Chapitre 50
Jeremy
Une semaine plus tard, la vie avait repris son cours. Nous n'avions pas vraiment eu le choix sur la durée du break qui nous était accordé. Comme d'habitude, les choses s'accéléraient et s'entassaient jusqu'à ce que la seule solution qu'il restât fût d'y faire face.
Par exemple, au bout du dixième appel de mon employeur, j'avais bien était forcé de répondre. Mes oreilles avaient saigné pendant un bon quart d'heure tant il était furieux contre moi. Le fait que je ne fusse pas responsable de cette attaque lui était parfaitement égal, il ne comprenait juste pas comment jamais pu laisser Savannah être blessée jusqu'au seuil de la mort. Moi-même je ne comprenais pas bien. Les choses c'étaient passées tellement vite cette nuit-là.
Depuis, tout se passait un peu trop vite en réalité. Savannah et Elizabeth s'étaient réveillées. L'hypothèse de Mme Diggle s'était avérée correcte mais nous n'en avions toujours pas touché un mot aux deux filles. M. et Mme Darcy avait été enterrés dans l'immense et splendide jardin de leur propriété en Caroline du Sud, où ils avaient vécu tout au long de l'enfance de Mlle Darcy. Dans leur testament, ils avaient insisté pour que la cérémonie fût réservée à la famille et amis proches. Je m'étais permis de demander à Elizabeth si elle acceptait que j'y assistasse afin de leur présenté mes respects une dernière fois. Elle m'avait immédiatement dit oui et j'avais deviné qu'elle s'était sentie davantage en sécurité en ma présence.
Nous étions restés un jour sur place, puis nous étions déjà de retour au pensionnat. Une autre cérémonie avait également eu lieu en l'honneur des collègues que j'avais perdu la même nuit. Le lendemain, tout le monde avait retrouvé sa routine. La surveillance, les cours, les rapports, l'ennui. Si parmi les Soleils la peine et la colère étaient toujours présentes, les élèves, eux, étaient vite passé à autre chose sans la moindre difficulté. Ils ne se sentaient pas affectés de la même manière, je pouvais le concevoir, mais ça ne changeait pas le fait que je ne supportais plus leurs blagues stupides, leurs rires, leur joie de vivre tout simplement. Passer du temps avec deux adolescentes en deuil ne mettait pas vraiment d'humeur.
Ceci-dit, Savannah ne parlait pas beaucoup et je ne l'avais pas non plus vue pleurer depuis la mort de M. et Mme Darcy. Je ne savais jamais à quoi elle pensait ni ce qu'elle avait sur le cœur. Elle restait silencieuse, calme, froide. Je n'osais pas lui demander directement si elle avait conscience d'avoir perdu ses pouvoirs, mais au fond je savais déjà que c'était le cas, même si elle ne laissait rien paraître. Probablement parce que contrairement à nous, elle savait ce qu'il s'était passé lors de l'étrange explosion de cette nuit. Mais encore une fois, elle n'avait toujours pas prononcé un mot à ce sujet. Mme Diggle avait eu du mal, mais elle m'avait convaincue que nous ne pourrions pas la forcer à parler et que tout ce que nous avions à faire était attendre.
Voilà pourquoi une partie de moi se réjouissait de reprendre l'entraînement avec mon élève cet après-midi. L'autre partie avait peur de constater qu'elle n'était pas prête, mais elle n'avait surtout pas le choix, si elle voulait avoir une chance de décrocher son diplôme. Elizabeth, qui elle était dispensée de cours pour un moment, était en route pour rendre visite à sa famille anglaise qui n'avait pas pu faire le déplacement plus tôt. Savannah n'avait pas obtenu la permission de l'accompagner. Mme Diggle et moi étions quelque peu inquiet à l'idée que leur nouveau lien pût souffrir de l'éloignement géographique, mais jusqu'à maintenant, tout se passait bien.
Savannah franchit la porte du gymnase à bonne allure, la tête haute, prête à travailler. Et à l'heure, précisons-le.
- Bonjour. Tu vas bien ?
Cette dernière me répondit d'un hochement de tête. Malgré son attitude confiante, je remarquai qu'elle trembla à plusieurs reprise en fouillant dans son sac. Elle en sortit son téléphone et eut du mal à frapper son message tant elle contrôlait difficilement ses doigts. Il était évident qu'elle n'allait pas si bien que ça.
Je détournai le regard avant qu'elle ne réalisât que je l'avais vue et attendis silencieusement qu'elle rangeât son téléphone. Si cela avait été un autre élève, je le lui aurais confisqué à la seconde où il l'aurait sorti de son sac, mais cette situation demandait un peu plus de tact.
Savannah finit par me rejoindre, un air serein imprimé sur le visage, mais les poings serrés, certainement pour les empêcher de trembler.
- Par quoi on commence ?
Au bout d'une heure d'entraînement, je pus me faire une idée assez précise du niveau de Savannah : il était bon. Elle était aussi rapide, fluide et souple qu'auparavant, elle avait de l'équilibre et de la puissance, elle ne trahissait pas ses attaques et ses gardes étaient bien placées. La plupart du temps, du moins. Il y avait ces quelques fois où elle tombait facilement, comme prise d'un vertige, et il lui fallait un peu de temps pour retrouver une respiration normale. C'était ces fois là qui m'inquiétaient.
J'ignorais si ces absences étaient exceptionnelles ou si elles les avaient depuis qu'elle...eh bien qu'elle avait perdu ses pouvoirs. En effet, elle se battait toujours comme si elle avait toutes les capacités d'une Soleil en pleine possession de ses pouvoirs, mais elle ne pouvait probablement pas tromper son corps. Il allait vraiment falloir qu'on en parlât avec Mme Diggle.
À part cela, son niveau était le même qu'il y avait deux mois. C'était d'un côté une bonne nouvelle – elle n'avait pas tout perdu – et de l'autre, une nouvelle un peu moins réjouissante – elle avait à nouveau du retard par rapport à ses camarades. Néanmoins, je n'avais pas peur de la faire travailler jusqu'à ce qu'elle fût en mesure de décrocher son diplôme.
Alors que nous étions en plein combat, je discernai à nouveau ces expressions de douleur sur le visage de Savannah alors qu'elle n'avait pas encore reçu mon coup. Je continuai de l'attaquer jusqu'à ce qu'elle cessât complètement de se défendre.
- Savannah ?
Elle ne me regarda pas et ne me répondit pas. J'eus même un doute sur le fait qu'elle m'eût entendu. Comme j'avais déjà pu l'observer, elle commença à adopter une respiration saccadée. Seulement cette fois-ci, elle prit sa tête entre ses mains en grognant avant de tomber à genoux en toussant.
- Savannah !?
Celle-ci réussit à ouvrir les yeux et me lança un regard désespéré en tirant de plus en plus sur ses cheveux. Je m'agenouillai devant elle et posai une main sur son bras.
- Savannah, qu'est-ce tu as ?
Mon élève empoigna brusquement mon avant-bras et y enfonça ses ongles en se mordant la lèvre pour ne pas crier.
- Ça ne veut pas partir, ça ne veut pas partir, murmura-t-elle la mâchoire serrée.
- Qu'est-ce qui ne veut pas partir ?
- La douleur ! s'écria-t-elle en frappant le sol du poing. Ma tête, ma tête...ça fait tellement mal !
Je voulus poser ma main sur son front afin de voir si sa température grimpait en flèche comme elle pouvait le faire auparavant, mais j'eus à peine bouger de quelques centimètres qu'elle se mit à brusquement reculer, presque en se traînant sur le sol. Je ne comprenais plus rien.
- Mais qu'est-ce que tu fais, Savannah
Cette dernière m'ignora complètement et continua de reculer en jetant des regards apeurés autour d'elle. Un cri s'échappa de ses lèvres alors qu'elle protégeait son visage de son bras, comme si un objet lui tombait dessus.
Je me rapprochai d'elle pour tenter de comprendre ce qu'il pouvait bien lui arriver et lorsque mon regard rencontra le sien, j'en restai bouche-bée. Des flammes dansaient dans ses yeux. Pas métaphoriquement, non. Littéralement. Ses yeux turquoise avaient revêtu une teinte orangée brillante qui vacillait aux rythmes des flammes.
- Savannah tes yeux...
Je réalisai qu'elle n'était pas vraiment avec moi et qu'il était inutile que je m'adressasse à elle comme si elle était consciente de ma présence à ses côtés. Néanmoins, je saisis ses épaules pour l'empêcher de bouger dans tous les sens et de se blesser d'une manière ou d'une autre. J'essayai d'attirer son attention pour la ramener auprès de moi.
- Savannah, tu m'entends ? C'est Jeremy. Parle-moi, qu'est-ce qui t'arrive ?
Je lui maintenais le menton pour la forcer à me regarder, mais même si ses yeux étaient tournés dans ma direction, je savais qu'elle ne me voyait pas vraiment. Je l'empoignai avec plus de force pour rappeler à son corps qu'il était ici, en sécurité.
- Lizzy, finit-elle par murmurer dans un souffle.
Elizabeth ? Qu'est-ce qu'elle venait faire... Oh non. Ça ne pouvait quand même pas être possible.
- Lizzy attention ! cria alors Savannah en essayant de se dégager de mon emprise, comme si elle pouvait aller protéger sa meilleure amie.
Alors que je continuais de dévisager mon élève avec peur, les choses commençaient à prendre sens. Savannah était dans la tête de Lizzy. Elle voyait ce qu'elle voyait, elle entendait ce qu'elle entendait, elle ressentait ce qu'elle ressentait. Comme lorsqu'elles était encore dans le coma, elles étaient liées l'une à l'autre. Savannah n'avait jamais eu le vertige. Elle n'avait cessé de faire des bonds incontrôlable dans la tête de sa meilleure amie. Celui-ci devait être le premier qui durait plus de quelques secondes.
D'un côté cela me paraissait impossible qu'une telle chose pût arriver, mais de l'autre, si l'hypothèse de Mme Diggle était bonne et que Savannah n'avait pas perdu ses pouvoirs mais les avait transmis à Elizabeth, alors il était concevable qu'une part d'elle y fût encore connectée. Peu importait ce qui avait bien pu se passer dans la forêt cette nuit-là, le Feu appartiendrait toujours à Savannah, même s'il vivait dans le corps d'une autre.
- Savannah, s'il te plaît, parle-moi.
Mon élève secoua la tête en plissant les yeux, comme si elle luttait contre quelque chose.
- Je t'en prie, tu peux le faire.
- C'est...c'est Lizzy.
Dieu merci, elle m'entendait.
- Elle...
- Elle est dans l'avion pour l'Angleterre ?
Savannah hocha la tête, le regard toujours perdu dans ce qui était le vide pour moi.
- Les turbulences. C'est...
Avant qu'elle ne pût finir sa phrase, elle s'arracha à mon emprise dans un cri d'effroi et se plaqua au sol sur le ventre, ses bras protégeant sa tête. Mon cerveau assembla le reste des pièces du puzzle lui-même. L'avion d'Elizabeth traversait une violente zone de turbulences, cette dernière avait dû tomber de son siège et se protégeait des bagages cabines en pleine chute. Les gestes de Savannah étaient en réalité ceux de son amie.
- Je t'interdis de dire ça, grogna alors mon élève.
Je compris immédiatement qu'elle s'adressait à Elizabeth. Je l'imaginais bien penser quelque chose comme quoi ce n'était pas si grave si elle mourrait aujourd'hui dans un crash puisqu'elle avait déjà tant perdu. Sauf que Savannah, elle, était toujours là.
Je décidai finalement de tenter la première chose qui me venait à l'esprit pour ramener Savannah ici. Cela me fit mentalement très mal, mais je me forçai à la gifler. Elle poussa un cri de surprise et porta une main à sa joue, essoufflée et les yeux exorbitée. Cette fois-ci, elle me regardait.
- Non mais ça va pas !? me cria-t-elle, furieuse.
Elle se dégagea et s'empressa de se relever. Je soupirai de soulagement puis en fit autant.
- Content de voir que tu es de retour.
- Tu n'avais pas à me gifler ! s'exclama-t-elle.
Son choc était si grand que c'en était presque comique. Elle avait l'habitude d'être celle qui surprenait, pas l'inverse.
- Tu ne m'as pas vraiment aidé à trouver mieux.
Elle ôta sa main de son visage et je découvris en effet une grande trace rouge. Je n'y étais pas allé de main morte.
- Viens ici, m'ordonna-t-elle alors, déterminée.
- Pardon ?
Elle haussa un sourcil.
- Quoi ? Tu as cru que tu allais t'en tirer comme ça ? Allez, à ton tour.
Je ne pus m'empêcher de rire devant son insistance. Je n'allais pas la laisser me gifler. J'avais une excuse, moi.
- Bah alors ? Tu as peur ? continua-t-elle en faisant un pas vers moi.
Je levai les yeux au ciel.
- Tu ne vas pas me gifler, Savannah.
Elle rit à son tour.
- Et qu'est-ce qui te fait croire que...
Elle perdit soudain son sourire. Son regard resta rivé sur un point imaginaire et elle serra à nouveau la mâchoire pour lutter contre la douleur qui la pliait en deux, le souffle court.
Encore ? Elizabeth était-elle toujours en danger ? En train d'agoniser ? Déjà morte ? Pourtant si Savannah ne s'était pas déjà précipitée voir M. Carter après son réveil, c'était que les turbulences avaient dû se calmer.
Je me précipitai quand même vers elle et l'aidai à s'asseoir et à calmer sa respiration saccadée. Alors que je plaçai une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille, un éclair me foudroya la joue, accompagné d'un rire démoniaque.
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Hey ! Petit chapitre de transition avant un retour en force... 😉
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