
II - Chapitre 21
Savannah
– Tu peux le croire ? souffla doucement Alec alors que nous avancions côte à côte dans la forêt. On est de retour là où tout a commencé.
Comme lui, je ne pouvais m’empêcher de regarder avec fascination chaque arbre, chaque branche que nous dépassions et de m’étonner au bruit des brindilles et des feuilles sur lesquelles nous marchions. Plus d’un an s’était écoulé depuis la dernière fois que je m’étais trouvée dans cette forêt. L’ombre de la montagne commençait déjà se dessiner et je savais que si nous prenions de la hauteur, nous pourrions discerner le pensionnat, à seulement une douzaine de kilomètres.
– C’est ici qu’on s’est rencontrés, lui souris-je. C’est ici que j’ai vraiment utilisé mes pouvoirs pour la première fois, c’est ici que j’ai retrouvé Lucy, c’est ici qu’on a perdu William et Veronica, c’est ici que tu m’as sauvée et que j’ai sauvé Lizzy… Je crois que je pourrais continuer comme ça encore longtemps !
Alec rit doucement en acquiesçant.
– Il s’en est passé des choses ici… Et je n’en regrette aucune, déclara-t-il avec assurance.
– Moi non plus. Et j’espère que nous n’aurons rien à regretter de cette rencontre.
– J’ai confiance en toi. On a tous confiance en toi, ajouta-t-il en lançant un regard derrière nous au reste de l’équipe en marche.
Lizzy et Charlie marchait tranquillement côte à côté, suivi de Victor, tous les trois entourés de nos Soleils sur leurs gardes. La sécurité de Lizzy était notre plus grande priorité, ainsi nous avions décidé qu’elle passerait le début de la réunion dans l’ombre, protégée par Trevor et Jeong, jusqu’à ce qu’il fût nécessaire de la présenter. La réaction des Lunes influenceraient tout le déroulement du reste de la réunion.
Nous arrivâmes finalement devant l’entrée du repère, où dix Lunes armés étaient postés pour nous accueillir. Comme convenu, nous leur confiâmes nos armes à contrecœur, mais nous comptions dans nos rangs 6 Soleils, en comptant Lizzy, et personne ne pouvait nous arracher nos pouvoirs. Le sentant de plus en plus nerveux, je me plaçai à côté de Victor au moment d’entrée dans la montagne.
– Tout ira bien, lui murmurai-je. Gonzalès ne te quittera pas des yeux.
Il me lança un regard en coin, presque embarrassé, avant de redresser le menton.
– Je sais, répondit-il sèchement.
Il avait coiffé ses cheveux blonds d’une manière très sévère avec du gel, faisant ainsi ressortir le tranchant de ses yeux bleus, froids, et sa mâchoire carrée. Je fus alors frappée par sa ressemblance avec notre père. Je me ressaisis rapidement et reportai mon attention sur le repère.
Les Lunes nous guidèrent rapidement parmi les couloirs creusés dans la montagne, et au fur et à mesure que nous montions dans les étages, la pierre se transforma en bois, puis en carrelage, jusqu’à ce que nous arrivâmes devant une salle à la porte blindée. J’avais fait attention aux visages d’Alec et de Charlie qui connaissait parfaitement cet endroit pour m’assurer que nous n’étions pas guidés au mauvais endroit et ces derniers m’adressèrent un signe de confirmation avec que les Lunes n’ouvrissent la porte. Il s’agissait bien de la salle de réunion dont ils m’avaient parlé.
J’entrai la première et découvris une pièce large, isolée de la pierre mais dénuée de toute décoration. Seule une longue table en acier trônait au milieu. Quinze Lunes y étaient assis, tous des hommes d’environ 30 ans, aux expressions glacées et autoritaires. Ils portaient des uniformes identiques, donnant à la fois une impression de tenue officielle et de tenue de combat, avec chacun une insigne rouge sur la poitrine, en forme de triangle dans lequel on pouvait discerner les contours d’une lune. Charlie m’avait expliqué qu’il s’agissait du signe des généraux.
Ce titre ne représentait rien en dehors de ces murs, il n’était ni officiel ni légitime pour les Soleils ou les humains qui continuaient de refuser de reconnaître les Lunes comme un peuple organisé à part entière. Toutefois, pour ces derniers, il s’agissait d’un des grades le plus haut placé. Ces généraux étaient à la tête de regroupements de repères dans tous le pays. Ils avaient un droit de regard sur chaque mission, sur chaque patrouille, sur chaque membre de l’armée extrême et sur chaque Lune portant la marque d’appartenance – une petite lune tatouée à la base du cou. Ces généraux n’avaient qu’à lever le petit doigt pour nous voir exécutés, mais ils avaient aussi le pouvoir de tout changer en nous accordant leur soutien.
– Victor et Savannah Hamilton, nous présenta l’un des Lunes qui nous avait conduits ici avant d’aller se placer contre le mur comme huit de ses collègues.
Eux, bien sûr, étaient armés jusqu’aux dents. Je fus la première à prendre la parole.
– Mes Généraux, nous sommes très reconnaissants que vous ayez accepté de nous recevoir. Nous…
– Ça a intérêt à en valoir la peine, déclara sèchement un général assis au centre de la table.
Il semblait être le plus âgé de tous – certainement un ancien militaire qui avait été transformé déjà adulte – et on avait dû lui confier la présidence de cette rencontre. Il avait des cheveux bruns grisonnants et une barbe parfaitement entretenue, mettant en valeur ses yeux sombres perçants. Ne m’attendant pas à recevoir des encouragements de leur part de toute façon, je ne fus pas déstabilisée.
– J’irai droit au but, repris-je donc poliment mais fermement. Nous sommes en guerre.
Un lourd silence s’installa quelques secondes.
– Cela ne se voit peut-être pas, mais nous sommes bien en guerre. Nombreux sont ceux qui ne sont pas satisfaits par notre système politique actuel et nous souhaitons y remédier. Seulement nous ne sommes pas les seuls. Nous devons faire face au camp des Sherwood, vous avez peut-être déjà entendu parler d’eux.
Un des généraux se racla légèrement la gorge.
– Je connais un Sherwood, confirma-t-il, il est un des nôtres, c’est même un colonel. Un brave homme.
– Eh bien de braves hommes comme lui ont pour projet de transformer les États-Unis en rien de moins qu’une dictature, bien que ce ne soit certainement pas comme ça qu’ils le présentent. Leur objectif est d’avoir le contrôle sur toutes les entreprises américaines, tous les tribunaux, toutes les universités, tous les hôpitaux, tous les aéroports et ils veulent mener la politique intérieure du pays et les affaires étrangères. Et comme si ça ne ressemblait pas déjà à du communisme, ils ont l’intention d’encadrer la population dans absolument chaque aspect de la vie : quelles études faire, quel métier exercer, quelle nourriture manger, qui épouser, quels livres lires, quels films visionner, quelles destinations de vacances...tout. Ce dont les Sherwood rêvent, un monde où ils sont au pouvoir sans connaître la moindre opposition, où sont incroyables riches et invincibles, ce serait l’arrêt de mort des États-Unis, sans parler du risque d’expansion dans le reste du monde. Et nous nous sommes battus trop longtemps pour nos droits pour les voir être supprimés par ces ordures.
Le général qui présidait se redressa dans son fauteuil et joignit les mains, l’air très dubitatif.
– Ce que vous nous décrivez-là, Mlle Hamilton, une Élite puissante et richissime, des humains soumis et j’en déduis des Soleils asservis, ce n’est pas très différent de notre société actuelle. Le pouvoir et l’économie serait intégralement centralisés ce qui peut poser problème à de nombreuses personnes, toutefois il s’agit aussi d’une société ordonnée, encadrée, à qui on promet de la sécurité, de la certitude, du long terme et où chacun à une place, un rôle. Depuis l’apparition du virus, les gens veulent désespéramment de la stabilité. Ainsi je ne suis pas certain que l’offre des Sherwood leur paraisse si terrible, conclut-il avec beaucoup d’indifférence.
– C’est précisément en temps de crise et de désespoir que les gens commettent les pires erreurs, répondis-je calmement. Et je pense que l’Histoire l’a déjà prouvé à maintes reprises.
Je jetai un bref regard à Victor et le trouvai étonnamment calme. Il respirait doucement et scrutait un à un les visages de l’audience que nous devions absolument convaincre aujourd’hui. Il était en train de déterminer lesquels seraient les plus difficiles, lesquels seraient plus enclins à nous soutenir et lesquels s’y opposeraient quoi que nous dirions. Cela s’avérerait sans le moindre doute utile en temps voulu et je commençais à voir comment sa présence pourrait finalement être une bonne chose.
– Ce n’est pas que je m’impatiente déjà, dit-alors le général à l’extrémité gauche de la table, mais qu’est-ce qui vous a fait croire que quoique ce soit dans toute cette histoire nous intéresserait ?
Ce dernier me semblait particulièrement jeune, il ne devait pas être beaucoup plus âgé que moi, néanmoins je sentais qu’il serait l’un des moins coopératifs. Ses cheveux noirs étaient rasés très courts, ses traits étaient durs et sa façon de parler austère. J’étais quasiment certaine qu’il venait de l’armée extrême.
– Jusqu’à maintenant, il me semble que c’est votre problème, continua-t-il avec une pointe de mépris. Les Lunes ne sont pas concernés alors pourquoi sommes encore là ?
Je me redressai, la tête haute, pour lui montrer qu’il ne m’intimidait aucunement.
– Oh mais les Lunes sont très concernées, je n’ai juste pas encore abordé ce point. Comme nous l’avons évoqué, les Sherwood ont des membres parmi vous alors ils savent qui vous êtes et de quoi vous êtes capables et ils savent très bien que s’ils décident d’en tirer profit, personne ne les en empêchera parce que pour le reste du monde vous n’êtes qu’une bande de sauvages meurtriers. Dites-vous bien que si les Soleils seront asservis, vous serez apprivoisés comme des bêtes et exploités comme si votre vie n’avait pas la moindre importance, ce qui est le cas aux yeux de l’Élite. Je ne doute pas que le colonel Sherwood a raconté jusqu’au moindre détail concernant votre précieuse armée extrême et ne doutez pas qu’ils la transformeront en leur armée personnelle, leurs propres machines de guerre répondant aux ordres sans jamais avoir ne serait- ce que l’idée de protester. Et navrée de vous l’apprendre, mais si ce jour devait arriver, vous ne seriez pas assez nombreux pour les en empêcher, alors en effet j’ai de bonnes raisons de croire que cette histoire devrait vous intéresser.
J’eus le sentiment que mes mots avaient fait écho chez un bon nombre d’entre eux, certainement les plus raisonnables, mais bien sûr pas chez le jeune général.
– Si vous pensez cela, rétorqua-t-il avec une moue prétentieuse, c’est que vous nous sous-estimez grandement. Nous sommes bien plus nombreux que le Conseil ne le déclare, nos forces armées sont solides, redoutables et si vous aviez connaissance de l’ampleur de leurs capacités de destruction, vous seriez terrifiée.
Je m’efforçai de respirer pour ne pas prendre son attitude hautaine à cœur et rester concentrée sur le message que j’avais à faire passer.
– Je suis mieux informée que vous ne le pensez, répliquai-je d’un ton posé, mais allons dans votre sens. Imaginons que vous arrivez en effet à les battre, que croyez-vous qu’il se passera ensuite ? Les gens ignorent qui se bat pour quoi, tout ce qu’ils verront ce sont des monstres qui ont massacré des hommes non seulement innocents, mais aussi en apparence généreux et attentionnés. Ce ne sera qu’une question de jours avant que des troupes du monde entier soient envoyées vous éliminer et aussi « redoutables » que vous soyez, ce ne sera pas suffisant.
L’attention de tous les généraux était posée sur moi et j’avais le sentiment d’être de plus en plus prise au sérieux.
– Peut-être, mais…
– Vance, l’interpella alors sèchement le général principal, je crois qu’on a compris.
À mon plus grand soulagement, Vance baissa les yeux et se tut.
– Maintenant que nous avons établi que les Lunes sont concernés et vous nous avez exposés le projet de vos ennemis, auriez-vous l’amabilité de nous parler du vôtre ou nous avez-vous simplement réunis pour nous signaler que notre armée n’était pas si invincible que ça ?
– Bien sûr, répondis-je avec un sourire quelque peu crispé malgré moi.
J’avais bien compris à son ton que j’allais devoir faire concis et efficace.
– Nous voulons corriger toutes les erreurs qui ont été faites à l’apparition du virus : le nouveau gouvernement, la tyrannie des firmes multi-nationale et surtout, surtout la nouvelle hiérarchie et sociale et tout ce qu’elle implique.
Je pus distinguer quelques froncements de sourcils et je pris cela pour un signe d’intrigue.
– Je vais devoir vous demander d’être plus précise, Mlle Hamilton.
– Commençons par le plus simple : les entreprises. Il se trouve que… À vrai dire, je crois que mon frère serait plus apte à vous en parler que moi.
Ce dernier me lança alors un regard surpris, mais ne perdit pas un instant, content d’être enfin actif.
– Les États-Unis comptent actuellement plus de 23 millions d’entreprises, mais elles sont en réalité toutes gouvernées par une cinquantaine de géants qui fixe leurs propres règles depuis trop longtemps, ce qui n’a fait qu’empirer avec l’apparition du virus et la réorganisation politique complète de notre pays. Ces 50 firmes multinationales sont devenues hors de contrôle et elles sont aujourd’hui le pouvoir de signer ou de rompre des accords commerciaux pouvant impacter considérablement notre économie. Elles veulent tellement optimiser leurs profits qu’elles recherchent une main d’œuvre non-qualifiée et pire que bon marché au point qu’elles sont prêtes à ne pas respecter les droits de l’homme les plus fondamentaux, ce qui est en grande partie à l’origine de la hausse fulgurante du chômage sur notre territoire ses dernières années. Ajoutez à cela l’inflation à laquelle nous faisons face encore une fois parce que ses entreprises sont devenues si puissantes qu’elles peuvent rester compétitives tout en maintenant des prix élevés et en réalisant une marge bénéficiaire gigantesque, mais les petites et moyennes entreprises sont forcées de se fournirent chez eux et la plupart sont incapables de tenir plus de quelques mois avant de liquider si elles ne veulent pas crouler sous les dettes. Tous ces phénomènes se répercutent enfin sur les consommateurs dont le pouvoir d’achat n’a jamais été aussi faible et de nombreux sondages démontrent que la misère est dans au moins 80 % des cas une cause de la monté des extrémismes, ce qui favoriserait à l’accès au pouvoir des Sherwood, bien que ce qu’ils proposent soient de fausses solutions.
Nous nous restâmes tous silencieux un instant après cette présentation. Putain. Mon père avait raison, Victor était doué. Il savait exactement comment poser le son de sa voix pour calme mais pas monotone, sa posture et ses expressions le rendaient particulièrement convaincant, il employait un vocabulaire précis qui ne laissait pas le moindre doute sur le fait qu’il connaissait son sujet et chaque chiffre qu’il citait semblait incroyable. Par ailleurs, quelque chose me disait que le domaine de prédilection de nos généraux n’étaient pas l’économie et qu’ils ne pouvaient qu’acquiescer.
– Je crois que nous n’avons d’autres choix que de vous croire sur parole, M. Hamilton, répondit finalement le général central avec son flegme habituel.
– Eh bien, articula alors un autre des généraux pour la première fois, il est vrai que l’on m’a rapporté une certaine hausse des prix de nos fournisseurs récemment.
Bien sûr, les Lunes ne construisaient pas de repère dans les montagnes sans matériel. Ses collègues parurent surpris un instant puis ils semblèrent tous conclure silencieusement qu’ils n’étaient pas immunisés à ce genre de choses, bien qu’ils se fournissaient de manière clandestine.
– Toutefois, je souhaiterais passer en revue vos chiffres.
Victor hocha la tête.
– Je vous les communiquerai sans délais.
– Qu’en est-il de votre réforme de la hiérarchie sociale ? demanda sans plus attendre un autre général, apparemment désireux d’avancer.
Voilà qui était à nouveau davantage mon domaine.
– Nous voulons apprendre aux américains à vivre ensemble, toutes ethnies confondues.
Avant que l’on ne me demandât d’être plus précise, j’ajoutai :
– Cela inclut les humains, les Soleils et les Lunes.
À cette phrase, les généraux réagirent de différentes manières : certains froncèrent les sourcils, perplexes, certains restèrent impassibles, comme si ce n’était rien d’extraordinaire, et certains se mirent à rire, comme le général présidant la réunion.
– Vous vous débrouilliez pourtant si bien jusqu’à maintenant…
– Je vois pas très bien quelle partie de ma phrase a pu provoquer votre hilarité, mon Général, rétorquai-je le plus poliment possible.
Ce dernier arqua un sourcil.
– Vraiment ? Eh bien je vais vous le dire. Pendant une seconde, j’ai cru que vous sous-entendiez que vous vouliez que les humains, les Soleils et les Lunes vivent ensemble.
Je croisai les bras sur ma poitrine.
– C’est bien ce que j’ai dit.
Le général me dévisagea quelques secondes, puis se laissa aller contre le dossier de son fauteuil avec nonchalance.
– Le problème avec cette phrase, avec l’idée même, me paraît pourtant évident, Mlle Hamilton.
– Si vous m’écoutez jusqu’au bout, l’idée vous paraîtra peut-être moins absurde, mon Général.
D’une signe de tête, il m’autorisa à poursuivre. Bien ancrée sur mes jambes et le regard se promenant successivement sur tous les généraux, j’entamai la partie la plus compliquée de notre argumentation.
– Nous savons tous que les Lunes ne sont pas les monstres sanguinaires auxquels le gouvernement souhaite nous faire croire. En huit ans, vous avez réussi à construire toute cette communauté organisée, sans que personne ne s’en aperçoive, vous avez trouvé le moyen d’utiliser l’image médiatique que l’on vous a attribué à votre avantage et vous ne vivez pas aussi mal que l’on pourrait le penser. Néanmoins, vous pourriez vivre tellement mieux. Nous pourrions tous vivre tellement mieux. Les membres de l’Élite ne sont pas spéciaux, les enfants du Soleil ne sont pas des armes humaines et les enfants de la Lune ne sont pas des abominations. Ceux qui ont dit le contraire il y a 8 ans étaient soit stupides soit complètement dépassés par la situation, mais leur erreur ne devrait pas dicter notre façon de vivre. Il ne tient qu’à nous de détruire ses normes sociales.
Le général leva alors une main.
– J’interromps tout de suite votre beau discours, Mlle Hamilton, parce que rien que vous direz ne pourra changer le fait que les enfants de la Lune se nourrissent de sang et de chair humaine, jamais nous ne pourrons vivre « tous ensemble » en harmonie, je suis même surpris que nous ayons cette conversation !
Je ne me laissai pas décourager.
– Vous avez raison, j’aurais dû commencer par ça. Michael ?
Ce dernier, qui jusqu’ici s’était chargé de tout prendre en note afin de constituer un procès verbal, se leva de sa chaise et tourna son ordinateur à l’intention des généraux.
– Les enfants du Soleil ne devraient pas se nourrir de sang ou de chair humaine, déclarai-je alors avec assurance.
Le problème était cette-ci fois tellement sérieux que personne ne rit.
– Je vous demande pardon ?
– Nous avons consulté de nombreux scientifiques indépendants ayant mené des études sur le métabolisme des enfants de la Lune et toutes leurs études constatent que bien que le sang humain est certainement le meilleur goût, c’est aussi le plus nocif pour votre santé. (Je fis signe à Michael de lancer les images que nous avions préparés). Il se trouve que le virus a laissé une trace dans nos cellules sanguines, celles des humains, des membres del’Élite et des Soleils, qui se traduit par hausse de la présence d’ions dans notre plasma sanguin, en particulier des ions sodium et calcium, qui ne sont en réalité pas compatibles avec votre métabolisme de Lune. À court terme et en petite dose, ce n’est pas dangereux, c’est même thérapeutique et nécessaire à une bonne croissance, mais à long terme et à l’échelle d’une consommation journalière, notre sang va commencer à attaquer certains de vos organes vitaux. Des analyses ont été faites sur Alexander et Charlie ici présents, qui pendant 7 ans n’ont bu que du sang humain. Ils étaient en apparence en parfaite santé, mais en regardant de plus près, on peut déjà observé une détérioration.
Je me tournai vers Victor, tandis que Michael diffusait des images microscopiques agrandies des analyses en question.
– Ainsi, reprit mon frère, les résultats de ces analyses nous ont permis de conclure qu’un Lune ne s’alimentant que de sang humain depuis ses 11 ans aura un foie malade ou souffrira d’insuffisance rénale d’ici l’âge de 55 ans et vraisemblablement personne pour lui donner des nouveaux organes. À cela s’ajoute un risque de maladies cardiaques de 60 %, y compris chez un jeune adulte.
Les généraux avaient le regard rivé sur les images de cellules sanguines de Michael, jusqu’à ce que l’un deux pose la question impensable qu’ils avaient tous en tête.
– Vous...vous voulez qu’on arrête de boire du sang ?
– Du sang humain, précisai-je avec le plus de tact possible. Et pas complètement, comme je vous le disais une dote mensuelle est plus que préférable afin d’être en parfaite santé, tout comme les humains ont besoin de vitamines. Mais quotidiennement, c’est de sang animal dont vous avez besoin, leur plasma sanguin est beaucoup plus faible en sodium et en calcium, mais leur sang tout aussi riche en plaquettes, en globules rouge et en globules blancs.
Cette fois-ci, les généraux semblaient beaucoup moins convaincus que par la démonstration économique de Victor.
– Mais le sang animal a un goût merdique ! s’exclama alors l’un deux.
– C’est faux ! rétorqua alors vivement Alex.
Charlie le fusilla du regard.
– Mon Général, s’empressa-t-il d’ajouter. Je me nourris de sang animal depuis plus d’un an et je peux vous garantir qu’il n’a pas mauvais goût, il n’a juste...pas vraiment de goût, comme l’eau, si vous vous souvenez bien. Mais il peut tout à fait être cuisiné, c’est une expérience que l’on a déjà menée.
– Qu’en est-il de la chair humaine ? demanda le général principal comme pour empêcher son collègue de s’énerver.
Seulement ça non plus, ça n’allait pas vraiment leur plaire.
– Il se trouve que le corps humain a à la fois besoin de nourriture solide et d’eau pour se maintenir en vie, ce qui s’avère n’être pas du tout le cas chez les Lunes. Vous êtes tout à fait capable d’atteindre et même de dépasser votre apport calorique journalier nécessaire uniquement en buvant du sang, entre 2 et 3 litres pour être plus précis. Nous avons conscience que cela représentent une énorme quantité à l’échelle de toute la population de Lunes, mais nous avons pousser nos recherches plus loin et il paraît tout à fait envisageable de récupérer suffisamment de sang animal des abattoirs américains pour tous vous nourrir. On abat de nos jours environ 34 millions de bovins chaque année aux États-Unis, ce qui représente pas moins de 510 millions de litres. Nous avons déjà réfléchi à un système de marché et de distribution à propos duquel il faudrait bien sûr que les humains et les Lunes se concertent, mais sachez que ce changement de régime est réalisable.
Les généraux paraissaient tous très dubitatifs, si ce n’était mécontents. Ils n’avaient jamais envisagés de se nourrir autrement qu’ils ne le faisaient.
– Nous avons conscience que c’est beaucoup demandé, repris-je doucement, et que cela mettra certainement un peu de temps à se mettre en place, mais ce ne sera pas en vain. Les Lunes pourront enfin être traité dignement, comme des hommes et des femmes normaux, pas des monstres qui ont commis le crime d’exister et de survivre. Vous n’aurez plus à vivre cachés dans des repères, les enfants n’auront plus à être arrachés de leurs parents et ils pourront faire les études et le métier dont ils ont envie ! Vous redeviendrez des citoyens au même titre que les humains.
Un instant, j’eus le sentiment que mes mots les avaient touchés, puis je n’en fus plus si sûre.
– Si je comprends bien, fis le général principal, vous attendez sérieusement que l’on renonce au sang et à la chaire humaine ?
L’idée même semblait leur être douloureuse. Je finis par hausser les épaules, cherchant bêtement une autre manière de présenter les choses qu’avec des analyses et des chiffres.
– Le sang et la chair humain sont comme...le champagne et le chocolat pour nous, dis-je finalement avec un sourire timide. C’est vraiment bon, mais ce n’est ni nécessaire ni sain d’en abuser.
Mon interlocuteur croisa les bras et me regarda droit dans le yeux, très sérieusement.
– Et ça vous ferait quoi si on vous demandait de vous passer une vie entière sans chocolat ni champagne ?
Je réfléchis une seconde à la question, mais la réponse était évidente.
– Ce serait pas génial, c’est sûr, avouai-je, mais si c’est le prix à payer pour la paix, j’y renoncerais mille fois sans hésiter.
Chacun des généraux étudia mon expression et ils purent tous voir à quel point j’étais sincère.
– Maintenant la balle est de votre camp. Est-ce que le champagne et le chocolat valent plus pour vous que la lumière du jour et la dignité ?
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Et vous ? Une vie entière sans chocolat, qu'est ce que vous en dites ? 🤔😂
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