Jeremy

Je longeai le bâtiment qui enfermait la cafétéria, ma tablette à la main et m'assurai que tous les paramètres de sécurité du coin étaient opérationnels. Je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'œil à travers les grandes baies vitrées qui protégeaient ces dizaines de jeunes du froid. Aucun d'eux n'avait la moindre idée du danger que nous courions tous. Les Lunes se tenaient « tranquilles » depuis 5 ans et demi, c'était déjà en soi étonnant pour un peuple assoiffé de sang, mais espérer que cela durât plus longtemps n'était que désillusion.

Ils s'en prenaient à l'Élite, à nos jeunes guerriers et commençaient même à les séquestrer sans se nourrir d'eux, ce qui ne laissait rien présager de bon. Je n'avais pas passé un an dans la filière médicale de l'armée sans rien apprendre, si les Lunes maintenaient leurs prisonniers en vie, c'était seulement pour expérimenter sur eux, tout comme l'armée le faisait sans cesse sur leur peuple.

Je me souvenais d'à quel point cela avait été difficile d'étudier le métabolisme des enfants du Soleil en sachant ce qu'ils leur faisaient à quelques mètres de là. Je me souvenais de la manière dont ils avaient voulu nous convaincre qu'ils ne faisaient que préserver notre espèce de ces monstres et qu'ils étaient eux-mêmes trop stupides pour avoir l'idée de faire la même chose sur les nôtres. Pas un seul des soldats que je connaissais n'y croyait, pourtant nous n'avions rien tenté non plus pour que cela s'arrêtât.

Aujourd'hui, les Lunes ne faisaient rien que l'armée américaine ne faisait pas elle aussi et si une guerre finissait par éclater entre nos deux peuples, on n'aurait pas à chercher son origine très longtemps. C'était ce genre de chose que je regrettais de ne pas pouvoir partager aux élèves. Nous étions censés les préparer à affronter le monde réel, mais s'ils étaient incapables de ne serait-ce que concevoir ce monde, comment pourrait-il y survivre ? Nous leur donnions en réalité si peu de moyens que cela me désespérait. Quelle honte... Dans ces conditions, il était évident que les Lunes n'avaient pas beaucoup de mal à se servir et nous étions les premiers à blâmer.

- Soleil Scandola !

Une voix féminine me sortit de mes pensées et je redressai la tête pour découvrir Mlle Darcy.

Eh mer...mince !

Je n'avais rien de particulier contre elle, si ce n'était le fait qu'elle n'apportait que des mauvaises nouvelles. À chaque fois.

- Mlle Darcy, fis-je en m'armant d'un sourire poli, que puis-je faire pour vous ?

Pitié qu'elle ne me parle pas de Savannah elle aussi...

- C'est à propos de Savannah, commença-t-elle en se frottant les mains pour se réchauffer.

...Raté.

Ceci dit, c'était peut-être l'occasion de la mettre au courant de ce que M. Phillips m'avait appris. J'y avais longuement réfléchi et je doutais changer d'avis. Cependant, les Darcy se portaient garants de Savannah depuis des années. S'ils souhaitaient engager eux-mêmes des Soleils pour s'aventurer derrière les montagnes, personne ne pourrait s'y opposer et je n'en serais pas responsable.

-... je voulais seulement m'assurer d'un truc tout bête. Lors de vos cours, vous lui donniez bien une formation pratique de ses pouvoirs ?

Ses yeux verts brillaient d'espoir tandis qu'elle s'efforçait de garder la tête haute même si tout le monde s'enfouissait sous le col de son manteau par ce froid.

Le rapport ??

- Eh bien, n'est-ce pas pour ça que sont faits les cours de pratique ?

Je trouvais sa question pour le moins étrange et ne voyais pas vraiment en quoi cela venait éclairer la situation.

- Oui enfin...vous savez quoi, ce n'est pas comme si elle...enfin voilà quoi, vos cours n'étaient pas de trop, continua-t-elle, hésitante.

C'était définitivement bizarre, mais il valait mieux régler ça rapidement.

- Je suis navré Mlle Darcy, mais les cours de pratique n'ont jamais fait partie du soutien que j'apportais à Savannah.

Je pus alors observer son visage se décomposer.

- Genre...pas du tout ? insista-t-elle comme si c'était impensable.

- C'est ce que je viens de dire, oui.

Quel est le rapport !?

- Oh putain, oh putain, commença-t-elle à grommeler en passant nerveusement une main dans ses cheveux.

Est-ce qu'elle allait bien ? Tout compte fait, ça ne m'avait pas l'air d'être le bon moment pour lui faire part d'une telle nouvelle. Il était préférable que je m'adressasse directement à ses parents. Je la trouvai particulièrement fatiguée et me demandai s'il n'était pas préférable de finir cette discussion à l'intérieur.

- Mlle Darcy, vous êtes sûre que ça va ? Il vaut sûrement mieux...

- Si je vais bien ? me fit-elle en ricanant. Oh mais bien sûr ! Je viens juste de réaliser que Savannah est en fait incapable de contrôler la seule arme qu'on ne peut pas lui enlever peu importe les circonstances et que ses chances de s'en sortir sont donc passées de moindre à quasi nulles.

Mais qu'est-ce que c'était que ce charabia ? Je me doutais bien qu'Elizabeth s'inquiétait énormément pour Savannah, mais son état devenait d'autant plus préoccupant maintenant qu'elle allait en plus chercher des raisons de s'inquiéter davantage. Et puis pourquoi croyait-elle son amie incapable de contrôler ses pouvoirs ?

N'est-ce pas pour ça que sont faits les cours de pratique ?

Oui enfin...vous savez quoi, ce n'est comme si elle...

- Attendez, êtes-vous en train de me dire que Savannah n'allait à aucun de ses cours de pratique ?

Elizabeth écarquilla grand les yeux et me dévisagea avec un mélange d'étonnement et de colère.

- Vous plaisantez !? Je ne devrais pas être en train de vous l'apprendre ! lâcha-t-elle enfin en frappant du pied d'exaspération. Où étiez-vous pendant tout ce temps ?

Je la dévisageai quelques instants, incrédule. Depuis quand étais-je celui qui avait des choses à se reprocher ?

- Écoutez, reprit-elle, je sais que l'appel de ces cours est particulier puisque tous les Soleils n'ont pas leurs pouvoirs en même temps et que par conséquent il est très facile de payer quelqu'un pour qu'il marque le nom de Savannah sur la grille de présence à chaque fois, mais vous êtes son instructeur, Jeremy !

J'ouvris la bouche pour lui répondre mais la refermait aussitôt, le temps de trouver une manière d'exprimer mes pensées avec le plus de politesse possible.

- Excusez-moi, mais vous venez de dire que vous aidiez vous-même Savannah pour que cela ne se sache pas et vous vous étonnez que je ne sois pas au courant ?

C'était le monde à l'envers décidément, mais la situation ne semblait pas lui paraître plus étrange que ça.

- Je l'aidais à ce que ça ne se sache pas des enseignants, pas de vous ! Vous devez me croire, j'ai passé des heures à tenter de la convaincre d'aller à ces cours et de se faire aider, mais elle ne m'a jamais écoutée. J'étais persuadée que si quelqu'un pouvait lui faire entendre raison et la forcer à accepter cette partie d'elle-même c'était vous !

Je ne savais pas très bien si je devais me sentir flatté qu'elle eût cette estime de moi ou plutôt me concentrer sur les reproches qu'elle me faisait. J'aurais certainement pu raisonner Savannah et lui apprendre à accepter ses pouvoirs, mais encore aurait-il fallu que je susse qu'elle en avait besoin.

N'est-ce pas justement ton boulot de savoir ce genre de choses ?

- Bon, depuis quand est-ce qu'elle refuse d'y aller exactement ?

Elizabeth écarquilla ses grands yeux verts comme si c'était évident et que cette même évidence l'effrayait.

- Toujours ! s'exclama-t-elle enfin. On ne lui avait même pas encore intégré des cours de pratique à son emploi du temps qu'elle ne voulait déjà pas en entendre parler.

Je soupirai de fatigue devant tous ces problèmes qui s'ajoutaient à la liste, comme si elle n'était pas déjà interminable.

- En êtes-vous sûre ? Elle n'avait pas de raison de particulière ? Son premier cours ne s'était pas juste mal passé ?

Son air se durcit en un rien de temps.

- Vous êtes bien gentil, mais je connais ma meilleure amie. N'avez-vous pas trouvé cela étrange qu'elle ne se vente jamais des nouvelles choses qu'elle avait apprises à faire ? Ou qu'elle n'essaie pas de vous battre lors dans combat en utilisant ses pouvoirs ?

Eh bien...non ?

Savannah était passée par des choses très dures pour une jeune fille de 17 ans - ou même pour n'importe qui - alors non je n'étais pas surpris qu'elle eût perdu l'envie de se venter ou d'exposer ses prouesses avec fierté comme elle aurait pu le faire par le passé. Certes, si je la voyais s'efforcer de sourire et de faire des blagues auprès de ses amis, c'était plus de la survie que de la joie de vivre ou du moins c'était de quoi ça avait l'air. Cependant, elle n'avait jamais essayé de prendre des gants avec moi, qu'elle fût de bonne ou de mauvaise humeur, son comportement ne changeait que rarement lors de nos entraînements. En tout cas cela avait été comme ça pendant un bon mois, sans évolution.

Après, M. Carter avait commencé à mettre en place ces exercices merdiques (il fallait bien le dire) sur le terrain et je m'étais moi-même montré de mauvaise humeur ou trop préoccupé pour prêter attention à l'attitude de Savannah, maintenant qu'elle commençait à faire son deuil avec un peu moins de difficultés. Ça, c'était entièrement de ma faute. Par contre, pour le coup de l'absentéisme record aux cours de pratiques, Elizabeth était aussi coupable que moi.

- Ne changez pas de sujet, répondis-je finalement, et puis sauf votre respect mais n'êtes vous pas censée être la meilleure amie de Savannah ?

En entendant ces mots, son regard s'assombrit encore plus qu'auparavant.

- Je ne suis pas juste censée l'être, je le suis ! affirma-t-elle la mâchoire serrée.

- Alors pourquoi n'êtes-vous pas allé voir un adulte ? Vous avez dit que vous vouliez sincèrement qu'elle se fasse aider, mais vous n'avez rien fait pour que cela arrive, pourquoi ?

Au lieu de se mettre encore davantage en colère, j'observai Mlle Darcy s'adoucir et afficher un air triste. J'avais touché un point sensible, c'était incontestable, mais malgré sa tristesse apparente, elle ne semblait rien regretter.

- Elle a changé, vous savez.

Je croisai mes bras avec impatience.

- Bien sûr que je le sais, mais vous ne répondez pas à ma question.

Elle se pinça les lèvres, puis redressa la tête.

- Savannah venait juste de revenir vers moi, je ne pouvais pas la trahir encore une fois.

Je secouai la tête, exaspéré. Cette jeune fille n'était-elle pas censée devenir un jour un vrai membre du Conseil ? Comment ferait-elle pour prendre des décisions importantes ou simplement assurer son rôle de chef ?

- Vous savez quoi, Mlle Darcy ? C'est exactement ce genre de peur de « trahison » soi-disant, qui pourrait tuer Savannah.

Elizabeth recula d'un pas, abasourdie et au bord des larmes, l'air de dire que j'avais « osé » dire ça. Finalement, elle se racla la gorge et me regarda droit dans les yeux.

- Parfois je me demande pourquoi est-ce que je m'efforce de vous défendre auprès d'elle alors qu'elle semble avoir toujours raison à propos de vous.

Sur ce, elle me dépassa et s'éloigna rapidement de pied ferme.

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Hey ! Voilà le dernier chapitre avant Noël ! 😉 Le sapin est là, les cadeaux sont emballés et Jeremy vient de se faire clouer le bec par Elizabeth Darcy, où est l'erreur ? 😂
Je ne pourrai pas poster la suite de Fille du Feu avant la rentrée, je suis désolée, mais j'ai bien l'intention de me rattraper avec deux petites surprises que vous découvrirez lundi matin... ❤️
Je vous souhaite de passer de très bonnes fêtes et de bien profiter des vacances pour vous reposer et faire votre réserve de gras pour l'hiver !
Gros bisous 😘