Chapitre 10
Jeremy avait démarré sans rien dire non plus, mais il était évident qu'il se retenait. Je me demandais combien de temps il allait pouvoir tenir. Si à pied il fallait peut-être dix à quinze minutes pour rentrer au pensionnat depuis la propriété des Darcy, en voiture vous vous doutez bien que c'était fait en un clin d'œil. Peut-être échapperais-je au sermon du soir ? Ce ne serait pas du luxe, mon cerveau allait bientôt exploser et j'étais littéralement frigorifiée.
- Je peux savoir ce que tu faisais chez Mlle Darcy ? me demanda-t-il finalement.
Ah bah non...dommage.
Je pouvais aussi bien lui poser la même question.
- Je peux savoir ce que tu faisais devant chez Mlle Darcy ? lui demandai-je donc en retour.
- Savannah ne joue pas à ça, m'ordonna-t-il sans quitter la route des yeux. C'est moi l'instructeur.
Je levai les yeux au ciel. Non, je n'allais vraiment pas y échapper. Mais sérieusement, que faisait-il là ? Ah oui, les parents de Lizzy étaient allés chercher des Soleils pour la branche. Cela devait être ça. Néanmoins, pourquoi n'était-il pas revenu avec eux ?
- Oh la la si tu le prends comme ça, soupirai-je. Je lui parlais, ça se voyait.
- Sur le rebord de sa fenêtre, sous l'orage, après le couvre-feu ? me fit-il en haussant les sourcils.
Merde le couvre-feu ! Ça existe toujours ?
- Je n'ai absolument pas entendu les cloches, rétorquai-je en croisant les bras sur ma poitrine.
- Ce ne sont plus des cloches maintenant, seulement un gong, expliqua Jeremy.
Comme si je pouvais le deviner toute seule !
- Je ne l'ai quand même pas entendu, je te ferais remarquer qu'il y avait de l'orage à ce moment-là.
Un point pour Hamilton.
- Ce n'est pas une excuse Savannah, tu n'avais pas à être là.
Un point pour le vieux.
- Parce que toi oui ? m'écriai-je. Tu n'étais pas avec les parents d'Eliza donc ce ne sont pas eux qui t'ont demandé de venir, alors je peux savoir ce qui t'a fait croire qu'il se passait quelque chose ou carrément que j'étais là-bas ?
Il ignora royalement mes questions, évidemment. Cela ne m'empêcha pas d'avoir une illumination soudaine.
- Mais bien sûr, tu écoutes les conversations téléphoniques, j'aurais dû m'en douter.
Je serrai la mâchoire pour me contrôler, mais il allait me falloir plus que ça au rythme où il allait.
- Savannah, n'inverse pas les rôles, continua-t-il, tu es en tort. (Il secoua la tête) Tu ne t'en rends même pas compte, mais tu aurais pu te tuer en tomber de ce toit.
Son ton était sec et grave. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire de toute façon ? Je ne serais même pas tomber s'il n'avait pas été là.
- Tu sais quoi ? Justement, je me sens mieux, je peux rentrer seule.
Il n'était pas question que je le supporte plus longtemps. Il était peut-être mon professeur, mais il ne fallait pas abuser. Son autorité n'avait jamais inclus les ordres et une volonté de petit toutou.
- Ne sois pas bête, me fit-il.
- Je ne suis pas bête ! m'exclamai-je. Je veux sortir de cette voiture et tout de suite, alors arrête-toi s'il te plaît, je veux marcher.
Je posai la main sur la poignée, prête à sortir, mais Jeremy ne ralentit pas. À quoi jouait-il au juste ? J'eus soudain la nausée et ma respiration s'accéléra en même temps que la température de mon corps augmentait. Ce n'était pas la première fois que j'étais prise de crises dans ce genre. J'avais besoin d'air. Vraiment, il fallait que je respire de l'air frais et vite.
- Jeremy, s'il te plaît arrête la voiture, je ne me sens pas bien.
- Je croyais que tu te sentais mieux.
Mais tu ne veux pas la fermer et arrêter cette foutue voiture ?!
- Je veux descendre de cette voiture ! m'écriai-je en haussant le ton avant d'être prise d'une petite quinte de toux.
Il daigna enfin tourner la tête vers moi, mais je cachai mon visage derrière mes cheveux.
- Savannah calme toi, je te ramène là, on est bientôt arrivé.
- Non, je ne me calmerai pas, je veux descendre ! m'étranglai-je à moitié entre mon souffle court et mes toussotements. Tant pis...
J'ouvris la portière.
- Savannah qu'est-ce que tu...
Je sautai de la voiture en marche. Dès que mes pieds touchèrent le sol, je roulai sur mon épaule pour amortir le choc. J'aurais quelques bleus c'était certain, mais je n'en pouvais vraiment plus. Je pus enfin respirer et ma toux cessa quelques instants plus tard. Tout ça ne faisait que réconforter mon idée qu'à Minneapolis, il n'y avait vraiment rien de bon.
Je vis ensuite que la voiture freinait et allait faire marche arrière. Je me redressai aussitôt et m'enfonçai dans les bois qui bordaient les bâtiments des dortoirs. Je courus même, de plus en vite. L'air frais me faisait du bien, j'avais raison. J'avais beau être trempée, je souffrais toujours de terribles bouffées de chaleur et ma vision avait tendance à se troubler par moment. Ma chute m'avait peut-être plus affectée que je ne le pensais.
Cependant, sentir mon corps maître de ses mouvements me donnait un sentiment de liberté. Ce sentiment, je ne l'avais pas ressenti depuis que j'étais revenue à Minneapolis. Tout était tellement oppressant ici, l'atmosphère même était si pesante que l'on étouffait. Heureusement, je connaissais très bien ces bois, et je savais qu'ils représentaient un raccourci pour retourner aux dortoirs. Mais, mes vêtements trempés s'accrochaient à un bon nombre de petites branches, ils se déchirèrent rapidement et ma peau, elle, se retrouva égratignée. Je n'étais plus à ça près de toute façon.
Je contournai ensuite facilement la sécurité du dortoir des filles, c'est-à-dire, un malheureux Soleil à moitié endormi. Une fois dans ma chambre, je dirais que la température de mon corps était revenue à la normale. Ma première réaction fut de vouloir me jeter sur le lit, mais compte tenu de mon état, j'attrapai plutôt mes affaires de toilettes. Même un semblant de fièvre ne saurait m'enlever cette envie permanente de douche chaude. Je fonçai donc aux douches, qui par chance, seraient vides à cette heure-là.
Comme prévu, l'eau chaude me détendis et je pu repenser à ce qui s'était passé en restant rationnelle, ou presque. Oui, ma réaction était exagérée et alors ? D'où ce type se permettait-il de me suivre toute la journée ? D'accord il savait bien se battre et il était le seul à avoir été capable de nous ramener, mais ça s'arrêtait là ! Ce qu'il pouvait m'agacer avec son ton autoritaire et son côté snob coincé ! Et dire qu'il avait seulement quelques années de plus que moi. Bon, sur ce point, rien n'était pas certain mais ce n'était pas très grave. Et puis, son comportement à lui seul semblait dire : J'ai forcément raison, tu as tort. Comme si écouter les conversations des autres et les suivre n'était pas du tout un comportement de psychopathe...
J'étais quand même tombée d'un toit à cause de lui, ne l'oublions pas. Alors d'accord, il avait déplacé cette chaise pour moi mais qu'avait-il fait ensuite ? Il avait demandé à Lizzy si elle allait bien, mais bien sûr qu'elle allait bien puisque j'étais là s'il y avait un problème ! Je ne connaissais ce gars que depuis un jour à peine et il m'énervait déjà, mais genre, pire que John le sadique !
Quand je pensais que Scandola serait assigné à elle plus tard...la pauvre décidément. Je reprenais les cours demain et je comptais vivement sur elle ou Jason pour me remonter le moral parce que cela n'allait sûrement pas être brillant. Oh et pire ! J'allais devoir m'entraîner seule avec lui trois fois par semaine pendant plusieurs mois... Au secours l'horreur ! Non mais vous vous rendez compte ? Il m'avait laissé sauter d'une voiture en marche plutôt que de s'arrêter deux secondes ! Qui faisait ça ? Il fallait vraiment être dérangé !
Lorsque je sortis de la douche, mes joues étaient littéralement rouges et mes cheveux en batailles évidemment. Mes jambes étaient en meilleur état que je ne l'aurais pensé mais ce n'était pas le cas de mon épaule. Demain, j'allais souffrir. Quant à mon poignet, la coupure n'avait toujours pas cessé de saigner alors je me dépêchai de mettre un léger bandage dessus. Le reste de mon poignet serait bientôt couvert de bleus et d'égratignures. Super, soit on allait croire que je me faisais maltraiter, soit que j'avais essayé de me couper les veines, mais que j'avais raté. L'un ne valait pas mieux que l'autre franchement. Par chance, nous étions en automne et l'hiver arriverait bien assez rapidement, les manches longues me sauveraient donc la mise.
Je me séchai rapidement les cheveux, avant d'aller directement me coucher. Des tas de questions continuaient néanmoins d'assaillir mon cerveau et me gardaient du sommeil que j'attendais tant. Jeremy repensait-il à cette soirée comme je le faisais ? Revoyait-il les événements dans sa tête ? Se posait-il lui aussi tout un tas de questions ? Me trouvait-il lunatique ? Me prenait-il pour une folle d'avoir agi de cette manière ? La réponse devait sûrement être oui, en l'occurrence. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien me faire ce qu'il pensait de moi ? Comme si son avis avait la moindre importance. Il n'était rien à mes yeux. Lizzy, elle, était importante. Ses parents retourneraient bientôt travailler et elle réintégrerait le dortoir de l'Élite. Voilà sur quoi je devais me concentrer. Voilà vers quoi toutes mes pensées devaient aller. Vers elle.
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