II - Chapitre 32
Jeremy
Lorsque le 4x4 percuta la moto de Savannah, j’eus l’impression de voir son corps projeté au loin comme au ralenti alors que ma propre voiture allait à toute vitesse. Un instant, j’eus peur que son agresseur s’arrêtât et sortît pour terminer ce qu’il avait commencé, mais le 4x4 redémarra de plus de belle, sans même se rendre compte de ma présence à deux centaines de mètres. Cet enfoiré avait simplement l’intention de la laisser pour morte.
Je freinais brusquement en arrivant à la hauteur de l’accident et me précipitai hors de ma voiture. Je tombai d’abord sur la moto qui s’était écrasée contre un tronc d’arbre et dont des étincelles jaillissaient. Je la couvris d’une couche de glace avant qu’elle ne pût mettre feu à toute la forêt. Je cherchai ensuite du regard le corps de Savannah et l’aperçus une dizaine de mètres plus loin, immobile. En arrivant au-dessus d’elle, je constatai que la visière de son casque s’était brisée et qu’elle était encore consciente. Toutefois, un voile recouvrait ses yeux et ses paupières ne tardèrent pas à retomber lourdement.
– Anna…
Je compris ensuite que sa respiration était difficile alors j’entrepris d’ouvrir sa veste. Son gilet par balle était pressé contre elle et je devinai que certaines des plaques faisait pression sur ses côtes au point d’oppresser ses poumons. Je voulus immédiatement l’aider mais je savais aussi que je risquais de la blesser encore plus en bougeant quoique ce fût. Je n’osai imaginer le nombre d’os brisés et déboîtés qu’elle avait, mais une chose était certaine, elle ne pourrait pas guérir seule.
J’entrepris alors de la soulever par psychokinésie pour n’exercer aucune pression et la déposai directement dans le coffre de ma voiture. Par chance, l’hôtel dans lequel je restais n’était pas très loin, une fois que nous sortions du bois. Je fis néanmoins un détour pour pouvoir m’arrêter à la pharmacie d’un centre commercial et acheter de quoi lui donner des premiers soins. Je conduisis ensuite jusqu’à l’hôtel et m’assurai bien que personne n’était réveillé pour voir que j’amenais en apparence un corps mort dans ma chambre.
Je l’allongeai le plus délicatement possible sur le lit et commençai à la débarrasser de ses armes, de son gilet et de ses vêtements. Durant les années que j’avais passé sur le terrain avec l’armée, j’en avais vu des blessures, des os brisés, même des membres arrachés, mais découvrir ainsi le corps de Savannah me retournait l’estomac. C’était à se demander s’il lui restait ne serait-ce qu’une partie du corps intacte. Je pris néanmoins sur moi et fis appel à tout le savoir médical qui était en ma possession pour stopper toute hémorragie, remboîter ses os et panser ses plaies.
Une fois que j’eusse terminé, j’osai pouvoir compter sur ses pouvoirs de guérison pour aller jusqu’au bout mais encore fallait-il qu’elle pût les activer, autrement cela prendrait au moins une semaine. Alors à contre cœur, je gelai ma peau et touchai délicatement la sienne jusqu’à provoquer une réaction instinctive. Après quelques minutes, son corps s’embrasa, d’abord faiblement, puis avec de plus en plus de force au fur et à mesure qu’elle guérissait.
Deux jour s’écoulèrent ainsi avant qu’elle ne pût rouvrir les paupières. La lumière était chaude et tamisée dans la pièce. J’étais assis sur une chaise non loin du lit, mon ordinateur sur les genoux. Savannah était allongée sur le lit et de faibles mouvements de tête me firent comprendre qu’elle était en train de reprendre connaissance. Il lui fallut de longues secondes pour se réhabituer à la lumière et elle ne remarqua pas encore ma présence. Un air inquiet sur le visage, elle redressa faiblement la nuque pour évaluer l’état de son corps avant de la laisser retomber contre l’oreiller en soupirant de soulagement.
– Dieu merci…
– C’est plutôt moi que tu devrais remercier, fis-je en refermant mon ordinateur.
Elle sursauta en se rendant compte que je n’étais qu’à deux mètres d’elle.
– Putain mais ça va pas de faire un truc pareil !?
De toute évidence, elle allait déjà beaucoup mieux.
– Désolé…
Savannah entreprit ensuite de se redresser et éventuellement de s’asseoir au bord du lit, très lentement.
– Comment tu te sens ? lui demandai-je tendrement.
Elle leva la tête vers moi, de la surprise dans les yeux.
– Étonnamment bien ! C’est comme si je n’avais que des grosses courbatures !
Je souris, moi-même soulagé et ravi, ainsi qu’ébahi par cette capacité de guérison. N’importe qui d’autre serait mort sur le coup. Je perdis toutefois mon sourire lorsqu’elle se leva, comme prête à partir.
– Doucement !
– Je vais bien, je t’assure. Sympa ce jogging, merci ! s’exclama-t-elle ensuite.
Mon jogging était bien sûr trop grande pour elle, mais il lui allait étonnamment bien. De toute façon, je doutai que quelque chose pût ne pas lui aller.
– Où sont mes chaussures ?
Je m’imposai devant elle.
– Savannah, tu ne vas nulle part pour le moment.
Elle recula et ses yeux bleus se remplir alors de méfiance.
– Pourquoi ?
– Parce que tu viens de te réveiller, parce que tu n’as plus le moindre moyen de transport et parce qu’on doit parler, répondis-je d’une voix que je voulais autoritaire.
Elle plaça les mains sur ses hanches avec exaspération.
– Je n’ai pas le temps pour ça, ils doivent tous être morts d’inquiétude pour moi, il faut vraiment que j’y aille !
– Ça attendra, rétorquai-je.
Sa mâchoire se serra, néanmoins, j’étais en position de force en tout point et ce n’était guère avec ses cheveux bouclés en bataille et un jogging trop grand qu’elle m’intimidait.
– Je pensais avoir été claire, grogna-t-elle en perdant patience.
– Est-ce que tu réalises au moins que sans moi tu serais morte à l’heure qu’il est ?
Savannah leva les yeux au ciel avant de répliquer :
– J’aurais fini par guérir toute seule !
Je ne pus m’empêcher de rire avec sarcasme.
– Avec un gilet par balle enfoncé dans la poitrine et des os retournés dans le mauvais sens ou juste carrément pas à leur place ?
Un éclair de doute passa dans son regard.
– Oui, c’était à ce point, insistai-je. Alors tu me dois bien quelques réponses.
– Je ne te dois rien, Jeremy, répondit-elle sur les nerfs, et je t’ai déjà dit tout ce que tu avais besoin de savoir.
Je secouai la tête et portai discrètement la main à ma ceinture.
– Ce n’est pas suffisant.
Comme je l’avais prédit, elle tenta de bondir en avant pour me dépasser et se ruer vers la porte, mais je sortis mon pistolet et lui tirai une balle dans chaque jambe. J’avais bien sûr mis le silencieux mais son cri de choc risquait de m’attirer des ennuis.
– Tu m’as tiré dessus ! s’écria-t-elle ensuite grimaçant de douleur. T’es complètement malade !
Tant qu’elle était immobilisée au sol, je l’attrapai et la traînai jusqu’à la chaise où j’étais auparavant assis.
– Je venais de guérir !
Bien sûr, elle se débattit mais je parvins à la ligoter fermement.
– Et tu guériras à nouveau, tu peux même activer toi-même ton Feu cette fois…
Aussitôt eus-je terminé de serrer ses liens ses jambes s’enflammèrent, certainement aussi dans l’espoir de me blesser au passage. J’allai ensuite m’asseoir sur le lit en face d’elle et joignis mes mains.
– Maintenant parlons.
Savannah posa sur moi un regard rouge de colère.
– Tu ne crois pas sérieusement que je vais te laisser me séquestrer ici et gentiment coopérer ? articula-t-elle avec mépris.
Je penchai la tête avec un air dubitatif.
– Déjà séquestrer c’est un peu fort et…
– Ah tu trouves ? m’interrompit-elle sèchement. Enfermer quelqu’un contre son gré t’appelle ça comment toi ?
En réalité, j’étais ravi de voir qu’elle n’avait perdu aucun de son mordant après tous ces mois chez ses parents, mais en l’occurrence, cela ne la mènerait nulle part. J’étais déterminé à m’armer de patience et apprécier ses regards cinglants qui m’avaient tant manqués alors que je la croyais morte il n’y avait encore pas si longtemps.
– Savannah, soufflai-je simplement comme je le faisais lorsque j’étais encore son mentor.
– Quoi !?
– Tu as fini ?
La mâchoire serrée, elle continua de respirer bruyamment, jusqu’à ce qu’elle réalisât que ce n’était pas ainsi qu’elle me ferait changé d’avis.
– Merci pour tes soins, mais encore une fois, je m’en serais sortie toute seule.
Elle était incorrigible.
– Tu étais seule sur le bord d’une route en pleine nuit, parfaitement incapable de bouger et tu veux vraiment me faire croire que tu aurais survécu ?
Elle haussa simplement les épaules.
– Je guéris très vite.
Je secouai la tête.
– Je n’explique toujours pas pourquoi tu continues de refuser catégoriquement mon aide quoi que que fasse, mais je sais très bien que ce n’est pas juste par égard pour ma famille, déclarai-je ensuite.
Pour la première fois depuis un moment, Savannah ne me répondit pas en haussant le ton, mais d’une voix calme, ni avec ironie ou sarcasme, mais avec pure honnêteté.
– Je ne te fais pas encore confiance.
Il s’agissait enfin de quelque chose que je pouvais concevoir et essayer de réparer.
– Parce que je travaillais pour Thompson ? demandai-je. Je n’avais pas la moindre idée dans quoi il était impliqué et je n’ai jamais soutenu la moindre de ses causes.
Savannah détourna le regard et ferma les yeux avant de revenir vers moi et de s’exclamer, comme après l’avoir retenu trop longtemps :
– Parce que j’ai passé un an à te haïr ! As-tu la moindre idée de la quantité de haine que ça fait !?
Sa sincérité ne laissait pas de place au doute tandis que je me retrouvai sans voix. Je devais la regarder avec un air absolument hébété et c’était comme ça que je me sentais : à la fois surpris et vexé et simplement perdu. Je savais bien maintenant que son père lui avait raconté les pires mensonges à mon sujet, mais je n’avais pas réalisé que toute la colère qu’ils avaient suscité à mon égard n’avait pas encore disparue.
– Et tu es revenu vers moi comme une fleur, reprit-elle indifféremment à mon absence de réaction, espérant que tout redeviendrait comme avant et qu'on oublierait qu'un an venait de s'écouler, sauf qu'un an c'est long, d'accord ? C'est très long et j'ai tellement changé, si tu savais. Je ne suis pas la Savannah que tu as amené chez ta famille cet été-là, je suis la Savannah qui torture et qui tue des gens pour obtenir ce qu'elle veut, tu en as conscience de ça au moins ? Et tu ne me feras pas croire que tu n'as pas changé toi non plus. J'en suis sincèrement navrée, n'en doute pas, mais franchement, à quoi tu t'attendais ?
Ses mots me firent l’effet d’une claque.
– Pas à ça, de toute évidence, avouai-je.
Savannah prit ensuite le temps de calmer sa respiration, éteignant ainsi son Feu. Elle était maintenant complètement guérie.
– Est-ce que je peux partir maintenant ?
Son revirement de comportement ne me trompait pas.
– Tu sais quoi ? lui fis-je en souriant. Tu as raison, on a tous les deux changé.
Une lueur de méfiance éclaira à nouveau ses yeux bleus.
– Je ne te laisserai pas partir avant d’avoir obtenu les réponses que je veux, affirmai-je avec détermination.
Je repris ensuite mon pistolet en main.
– Et au cas où je n’ai toujours pas été assez clair, sache qu’il me reste encore un bon nombre de balles.
Savannah se mordit la lèvre en secouant doucement la tête.
– Si tu crois que je vais te faire confiance après ça…
– Pour l’instant, ma priorité c’est de comprendre ce qu’il se passe.
– Tu peux toujours rêver, grogna-t-elle, je ne te dirai rien.
Je fronçai les sourcils avec étonnement.
– Je croyais que tu étais pressée de partir ?
J’eus ainsi droit à un de ses célèbres regards noirs.
– Je vais prendre l’initiative d’entamer les questions maintenant, tu permets ? Il y a quelques mois, la police a reçu le rapport d’une effraction et d’un vol dans un entrepôt qui s’est avéré être un point de stockage pour des caisses d’armes illégales. Je sais que c’était vous et je sais aussi que vous n’en étiez pas à votre premier vol. Alors je te le demande, pourquoi intercepter les trafics d’armes ? Vous comptez créer votre propre armée ?
Cela me paraissait étrange, même hypothétiquement, mais Savannah, et Nora l’avait confirmé, parlait sans cesse de « guerre » alors ce n’était peut-être pas si incohérent. Ma prisonnière resta un certain temps silencieuse avant de soupirer :
– Ce n’est pas réellement à propos des armes ni de la drogue.
Parfait ça, ils intervenaient aussi dans les trafics de drogue.
– Alors de quoi s’agit-il ?
Savannah avait certainement conclut que j’en savais déjà beaucoup trop de toute manière et qu’à ce stade, je pouvais bien en apprendre encore un peu plus.
– Nous voulons avoir le contrôle sur les marchés. Tous. Ça inclut l’économie souterraine.
J’écarquillai les yeux, ahuri.
– Vous voulez contrôler l’économie mondiale ?
– C’est déjà ce que je viens de dire, rétorqua-t-elle sèchement.
– Tu réalises à quel point c’est anti-libéral et même anti-démocratique ?
– Bien sûr, souffla-t-elle en levant au ciel, je sais que ce n’est pas idéal.
Je ris un instant avec ironie.
– Ça oui, c’est le cas de le dire.
– Mais tu sais ce qui est encore moins idéal ? Que les Sherwood ait le contrôle, parce qu’eux ils n’ont aucune intention de le redistribuer ensuite.
– Mais vous oui ? m’étonnai-je.
Savannah redressa le menton, comme pour relever un défi.
– En temps voulu, oui.
– Mon Dieu…
Je couvris mon visage de mes mains le temps d’encaisser cette information, déjà considérable. C’était inimaginable, c’était catastrophique. Le même groupe de milliardaires et politiciens influents à la tête du monde entier. Qu’il fût guidé par les Sherwood ou les Hamilton, ce serait une tyrannie à grande échelle.
– Et quel est exactement ton rôle dans cette histoire ?
Un sourire plein de malice se dessina sur ses lèvres.
– Devine.
– Ce n’est pas un jeu, Savannah, répondis-je sévèrement.
– Tu as raison, admit-elle en s’adossant presque confortablement contre la chaise. C’est une partie d’échec.
Je croisai les bras, intrigué, et l’encourageai à continuer d’un signe de tête.
– Chacun doit placer ses pions aux endroits les plus stratégiques, où ils sont à la fois protégés et où ils protègent. Ça, ce sont les soldats. Moi, je me charge notamment de la persuasion et de la coordination, mais surtout de la défense et de l’attaque parce que je peux aller bien plus loin, bien plus vite et frapper bien plus fort que n’importe qui d’autre. Je suis la reine.
Je hochai la tête, comprenant jusqu’ici sa métaphore.
– Donc ton père est le roi ?
– Pfff, grimaça-t-elle, je t’en prie, fait un effort, mon père est un fou : très utile, la plupart du temps son rôle peut être crucial, mais pas complètement indispensable.
Je fronçai les sourcils avec mécontentement, autant à cause de sa condescendance que de sa réponse qui me laissait avec de nouvelles interrogations.
– Alors qui est le roi ?
Savannah se pencha en avant et planta son regard dans le mien avec intensité.
– Elizabeth Darcy.
Ma mâchoire se décrocha légèrement en entendant ce nom. Je savais pourtant qu’elle était vivante et j’avais bien deviné qu’elle était une des motivations de Savannah, mais jamais je n’avais pensé qu’elle était en réalité la clé de toute cette histoire. Comment pouvait-elle au juste jouer un rôle aussi crucial en étant une Lune ? Et qu’attendait-on d’elle exactement ?
– A-t-elle toujours des gens après elle ? demandai-je.
Savannah recula en levant les yeux au ciel.
– Elle en aura toujours, c’est inévitable, chaque grand leader a sa part de menaces.
– Tu…
Je me tus et pris une seconde pour réfléchir et ne pas tirer de conclusion hâtive. Non seulement Elizabeth était le roi de la métaphore, mais il était maintenant question de leader. Je n’étais pas certain duquel de nous deux avait perdu l’esprit.
– Tu es en train de dire qu’Elizabeth Darcy sera la prochaine leader de...quoi ? Du Conseil ? Des États-Unis ? Du monde entier ?
– Commençons par les États-Unis, répondit sa meilleure amie avec nonchalance.
Étais-je le seul à voir quel point c’était aberrant ?
– Mais c’est une Lune !
Savannah fronça alors les sourcils.
– C’est ce que Nora t’a dit ?
Je hochai la tête, désormais troublé.
– Eh bien, fit-elle lentement en souriant, ce n’est pas tout à fait vrai.
– Elle n’a pas été transformée en Lune ?
– Si, si, mais pas que. Je serais incapable de te l’expliquer scientifiquement en détails, mais on peut dire que quelque chose a légèrement foiré au moment de la transformation. À cause de mon Feu.
J’imaginais bien qu’elle prenait à malin plaisir à me maintenir dans le flou le plus longtemps possible.
– Conclusion, Lizzy est Lune, Soleil et humaine.
Je la dévisageai, les yeux écarquillés.
– Pardon ?
– Tu m’as comprise, confirma-t-elle. Le jour, rien n’a changé, elle a tous les caractéristiques d’une humaine et elle mange comme avant. En revanche la nuit, elle a les caractéristiques d’un Lune, la force, les sens développés, les veines noires et surtout la soif de sang, mais – et c’est là que ça devient assez génial – elle a aussi des pouvoirs de Soleils : psychokinésie, ondes et Feu.
Le puzzle commença à s’assembler dans mon esprit.
– C’est pour ça que ton Feu était si faible quand tu l’as récupéré cet été-là, il venait littéralement d’être coupé en deux.
– C’est aussi ce que m’a expliqué Nora, acquiesça-t-elle. Navrée de ne pas pouvoir t’en dire plus, je suppose que ta curiosité scientifique ou je ne sais quelle connerie n’est pas tout à fait satisfaite, mais franchement je n’en ai rien à faire en fin de compte.
Voilà au moins une chose qui ne m’étonnait pas.
– Ce n’est pas grave, je recontacterai Nora pour ça. Ce qui m’inquiète un peu plus c’est le rôle que vous réservez à Elizabeth.
– Pourquoi ? répliqua Savannah, presque offensée. Tu ne penses pas qu’elle ferait une bonne Présidente ?
– Là n’est pas la question, fis-je en secouant la tête, qu’est-ce qui te fait croire que les gens la trouveront légitime ?
– Pourquoi elle ne le serait pas ? répondit-elle avec une question elle-même. Elle représente tout le monde, littéralement.
Apparemment, nous n’avions pas tous la même notion de légitimité.
– Et alors ? Les Américains ne l’ont pas choisie eux-même pour autant.
Comme Savannah avait réponse à tout, elle répliqua avec mépris :
– T’as bien vu ce que ça donnait quand on les laissait choisir avant le virus. On s’est retrouvé avec un gros beauf raciste, sexiste et anti-écologiste à la tête du pays.
Je souris malgré moi, ne pouvant pas la contredire sur ce point.
– Mais qui es-tu pour choisir à leur place ?
Elle haussa les épaules.
– Il faut bien que quelqu’un le fasse et beaucoup de gens ne savent même pas ce qu’il y a de mieux pour eux.
– Je suis certain que les dictateurs sont aussi persuadés qu’ils font ce qu’il y a de mieux pour leur population, rétorquai-je aussitôt.
Son regard se durcit et je ne doutai pas qu’elle serrait les poings.
– Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? C’est la solution la moins pire ! Et je crois sincèrement que ça pourrait devenir une bonne solution avec le temps. Il faut simplement la laisser faire ses preuves.
– Tu réalises que ce sera tout sauf simple ?
Cela me semblait même impossible que son autorité fût reconnue ne serait-ce que pour commencer.
– Et toi qui es-tu pour juger un plan que j’ai mis un an à construire ? s’énerva ma prisonnière.
– Justement, je pense que tu manques un peu de recul, déclarai-je en toute honnêteté.
Son expression changea, comme si ce n’était pas seulement à son plan mais aussi à elle que je m’en prenais.
– Et toi tu manques de couilles.
Je levai les yeux au ciel en riant.
– À part ça, tu disais avoir changé ?
– Mais va te faire foutre ! s’exclama-t-elle avec colère.
Je ris de plus belle, ravi de constater que j’étais encore capable de la pousser et de la provoquer hors de sa zone de confort.
– Bon, revenons aux choses sérieuses, soufflai-je ensuite. Qu’en est-il des Lunes ?
Elle refusa d’abord de répondre mais je restai patient.
– Quoi qu’en est-il d’eux !?
– J’ai bien compris que si tu comptais mettre une...personne partiellement Lune à la tête du pays c’était pour les inclure eux aussi dans la société. Alors comment comptes-tu les convaincre d’arrêter de se nourrir d’humain et de vivre en paix avec nous ?
Elle envoya ses cheveux dans son dos d’un coup de tête fier, étant de nouveau dans son domaine.
– Pour ce qui est de la nourriture, j’ai déjà consulté un bon nombre de scientifiques qui sont tous d’accord.
Elle avait vraiment du mal à être explicite.
– Sur quoi ?
– Sur ce que Léa disait, répondit-elle simplement.
Je haussai les sourcils, surpris.
– Léa que tu as rencontrée en Corse ?
– T’en connais beaucoup des Léa, toi !?
J’ignorais son dernier commentaire pour réaliser exactement l’ampleur de sa révélation.
– Waouh… En fait, non, je ne suis pas surpris, quelque chose me disait que tu ne lâcherais pas l’affaire.
– Bref, articula Savannah avec insistance, le sang animal est ce qu’il y a de mieux pour les Lunes et pour ce qui est de la paix, j’ai l’intention de leur montrer la preuve que c’est possible.
– Laisse-moi deviner, fis-je avec un rire sarcastique, tu vas leur dire : « Regardez-moi et mon cher ami Lune Alexander, vous voyez, c’est possible ! » ?
Savannah plissa les yeux pour me lancer des piques du regard.
– Si tu te moques de mes réponses, pourquoi est-ce que tu t’embêtes à m’interroger ?
Je levai les mains en signe d’excuse.
– Pardon, tu as raison. Dis-moi, quelle est ta preuve ?
– Ça ne se raconte pas, ça se montre.
– Tu te fiche de moi ? soupirai-je avec exaspération. On n’a pas toute la journée.
Elle haussa les épaules avec indifférence.
– Je trouve que je t’en ai déjà beaucoup dit.
– C’est loin d’être suffisant, la contredis-je. J’ai encore beaucoup de questions.
– Eh bien tu peux te les mettre où je pense, répondit-elle avec un grand sourire.
Même dans une position aussi vulnérable que la sienne, elle arrivait encore à prendre les reines pour tester ma patience. Si le moi qui était encore son mentor au pensionnat l’avait vue ainsi, il aurait été fier.
– Charmant. Quel est le rôle de ton père dans tout ça ? Et il va me falloir plus de détails que « c’est un fou ».
Savannah leva les yeux au plafond comme pour réfléchir.
– Voyons voir, il a l’argent, l’influence, les contacts, l’expérience… C’est assez de détails pour toi ?
Loin de là.
– Aux dernières nouvelles, ton père avait beaucoup de contacts, certes, mais aucun dans les trafics illégaux.
– Disons qu’il a un contact qui a des contacts.
Sa capacité à donner des informations tout en restant très vague était honorable.
– Tu sais bien que je vais avoir besoin de noms.
– Ça c’est hors de question, déclara-t-elle fermement.
Je posai sur elle un regard dur.
– Savannah.
– Jeremy, m’imita-t-elle.
– S’il te plaît ? finis-je pour souffler.
Elle écarquilla alors les yeux en riant.
– C’est maintenant que tu essaies de demander poliment ?
Je croisai les bras.
– Tu n’iras nulle part tant que je n’ai pas de noms.
De nouveau, elle se pencha en avant avec un air de défi.
– Ça, c’est ce qu’on verra.
Au même instant, la porte de ma chambre d’hôtel se retrouva arrachée de ses gongs et à peine me fus-je levé que je reçus une fléchette en plein cou. J’étais déjà chancelant lorsque des Soleils armés pénétrèrent dans la pièce. Comment avait-il pu savoir que Savannah était ici ?
Je basculai sur le lit et tout devint progressivement flou autour de moi, tandis qu’un Soleil était en train de la libérer.
– Qui aurait cru qu’apprendre le morse nous serait finalement utile ?
– Heureusement qu’il n’a pas trouvé la puce parmi mes blessures… Les anciennes, du moins.
– Attends… Cet enfoiré t’a tiré dessus ?
– Il savait que je guérirai.
Leurs voix paraissaient déjà lointaine et je sentais que j’étais sur le point de perdre connaissance.
– Ce sera pas son cas quand il aura affaire à moi.
– On n'a pas de temps à perdre pour ça.
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Je sais ce que vous vous dites : ENFIN ! Et vous avez bien raison, j'espère en tous cas que ce nouveau chapitre vous aura fait aussi plaisir à lire que moi à écrire, ainsi que tous les suivants...
À partir de maintenant, je vais tout faire pour qu'il n'y ait plus de pause dans la publication, d'autant plus que la fin approche vraiment de plus en plus 😢
En attendant, je vous souhaite un bon week end et je vous dis à samedi prochain ! 😍
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