque coup produisait une explosion, des étincelles jaillissaient parmi les flammes et des aiguilles se plantaient dans mon cerveau. Chaque pique de glace volait en éclat en coupant ma peau blanche. Une perle de sang apparut. Elle glissa doucement sur la courbure de mon poignet et rejoignis une mare de sang. Mon débardeur blanc était glacial contre ma peau brûlante, me grattait et m'irritait. Il était aussi tâché de sang et de terre.
Je levai les yeux et vis le feuillage garnis des hêtres et des chênes, mais aussi les feuilles colorées, tombant une à une près de mon visage. Je me tâtai les doigts et les sentis terreux. Je les frottai contre ma jambe pour que cette sensation parte mais dès qu'ils touchèrent ma peau, je reçus comme une décharge électrique. Puis une brûlure. Mes jambes étaient nues mais je sentais que je portais un short court. Au prix d'un effort surhumain, je me redressai et mes cheveux tombèrent en cascade autour de mon visage. Je portais en effet un short noir et un débardeur blanc. Mes jambes étaient recouvertes de coupures, de bleus et même de morsures.
Je posai une main sur le sol pour me stabiliser, mais à ma grande surprise, il était si froid que cela fit aussi mal qu'une brûlure. Une flaque de verglas entourait tout l'espace sous lequel était assis mon corps. Des petits points blancs commencèrent à me brouiller la vision. Il neigeait. Il pleuvait. Les flocons se transformaient en piques de glaces un à un et la pluie devenait du sang. Les piques m'entaillaient encore davantage et le sang aurait pu être capable de brûler du charbon et de le consumer immédiatement tellement il m'arracha une terrible douleur. Je voulu me recroqueviller sur moi-même mais quelque chose m'en empêchait au plus profond de moi. Une lame. Un couteau plein de sang était enfoncé de plusieurs centimètres dans mon ventre et le sang gagnait maintenant presque chaque parcelle du tissu blanc de mon débardeur. Je portai alors les mains à mon ventre et observai mes poignets avec horreur. Une profonde entaille barrait chacun d'eux et s'enfonçait dans mes veines, laissant des torrents de sang se libérer.
Je poussai un tel cri que tout vibra autour de moi.
- Savannah ! Savannah, calme-toi, tout va bien ! me dit une voix calme mais surprise.
Il me fallut tout de même plusieurs instants pour arrêter de crier et encore d'autres pour comprendre. C'était un rêve. Un horrible rêve, mais juste un rêve. Mes yeux fatigués, mais bien ouverts, constatèrent que j'étais dans un lit. Un lit de l'infirmerie de toute évidence. Je portais une de ces affreuses tuniques médicales et j'étais toute moite de transpiration. Mes gestes étaient encore paniqués mais je commençai doucement à me détendre. Quelqu'un me tenait par les épaules, doucement et fermement à la fois.
- C'est fini, me chuchota Jeremy.
J'eus l'impression de n'entendre que ma respiration saccadée. Mes mains étaient cramponnées à ses avants bras et mes ongles s'enfonçaient dans sa peau. Il avait l'air de ne rien sentir et continuait de me regarder intensément. Du sang commença à apparaître au bout de mes ongles alors je m'écartai violemment. En parallèle à ce que je venais de voir, je me frottai les poignets et fus ravie, si ce n'était immensément soulagée, de les voir intacts. Jeremy me regarda en fronçant les sourcils, surpris.
- Je vais te lâcher Savannah, d'accord ?
Je m'efforçai de ralentir ma respiration.
- Je n'ai plus cinq ans, tu peux me parler normalement, dis-je enfin.
Il poussa un soupir et sembla lui aussi soulagé de ma réponse. J'entourai inconsciemment mon ventre de mes bras.
- As-tu froid ? me demanda-t-il alors.
Je levai la tête vers lui et découvris son visage fatigué. De légers cernes soulignaient ses yeux sombres et ses cheveux châtains étaient plus ou moins ébouriffés. Qu'était-il arrivé à ce pauvre Jeremy ? Je n'avais jamais vu le « parfait Soleil Scandola » dans cet état.
- Comment ? Ah non, ça va merci.
Il acquiesça mais m'observait toujours d'un œil perçant. Ses vêtements étaient quelque peu terreux et il semblait être assis sur cette chaise si peu confortable à mon chevet depuis des heures. Où s'était-il fourré au juste ?
- Très bien... ça va ta tête ?
Je réfléchis un instant avant de sentir une certaine douleur, qui ne me préoccupait que très peu en cet instant.
- Oui, je n'ai rien.
- Tu mens, affirma-t-il immédiatement, le regard dur.
- Non c'est toi qui mens, me défendis-je faiblement, sans réelle conviction.
Il secoua légèrement la tête, l'air de dire qu'il n'était pas dupe.
- Savannah ça se voit que tu as mal, ne fais pas semblant.
- Alors puisque tu es si malin dis-moi ce que j'ai, déclarai-je alors fermement, souhaitant en finir au plus vite.
- Tu as une commotion cérébrale assez importante...et quelques bleus, disons.
Il n'avait pas osé me regarder dans les yeux en me fournissant cette réponse, comme s'il se sentait coupable. Décidément, la question semblait plutôt être : Dans quoi m'étais-je encore fourrée ?
- Que je dois à quoi ? demandai-je encore, attendant des détails qui ne sortaient toujours pas de la bouche de mon mentor.
Il ne leva toujours pas les yeux sur moi mais se redressa sur sa chaise, presque impatient de partir d'ici.
- On devrait peut-être attendre l'infirmière, me répondit-il finalement, pour le moins gêné.
- Jeremy c'est bon crache le morceau !
Il se tourna enfin vers moi.
- Alors tu ne t'en souviens vraiment pas ?
Pourquoi les gens posaient-ils si souvent des questions stupides ?
- Tu crois vraiment que je te demanderais si je m'en souvenais ? fis-je, définitivement sur les nerfs.
Il hocha la tête sans vraiment se soucier de mon humeur.
- Ne t'inquiète pas c'est normal, ça va te revenir, déclara-t-il, impassible.
- Est-ce que j'ai l'air inquiète ?
Il me regarda d'un air exaspéré, mais il n'était sûrement pas aussi agacé que moi. Je détestais les chambres d'hôpital, ces pièces toujours si mornes et déprimantes, je détestais faire ces cauchemars terrifiants, je détestais ces migraines agressives et je détestais la présence de mon mentor dans une telle situation.
- D'accord, alors dis-moi, ça te parle si je te dis que ton idée brillante du lundi a été de faire une petite réunion nocturne à la belle étoile chez les Darcy ?
Quoi ? Oh mais non je ne m'en souviens même pas...
- Non, c'est dommage, mais je me félicite de l'avoir fait, ça a l'air vraiment sympa.
J'affichai un petit air fier qui sembla fortement déplaire à Jeremy.
- Quoiqu'il en soit, reprit-il quelque peu méprisant, allumer un feu au milieu du jardin n'était pas ta meilleure idée. Les voisins nous ont prévenu en voyant la fumée mais grâce aux caméras on a vite vu qu'il s'agissait d'autre chose.
- Laisse-moi deviner, vous vous êtes dit qu'on était tellement en danger dans un jardin autour d'un feu réchauffant qu'il fallait vite envoyer une équipe nous sauver ? Quelle bravoure...
Je croisai les bras sur ma poitrine, désespérée par leur fonctionnement intellectuel, mais sachant aussi que je n'échapperai pas au sermon de toute façon.
- Ce n'est pas une blague Savannah, cela aurait pu mal tourner et certains d'entre vous utilisaient leurs pouvoirs.
- Waouh, le risque de malade...non sérieux, c'est quoi la suite ? demandai-je, impatiente.
- Des gardiens sont arrivés et ont mis fin à la fête. Contrairement aux autres, tu n'as pas voulu faire le choix le plus raisonnable, ce qui n'a en réalité rien d'étonnant, et tu t'es enfuie par le jardin jusque dans la forêt. C'était complètement stupide, tu en as conscience ?
Son évocation de la forêt me rappela alors quelques souvenirs. Mon rêve, mais pas seulement. Zoey était là. C'est pour ça que je m'étais enfuie. C'était elle que je voulais protéger, pas moi. Il avait tort, ce n'était pas stupide, je lui avais évité bien des ennuis. Néanmoins, je n'étais pas encore certaine qu'elle s'en était tirée sans problème.
- Je ne répondrai à aucune de tes questions tant que tu ne finiras pas de répondre entièrement à la mienne, expliquai-je clairement.
Il se lassa retomber contre le dossier de sa chaise, épuisé.
- Ensuite je t'ai trouvée inconsciente dans la forêt.
Quoi c'est tout ?!
- Tu étais blessée et morte de froid, je t'ai ramenée au pensionnat.
- Alors je suis la seule à avoir fait un choix stupide ? demandai-je, habilement je l'espérais.
Il leva les yeux au ciel.
- Bien sûr, ça non plus ce n'est pas très surprenant.
Ouf, alors Zoey avait eu le temps de se cacher.
- Tout ça ne m'explique pas comment j'ai été blessée.
J'observai avec attention sa réaction. J'aurais aimé le voir se décomposer, mais il resta professionnel et ne laissa rien paraître.
- Je...je n'en sais rien, il faisait sombre, tu t'es peut-être pris une branche tout simplement.
Je n'avais jamais entendu d'excuses aussi peu crédibles.
- Peut-être...
- Savannah ! fit alors Mme Diggle l'infirmière en entrant dans la pièce. Tu es enfin réveillée. Comme te sens-tu ? Tu as l'air toute transpirante.
C'est vrai. Gênant.
- Oh euh oui, juste un mauvais rêve assez morbide.
Elle acquiesça gentiment.
- Je vois.
Elle s'approcha de moi, me souleva le menton et examina mes yeux avec précaution.
- Un problème ? demanda Jeremy en recouvrant sa méfiance habituelle.
- Ne vous inquiétez pas Scandola, je sais ce que je fais, c'est mon domaine.
Oh... Apparemment ils n'étaient pas potes eux deux.
- Tant mieux, alors dites-moi, ses yeux ont-ils quelque chose de particulier ?
Il s'était finalement levé de sa petite chaise, et nous dominait, Mme Diggle et moi, de sa taille imposante. Personne n'allait se laisser faire.
- Pour répondre à votre question, ils sont injectés de sang ce qui peux laisser supposer plusieurs choses mais rien de bien méchant à ce stade.
Plusieurs coups retentirent alors à la porte. Jeremy alla ouvrir la porte, mais seulement suffisamment pour que sa tête puisse passer dans l'ouverture. C'était ridicule. Nous l'entendîmes ensuite soupirer, puis il se tourna vers nous.
- Mlle Darcy voudrait voir Savannah mais je ne sais pas si c'est une bonne idée. Elle doit se reposer.
Pourquoi parlait-il comme si je n'étais pas là ? Ma meilleure amie était de l'autre côté de cette porte et nous entendait très bien. Il était vraiment naïf de croire que sa réticence consistait un obstacle digne de ce nom.
- Vous plaisantez ? m'exclamai-je. Bien sûr que je vais la voir !
Lizzy poussa presque Jeremy en entrant en trombe dans la pièce. Elle fonça aussitôt dans mes bras.
- Anna ! Quand vais-je enfin pouvoir cesser de m'inquiéter pour toi...
- Immédiatement, dis-je dans ses cheveux, c'est moi qui dois m'inquiéter et te protéger, pas l'inverse.
- C'est justement ce qui m'inquiète. Alors, pouvez-vous me répondre maintenant ? demanda-t-elle en se retournant vers Mme Diggle et Jeremy qui n'avaient pas bougé. Que s'est-il passé ?
Les cheveux de Lizzy étaient décoiffés et le manque de sommeil était lisible sur son visage mais elle restait très belle, comme d'habitude. Ce qui était légèrement différent, c'était la détermination de ses yeux et l'autorité de sa voix.
Mme Diggle et mon mentor se regardèrent tout deux sans vraiment savoir quoi dire.
- C'était un accident quoiqu'il en soit, Mlle Darcy. Mlle Hamilton ne connaît sûrement pas la forêt aussi bien qu'elle le croie.
- Je vous en prie Jeremy, nous savons tous les deux que cela n'a rien à voir. Regardez ses blessures.
Je devais reconnaître que voir mon mentor dans une telle posture était plutôt drôle.
- Certes, mais nous ne sommes pas en position de connaître les faits exacts. Je crains que cette nuit reste encore floue un petit moment.
- Trouvez-vous cela normal ?
Lizzy se servait de son influence pour obtenir des réponses. Elle a toujours eu horreur de ça, mais elle savait ce qu'elle voulait.
- Excusez-moi ? nous interrompit une petite voix
Un jeune infirmier entra calmement dans la chambre, mais pas sans nous dévisager un par un.
- Qu'y a-t-il ? lui fit gentiment notre infirmière.
- J'ai les résultats de l'analyse de Savannah Hamilton.
- Quelles analyses ? demanda alors Jeremy, surpris et inquiet.
Mme Diggle évita nos regards interrogateurs.
- N'est-ce pas ce que vous m'aviez demandé ? demanda à son tour le pauvre infirmier.
- Si, merci.
Elle lui prit le document des mains et il quitta la pièce, ravi de s'en aller d'ici.
- Quelqu'un peut-il m'expliquer de quoi il s'agit ? Jeremy vous avez dit que vous en aviez fini avec les analyses, s'enquit immédiatement ma meilleure amie.
- C'est ce que je pensais aussi, répondit-il en se tournant vers Mme Diggle.
- Très bien, écoutez tous, j'ai observé quelque chose d'inhabituel dans la blessure à la tête de Savannah, ce n'est probablement rien mais je voulais m'en assurer.
- Et ? m'écriai-je, ahurie.
- Je vous en parlerai quand je serais fixée.
Je la regardai droit dans les yeux quelques secondes, mais sa détermination était infaillible. Je n'en pouvais plus.
- On parle de ma tête-là c'est quoi ce délire ?! Mme Diggle, si vous savez quelque chose dites-le moi un point c'est tout !
Elle croisa les bras sur sa poitrine.
- Tout ce que je sais, c'est que tu vas rester en observation encore trois jours et si tout se passe bien d'ici là j'envisagerai de te laisser reprendre tes activités habituelles.
Je crus que mes yeux allaient sortir de leur orbite.
- Trois jours ? articulai-je difficilement. Trois jours ! C'est beaucoup trop !
Mme Diggle secoua la tête, résolue.
- Ma décision est prise.
- Je m'entraîne pour devenir une Soleil, je ne peux pas passer trois jours à l'infirmerie pour aucune raison valable, c'est insensé ! Vous savez que j'ai déjà du retard par rapport aux autres, vous ne pouvez pas me faire ça !
Elle fit un pas vers moi et planta son regard dans le mien.
- Trois jours sans la moindre activité physique. Fin de la discussion.
Sur ce, elle quitta la pièce elle aussi. Un bref silence envahit la pièce, mais je n'en restai pas là.
- Jeremy ?!
Mon mentor soupira à nouveau et se massa les tempes.
- Je sais Savannah, c'est bon. Nous devons faire confiance à Mme Diggle, ça ne peut pas être sans raison, je vais essayer de me renseigner.
- Essayer ? Imagine que j'ai un traumatisme permanent ou un truc dans le genre, je n'ai pas le droit de le savoir quand même ?
- Quoi ? intervint Lizzy en me regardant horrifié.
Jeremy parut complètement exaspéré
- Si c'était le cas elle en aurait parlé depuis longtemps je vous rassure toutes les deux. Elle doit avoir ses raisons, répondit-il en réunissant ses efforts pour rester calme.
Je m'apprêtai à répliquer, mais je finis par comprendre que ce n'était pas une bataille que je pouvais gagner. Le savoir c'est le pouvoir, n'est-ce pas ? Nous ne savions rien et ne pouvions rien y faire, si c'était attendre.
- Bon, je peux avoir des vêtements sinon ?
Mon changement de sujet soudain les surprit tous les deux, principalement mon mentor. Il me lança un petit regard un coin.
- Ben quoi ? C'est toi qui m'a appris à ne pas insister, ne sois pas si surpris de me voir appliquer tes leçons, me défendis-je.
Lizzy réagit enfin.
- Tiens, dit-elle en me tendant un sac, je t'en ai apporté.
- Ah merci, enfin quelqu'un d'utile, lui fis-je avec un clin d'œil.
Je me dirigeai donc vers le paravent et sortis le jean et le pull qui se trouvait dans le sac. Je m'habillai le plus rapidement possible, malgré la difficulté que j'éprouvais à rester en équilibre sur une jambe pour enfiler le jean. Heureusement, Jeremy et Lizzy n'en savait rien.
Lorsque je fus prête, je lançai à Lizzy :
- Pourquoi sommes-nous encore ici ?
Comme rien n'était jamais simple, Jeremy nous arrêta quand nous arrivâmes près de la porte.
- Je croyais qu'on était d'accord pour que tu te reposes trois jours ?
- C'est le cas. Je ne m'entraînerai pas et je dormirai ici mais ça ne veut pas dire que je vais passer mes journées dans cette pièce immonde à attendre qu'on réponde à mes questions.
Il planta son regard dans le mien et finit par comprendre qu'il ne pourrait pas me faire changer d'avis. À chacun ses défaites. Il soupira et nous laissa finalement passer.
- Merci ! dis-je malicieusement.
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Jeremy semble être un bon menteur, néanmoins ce n'est qu'une question de temps avant que Savannah ne se doute de quelque chose ! Pourquoi pensez-vous que Jeremy n'est pas honnête ? 🤔
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