II - Chapitre 13
Jeremy
Je me pressai brusquement contre le mur et retins inconsciemment mon souffle. Elle m’avait vu. Non, bien sûr que non, c’était impossible, elle se trouvait à plus de cinquante mètres et j’étais plongée dans la pénombre. Pourtant, son regard s’était bien fixé dans ma direction quelques secondes plus tôt.
Je recouvris rapidement mon sang-froid et me hasardai à jeter un coup d’œil furtif par la fenêtre. Ils avaient disparus et il ne restait plus que les corps endormis – dans le meilleur des cas – des cadres de la réunion automobile. Je rattrapai ma paire de jumelles à signatures de chaleur et je pus constater qu’ils étaient déjà presque au rez-de-chaussé. Sachant que la femme était couverte de sang, je ne m’attendais pas à les voir simplement sortir de l’ascenseur et rejoindre leur voiture. Toutefois, je ne m’attendais pas non plus à les voir disparaître au sous-sol de l’immeuble, hors de ma vue – et de celle de mon matériel.
Je guettai donc le passage du moindre fourgon suspect, mais aucun véhicule de la sorte ne traversa les rues que je pouvais encore observer. Ils avaient s’enfuir par les quelques rues sombres qui se trouvaient de l’autre côté de l’immeuble. Je reposai enfin mes jumelles et pris en main le téléphone militaire que l’on m’avait confié.
– Alors ? répondit sans plus attendre la voix de Scott.
– Ils sont partis, vous pouvez envoyé les secours et la police. Au moins deux morts.
Je raccrochai tout de suite et commençai à ranger mes différentes paires de jumelles et l’ordinateur contenant les précieuses images que j’avais recueilli. En effet, en plus de détecter les signatures de chaleurs, ces jumelles enregistraient tout ce qu’elles voyaient et le transmettaient à l’ordinateur sous forme de fichiers immédiatement cryptés. Je quittai ensuite rapidement mon poste d’observation et rejoignis ma voiture fonction de la soirée.
Je me rendis à l’adresse à laquelle Scott m’avait donné rendez-vous, quelque peu troublé. J’avais passé presque toute la nuit à regarder deux hommes se faire torturer à mort et je n’avais absolument rien fait pour tenter de les sauver. Il s’agissait là des ordres que l’on m’avait donné, seulement observer, mais ça ne me laissait pas indifférent. Quelles que fussent les raisons qu’avaient ces gens d’agir ainsi, cela ne pouvait certainement pas justifier deux meurtres. Néanmoins, c’était comme si le gouvernement l’avait cautionné. Il était désespérant de vivre dans un monde pareil.
J’arrivai bientôt à destination et constatai avec surprise que l’adresse menait à un petit studio de photographie, bien sûr fermé à cette heure-ci. J’avais toutefois appris à ne pas me fier aux apparences. Je fus à peine sorti de la voiture que la porte du studio s’entrouvrit et Scott m’invita à entrer.
– Tu n’as pas été suivi ?
– Non.
Il me crut sur parole et me conduisit à l’arrière du studio. Une porte donnait sur des escaliers descendant au sous-sol. Je les empruntai sans crainte et découvris une cave pour le moins hors du commun. Celle-ci était non seulement grande mais également aménagée avec des serveurs le long des murs, avec des bureaux aux nombreux ordinateurs et avec un laboratoire au matériel scientifique à la pointe de la technologie. Six personnes se trouvaient dans la pièce, semblant attendre avec impatience ce que je rapportais.
– Scandola, voici l’équipe ! s’exclama Scott.
Chacun se présenta rapidement, puis nous passâmes aux choses sérieuses. Les images que j’avais filmées cette nuit se retrouvèrent vite projeter sur l’écran principale de la pièce. J’entamai ensuite mon rapport.
– Ils étaient neufs. Sept d’entre eux sont entrés par le parking sous-terrain et les deux autres, une femme et un Soleil, se sont simplement présentés à l’accueil.
– Résultats de la reconnaissance faciale ?
– Jessica Bergan, agent immobilière de Springfield. Elle a rencontré Harper il y a un an et demi lors de la visite d’un appartement. Au vue du nombre de leurs rendez-vous depuis, on peut supposer qu’ils avaient liaison.
– Et le Soleil ?
– Personne. Ni l’armée ni le FBI n’a le moindre fichier sur cet homme et il n’apparaît sur aucun registre ni aucun recensement de Soleils.
Mes collègues parurent plus contrariés que surpris. Nous avions affaire à des gens capable de faire disparaître jusqu’à la moindre trace de leur existence. Cela en disait long sur leurs moyens.
– Cette Jessica avait-elle un mobile pour s’en prendre à Harper d’une telle manière ? demanda Evans, un collègue enquêteur.
– Je l’ignore et honnêtement, je doute sérieusement qu’il s’agisse réellement d’elle.
Cette fois-ci, ils furent tous interpellés.
– Notre logiciel de reconnaissance faciale a fait ses preuves, il ne s’est jamais trompé jusqu’à maintenant, se défendit Cooper – la génie informatique de la bande.
– Je ne dis pas le contraire, mais attendez un peu de voir ce qu’il se passe ensuite.
J’accélérai un peu la vidéo et la commentai en même temps.
– Ici, le Soleil assomme l’hôte d’accueil. Ils s’arrêtent à l’étage de la réunion et le reste de l’équipe débarque. Là, ils ont eu recours à un gaz opaque pour a priori endormir tout le monde et emmener Harper et Borgia sans qu’ils ne se débattent. Ils sont ensuite tous montés à l’étage.
Je sélectionnai la seconde vidéo et les corps furent dès lors représenter plus ou moins précisément par des silhouettes rouge orangée.
– Harper et Borgia ont été ligotées et c’est « Jessica » elle-même qui a mené l’interrogatoire avec un autre homme, pendant que les sept autres ont cherché des documents à la fois dans les archives et sur les ordinateurs. Harper a été torturé pendant presque deux heures et c’est à la dernière minute que ça devient vraiment intéressant, expliquai-je en zoomant l’image. Là.
La femme se tenait à deux mètres de Harper, bien droite sur ses jambes, et porta alors une main à son visage. L’équipe s’approcha, les sourcils froncés de concentration.
– On dirait…, hésita d’abord Bailey, on dirait qu’elle retire un masque.
Il semblait aussi perplexe que je l’avais été en observant la scène en directe. La femme s’était débarrassée de son masque et sa fausse chevelure avant de se pencher vers Harper et de l’achever.
– Je suppose qu’elle voulait qu’il sache qui elle était vraiment avant de le tuer, déclarai-je.
– Est-ce qu’elle le remet pour Borgia ?
Je secouai la tête.
– Les choses étaient très différentes pour lui. Elle n’a pas eu à le torturer.
– Ils ont négocié ?
– Je doute qu’on puisse appeler ça une négociation compte tenu du fait qu’elle a fini par lui tirer une balle en pleine tête.
Cependant, Borgia ne s’était pas mis à parler immédiatement, autrement cela aurait pris beaucoup moins de temps d’en finir. Il avait dû vouloir la convaincre de trouver un accord, sans chercher une seule seconde à nier les faits. Voir l’état de Harper avait dû être dissuasif à ce sujet.
– Eh bien on va vite pouvoir vérifier cette théorie, soupira Cooper en retournant s’asseoir derrière son ordinateur.
Nous restâmes tous silencieux tandis que ses doigts survolaient les touches du clavier à une vitesse fulgurantes. L’écran de son ordinateur était projeté sur un autre écran secondaire auquel nous avions tous accès et il était sûr d’affirmer que Cooper était douée. Très douée. Des dizaines de pages d’images de surveillance et de codage se succédaient en l’espace de quelques secondes seulement et il ne lui fallait pas plus d’une minute avant de taper sur une touche finale et d’afficher deux images : l’une montrant Jessica Bergan dans un restaurant et l’autre endormie sur son canapé. Cooper devait avoir piraté la caméra de son ordinateur portable posé devant elle.
– Jessica Bergan est actuellement à Springfield, déclara-t-elle ensuite avec frustration. Elle a passé le début de soirée au restaurant avec des amis de son club de gym, puis elle est rentrée chez elle, elle a lancé un film sur son ordinateur et elle s’est endormie devant. C’est un alibi en béton, conclut Cooper.
– Quelle bande d’enfoirés, grogna Scott les poings serrés.
Il était maintenant évident qu’ils avaient utilisé son identité pour pouvoir entrer dans le bâtiment sans être suspectés. Troubler Harper n’était qu’un bonus.
– Il faut qu’on découvre qui est cette femme. C’est de toute évidence elle qui mène l’opération. Qu’avons-nous sur elle pour le moment ?
Nous nous tournâmes vers Cooper avec espoir.
– À part sa taille et sa corpulence, rien du tout.
– Elle pourrait littéralement être n’importe qui, conclut un autre membre de l’équipe.
– N’importe qui ne se transforme pas en tortionnaire la nuit, ajouta Scott. On cherche une femme qui peut avoir un passé militaire, un passé dans une organisation clandestine ou une Soleil ou une Lune qui aurait échappé au système.
Autrement dit, nous cherchions une aiguille dans une botte de foin.
– Si on avait une idée des raisons pour lesquelles quelqu’un souhaiterait tuer Harper et Borgia se serait déjà bien plus facile, dit Evans les bras croisés sur la poitrine.
– Et comment on trouve ça ?
– C’est assez simple, à qui bénéficie leur mort ?
– Quelque chose me dit que la liste est longue, soupirai-je.
Je rentrai à l’hôtel peu de temps après avoir conclu mon rapport à l’équipe de Scott. J’étais épuisé et pour le moins découragé de savoir que nous n’avions presque pas avancé dans notre enquête. J’espérais pouvoir avoir une ou deux heures de sommeil avant de reprendre mon service auprès de Thompson. Connaissait-il Harper et Borgia ? Serait-il surpris d’apprendre le sort qui avait été le leur cette nuit ? S’inquiéterait-il pour sa propre vie ?
Il s’agissait de questions auxquelles je n’aurais de réponse que dans quelques heures. Tout ce qui comptait réellement pour le moment était mon lit. Je fus à peine allongé sur celui-ci que mon téléphone personnel se mit à vibrer. Je poussai un long soupir de plainte avant de tendre un bras pour regarder l’écran. C’était un appel de Marina. Un instant, je me dis que je n’étais pas obligé de répondre. L’instant suivant, je me sentis déjà coupable.
– Allô ?
– Jeremy ! Je suis contente de t’avoir enfin !
– Je suis désolé, m’excusai-je tout de suite, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour donner des nouvelles.
– Je comprends, répondit-elle doucement, ce n’est pas grave.
– Comment va James ? demandai-je en pensant tendrement à mon neveu.
– James dort ! s’exclama ma sœur.
Je ne pus m’empêcher de rire.
– Enfin !
– Oui enfin, c’est le cas de le dire. Sinon il est toujours aussi adorable et on est toujours aussi heureux tous les trois.
Voilà enfin quelque chose qui agissait comme un baume au cœur.
– Ça me plaisir d’entendre ça.
– Tu as l’air tellement fatigué, Remy.
Je me frottai les yeux en sachant pertinemment que cela ne me ferait pas me sentir plus réveillé.
– J’étais de service toute la nuit, je viens de rentrer, expliquai-je.
J’aurais aimé pouvoir lui donner plus de détails, mais en plus d’être absolument confidentiel, je savais que cela l’aurait inquiétée inutilement.
– Et ?
– Et ? répétai-je, les sourcils froncés.
– Je suis ta sœur, je peux entendre au son de ta voix qu’il y a autre chose.
Il y avait tellement d’autres choses…
– Elle est vivante.
J’avais prononcé ces mots d’un ton neutre, comme s’il s’agissait d’un simple fait. Je me trouvais incapable d’en dire plus ou d’avoir l’air aussi heureux que j’aurais dû l’être, alors que je n’avais jamais été aussi perdu.
– Quoi ? répondit finalement Marina.
– Savannah. Elle est vivante. Elle l’a toujours été.
Toutefois, je ne parvenais pas à dissimuler complètement ma déception et cela dû troubler profondément ma sœur.
– Mais...c’est génial ! Comment...je veux dire...c’est incroyable ! Pourquoi est-ce que tu n’as rien dit plus tôt ? Pourquoi...Pourquoi est-ce que tu parles comme si ce n’était pas une bonne nouvelle ?
– C’en est une, la rassurai-je, c’est un miracle et je ne comprends toujours pas comment moi-même. Mais...les choses ont changé.
– Les choses ? Quelles choses ?
Je fermai les yeux un court moment, à la fois de fatigue, d’incompréhension et de tristesse.
– Elle a changé. Elle vit chez son père depuis presque un an, elle joue un rôle dans l’entreprise familiale, elle mène une association caritative, elle va a des brunchs, elle porte des bijoux qui valent une fortune, elle a les cheveux lisses, elle...elle ne veut pas me voir.
– Pardon !? s’écria Marina. Elle ne veut pas te voir ? C’est impossible ! Est-ce que tu lui as parlé ? Est-ce que tu lui as expliqué que tu as un passé un an à la croire morte ?
– J’ai essayé, soupirai-je. Elle m’a dit que je n’aurais pas dû être là. Depuis, je ne l’ai pas revue.
Ma sœur resta silencieuse et je me doutai qu’elle retenait une ou deux insultes, sachant que ce n’était pas ce dont j’avais besoin.
– Ça n’a aucun sens, souffla-t-elle finalement.
– Je sais.
– Alors quoi maintenant ?
– Alors...je n’abandonne pas, affirmai-je fermement. Malgré les efforts de son père pour le cacher, je sais que ma Savannah est toujours là et je trouverai le moyen de la récupérer. Peu importe le temps que ça prendra.
Je pouvais sans difficulté imaginer ma sœur hocher la tête en se mordant la lèvre.
– J’espère… Je sais que tu vas m’en vouloir de dire ça, mais...j’espère qu’elle en vaut la peine.
En l’espace de quelques secondes, mon cerveau partit loin, très loin, jusqu’à notre première rencontre. Nous avions réussi à les coincer, Elizabeth et elle, dans un magasin de cuisine. Elle était déjà féroce lorsqu’il s’agissait de protéger sa meilleure amie et bien que son niveau de combat ne m’avait nullement mis en difficulté, j’avais été quelque peu impressionnée. Et alors que nous étions en avion pour retourner à Minneapolis, je m’étais retrouvé assis en face d’elle, encore endormie. À l’époque, j’avais cherché la ressemblance avec Arthur Hamilton et je n’en avais d’abord trouvé aucune tant que ses yeux étaient clos. Néanmoins, une chose était absolument certaine : elle était belle. Vraiment belle.
Puis j’avais été désigné comme son mentor et...eh bien honnêtement elle s’était immédiatement révélée une emmerdeuse de première. Jamais à l’heure, jamais concentrée, toujours en train de se plaindre, toujours obstinée à ne pas écouter mes conseils, toujours prête à agir avant de réfléchir… Et malgré tout ça, elle avait réussir à percer mes défenses. Elle avait rendu cela incroyablement difficile de lui résister. À plusieurs reprises, j’avais manqué de la perdre, mais nous avions toujours retrouvé notre chemin l’un vers l’autre, que ce fût sous la neige, au cœur des flammes ou au coucher du soleil. Jamais je n’oublierais un seul moment passé à ses côtés. Ils étaient tous si précieux et aujourd’hui encore j’aurais tellement donné pour avoir à nouveau quelques heures avec elle, même quelques heures au cours desquelles elle me mettrait hors de moi.
Alors je n’avais aucun doute.
– Elle en vaut la peine. Je revivrais cette année mille fois s’il le fallait pour pouvoir ensuite la retrouver. Je serais incapable de te dire pourquoi, c’est juste...C’est juste comme ça que je le ressens. Tu ferais la même chose pour Harry et James.
– J’aime croire que c’est vrai, mais toi, Remy, toi...tu es tellement fort. Personne n’aurait su se relever et avancer comme tu l’as fait après avoir perdu Tom, puis Savannah. Ça ne me paraît que justice que tu la retrouves. J’aurais juste aimé que ce soit plus facile.
Je souris en haussant les épaules.
– Rien n’a jamais été facile concernant Savannah. C’est bien le signe que c’est important, non ?
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Savannah va devoir faire attention, Jeremy est à ses trousses... Même s'il ne le sait pas encore ! 😉
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