
II - Chapitre 24
Savannah
Alors que nous approchions de plus en plus de Charleston, je sentais la nervosité de Sophia monter en flèche. Une de ses jambes tremblait et elle ne cessait de triturer la sangle de son sac à main. Je jetai un coup d’œil dans le rétroviseur pour voir dans quel état était Victor et ce dernier semblait bien plus serein.
– On devrait arriver à l’heure, les informai-je doucement sans quitter la route des yeux.
– Et si elle a changé d’avis et refuse de nous voir !? céda finalement Sophia.
Je continuai de respirer calmement dans l’espoir que me voir aussi détendue la détendrait aussi.
– Ça n’arrivera pas, la rassurai-je.
– Tout ira bien, Soph, ajouta Victor.
Son timbre de voix était naturellement un peu grave, presque suave, et je ne doutais pas qu’il avait le don d’apaiser Sophia depuis toujours.
– Vous ne pouvez pas en être certains, insista celle-ci, il n’y a pas si longtemps encore il n’était pas question de la rencontrer, peut-être qu’elle ressentait la même chose.
J’y réfléchis un instant, mais la vérité était que je ne lui en avais jamais parlé.
– Je ne pense pas, répondis-je tout de même.
Je sentis alors le regard de ma sœur me scruter. J’essayai de ne pas la laisser me déconcentrer et gardai fermement les mains sur le volent et mon attention sur ce qu’il se passait devant nous, mais bien sûr elle finit par m’avoir.
– Quoi !?
– Tu ne lui a pas dit, hein ? me fit-elle en haussant les sourcils.
– Pardon ? s’étonna aussitôt Victor.
Je ne pus qu’avoir un mouvement de recul défensif.
– Quoi ? Mais bien sûr que si, qu’est-ce que...pourquoi...je…
– Tu ne lui as pas dit ! s’exclamèrent-ils alors en cœur.
J’ouvris encore la bouche mais je ne parvins pas à penser à la moindre réponse convaincante.
– Disons que j’ai omis certaines choses…
– Comme notre présence à ce rendez-vous ?
Je fuis leurs regards et haussai les épaules.
– Au moins elle ne pourra pas refuser de vous voir ? tentai-je innocemment.
Sophia leva les yeux au ciel et secoua la tête avant de laisser retomber son dos contre le siège. Peu importait sa réaction, je savais qu’au fond elle était enfin soulagée. Nous n’avions aucune garantie que cela se passerait bien, mais au moins, cela se passerait.
Nous ne tardâmes pas à atteindre le café discret où Nora avait proposé que l’on se retrouvât et nous nous installâmes dans un coin, attendant qu’elle arrivât. Pendant que Victor faisait son inspection des lieux avec une moue dubitative tel le bourge qu’il était malgré lui, je guettai l’arrivée de Nora par la vitre. Finalement, elle était déjà en train de franchir la porte lorsque je remarquai enfin sa présence.
Elle avait lâché ses cheveux blonds qu’elle avait de nouveau coupé au carré depuis la dernière fois que je l’avais vue et elle ne semblait pas porté de lentilles de contact. Elle devait directement venir du travail, puisque sous son manteau, elle portait encore sa tenue de médecin. Je me levai pour attirer son attention. Elle me sourit en retour et avança vers moi. Elle n’était qu’à quelques mètres de notre table lorsqu’elle découvrit que deux autres personnes y étaient déjà assises. Elle fronça les sourcils et s’apprêtait certainement à me demander ce qu’il se passait quand je pris les devants :
– Hey ! Surprise : ce n’est pas juste moi. Je suis désolée de n’avoir rien dit, mais j’avais peur que tu dises non.
Sophia et Victor se levèrent en se tournant vers elle à leur tour et à l’instant où leurs regards se croisèrent, Nora comprit. Elle s’immobilisa et ils se dévisagèrent un instant. Tout comme c’était le cas avec moi, l’air de famille – je n’irai peut-être pas jusqu’à ressemblance – était frappant, d’autant plus qu’il ne s’agissait plus seulement des yeux. Avec sa teinture blonde, Nora ressemblait particulièrement à Sophia (quand bien même celle-ci tenait surtout de notre mère).
– Je…, commença-t-elle à articuler sans y parvenir.
– Je te présente Sophia et Victor, dis-je donc doucement. On a pensé qu’il était temps qu’on se retrouve tous les quatre.
– Salut ! firent-ils en cœur avec des sourires timides.
Nora me lança un regard chargé d’émotion, aussi bien de détresse que de tendresse, puis elle finit par souffler :
– Salut.
Nous nous rassîmes tous et un serveur vint prendre notre commande. Ne sachant pas exactement pour combien de temps nous serions là, nous demandâmes chacun un café – et une part de gâteau en ce qui me concernait. Contrairement à mes frères et sœurs, le stress ne me coupait jamais l’appétit.
Il nous fallut un peu de temps pour briser la glace, mais Nora était coopératrice malgré sa surprise. Nous parlâmes d’abord de ce qui n’impliquait rien de personnel et de ce qui était récent : la rencontre avec les Lunes. Cela nous permis de mettre Nora et Sophia à jour sur les détails. La première était particulièrement concernée puisque actuellement elle fournissait illégalement du sang humain au repère de Jason et Alec. Savoir que tout s’était bien passé, à l’exception de la blessure de Michael, était un soulagement. Dans mon récit, je m’étais préparée à couper la partie où Victor manquait tout juste de se faire enlever, mais ce dernier avait décidé de la raconter lui-même. J’eus alors droit à un regard de Sophia rempli de fierté et de reconnaissance.
Puis un bon courant commença à s’installer et nous nous aventurâmes doucement vers les sujets plus sensibles : nos enfances respectives, nos parents, nos éducations, nos études, la vie au pensionnat et dans le vrai monde. Nous échangèrent à la fois des rires et des pensées tristes et j’eus le sentiment de les redécouvrir tous les trois d’une manière très différente. Ils commandèrent eux-mêmes de quoi manger – et moi pour la deuxième fois bien sûr.
Deux heures plus tard, Nora devait retourner à l’hôpital et j’offris de la raccompagner pendant que Sophia et Victor rentraient à l’hôtel où nous passions la nuit. Ces derniers nous firent promettre de se revoir dans les semaines à venir et Nora semblait heureuse de les satisfaire. J’allais régler l’addition, puis nous nous mîmes en marche vers l’hôpital.
– Tu ne m’en veux pas alors ? lui demandai-je doucement.
Elle secoua la tête et me sourit sincèrement.
– Pas du tout. Je n’étais définitivement pas préparée pour ça, ajouta-t-elle, mais j’ai apprécié l’initiative.
Je hochai la tête, ravie de cette réponse. Néanmoins, maintenant que Sophia et Victor n’était plus là, l’atmosphère pesante qui s’installait toujours entre nous depuis que j’avais appris la vérité s’immisça de nouveau.
– Et toi ? me demanda-t-elle alors avec du soucis dans la voix. Tu m’en veux toujours ?
Je baissai la tête, me sentant stupide.
– Je suis désolée, je sais qu’on s’est à peine parlé pendant un an, mais…
– Non, c’est moi qui te doit des excuses, me coupa Nora avec détermination. Pendant tout ce temps, j’ai essayé de m’excuser de la manière dont tu l’as appris, alors que j’aurais dû m’excuser de ne pas te l’avoir dit plus tôt.
Un seul regard de sa part me fit comprendre à quel point elle le regrettait. Je haussai les épaules.
– Je suis quand même désolée d’avoir réagi comme ça, je sais bien que ce n’était pas facile pour toi non plus.
Elle hocha lentement la tête.
– Je n’avais pas la moindre idée d’en quoi je m’embarquais en postulant pour ce job au pensionnat. Et quand on s’est rencontrées, tu étais si jeune et tu avais déjà toute cette douleur et toute cette colère, je ne m’imaginais pas larguer cette bombe sur toi. Sauf que, c’est comme inventer un mensonge pour en couvrir un autre, ça ne s’arrête jamais, et plus le temps passait plus je savais que ce serait dur et que tu m’en voudrais d’avoir attendu aussi longtemps. La confiance que tu avais en moi m’était si chère et j’avais peur de la perdre.
– Je comprends, répondis-je tendrement. Je ne comprenais pas à l’époque, mais je comprends maintenant. J’ai menti à propos de tellement de choses cette année… Ça devait être épuisant.
Nora parût sincèrement soulagée et le poids de la tension entre nous s’allégea d’un coup.
– C’est le mot. Comment ça se passe avec ton père ? s’enquit-elle ensuite avec une pointe d’inquiétude dans le regard.
Je pris une inspiration, comme je le faisais souvent lorsque je m’apprêtais à mentir, puis je réalisai que ce n’était pas nécessaire.
– Ça se passe, soupirai-je donc. Quand les missions sont des réussites, tout va bien, il est presque fière de moi. Mais au moindre échec, c’est comme si j’avais 12 ans à nouveau et il n’a pas le moindre scrupule à me rabaisser de toutes les manières possibles.
– Je suis désolée que tu aies encore à subir ça…
– Plus pour très longtemps ! m’exclamai-je finalement avec enthousiasme. Bientôt je serai son égale, si ce n’est sa supérieure, et sa tyrannie sera finie. Sophia et François pourront mener leur vie comme ils l’entendent, Victor sera libre de quitter l’entreprise familiale et de construire quelque chose qui lui appartient et moi...je ne sais pas trop encore à vrai dire, mais il ne pourra plus me contrôler, ça c’est sûr.
Une moue triste se dessina sur le visage de Nora.
– J’ai dû mal à croire qu’il s’agisse du même homme dont ma mère a pu tomber amoureuse il y a toutes ces années.
Je levai les yeux au ciel en secouant la tête, tellement cela me paraissait impensable à moi aussi.
– Je suppose que les gens changent.
– Je pense…, commença-t-elle avec un peu d’hésitation, je pense que perdre ma mère l’a brisé.
Je baissai la tête, considérant un instant la question, et par expérience, je voulais bien croire que c’était vrai.
– Sûrement. Mai ça n’excuse rien, affirmai-je durement. Scandola m’a brisé le cœur un nombre incalculable de fois, mais je n’ai pas l’intention de m’en prendre à des innocents pour autant.
Je pouvais entendre le propre mépris dans ma voix dès qu’il était question de lui.
Nora me lança un regard en coin.
– Ce n’est pourtant pas ce que tu fais ?
Sa remarque me déstabilisa un instant, mais je me ressaisis vite.
– C’est différent.
– Parce que ce ne sont que des dommages collatéraux ? insista encore Nora, mais sans chercher à me blesser, je le sentais.
Toutefois, je me retrouvai incapable de répondre quoique ce fût qui ne sonnait pas affreusement mal.
– Peut-être bien que c’est différent, reprit Nora, parce que tu étais sa fille et que ces gens ne sont rien pour toi, mais vous partagez exactement la même colère. Je ne te le reproche pas. Si j’avais vécu ne serait-ce que la moitié de tout ce que tu as vécu, je n’ai pas la moindre idée de ce que je serais devenue. Et j’ai conscience que si tu as réussi à survivre jusqu’ici ça doit être grâce à cette séparation que tu arrives à construire entre ta conscience morale et ton devoir. Mais j’ai peur que ça ne finisse par te porter préjudice.
Nous arrivâmes face à l’hôpital et j’étais encore profondément troublée. Une part moi savait bien qu’elle avait raison, mais c’était justement la part que je m’efforçais de faire taire en permanence. Toutefois, je ne pouvais pas toujours faire barrage aux sentiments. Je me tournai donc vers elle, les pieds fermement ancrés dans le sol.
– Tu veux bien me promettre une chose ?
– Ce que tu voudras.
– Ne me laisse pas devenir comme lui.
Je rentrai à l’hôtel peu de temps après cette promenade, soulagée que tout ce fût bien passé. J’étais un peu triste de ne pas pouvoir me rendre chez Lizzy et Charlie alors qu’ils n’étaient qu’à 45 minutes de voiture, mais par sécurité, nous nous étions déjà dit au revoir au Minnesota. En rentrant dans la chambre, j’eus le plaisir de trouver Sophia au téléphone, racontant la rencontre avec Nora jusqu’au moindre détail à François et Victor lisant paisiblement sur le balcon. J’avais l’habitude de le voir travailler en permanence, certainement une habitude prise à cause de son éducation stricte, et cela me rassurait de voir qu’il prenait aussi un peu de temps pour lui – surtout après les quelques jours mouvementés que nous venions de vivre.
Le lendemain, nous rentrâmes à Chicago le cœur léger et fiers de nos deux réussites. En toute honnêteté, je ne m’attendais pas exactement à être accueillie par des applaudissements et des exclamations, peut-être juste avec quelques sourires et des remarques reconnaissantes. Toutefois, personne ne sortit de la maison pour prendre nos bagages et aller garer la voiture plus loin, personne ne nous ouvrit la porte et même une fois à l’intérieur, personne ne sembla remarquer notre présence.
Une grande agitation faisait vibrer toute la maison. Des domestiques couraient dans tous les sens et se donnaient des dizaines de consignes sur ce qu’il fallait faire, aller chercher, comment et à quelle vitesse. J’en vis plusieurs déplacer de grosses valises, d’autres porter des piles de couvertures chaudes et d’autres encore déplacer des housses de vêtements de soirée.
Sophia, Victor et moi échangeâmes des regards déconcertés. Finalement, Maria apparût en haut des escaliers.
– Savannah ! s’écria-t-elle avec surprise.
Elle s’empressa de descendre jusqu’à nous, surexcitée ou sur les nerfs, ou les deux. Elle me prit rapidement dans ses bras.
– J’ai entendu dire que cette réunion était une réussite !
Je la dévisageai avec insistance.
– Maria, qu’est-ce qui se passe ?
Elle jeta un coup d’œil derrière elle. Le mouvement des domestiques allant et venant étant incessant.
– Oh ce n’est rien, on a été prévenus à la dernière minute mais tout sera prêt dans les temps, ne vous inquiétez pas.
– Prêt pour quoi ? insista Sophia.
Maria parût surprise.
– Votre père ne vous a rien dit ? Vous partez tous à Saint-Pétersbourg dans deux jours.
J’écarquillai d’abord les yeux sous le choc, puis la situation commença lentement à s’éclairer.
– Les Jeux d’Hiver, j’avais complètement oublié…
– Il y a encore une semaine Papa ne voulait plus qu’on y aille, dit alors Victor aussi ahuri que moi, à cause de…
– De mon foirage chez les McCarthy, finis-je pour lui.
Maria haussa simplement les épaules.
– Je suppose qu’il a changé d’avis. Vous serez là-bas pour l’ouverture et on nous a demandé de faire des bagages pour au moins une semaine.
Quelque chose avait forcément dû se produire pendant notre absence.
– On doit lui parler, déclarai-je donc avec détermination.
– Non, il est occupé, répondit fermement Maria, il ne vous recevra pas.
C’était d’autant plus étrange.
– Je dois trouver François, nous glissa Sophia.
Elle eût alors affaire à tout un jeu d’esquive pour pouvoir monter à l’étage. Victor et moi nous concertâmes silencieusement et nous étions bien d’accord sur le fait que quelque chose n’allait pas.
– Et je dois retourner aider aux préparatifs, souffla Maria, reposez-vous avant le dîner.
Sur ce, elle partit à son tour.
– Mon équipe sait sûrement ce qu’il se passe, vient.
J’entraînai Victor parmi les domestiques puis jusqu’au troisième étage. J’ouvris la porte de la salle de réunion sans prendre la peine de frapper et y découvris presque tous mes Soleils, assis sérieusement autour de la table, avec des plans, des relevés de comptes et toute autre sorte de documents sous les yeux. Trevor se tenait droit en bout de table et semblait en pleine présentation. Les écrans derrière lui projetaient encore d’autres images et plans.
– Chef ! me saluèrent-ils tous en se levant. M. Hamilton.
Je les scrutai un par un, une expression sévère sur le visage.
– Que quelqu’un m’explique immédiatement ce qu’il se passe ici, ordonnai-je.
– On ne savait pas que tu étais rentrée, on…, commença à s’excuser Trevor.
– Ce n’est pas ce que j’ai demandé, le coupai-je sèchement.
Il comprit rapidement qu’il n’était pas en train de s’adresser à Savannah mais à sa supérieure.
– M. Thompson a enfin choisit son camp, déclara-t-il solennellement.
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En voilà une nouvelle ! Bonne ou mauvaise, vous le saurez la semaine prochaine direction la Russie 🇷🇺
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