II - Chapitre 6
Savannah
Je n'aurais pas cru pouvoir dire un jour que donner des interviews était devenu banal. Dans quel monde de parfaits inconnus pourraient-ils bien s'intéresser à ce que j'avais à dire ou à la vie que je menais ? Étonnamment, la réponse était bien dans celui-ci. Il s'agissait bien sûr d'une gigantesque promotion pour ma famille et nos affaires, je n'étais réellement qu'un instrument et pas une source d'intérêt sincère, mais je m'y étais faite. C'était même devenu la partie la plus facile de mon travail. Être belle, sourire, dire ce que les gens voulaient entendre, inspirer les autres. Avec de bon maquilleurs et coiffeurs, un texte déjà tout préparé et un peu d'entraînement, ce n'était difficile pour personne. Épuisant, oui, mais pas difficile.
Ce qui me donnait autant de soucis que de frissons d'excitation, c'étaient les missions. J'avais parfois l'impression de me sentir à la fois comme une justicière et une criminelle et j'adorais ça. L'équipe que mon père et moi avions constituée pour les mener à bien étaient dans l'ensemble assez génial et je partais chaque soir, sachant que j'allais devoir me battre et me lever aux aurores le lendemain, avec un grand sourire. Parce que je ne me battais pas sans raison, non, je me battais pour atteindre le plus beau des objectifs, celui qui faisait que toutes ces nuits ensanglantées et sans sommeil en valaient la peine. Et ce soir, j'allais me rapprocher encore un petit peu plus du but.
Le fourgon se gara dans la pénombre et nous échangeâmes tous des regards, attendant le signal de Michael. Sa voix finit par sortir de nos oreillettes.
– Les caméras sont désactivées.
Pas moins d'une seconde plus tard, nous ouvrîmes les portes blindées du fourgon et en sortîmes, protégés et armés de la tête aux pieds. Je me retournai et rappelai l'attribution des postes.
– Paxton, Gulliver, et Jackson à l'ouest, Frey, Hilberg et Gonzalès à l'est, O'Brien et Mark avec moi, au nord. Quels sont nos objectifs ?
– La salle d'archive.
– Et la salle de contrôle.
Je hochai la tête avec satisfaction. C'était vraiment une bonne équipe.
– Bien. Le dernier arrivé à son poste protégera Victor la semaine prochaine.
– Quoi !? s'exclamèrent tous avec étonnement et horreur.
– La voie est libre, déclara Michael. Bonne chance les gars.
Je levai les yeux au ciel.
– Ce n'est pas de la chance, Michael, c'est du talent, rétorquai-je avec un clin d’œil pour l'équipe.
– Appelle-ça comme tu voudras, juste ne mourrez pas ce soir.
Sur ces quelques mots encourageants, nous séparâmes et avançâmes vers l'entrepôt sombre où nous avions des informations très importantes à récupérer. Un ancien client de mon père, quelque peu vieux jeu, y stockait énormément de dossiers dès lors que les affaires étaient conclues. Pour ce qui étaient des contrats récents, le génie informatique de Michael nous viendrait encore une fois en aide.
O'Brien, Mark et moi-même ne tardâmes pas à arriver à l'angle du bâtiment, derrière lequel se trouvait une passerelle menant à l'intérieur de l'entrepôt. Elle était protégée par deux hommes. Nous échangeâmes quelques consignes, puis nous nous mîmes en position. À mon signal, Mark sortit de l'ombre et tira sur le boîtier de sécurité de la porte métallique, éliminant la possibilité du bouton d'alarme. À peine les hommes eurent sorti leurs armes que je les arrachai de leurs mains par psychokinésie et courus furtivement vers la passerelle.
Leur second réflexe fut de manière prévisible d'allumer leur micro pour alerter leur collègue, mais le don très particulier de O'Brien, depuis longtemps Trevor pour moi, intervint avant qu'ils ne pussent dire le moindre mot. Je profitai ainsi de l'effet de surprise pour surgir à leur côté et les asséner de coups avant de les faire passer par dessus la passerelle. D'après mes calculs, leur chute ne serait pas mortelle, en revanche ils seraient incapables de se relever avant un moment.
Trevor fut le premier à me rejoindre et son regard se posa rapidement sur le boîtier de sécurité, complètement hors d'usage.
– Je suppose que l'ouverture manuelle n'était pas une option de toute façon, souffla-t-il avec amusement.
Je ne pus empêcher les coins de mes lèvres de se redresser. Comme moi, Trevor commentait absolument tout. Il disait que c'était à cause de la convivialité africaine dans laquelle il avait grandi. Moi c'était juste parce que je n'avais pas de filtre.
Mark ne tarda pas à monter à son tour sur la passerelle.
– Si vous pouvez attendre quelques secondes, nous fit Michael dont la voix était toujours accompagnée du bruit des touches de claviers, je vous déverrouille la porte depuis...
Sans même avoir échangé un mot, Trevor, Mark et moi levâmes une jambe et frappâmes violemment la porte. Celle-ci ne put pas grand-chose contre la force de deux Soleils et d'un homme incroyablement solide.
– Ou vous pouviez aussi faire comme ça, ouais...
Nous entrâmes prudemment à l'intérieur de l'entrepôt, nos armes brandies devant nous. Ayant passé quelques heures à étudier la structure du bâtiment, je savais qu'il était quasiment impossible que qui ce fût nous eût entendu rentrer, mais il ne fallait jamais baisser sa garde.
Avant d'accéder à la salle de contrôle, nous étions forcés de passer par un grand hall principal où le second commerce du client de mon père était entreposé avant d'être livré. Celui-ci avait la particularité de ne pas être très légal et je devais avouer qu'une fois que nous aurions repris la main dessus, il ne le serait toujours pas. Dans de grandes caisses noires métallisées, des centaines de kilos d'armes de contrebande circulaient entre les pays dans la plus grande discrétion et il se trouvait que le dernier arrivage n'était pas plus vieux que de la veille. C'était malheureux, mais pas techniquement un problème. Nous devrions juste abattre davantage de gardes et Soleils, en faisant particulièrement attention à ne pas toucher les quelques caisses inflammables parmi les autres.
Nous nous positionnâmes chacun d'un côté du hall et le moment venu, nous balançâmes des fumigènes. Bien sûr, cela ne pouvait pas être si facile. Certains des hommes présents avaient reçus un entraînement aussi pointus que nous et ils avaient mis leur masque avant que le gaz ne pût avoir le moindre effet sur eux. Ce fut ainsi qu'ils ouvrirent le feu. Il ne fut dès lors plus question de discrétion, mais de force et d'efficacité.
Je parvins à abattre à temps le Soleil qui me mettait le plus en danger pour pouvoir me battre contre celui qui était arrivé dans mon dos. Il tenta à plusieurs reprises d'accéder à ma nuque mais je le repoussai d’un coup de pied retourné qui le fit tomber à terre. Je lui ôtai immédiatement son masque, le remis sur pied puis je l'envoyai valser contre un mur un peu plus loin.
Le nuage de gaz avait depuis envahi une grande partie du hall, et bien que j'y fusse immunisée, il brouillait ma vision au même titre. J'avançai ainsi prudemment au centre de la pièce, mon pistolet brandit devant moi et mes sens en alerte. J'eus à peine aperçu le reflet d'une visière à travers la brume qu'une balle passa à quelques centimètres de moi. Je tirai rapidement dans la direction inverse, mais ma balle n'atteint pas exactement la cible prévue. Au lieu d'entendre un grognement de douleur, nous reconnûmes tous où que nous étions le son du métal transpercé et nous eûmes tous une seconde pour nous protéger de l'explosion. Je m'étais empressée de sauter derrière une rangée d'autres caisses d'armes classiques tout près de moi, mais la force de la décharge me projeta quelques mètres plus loin à découvert.
Mes oreilles sifflaient encore lorsqu'une main agrippa mon bras et me tira derrière le rempart que formaient les caisses. Je reconnus immédiatement la douce peau noire de Trevor contre la mienne malgré mon étourdissement.
– Bien joué, Hamilton, chuchota-t-il en nettoyant les cendres sur mes joues de son pouce.
Je recouvrais bientôt tous mes moyens.
– Merci, soufflai-je avec gratitude.
– Je suis là pour ça.
Je me relevai légèrement pour jeter un bref coup par dessus les caisses. Les cendres formaient encore un nuage épais et si nous tentions quoi que ce fût, ce serait à l'aveugle. Et on avait bien vu ce que cela avait donné la première fois.
– Si tu as l'intention de monter dans ton avion avant l'aube, Hamilton, tu as intérêt à viser mieux que ça la prochaine fois, s'éleva la voix de Michael dans nos oreillettes.
Je n'avais pas le temps de relever son sarcasme.
– Où est Mark ?
– À votre gauche, entre deux rangées.
– Il est à découvert !? fis-je sans trop hausser la voix.
– Il est surtout inconscient à cause de l'explosion. Vous devez le retrouver.
Trevor et moi échangeâmes de sérieux hochement de tête et nous nous préparâmes à passer l'action. Dès que les cendres furent suffisamment retombées pour nous permettre de voir où nous tirions, je me redressai et ouvrai le feu pour couvrir Trevor pendant qu'il essayait de repérer Mark de l'autre côté. À l'instant où nous entendîmes le clic indiquant que mon chargeur était vide, je redescendis derrière les caisses, suivie de Trevor, et nos adversaires envoyèrent leur propre rafale. Je m'empressai de recharger mon arme, mais je savais que ce ne serait pas assez.
– Alors comme ça tu pars en vacances sans moi ? glissa mon équipier d'un air faussement vexé.
Lorsque le flux de balles cessa, je me jetai sur le fusil d’assaut qui avait été abandonné près de moi et tirai sur les positions de nos ennemis le temps que Trevor revint en rampant derrière les caisses, traînant un Mark inconscient avec lui. Je ne tardai pas à retourner moi-même à couvert.
– Déçu ? fis-je, un sourire aux lèvres.
– Complètement abattu, rétorqua Trevor. Je croyais vraiment que ma compagnie avait de la valeur à tes yeux.
Nous nous retournâmes mutuellement pour répondre avec une nouvelle rafale de balles et nous eûmes cette fois le plaisir d'entendre des plaintes.
– Autant que ton égo est démesuré, glissai-je entre deux attaques.
– Me voilà rassurer !
– Michael ? appelai-je par-dessus le vacarme des tirs. Encore combien ?
– Trop. Attend. La prochaine fois, vise à 9 heures.
Sans poser de question, je suivis son conseil. Une seconde détonation nous assourdit pendant quelques instants avant que nous ne pûmes reprendre contact avec Michael.
– C'est bon ?
– La voie est libre !
Trevor passa Mark par-dessus son épaule et se releva comme s'il ne pesait que la moitié de son poids réel.
– Et Hamilton ? À ce rythme-là, c'est toi qui protégeras Victor la semaine prochaine, gloussa Michael.
Mon visage se durcit immédiatement. Il n'en était pas question. Je nous guidai donc rapidement parmi les couloirs. Nous trouvâmes quelques corps inconscients au passage, mais aucune menace. Nous tombâmes finalement sur une Soleil qui semblait assez désorientée et quelques coups suffirent avant que je pusse l’assommer.
– Tu vas en Caroline du Sud, c'est ça ? me demanda doucement Trevor.
– Oui, répondis-je simplement avant de projeter un garde au plafond puis de l'écraser au sol.
– Elle est toujours partante ?
– Tu sais bien que ce n'est pas pour ça que j'y vais, soufflai-je en fronçant les sourcils.
En réalité, je n'étais pas certaine de connaître la réponse et j'allais bien sûr profiter de mon week-end là-bas pour évoquer le sujet.
– Peut-être, mais c'est définitivement plus important que n'importe quelle autre raison tu pourrais avoir, répliqua mon co-équipier de plus en plus essoufflé.
Mark n'était tout de même pas léger comme une plume. Je secouai la tête en soupirant.
– Tu parles comme mon père. Recule.
J'enfonçai une porte à la force d'un coup de pied comme nous l'avions fait précédemment. Il n'y avait rien de plus efficace, ni de plus satisfaisant.
– Tu sais quoi ? fit ensuite Trevor. Je vais prendre ça comme un compliment parce que j'ai beaucoup de respect pour lui et même s'il n'est pas parfait, c'est grâce à lui qu'on se bat pour une juste cause.
Je m'arrêtai avant d'entamer les escaliers qui menaient à la salle de contrôle pour le regarder droit dans les yeux.
– Tu y crois vraiment ?
Il réajusta la position de Mark sur son épaule pour être plus à l'aise avant de planter son regard brun dans le mien et de déclarer :
– Absolument. Les moyens que nous employons sont parfois douteux, je te l'accorde, mais si nous faisions les choses autrement, nous aurions perdu depuis un bon moment.
Je hochai doucement la tête.
– C'est en te disant ça que tu arrives à dormir la nuit ?
Trevor leva les yeux au ciel et un sourire taquin se dessina sur ses lèvres.
– Eh bien ce n'est pas comme si j'avais eu beaucoup d'occasion de dormir ces dernières nuits...
Je ne pus m'empêcher de sourire bêtement lorsqu'il me fit un clin d’œil.
– ...mais non. C'est en me disant que c'est eux ou nous.
Je redressai la tête.
– Eux ou nous.
– Ce n'est pas que votre discussion n'est pas adorable, intervint alors Michael avec ironie, mais vous n'avez pas l'impression que ce n'est pas le meilleur moment pour l'avoir ?
Trevor et moi écarquillâmes les yeux simultanément.
– Michael ! Tu écoutes encore ce qu'on dit !? m'exclamai-je.
– Pas la peine d'utiliser ce ton-là, je vous ai déjà dit cent fois de couper vos micros pour les discussions perso. Un jour, M. Hamilton sera là et vous regretterez de ne pas y avoir pensé avant d'évoquer vos nuits torrides.
Un fou rire nous échappa malgré nous, puis nous commençâmes à monter vers la salle de contrôle.
– Sinon toi ta vie sexuelle, ça va ? rétorqua Trevor à l'attention de Michael.
Je ris à nouveau avant de me concentrer pleinement sur notre environnement. Nous étions prêts du but, mais pas sortis d'affaires pour autant.
– Tu es probablement la dernière personne avec qui j'aurais envie d'en parler, Trevor, mais merci.
Alors qu'il n'y avait plus que quelques marches qui nous séparaient de la salle de contrôle, un garde armé surgit devant nous. Par chance, la balle qu'il me destinait ne toucha que mon gilet par balles et eût juste pour effet de me faire reculer, le souffle coupé. Trevor, dont les réflexes étaient très aigus, avait immédiatement prit les choses en main. Son regard s'était à peine posé sur l'homme que celui-ci lâcha son arme avec frayeur et sa nuque finit par se briser sous la force de la psychokinésie. Il s'agissait peut-être d'un des moyens douteux dont nous parlions un peu plus tôt.
Nous pûmes finalement accéder à la salle de contrôle où il ne restait plus qu'un informaticien terrifié qui nous obéît immédiatement. J'allais vite brancher la précieuse clef USB de Michael sur l'ordinateur principal et le téléchargement ne tarda pas à commencer. Quelques secondes plus tard, Mark reprit progressivement connaissance.
– Vous n'avez plus besoin de moi, mais je tiens à savoir qui était le dernier à son poste dès demain.
– Juré, répondit Michael. Bon week-end !
Je coupai ensuite mon micro et me tournai vers Trevor.
– Amuse-toi bien ! m'exclamai-je en avançant vers la sortie de la salle.
– Sans toi ça va être dur, répliqua-t-il avec une moue triste.
Je haussai les épaules en souriant.
– Que veux-tu que j'y fasse ? Je fais souvent cet effet.
J'eus à peine franchi le seuil de la porte que Trevor apparût devant moi, me bloquant le chemin et le visage à seulement quelques centimètres de moi. Je retins instinctivement mon souffle, puis je réalisai et soupirai en me retournant vers lui.
– Combien de fois t'ai-je dit que ça ne fonctionnait pas avec moi ?
– Jusqu'à ce que ça fonctionne ! fit-il avec optimisme.
Je lui souris une dernière fois avant de descendre les escaliers.
– C'est ce qu'on verra !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro