Chapitre 20
Savannah
Je n'avais pas pensé que faire la morte signifiait aussi devenir aveugle. C'était pourtant logique. Quand on mourait, on perdait la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le touché. On perdait tous sens. Les yeux cessaient de voir, les oreilles cessaient d'entendre, le nez cessait de sentir, le palais cessait de goûter, la peau cessait de toucher, les poumons cessaient de respirer, la voix cessait de chanter, les pieds cessaient de danser, les mains cessaient de caresser, les lèvres cessaient d'embrasser et le cœur cessait d'aimer. Elle avait cessé de me regarder. Ses paupières n'étaient pas closes mais ses yeux n'étaient pas ouverts. Son regard d'azur n'embrassait plus chaque chose qu'il croisait, son regard d'océan ne m'enveloppait plus d'un tendre amour. Elle était morte. Mais je ne l'étais pas.
J'entendais, je sentais, je touchais. Je vivais. Pour le moment, en tout cas. La pierre dure et froide s'enfonçait dans mes omoplates, ce sol rugueux qui écorchait ma peau. Je pouvais sentir le sang sécher sous mes doigts et la puanteur des cadavres qui enveloppait mon corps faible. Je ne les voyais peut-être pas, mais je les savais juste là, derrière moi. Leur présence pesait si lourd que j'étouffais avec l'air de mes propres poumons. J'étais réellement allongée à côté d'hommes, de femmes et d'enfants...morts. Ils étaient juste morts. Partis. Loin. Absents. Froids. Sans souffle. Sans vie. Morts. Et je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas crier. Je ne pouvais pas hurler. Je ne pouvais pas pleurer. Je ne pouvais pas courir. Je ne pouvais pas chasser les images qui envahissaient mon esprit. Je ne pouvais pas échapper aux souvenirs. Je ne pouvais pas fuir la mort.
- Eh elle est déjà prise, frère, désolé.
Je repris soudainement conscience, même aveuglément, des autres éléments qui m'entouraient. Mes yeux, cachés derrière mes paupières closes, pouvaient voir une ombre imposante se tenir devant mon visage sale.
- Ah ouais ? fit une voix surprise. Par qui ?
C'était la première fois que je rencontrais un Lune à la voix plus stupide qu'intimidante. Cela ressemblait bien plus au ton qu'un adolescent banal pouvait avoir, pas un monstre sanguinaire. Fourbe...
- C'est la première d'Alexander, répondit la voix féminine qui avait interrompu mes pensées et inconsciemment sauvé ma vie.
- Non ! T'entends ça, mon pote ? s'écria le Lune à la voix enfantine.
Eh merde... Comme s'ils n'étaient pas déjà assez à savoir que j'existais.
Néanmoins, cette situation confirmait dans mes craintes. Comment Miles pouvaient-ils s'attendre à ce que l'on respectât ses ordres alors que de nouvelles Lunes continuaient de débarquer ici toutes les deux minutes ? Voilà une chose qui était vraiment stupide. Bon, certes, ce gars semblait effrayant. Dans le genre...flippant. Mais quand même, si je n'avais aucun problème à l'imaginer tuer le premier humain qui passait, de la petite vieille qui tenait à peine debout au plus jeune nourrisson, j'avais quelques réserves quant au fait de le voir mettre ses menaces à exécution si quelqu'un d'autre d'Alec se nourrissait de moi.
- Eh bah dit ! renchérit « le pote » en question. Il faut croire qu'il est enfin l'un des nôtres !
- Comme vous dites..., soupira la femme Lune, comme s'il s'agissait d'une chose qu'elle n'aurait jamais cru possible, avant de s'éloigner d'un pas lourd.
- Mais ça se fête ! s'écria le Lune, définitivement le plus stupide des deux. Vas-y, je lui offre un de mes cocktails !
- Beurk, personne ne veut de tes cocktails gros nigaud...
- N'importe quoi, tout le monde aime le sang et l'alcool avec un ou deux yeux pour aromatiser le tout !
...
Il n'existait pas de mot dans notre langue pour décrire ma réaction mentale à ce moment-là.
Je n'eus pas à attendre bien longtemps avant d'entendre le sol vibrer sous leurs pas qui s'éloignaient. Clairement, je l'avais échappé belle. Encore. En fait, tout ceci n'était rien d'autre qu'un gros plan foireux...dont j'étais à l'origine. Résumons : je m'étais évadée de ma grotte-cellule de pierre déprimante, j'avais fait une petite promenade en rampant dans les conduits d'aérations d'une montagne, j'avais atterri dans une salle remplie de tout ce dont j'avais besoin, puis j'avais découvert un escalier sombre et mystérieux qui m'avait de nouveau amené dans des conduits d'aération qui donnaient sur un laboratoire scientifique, toujours dans une montagne bien sûr, où j'étais tombée sur Alec qui m'avait ensuite faite glisser le long d'une rampe avant de me porter dans d'autres couloirs comme si j'étais morte, où nous avions croisé Miles qui avait insisté pour célébrer le premier meurtre d'Alec. Voilà en gros comment je m'étais retrouvée sur le sol, entourée de cadavre et faisant semblant d'en être un. Quelqu'un pouvait-il m'expliquer comment j'avais pu penser une seule seconde que c'était une bonne idée de s'enfuir en cachette ?
Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il n'y eût plus personne pour expliquer que j'étais « prise » et qu'on commençât à boire mon sang. Que ferais-je quand cela arriverait ? Continuerais-je à faire comme si de rien n'était en attendant qu'Alec le remarquât ? Gardait-il toujours un œil sur moi au moins ? Je n'avais aucun moyen de le vérifier. Je n'avais pas le moindre contrôle sur la situation et... Une main saisit soudainement mon bras et ce fut un miracle que son propriétaire n'eût pas senti mon tressautement. Je sentis que l'on me tirait avec force et je fus obliger de laisser le haut de mon corps suivre. Finalement, le Lune me balança par-dessus son épaule comme Alec l'avait fait plus tôt... à quelques exceptions prêt.
- Allons-y ma belle, grogna une voix rauque en tapotant tranquillement mon derrière.
ALEC !!!!!!!!!!!
Où m'emmenait-il ? Pourquoi ne restait-il pas dans la salle commune avec tous les autres, avec Alec ? J'avais aperçu plusieurs Lune s'abreuver « à la source » devant les autres sans aucune gêne quand j'étais dans la salle aux mille trésors. Pourquoi ce Lune ne faisait-il pas comme ses confrères ? Et moi que devais-je faire ? Ressusciter ? Mourir finalement sous la dent d'un monstre ? Après toutes les épreuves que j'avais surmontées ? Après tous les combats perdus d'avance auxquels j'avais survécu ? Putain de non ! Pas question !
Cependant, je devais laisser une chance à Alec. Il n'y avait pas que ma vie qui était en jeu ce soir. Si on découvrait qu'il me protégeait depuis le début, il ne mourrait pas seulement, il mourrait dans d'atroces souffrances sous des méthodes de torture que mon peuple devait probablement encore ignorer. Même si j'avais été une fille égoïste qui ne pensait qu'à sauver sa peau, Alec restait ma seule chance de sortir d'ici vivante, alors en ajoutant à ce fait véridique mon intégrité et toute la reconnaissance et presque affection que je ressentais pour lui, je ne risquais pas de lui faire un tel coup bas.
Néanmoins, si je me retrouvais seule avec un Lune qui ne souhaitait que me vider de mon sang et qu'Alec était tout simplement incapable de me sauver, préférerais-je mourir comme des millions de Soleils avant moi l'avaient fait ou préférerais-je me battre jusqu'au bout, quitte à tout de même mourir de manière honorable, certes, mais bien plus douloureuse ?
Je distinguai alors le grincement d'une lourde porte. Mon ravisseur venait de pénétrer dans une pièce dont j'ignorais tout, la taille, la matière des murs, le confort du sol, la hauteur du plafond, le mobilier, etc. Tout sauf une chose : elle était vide. Un calme de mort (sans mauvais jeu de mots un peu morbide) y régnait et cela ne pouvait que m'inquiéter. Il n'y avait personne pour arrêter mon agresseur. Personne pour entendre mes cris.
Le Lune me posa sans ménagement sur le sol et j'étouffai le grognement que je voulais pousser après que ma tête eût cognée la roche dure. Bien sûr, il n'y avait aucune raison pour que cette pièce fût faite d'autre chose que de pierre, ça aurait été trop beau. Je devais maintenant faire un choix : me battre ou laisser une chance à Alec d'intervenir. Alec...
Il fallait qu'il vînt. Vite. Je ne savais pas combien de temps je résisterais, combien de temps je serais capable de faire la morte alors que je risquais réellement de mourir. Je ne préférais pas imaginer ce que je pourrais faire, ce que je pourrais devenir si l'on me poussait à bout. Mais en réalité, j'étais surtout terrifiée. Chaque parcelle de mon corps était dévorée par la peur. Mon esprit était assailli de souvenirs et je ne savais comment les chasser pour me concentrer. Me concentrer pour ne pas bouger, ne pas sursauter, ne pas trembler, alors que mes os étaient en ébullition.
Alec je t'en supplie ne m'abandonne pas maintenant...
- Voyons voir ce qu'on a là, soupira la même voix rauque que tout à l'heure.
Je priai pour qu'il ne remarquât pas mes poils se hérisser et appelai désespérément Alec, encore et encore. Pendant ce temps, le Lune semblait examiner mon corps comme un agent de sécurité s'assurait qu'une personne ne portait pas d'arme. Cherchait-il le meilleur endroit pour me mordre ? Finalement, ses mains se rapprochèrent un peu trop de ma poitrine pour qu'il cherchât la meilleure veine. Non quand même pas... Était-ce possible qu'il... C'était...
Une pensée absolument horrifiante me vint alors à l'esprit. D'abord, je ne voulus pas y croire. Puis... Bah oui évidement, j'étais une jolie fille et a priori morte, pourquoi est-ce qu'il se gênerait ?
Peut-être parce que je suis vivante, putain !
Je le sentis alors m'écarter les jambes et se placer au-dessus de moi. D'affreux souvenirs me rattrapèrent aussi rapidement que la réalité. Tout cela allait beaucoup trop vite, je n'avais pas le temps de réfléchir, ce n'était pas possible, il fallait que ce fût un cauchemar ! Je continuai de hurler le nom d'Alec dans ma tête mais bien sûr cela ne le faisait pas venir pour autant.
J'entendis ensuite une boucle de ceinture se défaire et une braguette s'ouvrir. Ça ne pouvait pas être réel. Puis le Lune attrapa mon menton pour me faire tourner la tête et écarta mes cheveux de ma nuque et la chaîne de mon collier. Il se pencha en avant et je pus sentir son souffle répugnant contre ma peau. Enfin, il déposa ses canines contre mes veines et porta une main à l'élastique de mon pantalon en étreignant ma cuisse de l'autre. STOP !!!
Je me réveillai et balançai un gros coup de genou dans les parties génitales de ce monstre. Mon poing atteignit presque simultanément son visage, entraînant ses canines à m'écorcher la peau, mais pas à me mordre. Je profitai de sa surprise pour placer mes pieds au niveau de son abdomen afin de le faire violemment basculer au-dessus de moi. Je m'empressai de me relever et, pour la première fois, je réalisai que mon corps n'était peut-être pas en mesure de se battre comme dans mon esprit. J'étais maigre, faible et blessée. Lui, il était grand, musclé et terrifiant. Il avait d'épais cheveux noirs et une barbe de 5 jours, mais ni l'un ni l'autre n'aurait pu cacher ses veines noires, ses yeux rouges, ses ongles ressemblants plus à des griffes et ses canines si pointues. Et il n'était pas content.
- Espèce de pute, tu vas voir...
Il se jeta sur moi, mais je réussis à l'esquiver de justesse en lui donnant un coup dans le genou pour fragiliser son équilibre. Malheureusement, le mien était tellement minable qu'il lui suffit de me pousser pour que je me vautrasse par terre. Il fut debout bien avant que j'eus le temps de reprendre mon souffle, mais je ne me laissai pas faire. Dès qu'il arriva à ma hauteur, je lançai ma jambe dans ses pieds pour le faire tomber au sol et le chevauchai immédiatement pour reprendre l'avantage. Je réunis mes forces pour lui asséner des coups puissants et précis, mais il semblait avoir une ossature aussi dure que la pierre qui nous entourait. Il intercepta sans difficulté mes prochains coups et me broya les poignets. Il inversa la situation en me plaquant violemment contre le sol. Peu de temps après, il délaissa mes poignets pour ma gorge.
J'avais l'impression de déjà connaître ce qu'il se passait, comme si je l'avais vécu auparavant. En effet, je l'avais déjà vécu. Aux yeux de mon esprit torturé, le visage de mon adversaire fut remplacé par celui du Lune de cette nuit-là. Cette nuit où tout avait changé. Cette nuit où tout s'était écroulé. Cette nuit où elle était morte. Cette nuit où j'avais tué pour la première fois. Tuer. Lune. Poignard. Par réflexe, je tournai la tête pour chercher le poignard qui m'avait déjà sauvé une fois mais il n'était pas là. Ce soir, je n'avais pas d'arme.
Ce n'est pas tout à fait vrai, murmura alors une petite voix dans ma tête.
Je tournai de nouveau la tête pour croiser le regard meurtrier du Lune. Enfin, je laissai la boule de feu que j'avais au creux du ventre s'étendre dans tout mon corps. Un instant plus tard, je plantai le stylo d'Alec dans le cou de ce monstre puis écrasai ma paume incandescente contre sa peau. Il s'écarta précipitamment de moi en poussant un cri plein de haine. J'étais certaine qu'il pouvait maintenant voir des flammes danser dans mes yeux. Moi aussi, j'étais en colère. Il n'en avait même pas idée...
Je me jetai à mon tour sur lui en formant des boules de feu au creux de mes mains. Quelque chose venait de changer en moi. Je n'étais plus celle qui avait peur. Tout mon corps avait semblé reprendre vie à l'instant où j'avais laissé le feu se répandre en moi et je me sentais incroyablement forte. Ce Lune était déjà mort. Je ne lui laissai pas le temps de reprendre ses esprits et le martelai de toutes sortes de coups en tirant avantage de mes pouvoirs. Finalement, je lui brisai la nuque.
À l'instant où son lourd corps s'effondra à mes pieds, deux autres Lunes pénétrèrent dans la pièce, les yeux sortant de leurs orbites devant ce spectacle. La première à réagir fut la femme, une petite blonde un peu rondelette, mais bien plus coriace qu'elle n'en avait l'air. Nous commençâmes par échanger des coups de bases jusqu'à ce qu'elle réussît à me piéger contre le mur. Sauf que je ne me laissais pas avoir si facilement. Après avoir pris de l'élan, je m'appuyai contre ce même mur et sautai par-dessus elle. Elle s'était à peine retournée vers moi que je lui balançai un grand coup de pied piquet dans l'estomac qui la plaqua contre la paroi rocheuse. Je récupérai alors une pierre aiguisée qui traînait par terre et lui transperçai la poitrine.
Du sang épais noir jaillit de partout et ses yeux cerclés de rouge se vidèrent de toutes émotions perfides. Un bras passa alors au-dessus de ma tête pour encercler ma nuque. Je me retrouvai collée au torse du deuxième Lune qui était entré il y avait deux minutes. C'était un homme beaucoup plus grand que moi, mais complètement dépourvu d'équilibre et de technique. J'étais certaine qu'il faisait partie de l'Élite avant d'avoir été transformé.
Je lui balançai mon coude dans les côtes et lui fis une clef de bras en un clin d'œil. Je fus alors prise de court par cet homme pourtant bien impuissant face à moi. De sa main libre, il venait de sortir un poignard de sa ceinture. Il n'avait plus besoin d'avoir de la technique pour avoir l'avantage. Sa force surhumaine de Lune et cette arme était suffisante pour venir à bout d'un Soleil. Oui, d'un Soleil, mais pas de moi. Je l'avais décidé, il lui faudrait plus que ça pour me vaincre.
Je continuai donc de me battre et réussis à placer un coup de pied circulaire. J'espérais lui faire lâcher prise sur le poignard mais il s'y accrochait comme si sa vie en dépendait. En effet, c'était le cas. Je finis par lui brûler le poignet et l'arme lui glissa des mains dans un cri de douleur. Je plongeai pour la récupérer. À peine l'eus-je entre les doigts que je n'hésitai pas à frapper. Je lui coupai les tendons avec précision et il tomba à genou en une seconde. Il se retourna alors précipitamment et réussit à me griffer le bras. Je sentis ma peau me brûler d'une toute autre manière que d'habitude et du sang chaud coula le long de mon bras en un rien de temps. Furieuse, je saisis ses cheveux pour lui tirer la tête en arrière et lui tranchai la gorge avec son propre poignard.
Une telle rage s'était emparée de moi que je ne sentais déjà plus ma blessure. Cela ne put que m'aider à affronter les nouvelles Lunes qui passèrent le pas de la porte. Il s'agissait de deux hommes. Ils avaient tous les deux des carrures impressionnantes et je ne doutais pas qu'ils allaient être dur à battre. Beaucoup de mes adversaires avaient tendance à me sous-estimer à première vue. Si c'était très stupide de leur part, cela consistait un sérieux avantage pour moi. Cependant, la vue des corps ensanglantés de trois d'entre eux ne pouvait pas les tromper. L'un d'eux recula de quelques pas, hésitant et surpris devant ce spectacle, puis se retourna pour atteindre la porte. Il ne me fuyait pas, ça non. Il voulait prévenir les autres.
Sans beaucoup réfléchir, mais refusant l'idée que tous mes efforts eussent été vains, je me relevai en une seconde et lançai mon poignard avec force. Il atteignit parfaitement sa cible. Le Lune s'étala sur le sol, le crâne transpercé et la tête en feu. Je n'attendis pas un instant pour fermer la lourde porte métallique par télékinésie, au cas où son « frère » aurait la même mauvaise idée. Contre toute attente, il ne bougeait pas. Il fixait chacun des cadavres qui se trouvaient à mes pieds et semblait laisser la haine monter en lui jusqu'à ce qu'il vît complètement rouge.
- Tu vas regretter d'être née, fille du Soleil, déclara-t-il d'une voix digne de monstre de film d'horreur.
Je cessai d'observer son crâne rasé recouvert de cicatrices quand il s'élança vers moi. Contrairement aux autres, il était rapide, précis et agile. Il était incroyablement vif et n'avait aucun mal à anticiper mes coups. Il était évident qu'il avait reçu une formation plutôt semblable à la mienne et cela lui facilitait la tâche pour analyser mon mode de combat et en tirer profit, sans parler de sa force. Pour la première fois depuis quelques minutes, une once de peur commençait à percer mon armure de colère et de courage. Cette fois-ci, il y avait un sérieux risque que je ne remportasse pas le combat.
Néanmoins, je m'efforçais de lui renvoyer ses attaques, jusqu'à ce qu'il me décochât un crochet du foie que je ne réussis pas à esquiver. Ma vision devint floue et j'eus le souffle coupé. Sans que je ne vis rien venir, il me saisit fermement et m'envoya valser avec tant de force que mon débardeur se déchira, laissant ma peau nue se faire déchirer par la roche aiguisée. La douleur était tellement fulgurante que je ne pouvais même envisager de me relever. Un instant, je crus même que j'allais perdre connaissance, mais le Lune me ramena à la réalité.
- C'est pour Mark...
Il pressa alors son corps sur le mien et m'écrasa de tout son poids, tout en tant promenant ses mains rugueuses sur ma peau sale et meurtrie. Je remerciai Dieu que ma brassière n'eût pas suivi mon débardeur. Le Lune dégagea ensuite ma nuque et commença à enfoncer ses canines dans ma chair. Dans un dernier élan, je détournai son visage et écrasai mes lèvres sur les siennes. Il fut très étonné, mais n'était pas non plus au bout de ses surprises. Je lui soufflai dans la gorge un air tellement chaud qu'il lui brûlerait les poumons en moins de quelques minutes. Il s'éloigna précipitamment de moi et porta la main à son cou, un éclair de terreur dans le regard. Il poussa un terrible gémissement de douleur et commença à cracher du sang. Ce même sang noir visqueux qui m'avait déjà éclaboussée une première fois, la nuit où elle était morte.
Cédant au désespoir et à la rage, je courus récupérer le poignard qui m'avait aidé à tuer deux de ses camarades et l'enfonçait dans sa large poitrine, mettant fin à ses toussotements rauques. Je l'enfonçai une fois avec force et précision, me languissant de cette sensation. Puis une deuxième fois. Et une troisième, une quatrième et une cinquième fois.
Je ne pouvais plus m'arrêter. Un torrent de larmes ruisselaient sur mon visage et ma main empoignait si fermement l'arme parfaitement affûtée qu'elle me semblait être une extension de mon bras. Je pouvais entendre les os se briser, les organes être transpercés, les vertèbres être tranchées et le sang coulé à flot, mais ce n'était toujours pas suffisant.
Je n'arrivais pas à faire disparaître ce poids terrible de ma poitrine, je n'arrivais pas à oublier. Ils l'avaient tuée. À mes yeux ils l'avaient tous tuée. Ils avaient arraché mon cœur de ma poitrine et je ne pouvais rien faire pour diminuer la douleur ne serait-ce qu'un tout petit peu. Ça faisait tellement mal. Je voulais qu'ils souffrissent eux aussi. Je voulais qu'ils sussent ce que cela faisait de se faire transpercer la poitrine et de s'éteindre à petit feu dans d'atroces souffrances. Mais rien, rien de tout ceci ne me la ramènerait.
- Savannah..., murmura une toute petite voix.
Je tournai brusquement la tête et découvris Alec, à quelques mètres de moi. Il avait peur. Il avait peur de moi. Je lâchai le poignard sanglant que j'avais dans la main et le tintement que sa chute sur le sol produisit déclencha quelque chose dans mon esprit. Toute trace de feu s'effaça en moi et ma respiration devint saccadée, douloureuse. Mon corps tout entier hurlait à la mort et je fus incapable de contrôler mes tremblements. J'étais recouverte de blessures et de sang. Mon sang...et le leur. Je relevai lentement la tête et examinai la pièce dans son ensemble. Il y en avait partout. Cinq corps, cinq cadavres baignaient dedans, immobiles. Je les avais tués. Tous.
Finalement, Alec s'approcha rapidement de moi en lançant des regards furtifs vers la porte.
- Écoutes-moi Savannah, tu es morte. D'accord ? Tu es morte !
Son regard d'émeraude me lançait un appel au secours, je le voyais bien, mais j'étais incapable de lui répondre. Il n'attendit donc pas une seconde de plus et me fit basculer sur son épaule. Moi, je commençais doucement à prendre conscience de tout ce qu'il venait de se passer. Le grincement de la porte se fit alors entendre.
- Alexander ! Que s'est-il passé, nom de Dieu !?
- Je...j'étais persuadée de l'avoir tuée...je...j'ai dû rater quelque chose, mais c'est bon maintenant. Je l'ai mordue, il n'y a plus aucun risque.
En temps normal, j'aurais été terrifiée de ne pas savoir si Miles allait le vérifier de ses propres yeux, mais j'étais alors si détachée de la réalité que je n'eus pas la moindre réaction.
- David était un excellent chasseur..., soupira-t-il finalement.
- Je sais, je suis vraiment désolé, Miles ! Je pense que je vais vite aller dans ma grotte et...finir le boulot.
Alec croyait sérieusement que ce serait si facile ? Moi je me pensais déjà morte.
- Ne t'excuse jamais Alexander, ordonna Miles contre toute attente. Si cette petite fille minable a réussi à leur venir à bout, c'est qu'ils ne méritaient pas leur place parmi nous. Ça va seulement nous faire quelques corvées de ménages supplémentaires.
Ceci coupa court à mes réflexions désespérée. Il fallait absolument que je sortisse de cette pièce, il fallait absolument qu'Alec me ramenât à la grotte. Je ne tiendrais plus très longtemps, je devais à tout prix m'éloigner de tous ces Lunes. Miles finit par nous laisser nous en aller et nous regagnâmes la grotte en ce qui me semblait être une éternité.
Alec déverrouilla sa porte et nous enferma à l'intérieur. À l'instant où il me posa sur le sol, je laissai exploser les violents sanglots que je retenais et m'éloignai de lui.
- Savannah je suis tellement désolé, je...
- Ne m'approche pas ! criai-je en me réfugiant au fond de la grotte.
Il m'était dur de parler et tout simplement de respirer entre mes pleurs et la douleur qui habitait maintenant chaque cellule de mon corps.
- Non, Savannah, je...
- N'approche pas ! m'écriai-je de nouveau avant de prendre ma tête entre mes mains.
Je luttai pour rester debout, pour rester forte, mais j'avais l'impression d'être vidée de toute vie humaine.
- Vous êtes des monstres...et je deviens comme vous.
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