Chapitre 19
Après avoir fait du shopping et s'être promenés en ville tout l'après-midi, nous étions rentrés à la villa bien fatigués. William et Veronica se chargeaient de préparer le dîner – ce qui devait être une sacrée épreuve pour eux, même si nous les entendions rire dans toute la maison – Lizzy, elle, prenait tranquillement un bain pour se détendre et chaque Soleil était à son poste pour veiller à leur sécurité, comme d'habitude. Pour ma part, j'avais décidé de profiter des derniers rayons du soleil jusqu'au bout, avant qu'il ne cède sa place à la lune et aux étoiles.
Assise sur le rebord de la piscine, mes jambes se balançaient dans l'eau rendue orangée par le coucher du soleil et ses mille teintes de couleur. Je faisais de mon mieux pour mémoriser la sensation de chaleur captée par ma peau. Si j'y parvenais, le retour au Minnesota serait peut-être moins froid. L'air californien était encore doux à cette heure de la journée, alors je m'étais remise en maillot de bain afin d'en bénéficier un maximum. Étant une Soleil, je ne pouvais pas attraper de coups de soleil et ma peau claire bronzait difficilement, alors je pouvais me permettre de rester des heures le visage lever vers le soleil, les paupières closes pour mieux rêver.
- À quoi penses-tu ? me demanda soudainement une voix grave dans mon dos.
Je n'eus pas besoin de rouvrir les yeux pour savoir à qui elle appartenait.
- À des choses étranges.
Je sentis ensuite Jeremy s'asseoir à mes côtés, mais sans pour autant me toucher ni plonger les jambes sous l'eau. Il ratait quelque chose.
- Plus étranges que d'habitude ?
Je souris malgré moi. Je crois que je ne comprendrais jamais mon mentor. J'étais connue pour être lunatique, mais lui alors ! Il passait d'une humeur à l'autre en si peu de temps que j'étais incapable d'anticiper quoi que ce soit venant de lui. Ce matin, il jouait le mentor autoritaire et presque méprisant. Ce soir, il était le mentor amicale et presque agréable.
- Es-tu en train d'insinuer que mes pensées sont toujours étranges ? lui fis-je d'un ton faussement menaçant.
- Dis-moi à quoi tu pensais avant que j'arrive et je te répondrai honnêtement.
J'ouvris discrètement un œil et découvris un Jeremy détendu, souriant, qui dessinait du doigt des formes mystérieuses dans l'eau. Puisqu'il était en service, il était obligé de porter ses habituels pantalon et chemise noirs, mais les premiers boutons de celle-ci étaient défaits. Il devait vraiment être de bonne humeur.
- Tu as vu le film Disney La Belle Au Bois Dormant ?
J'avais depuis refermé les yeux, mais je pus deviner sa surprise.
- Euh...il y a longtemps, oui.
- Tu te souviens de la fin ?
Jeremy étant un garçon, ce n'était probablement pas son film Disney préféré, quand bien même le prince avait un rôle plus important que d'en d'autres, alors je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'il s'en souvienne.
- Aurore finit avec le Prince Philippe ? tenta-t-il.
Je rouvris les yeux, trop tentée de voir la tête de Jeremy. Il était légèrement amusé, mais son air semblait surtout vouloir dire que c'était la fin la plus prévisible de tous les temps. Malgré cela, il était aussi curieux de savoir où je voulais en venir.
- C'est vrai. Aurore retrouve ses parents, Philippe retrouve son père, puis ils s'éloignent et dansent ensemble comme au premier jour. Cette fois, J'en Ai Rêvé est reprise avec un orchestre et au fur et à mesure, le décor change et ils se retrouvent à valser dans les nuages pendant un coucher de soleil comme celui-ci. Je me disais que ça devait être vachement génial de danser dans le ciel comme ça, on doit avoir l'impression de voler.
Je cessai d'admirer le ciel d'un air rêveur et reportai mon attention sur mon mentor, qui me dévisageait avec un mélange d'étonnement et de fascination dans les yeux.
- Alors ? C'est étrange ?
Il leva lui-même le regard vers le ciel, puis à nouveau vers moi, et répondit simplement :
- C'est inhabituel, pas étrange.
- Savannah ! m'appela alors William.
Je me retournai et le vit apparaître derrière la grande baie vitrée.
- Le dîner est prêt, annonça-t-il fièrement.
- Tu es sûr ? Ça ne sent même pas le cramé, vous avez bien allumé le four ? lui lançai-je malicieusement.
William plissa les yeux.
- Viens tout de suite à table avant que je ne change d'avis et t'envoie dans ta chambre sans manger.
Je fis une mine boudeuse, puis sortis finalement les jambes de l'eau.
- Au cas où je meurs d'une intoxication alimentaire, c'était sympa de te connaître, glissai-je à Jeremy avant de rentrer à l'intérieur.
Je ne pus observer sa réaction, mais je le devinai très bien sourire malgré lui. Je n'avais pas le temps de me changer, alors j'enfilai simplement un léger kimono fleuri – volé à Lizzy – et allai manger. En réalité, j'avais tellement faim que la cuisson n'avait pas la moindre importance.
Le dîner se déroula à merveille et ce fût avec plaisir que je découvris le talent caché de cuisinier de William. Alors que j'aidais à débarrasser la table, il me sembla percevoir du mouvement dans le petit bois qui entourait la propriété. La nuit était déjà tombée et cette partie du jardin n'était pas éclairée, alors j'en conclus que j'avais probablement rêvé. Autrement, cela devait être un animal.
J'allai mettre les assiettes dans le lave-vaisselle, mais ne pus m'empêcher de réfléchir sérieusement quelques secondes. Un animal dans un minuscule bois privé dans les hauteurs de Los Angeles ? N'importe quoi ! Je retournai près de la baie vitrée et observai le jardin avec intention. Rien ne bougeait. Même l'eau de la piscine était d'une immobilité inquiétante. Je m'apprêtai finalement à retourner auprès de Lizzy lorsque je distinguai une silhouette courir d'un tronc à un autre. Ça s'était passé tellement rapidement que je n'étais toujours pas certaine d'avoir vraiment vu quelque chose. Je devais me rapprocher.
- Tu viens ? me lança alors Lizzy, déjà en haut des escaliers qui menaient à l'étage.
- J'ai oublié mon livre près de la piscine, je te rejoins dans une minute !
J'ouvris la baie vitrée et sortis sur la terrasse. L'air nocturne était désormais frais et les pans de mon kimono ainsi que mes cheveux volèrent au gré du vent. Je descendis les quelques marches qui me séparaient de la piscine, mais j'étais encore trop loin pour voir correctement ce qui se trouvait derrière les arbres. Je poussais donc mes pieds nus à s'aventurer plus loin dans l'herbe jusqu'à n'être plus qu'à quelques mètres de la lisière. Il me vint alors à l'esprit que des Soleils auraient dû se trouver dans le jardin à cette heure-ci et qu'il n'y avait personne. Quelque chose n'allait pas.
Je pivotais sur mes jambes pour rejoindre la maison et trouver Jeremy lorsqu'une main puissante empoigna mon bras et me tira en arrière. Une branche s'écrasa sur l'arrière de mon crâne avant que je puisse faire le moindre bruit.
Dix minutes plus tard, d'étranges frissons me réveillèrent. Je clignai des paupières, mais mes yeux ne parvinrent pas encore à capturer une image fixe. Une douleur stridente me déchirait l'arrière de la tête et j'avais l'impression d'être allongée sur un sol irrégulier et sale. En effet, lorsque je réussis à me redresser, je me découvris encerclée par des arbres. J'étais moi-même allongée sur un tas de feuilles et de racines bossues. Mon kimono était à moitié déchiré et ma peau était presque entièrement à nue contre la terre froide et complètement à la merci du vent. Je levai la tête mais seule la cime des arbres et le ciel étoilé m'apparurent.
Je ne comprenais pas ce que je faisais là, mais j'étais certaine de ne pas vouloir rester. Je me relevai le plus rapidement possible et m'apprêtais à courir dans la direction des lumières lorsqu'une immense silhouette s'imposa devant moi. Mon cœur fit un bon dans ma poitrine et je me retrouvai incapable de bouger ne serait-ce que d'un millimètre, comme si mes pieds étaient en train de s'enraciner dans le sol.
Un homme d'une taille et d'une carrure monstrueusement grande me faisait face. Ses vêtements étaient sales et déchirés. Ses poings étaient incroyablement serrés et des veines noires soulignaient les muscles de ses avant-bras, comme de son cou. Enfin, son regard d'un rouge sanglant me transperçait avec une violence purement meurtrière. C'était un Lune.
Parfaitement incapable de réfléchir, je m'en remis entièrement à mon premier instinct de survie : courir. Seulement, j'eus à peine fait trois pas qu'une femme surgit d'entre les arbres et me gifla si fort que j'en fus projetée à plusieurs mètres de là. Le souffle coupé, je m'efforçai de me remettre sur pied en ignorant la douleur de ma peau écorchée. Cette fois-ci, ce fut à deux Lunes que je dus faire face.
La femme avait une corpulence davantage semblable à la mienne, mais sa force était incomparable. Je devais partir. Je devais absolument partir d'ici d'une manière ou d'une autre. J'analysai donc mon environnement comme on me l'avait appris et remarquai qu'une lourde branche se trouvait juste au-dessus des Lunes. Je mobilisai mon pouvoir de psychokinésie et l'arrachait à son tronc avant de la lâcher. Je n'attendis pas de voir le résultat, mais fonçai ventre à terre. Je savais que je n'étais pas assez rapide ou silencieuse pour les semer immédiatement alors je continuai de leur barrer le chemin avec toutes sortes d'obstacles.
Courir pieds nus dans un bois était douloureux, mais certainement pas autant que de se faire écorchée vive, alors j'accélérai toujours plus vite. Je ne pouvais pas être bien loin de la villa. Alors que je commençai à apercevoir à nouveau de la lumière, des griffes aiguisées me déchirèrent le bras. Un cri aigu m'échappa avant qu'une grande main s'écrasât sur ma bouche et que l'on me plaquât contre un tronc d'arbre. J'écarquillai grand les yeux et découvris que c'était encore un autre Lune qui m'avait attaquée : une grande balafre barrait la moitié de son visage. Mon Dieu, mais combien étaient-ils ?
Le sang chaud coulant le long de mon bras attira vite l'attention de mon agresseur. La seule chose qui me vint à l'esprit pour le distraire fut de mordre sa main et d'envoyer mon tibia dans son entrejambe le plus fort possible. Il ne se plia pas autant que je l'espérais, mais suffisamment pour que je pusse attraper sa tête et l'écraser contre mon genou. Après ça, je réussis à me dégager de son emprise et à lui envoyer une branche en pleine figure.
Un grognement roque résonna ensuite dans tout le bois et trois nouveaux Lunes surgirent autour de moi, comme tombés des arbres. Je crus que c'était fini pour moi, mais contre toute attente, ils ne m'adressèrent pas un regard. Ils foncèrent tous à une vitesse terrifiante vers les lumières.
Les Darcy.
Je voulus me lancer à leur poursuite, mais une main puissante s'enroula autour de mon mollet et me traîna au sol sur plusieurs mètres. Cette fois-ci, je pus crier à la fois de peur, de douleur et dans le but d'alerter les Soleils qui gardaient la maison. Le Lune ne s'arrêta pas avant que mon corps ne fût entièrement blessé, mais ce n'était même pas ce qui me faisait le plus mal. Il ne s'agissait plus que de moi. Ils étaient là pour Lizzy, Veronica et William. Ils étaient là pour ma seule famille.
Je hurlai de plus belle aussi fort que possible jusqu'à ce qu'un pied vienne écraser mon abdomen. Si le souffle commença à me manquer, sentir mes côtes se briser me fit crier encore davantage. Soudain, je distinguai un objet long et pointu fendre l'air au-dessus de moi et transpercer la poitrine de mon agresseur. Je ne perdis pas une seconde et poussai sa jambe me libérer. Me remettre sur pied me coûta énormément d'énergie tant la douleur était forte.
Je regardai ensuite tout autour de moi à la recherche du Soleil qui m'avait sauvé la vie, mais je ne vis personne. Fatiguée, désespérée et terrifiée, j'allai me cacher derrière un tronc d'arbre et couvris ma bouche d'une main tremblante pour étouffer mes sanglots. J'eus envie de fermer les yeux et de prier pour me réveiller et quitter ce cauchemar mais le risque qu'un autre Lune surgisse devant moi m'en empêchait.
- Savannah ! s'éleva alors une voix forte au sein du bois.
Je cessai immédiatement de pleurer et tendis l'oreille à la recherche de mon dernier espoir.
- Savannah !
Mon ouïe de Soleil me permit de savoir dans quelle direction je devais aller, mais ce n'était désormais plus mon plus gros problème : je n'étais pas certaine d'être en état de courir. Mon corps tout entier était ensanglanté et je n'avais jamais été autant blessée de toute ma vie. Jusqu'à maintenant, relever des défis et repousser mes limites n'avaient jamais été un problème parce que j'étais déterminée et confiante. Mais en réalité, je n'étais ni courageuse, ni invincible. J'étais terrifiée.
- Savannah !
Je pus reconnaître sans aucun doute la voix de Jeremy et si mes sanglots ne m'en avaient pas empêchée, j'aurais crié son nom en retour. Ma tête commença à palpiter et je me demandai un instant si je n'allais pas m'évanouir, quand mes oreilles captèrent soudain des craquements et des bruits de pas lourds courir droit vers moi. Venant du fond du bois, ça ne pouvait pas être un Soleil.
Contrairement à ce que j'avais cru plus tôt, je ne mourus pas de peur sur le coup, mais me réveillai enfin. J'étais forte. J'étais une putain de battante. Je n'allais pas mourir aujourd'hui parce que j'avais eu trop peur ne serait-ce que d'essayer de sauver ma peau. Ainsi je puisai au fond de moi la force de me relever et commençai à courir là où mon ouïe me guidait.
- Savannah !
Après plusieurs minutes de course effrénée et douloureuse au plus haut point, Jeremy apparut enfin à une vingtaine de mètres de moi. Je fus si soulagée que je cessai de courir et soufflai profondément. Je laissai couler les larmes que je retenais quand il commença à courir vers moi, l'air confiant et protecteur.
Il ne lui manquait plus que quelques mètres pour pouvoir me toucher lorsqu'une Lune lui rentra dedans avec la force d'un boulet de canon. Mon mentor se retrouva violemment projeté au sol et évita de justesse des racines traîtresses qui sortaient du sol.
- Jeremy !
La Lune se tourna vers moi, un air purement pervers et démoniaque sur le visage. Je refusai de laisser à nouveau mon corps se paralyser. Je courus et me plaçai devant Jeremy qui était toujours inconscient. Je n'étais pas en état d'encaisser les coups, mais mes pouvoirs, eux, étaient encore intacts, alors je déchaînai toute ma psychokinésie sur la Lune. Les branches, les pierres, les racines, tout y passa, mais ça ne fit que l'énerver un peu plus. Je me retrouvai vite à court de moyens et la panique commença à me gagner.
La Lune fonça sur moi comme elle l'avait fait sur Jeremy, mais je réussis à l'esquiver de peu. Néanmoins, je me retrouvai coincée contre un tronc d'arbre et c'était encore bien plus dangereux. Lorsqu'elle revint à la charge, elle visa immédiatement ma nuque et je ne pus même pas tourner la tête pour retrouver un tout petit filet d'air. Avec le peu de force qu'il me restait, je lui envoyai un uppercut en pleine mâchoire, mais cela ne la fit pas desserrer son emprise. Alors que mes yeux se brouillaient de larmes et que presque plus une goutte de sang ne parvenait à mon cerveau, Jeremy surgit derrière la Lune et lui planta un poignard dans le dos avec précision, de telle manière qu'il atteignit parfaitement son cœur. Il attrapa ensuite sa tête, la tira en arrière pour me libérer et brisa sa nuque.
Je m'effondrai au pied de l'arbre, déjà à moitié inconsciente.
- Savannah ? Savannah, tu m'entends ? s'écria mon mentor en s'agenouillant près de moi.
Il prit mon visage entre ses mains et comprit que j'allais m'évanouir. Il caressa ensuite brièvement mes joues et mes cheveux avant de blottir ma tête dans le creux de son épaule, puis de soulever mes jambes. Il me porta ainsi sur tout le chemin qui nous séparait de la villa, mais je perdis connaissance dans ses bras protecteurs bien avant d'arriver à destination.
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Savannah n'était évidemment pas prête à ce que sa première rencontre avec des Lunes se passent ainsi, mais on ne choisit pas ce genre de choses, hein ? En tout cas cette fois-ci, elle ne peut pas se plaindre de la présence de Jeremy 😉
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