Mon jeudi débuta bien mal. Pour commencer, je n'avais pas bien dormi. J'avais beau me retourner encore et encore, il n'y avait rien à faire. J'avais eu très chaud, je n'avais cessé de transpirer et de suffoquer, ce qui était pour le moins étrange vu les conditions climatiques actuelles, mais passons. Ce n'était pas ça qui me ferait prendre une douche froide pour la première fois.

Les profs semblaient d'un autre avis, en revanche. À deux reprises, on avait dû me rappeler à l'ordre, soi-disant parce que j'étais en train de m'endormir. J'étais sûre que c'était faux, j'étais seulement distraite et ils n'avaient pas fait la différence, voilà tout. Et puis d'après eux, avec le retard que j'avais déjà accumulé, je ne devrais pas me permettre de penser à autre chose. Traduction : oublie ta vie et passe ton temps à bosser à la bibliothèque. Désolée mais je n'allais certainement pas suivre ce genre de conseil. Je ne me ferais jamais passer au second plan pour une dissertation, un devoir maison d'histoire ou l'approche des travaux pratiques notés. Ils pouvaient tout de suite oublier cette option.

Quoiqu'il en soit, mon entraînement avec Jeremy était maintenant dans 5 minutes et j'avais toujours envie de fermer les paupières et de m'endormir sur le champ. Voilà une chose qu'en l'occurrence, je ne pouvais vraiment pas me permettre.

J'arrivai en avance pour me changer dans les vestiaires du gymnase plutôt que de refaire un détour par ma chambre. Ça m'aiderait peut-être à me mettre dans l'ambiance.

Ha ha ha ! Tu parles Savannah... Comme si cette odeur de sueur et de chaussettes puantes pouvait aider qui que ce soit.

Conclusion, je passerai par ma chambre la prochaine fois.

Jeremy fut bien sûr pile à l'heure, mais là je n'étonne personne. J'imaginais très bien ce qu'il aurait envie de dire en voyant de ma tête de déterrée et me préparai donc à l'affronter, du moins verbalement.

- Bonjour, me dit-il simplement, contre toute attente.

- Bonjour, répondis-je plus hésitante.

Il se tut et sortit son matériel quant à moi, garder les yeux ouverts été déjà un effort considérable.

- Aujourd'hui j'aimerais voir plus sérieusement de quoi tu es capable, me déclara-t-il.

Comme s'il ne le savait pas déjà... J'avais botté le derrière de ses propres collègues devant lui, que voulait-il de plus ? Bien entendu, je répondis une toute autre chose.

- D'accord.

Quelle horreur, je ne reconnaissais même pas la petite voix qui parlait à ma place.

- Tiens.

Il me lança un poignard possédant un manche en bois. En temps normal, j'aurais été ravie, mais là, la simple vu d'une chose aussi tranchante m'agressait.

- Il n'est pas imprégné, tu n'as rien à craindre.

Je relevai vaguement la tête. Jeremy avait dû interpréter mon air dépité comme de la peur. Je ne cherchais pas à le contredire.

- OK.

Il semblerait que, pour la première fois de ma vie, je préférais les phrases courtes, genre un seul mot. C'était plus simple et tellement moins fatiguant. Néanmoins, ne vous faites pas de fausses idées, c'était la première et la dernière fois.

- Mets-toi en position, m'ordonna-t-il ensuite.

Je m'exécutai. Jeremy m'attaqua le premier. Heureusement que l'on pouvait compter sur les instincts de survie, sinon, je serais morte. Mon mentor était pourtant loin d'être une brute, il était subtil, souple et agile, mais c'est-à-dire que quand vous retrouvez le parfait opposé de ça dans la personne adverse, ça faisait mal. Je faisais pourtant de mon mieux pour être réactive mais mes paupières étaient aussi lourdes que mes mouvements, tout ce que je faisais était mécanique et manquait de rapidité. En fait j'essayais juste de ne pas me faire tabasser. Réveille-toi Savannah...

- Aah ! m'écriai-je alors.

Jeremy venait de me donner un coup dans la mauvaise épaule et la douleur se répandit dans mon bras en un rien de temps. Il s'arrêta et me toisa de toute sa taille, grande et musclée...

Oh mais va te pendre quelque part, pas loin, Savannah... là c'est plus possible !

Monsieur Muscle parut d'accord malheureusement.

- Bon, je peux savoir ce que tu me fais là, Savannah ? Tu es molle, tu ne tentes aucune attaque, tu te défends à peine, tu es lente à mourir, tes mouvements sont imprécis et tu manques de trébucher toutes les deux secondes.

Tu n'as pas fini d'énumérer des évidences ? J'ai mal à la tête...

- Je t'ai vu assommer quatre de mes collègues l'autre jour et t'acharner sur un punching-ball, tu crois vraiment que je vais gober que ça c'est tout ce que tu peux faire ?

- Non je sais bien, balbutiai-je, je suis juste...

- ... Pas là, de toute évidence, me coupa-t-il, alors réveille-toi s'il te plaît. Tu passes ton diplôme dans quelques mois, alors qu'attends-tu ?

Ce que c'était classique le coup du diplôme... Manque d'originalité Scandola !

- Tu crois que je ne le sais pas ? m'exclamai-je enfin. Tu n'as jamais eu de mauvais jour toi peut-être ?

Son beau... son affreux visage coincé se durcit davantage.

- Tu as eu 8 mois de vacances, je crois qu'il y a pire que toi !

Si je pouvais lui tordre la langue par la pensée je le ferais. Oups... mais je peux !

- Des vacances ? répétai-je. Tu crois vraiment que c'était des vacances ? Je n'ai pas arrêté de veiller sur Eliza et j'ai suivi des cours de karaté trois fois par semaines alors ne me dis pas que je n'ai pas travaillé !

Il ne fallait pas non plus se moquer de moi. Lui tout ce qu'il avait eu à faire c'était de monter dans une voiture noire et de nous suivre comme un petit chien. Il ne voulait pas des applaudissements non plus ?

Il jeta alors son poignard par terre.

- Très bien alors fais-moi du karaté, mais fais-moi quelque chose s'il te plaît !

Je me débarrassai moi aussi de mon poignard – et dans un grand soulagement – avant de me gifler mentalement pour me ressaisir. Je m'approchai enfin de lui, et fis la feinte que Monsieur Beau Gosse m'avait apprise. Jeremy sembla surpris mais réagit plutôt bien à l'attaque. L'adrénaline commençait enfin à se frayer un chemin vers mon cerveau. Je finis par mélanger technique de combat et prise de karaté.

- Tu vois quand tu veux..., soupira-t-il entre deux coups.

Je réitérai mon attaque, mais il me plaqua au sol, en me tenant fermement les poignets. Son visage était à quelques centimètres du mien et je pouvais sentir son souffle chaud sur ma peau.

- Maintenant, comment te défends-tu avec un adversaire plus lourd que toi ?

- Tu ne veux pas le savoir, grognai-je.

- Je t'en prie...

Je lui balançai de toutes mes forces un coup de genou dans le ventre, suivit d'un coup de pied pour le faire basculer sur le côté. Vu qu'il me tenait toujours les poignets, il m'empêchait de me relever, alors je le chevauchai et lui donnai un coup de coude dans la mâchoire. Il ne me lâchait toujours pas. Je serrai les jambes dans l'espoir de lui écraser les côtes mais je ne savais pas vraiment si ça avait le moindre effet. Puis il me vint à l'esprit une idée. Je me redressai rapidement sur mes jambes dans la crainte d'un coup de pied de sa part cette fois. Il n'en fit rien mais me tira les poignets pour m'attirer au sol. Ce ne fut pas du tout gênant car j'allai moi-même poser les mains sur le sol, de part et d'autre de son visage. Je poussai alors sur mes jambes et basculai en souplesse avant. Mon visage était maintenant parfaitement au-dessus du sien et j'en profitai pour lui donner un coup de boule, un gentil entre nous. Ça aurait été marrant si je m'étais servie de mes cheveux pour le gêner, enfin bref...

Il me lâcha finalement et je pus me relever tranquillement. À nouveau face à face, nous nous donnâmes encore quelques coups, avant qu'il n'attrape ma jambe et me tire vers lui. Je m'appuyai sur ces épaules et n'eus plus qu'à passer mon autre jambe autour de sa nuque, comme à notre rencontre, et à l'amener au sol aussi fort que je le pouvais. Là, je m'emparai mon poignard qui traînait toujours sur le tapis et le plaquai contre sa poitrine. Officiellement, j'avais remporté le combat. On ne va pas se mentir, j'étais plutôt fière.

- Pas mal, avoua-t-il en se relevant.

- C'est tout ? Sans déconner je t'ai carrément battu ! m'exclamai-je, essoufflée mais avec un grand sourire.

- Tu as encore beaucoup de choses à apprendre Savannah, me répondit-il sagement, en réarrangeant sa tenue.

- C'est pour ça que tu es là, non ? fis-je en haussant les épaules.

Je crus apercevoir un tout petit froncement de sourcil sur son visage, comme s'il était surpris, mais cela ne dura qu'une seconde.

- Tu as fait de la gym ? me demanda-t-il ensuite.

- Un peu quand j'étais jeune, il me reste quelques trucs, admis-je modestement.

Il hocha la tête.

- C'est bien, sers-toi de tout ce que tu sais faire quand tu combats quelqu'un.

- Quoi c'est ça le conseil du jour ? m'écriai-je, carrément déçue.

Il me lança un regard en coin avant de me répondre.

- Non, c'est qu'une bonne nuit de sommeil est nécessaire à ton âge pour être en forme le lendemain, quoique tu aies à faire.

Je n'aimais pas du tout cette manière qu'il avait eu d'insister sur le « à ton âge ». Je n'étais plus une gamine et il devrait bien me prendre au sérieux un jour.

- Honnêtement, je ne vois pas du tout le rapport.

Il commença à s'étirer pendant que je subissais sa session interrogatoire.

- À quelle heure t'es-tu couchée hier soir ?

- Plutôt tôt en réalité, répondis-je vaguement.

C'était la vérité !

- Alors à quelle heure t'es-tu endormie ?

J'ouvris la bouche pour répondre, mais je me rendis compte que j'avais un peu perdue le fil de la nuit dernière et que je ne me souvenais pas particulièrement d'avoir réellement dormis.

- Disons que...

- Que tu n'as pas vraiment dormi, c'est ça ? finit-il à ma place avec un regard sévère.

- Oui mais ce n'est pas ma faute, me défendis-je, je ne demandais que ça mais je ne sais pas pourquoi je n'y arrivais pas, il y a des nuits où ça fait ça, je n'y peux rien.

- Eh bien fais en sorte que ça ne se reproduise plus, pour le bien de tout le monde en plus.

Je te demande pardon ? Il y a marqué marchand de sable sur ma tête ?

- À vos ordres, Chef !

Il ne releva pas mon commentaire, bien sûr, mais tout était dans son regard. Le reste de l'entraînement se passa plus ou moins bien, mais la colère que je nourrissais à son égard n'était toujours pas oubliée. On aurait dit que pour lui, il ne s'était rien passé. Voilà une chose qui me dépassait complètement. Après tout, c'était peut-être mieux comme ça, mais j'avais bien vu la tête qu'il avait fait quand son coup à l'épaule m'avait fait plus mal qu'il n'aurait dû. Comment étais-je censée l'interpréter ? Se souciait-il de ce qu'il s'était passé ou avait-il déjà tourné la page ? Moi, j'en étais incapable.

Une fois douchée et changée, je m'apprêtais à me reposer comme je n'avais pas pu le faire plutôt, mais on toqua à ma porte. Il me fallut quelques instants pour réaliser que cela signifiait que je devais me lever de mon lit, étrangement confortable aujourd'hui.

- Savannah, c'est Eliza !

- Lizzy ? demandai-je en ouvrant la porte.

- Mais qu'est-ce que tu fais dans cette tenue, change-toi vite ! me fit-elle avec empressement.

- Enfin mais pourquoi ? lui demandai-je surprise.

- Tu poses trop question, change-toi allez.

Je remarquai rapidement qu'elle portait une tenue assez décontractée et qu'elle était légèrement maquillée.

- Comment dois-je m'habiller ?

- Hum... pas trop sérieux, détendue, fit-elle en souriant.

Elle confirma mes doutes. Mais où allions-nous ?

- Tu m'inquiètes sérieusement, tu le sais ça ?

- Tu t'inquiètes toujours pour tout, fais-moi confiance, insista-t-elle.

- D'accord...

J'attrapai un short noir, mes collants et un top bleu foncé. Avec ça, mes bottines feraient l'affaire. Je fus prête en moins de 5 minutes.

- Super, suis-moi ! me lança-t-elle de très bonne humeur.

- Mais où est-ce que tu m'emmènes bon sang ?

- Tu verras bien Anna.

Quelques minutes plus tard, nous arrivâmes devant l'une des salles des fêtes. Oui, il y en avait plusieurs, nous étions vraiment dans une école de dingues. Lizzy ouvrit finalement les portes et...

- Surprise !! crièrent mille et une voix à l'unisson.