Chapitre 17
Jeremy
9 jours. 216 heures. 12960 minutes. 777600 secondes. Cela faisait 9 jours, 216 heures, 12960 minutes, 777600 secondes que j'avais perdu Savannah. 10 mots, 15 chiffres et 62 lettres. Cela faisait 9 jours, 216 heures, 12960 minutes, 777600 secondes que j'avais perdu Savannah. Plus je me répétais cette phrase, plus elle me paraissait longue et douloureuse. C'était impressionnant cette faculté qu'avait l'homme de se répéter en boucle ce qu'il savait qu'il ne devait pas penser. J'étais très doué pour ça apparemment.
Je me trouvais en ce moment dans une des salles du gymnase du pensionnat. Les Soleils enseignants étaient obligés d'avoir au minimum deux séances d'entraînement par semaine en dehors du travail avec les élèves. Habituellement, mes entraînements avec Savannah le mardi, jeudi et samedi m'empêchais de faire partie des sessions les plus fréquentées, ce qui m'amenait donc ici le vendredi soir. Généralement, nous n'étions que quelques-uns, mais il arrivait aussi que je me retrouvasse seul. Cela ne me gênait pas particulièrement, ainsi j'avais la salle pour moi et j'étais libre de faire à peu près tout ce qui me plaisait. Ce soir, rien ne dérogeait à la règle sauf une chose : moi.
D'une manière ou d'une autre, je m'étais retrouvé dans la salle où nous avions l'habitude de venir avec Savannah. Cette même salle dans laquelle nous nous étions battus pour la première fois il y avait environ 5 mois, 20 semaines, 140 jours, 3360 heures, 201600 minutes, 12096000 secondes. Douze millions quatre-vingt-seize mille secondes. Cela me semblait à la fois si long et si court. Était-ce possible ? Selon moi, cette impression était due à l'association des millions, si nombreux, et des secondes, si courtes.
Aujourd'hui plus que jamais, je souhaitais n'avoir rencontré ses yeux pétillants, sa longue chevelure rousse et son sourire ravageur qu'hier. Comme ça, j'aurais encore la certitude d'avoir des mois devant moi pour essayer d'apprendre à la connaître, de la comprendre, de découvrir ses secrets, ses défauts et ses qualités. Des mois pour accomplir la mission que l'on m'avait confiée et encore des mois pour surmonter mes remords et ma culpabilité. Des mois. Ces doux mois que je n'avais plus et que je n'aurais plus jamais.
- Hé !
Je cessai de m'acharner contre le punching-ball et me retournai, couvert de sueur et essoufflé, vers ma collègue, dont j'avais reconnu la voix malgré ma surprise.
- Camille...comment vas-tu ? demandai-je, le souffle saccadé.
- Mieux que toi, me fit-elle en me dévisageant.
Je l'observai alors à mon tour. Ses cheveux bruns étaient relevés en queue de cheval et elle avait l'air plutôt en forme. Cette coiffure lui donnait toujours un air autoritaire, pourtant, c'était quelqu'un de très gentil quand on apprenait à la connaître. Thomas avait de la chance d'être son élève, il apprendrait certainement mille fois plus avec elle que Savannah n'apprendrait jamais avec moi.
- Je viens d'apprendre à Thomas et Kelly qu'on n'avait toujours aucune nouvelle de Savannah, continua-t-elle d'une voix aussi douce que possible.
Je me préoccupais tant de Savannah que j'oubliais parfois qu'eux étaient là et qu'ils avaient aussi besoin de nous. Bien sûr, cela ne faisait pas vraiment partie de mes fonctions du point de vue de mon employeur principal, mais le professeur en moi avait toujours cette envie d'aider les autres. Depuis quelques années, j'avais laissé ce côté de moi s'effacer peu à peu, il était comme émoussé par la vie et les épreuves qu'elle me faisait traverser. C'était bien dommage. En revanche, il existerait toujours ces personnes auxquelles on ne pensait pas, qui vous diraient un jour ces phrases que vous aviez besoin d'entendre pour vous réveiller. Je ne le savais juste pas encore à ce moment-là.
- Comment l'ont-ils pris ?
Elle afficha une petite moue résignée.
- Mieux que toi, apparemment.
Par contre, je détestais ce genre de phrases et j'en avais parfaitement conscience. Si le temps m'avait aidé à supporter et même à apprécier de telles répliques venant de mes proches, il me faudrait plus que cela pour celles qui venaient de mes collègues de travail.
- Qu'est-ce que tu veux, Camille ?
Mon changement de ton ne la surprit absolument pas et elle se rapprocha de moi avec détermination.
- Écoute, je suis sincèrement désolée. Je ne peux pas dire que je comprends ce que tu traverses parce que je sais que mon élève va bien et qu'il est en sécurité. Mais ce que je sais aussi, c'est qu'on reste tous les deux des Soleils peu importe nos sentiments personnels et que c'est notre job de faire ce qu'il y a de mieux pour eux et...ce n'est définitivement pas ce qu'on fait en les séquestrant à l'infirmerie.
Je haussai les épaules, fatigué.
- Je suis d'accord. Mais toi non plus tu n'as rien fait contre, jusqu'à maintenant.
Elle hocha tristement la tête.
- Oui. J'espérais qu'on aurait retrouvé Savannah avant que cela ne devienne problématique, mais...
- Mais ce n'est pas le cas, complétai-je fermement. Je le sais.
- Comprends-moi bien Jeremy, je ne baisse pas les bras et tu ne devrais pas non plus. Seulement, il n'y a pas qu'elle qui a besoin de nous. Alors si j'entends qu'on a découvert quelque chose dans la forêt, je serais sans aucun doute dans la première patrouille qui partira voir de quoi il s'agit, mais en attendant, je vais essayer d'aider les personnes que je peux aider. C'est ce que tu devrais faire toi aussi.
Aider les personnes que je peux aider.
En soi, je n'avais rien contre le concept, au contraire même je dirais, sauf qu'il était aussi synonyme d'une chose contre laquelle je luttais. Je voulais toujours croire que je pouvais encore aider Savannah, qu'il ne serait jamais trop tard. Si le pire devait arriver, j'en souffrirais, c'était certain, mais je survivrais et alors je pourrais toujours l'aider. Je pourrais toujours veiller sur les personnes auxquelles elle tenait plus que tout, m'assurer qu'ils réalisaient leurs rêves comme elle l'aurait souhaité et surtout les aider à toujours chérir sa mémoire.
Il n'y avait pas de bonne manière de dire ça, mais si mes peurs se réalisaient, le monde n'arrêterait pas de tourner pour autant. Il y aurait toujours autant de problèmes, de malheur et de personnes ayant besoin d'aide. J'avais déjà vécu cela une fois, il y a maintenant 3 ans. 3 ans. 36 mois. 144 semaines. 1008 jours. 24192 heures. 1451520 minutes. 87091200 secondes. Cela avait beau me paraître loin aujourd'hui, je savais que mes cicatrices étaient encore toutes fraîches. Combien de temps fallait-il pour faire un deuil ? 60 semaines ? 16000 heures ? 1000000000 secondes ? Un cœur brisé était si fragile, si délicat, tandis que les minutes continuaient de s'écouler impunément, ignorant tout le reste autour d'elles.
- Scandola ! m'interpella Mme Diggle.
Je me retournai, ravi de ne pas avoir à la chercher dans toute l'infirmerie. Finalement, il ne m'avait fallu que peu de temps pour réaliser ce que je voulais vraiment. Bien sûr, je voulais retrouver mon élève saine et sauve, mais je voulais aussi qu'elle retrouvât des amis aimants, en pleine santé et libres à son retour.
- Mme Diggle...
Elle arriva à mon niveau, presque essoufflée, puis déclara :
- On a un problème.
J'inspirai un grand coup, me préparant pour la suite.
- Je vous écoute.
Elle m'entraîna à l'écart de l'agitation générale, mystérieuse, mais je me doutais déjà de ce qu'elle allait m'annoncer. Ses traits étaient toujours tirés par la fatigue, mais une pointe de peur brillait maintenant dans ses yeux.
- On ne peut plus garder Kelly et Thomas.
J'acquiesçai, résolu.
- Je sais. On a merdé, hein ?
Elle écarquilla ses grands yeux protégés de lentilles noisette.
- Sans blague ? On a totalement foiré ! Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? me demanda-t-elle, sur les nerfs.
- Je n'en ai pas la moindre idée. Les élèves sont loin d'être brillants mais ils ne sont pas stupides à ce point. Certains posent déjà des questions.
Elle croisa les bras sur sa poitrine, le regard dans le vague.
- Mais qu'est-ce qu'on va bien pouvoir leur raconter...
Je laissai aller mon corps contre le mur et passai une main sur mon visage, épuisé.
- Vous devez faire quelque chose Scandola, me fit finalement Mme Diggle. Parlez à M. Carter, mentez, n'importe quoi, mais vous devez faire quelque chose.
Je décroisai les jambes et me redressai, oubliant l'appui du mur.
- Moi !?
Depuis quand fallait-il que tout reposât sur moi ? J'étais d'accord pour aider Kelly et Thomas, pas m'enfoncer dans je-ne-sais quel mensonge sans fin.
Elle leva les yeux au ciel, exaspérée.
- Bien sûr ! Je ne suis que médecin, c'est vous qui avez tout le pouvoir ici.
- Et vous avez l'ancienneté et l'influence.
Elle secoua la tête en faisant trembler son carré blond.
- Ce n'est pas ça qui nous aidera à sauver les apparences.
- Alors on n'a pas le choix. On va devoir mentir.
Cela ne me plaisait absolument pas mais cela restait notre meilleure option à première vue. Elle me lança un regard lourd d'interrogation.
- Savannah a fugué avant même l'exercice sur le terrain.
Elle décroisa les bras et les laissa retomber le long de son corps.
- C'est la seule idée qui vous vienne à l'esprit en penser à elle ? me demanda-t-elle, indignée.
- Bien sûr que non, mais c'est ce qu'il y a de plus crédible. Même Elizabeth, sa meilleure amie, m'a demandé si elle avait fugué avant de découvrir la vérité. Ça ne surprendra personne.
- Et quelle excuse allez-vous lui donner ?
Elle avait vraiment réponse à tout celle-là...comme Savannah tient.
- Oh laissez-moi deviner, Marley Rhodes a été assassinée sous ses yeux et elle a elle-même tué son assassin cinq minutes plus tard ! Je ne suis pas aveugle vous savez, j'ai très bien vu que cela fait deux mois que Savannah ne dort plus, ne mange plus, n'a plus goût à rien, ne pensez-vous pas que c'est suffisant ?
Mme Diggle ne put s'empêcher de serrer les poings, offensée pour Savannah.
- Oui, elle aurait pu fuguer, mais elle ne l'a pas fait !
- Je le sais très bien ! m'écriai-je. Non, elle n'a pas fugué, elle a probablement été enlevée par des Lunes et ce serait un miracle qu'elle ne soit pas morte à l'heure qu'il est, mais vous êtes celle qui vient de dire qu'il fallait mentir !
Je ne pourrais plus supporter cette situation bien longtemps, je le sentais. Plus le temps passait, plus la peur et l'incertitude me rongeaient et je ne doutais pas qu'il en était de même pour Mme Diggle. Mais cette inquiétude commune n'aurait-elle pas dû nous aider à tomber d'accord, ne serait-ce qu' une fois !?
- Mentir est une chose, mais déshonorer sa mémoire en est une autre, déclara-t-elle durement.
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Les choses commencent à se corser à l'académie... 🙄
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