I - Chapitre 29
Jeremy
- Je...
J'étais tellement abasourdi que je ne trouvai pas immédiatement les mots. J'avais d'abord pensé à faire preuve de tact, mais lorsqu'il s'agissait de Savannah, la vérité à l'état brut était probablement préférable.
- Bien sûr qu'ils avancent sans toi ! m'exclamai-je. Qu'est-ce que tu croyais ? Ils ne peuvent pas simplement mettre leurs vies entre parenthèses le temps que tu remettes de l'ordre dans la tienne, ils doivent penser à leur avenir. Jason, Cameron et Kelly doivent vite trouver des employeurs et Elizabeth et Kyle ont dû déjà choisir leur université il y a longtemps. Ils n'y sont pour rien si tu n'es pas avec eux comme vous l'espériez.
Mon ancienne élève me dévisagea, bouche-bée pendant quelques instants.
- Waouh, finit-elle par répondre, t'es super réconfortant comme mec, vraiment merci !
Elle commença à remonter vers la maison alors j'attrapai doucement son bras pour qu'elle me fît face à nouveau.
- Savannah, je ne voulais pas...
Je fus tellement choqué de ce que je venais de remarquer qu'il me fallut un moment avant de pouvoir articuler quoi que ce fût. Elle baissa les yeux sur ce qui avait ainsi attiré mon attention et vit les bleus qui encerclaient son bras plus ou moins sous la forme d'une main.
- Oh oui, c'est rien, ça ne devrait pas tarder à partir, c'est déjà beaucoup moins violacé qu'avant.
On pouvait dire qu'elle n'était pas non plus très réconfortante dans son genre.
- Je suis tellement désolée, je n'ai aucune excuse, je...
- Détends-toi, Scandola, ce n'est qu'un bleu, rétorqua-t-elle en levant les yeux au ciel avant de se dégager et de partir.
Je la regardai rentrer dans la maison, toujours immobile. J'avais l'air malin maintenant, moi qui étais censé la sermonner pour qu'elle présentât des excuses à ma famille. J'avais encore du mal à croire que j'eusse pu être brutal au point de lui laisser une telle marque. Revoir le cauchemar de mon enfance m'avait beaucoup bouleversé, mais blesser physiquement Savannah ? C'était devenu inconcevable.
Vous devez penser que j'avais des scrupules quand ça m'arrangeait seulement, car sur le paquebot j'avais été bien plus violent avec elle, mais c'était un contexte différent. En combat, nous étions deux Soleils à égalité. Qu'elle fût une fille, mon ancienne élève ou celle que j'aimais secrètement n'avait pas à intervenir. Mais là je l'avais blessée hors combat. Comme avais-je pu laisser cela arriver ?
Heureusement, Savannah ne semblait pas être choquée par ce geste déplacé que j'avais pu avoir. La connaissant, elle pensait probablement que ce n'était que quelques bleus de plus. Par ailleurs, son esprit était chargé de questions bien plus importantes, si bien que son humeur ne s'améliora pas au fil de la journée. Lorsque nous quittâmes le village pour aller à la plage, elle avait les bras croisés sur la poitrine et le regard rivé sur le paysage, mais pas de manière admirative. Elle respirait la colère par tous les porcs de sa peau. Je ne pus que me demander ce qu'elle avait bien pu entendre dans le corps de Lizzy pour être si remontée.
Pour changer un peu, nous allâmes à une plage qui se situait de l'autre côté du golfe du Valinco contrairement à notre habitude. C'était une plage plus sauvage où il était possible de sauter depuis certains rochers et d'admirer des poissons étonnants. Elle était très peu connue des touristes alors nous ne fûmes pas trop surpris de nous y retrouver seuls.
Raphaël et Stella ne tardèrent pas à commencer leur quête des meilleurs plongeoirs naturels, Savannah partit nager plus loin seule et je restai tranquillement au bord avec Marina. Celle-ci approchait de plus en plus du terme de sa grossesse alors elle ne voulait pas prendre le risque de se retrouver loin de la plage si elle était prise de contractions.
- Aïe, grimaça-t-elle, ça c'était un sacré coup de pied !
- Il tient déjà de son oncle, la taquinai-je.
- Ou elle ! me corrigea ma grande sœur.
En effet, Marina et Harry avait décidé de garder la surprise. Je ne découvrirais si j'avais une nièce ou un neveu qu'à la naissance. Par ailleurs, ma grande sœur ayant insisté pour que l'accouchement eût lieu en Corse tant que nous étions tous là, celle-ci donnerait naissance à son première enfant à la maison, avec l'aide d'une sage-femme. C'était plus ou moins risqué, mais c'était ce qu'elle souhaitait.
- Tu sais, reprit-elle sérieusement, si le virus est encore là dans 11 ans, je ne les laisserai pas prendre mon enfant. Je me battrais pour qu'il ou elle n'ait pas le genre d'adolescence que les jeunes comme Savannah ont eu dans ces affreux pensionnats où on les transforme en machines de guerre.
Je lui souris avec affection.
- Alors il ou elle aura beaucoup de chance d'avoir des personnes qui se battront pour lui. Savannah et beaucoup de jeunes comme elle ne l'ont pas eu cette chance.
Par réflexe, nous tournâmes le regard vers celle-ci. Dans un premier temps, ne nous vîmes qu'une étendue d'eau bien lisse, mais une tête finit par en émerger, avant de replonger sous l'eau aussitôt.
- Je ne sais pas si ça excuse le comportement qu'elle peut avoir parfois, mais j'éprouve certainement de l'empathie pour elle. Elle a été forcée de grandir si vite, elle n'a même pas encore 18 ans mais c'est déjà une femme, plus une jeune fille. Et tu peux être fier d'elle.
Je lui lançai un regard étonné.
- En tant que mentor, j'entends, ajouta-t-elle. Il arrive que son comportement soit critiquable, comme ce matin, mais le reste du temps je trouve qu'elle a du mérite. Elle a beaucoup aidé Stella, elle a plus confiance en elle depuis cette histoire de danse. Elle se rebelle aussi plus qu'avant, mais j'imagine que ça c'est inévitable.
Je ris à cette remarque et observai au même instant ma petite sœur sauter d'un rocher de quelques mètres de haut.
- Elle fait aussi du bien à Raphaël, je trouve.
Cette remarque me fit moins sourire.
- Vraiment ?
- Oui, j'ignorais complètement qu'il avait toutes ces idées sur la politique d'attribution des Soleils et je n'en reviens pas qu'il soit venu au gala de Stella, ça n'arrive jamais à Paris.
Je hochai la tête pour reconnaître que ce n'était pas faux.
- J'espère juste qu'il ne s'attache pas à elle, avouai-je. On pourrait être forcé de s'enfuir d'une minute à l'autre.
Nous nous tournâmes cette fois-ci vers mon petit frère. Celui-ci s'apprêtait à sauter d'un rocher encore plus haut que celui de Stella.
- Ça s'applique à toute la famille, je te ferais remarquer. Surtout Maman, elle a ce regard avec Savannah.
Je haussai les sourcils, étonné.
- Quel regard ?
- Tu sais ce regard ! répéta Marina comme si j'allais mieux comprendre la seconde fois – ce qui ne fût pas le cas.
Elle sembla réfléchir pour trouver un moyen de le formuler autrement.
- Elle a le même regard pour Harry !
Alors là j'étais encore plus perplexe. Quel était le rapport avec le mari de ma sœur ?
- C'est un regard tendre et fier, celui d'une mère qui sait que son beau-fils est bon pour sa fille. Eh bien là c'est pareil, elle sait que Savannah est bonne pour toi et le reste de la famille.
Je me retrouvai malgré moi quelque peu embarrassé.
- Mais...c'est différent.
Ma grande sœur me lança un regard perçant.
- Vraiment ? Je ne suis pas aveugle tu sais.
- Jeremy ! m'appela alors ma mère, offrant la distraction dont j'avais exactement besoin. Où est Savannah ? Elle ne devrait pas aller trop lui, ici les jet-skis et les bateaux n'ont pas de délimitations.
Légèrement inquiet, je me redressai et cherchai ma protégée du regard dans les alentours où nous l'avions vue la dernière fois. J'eus beau attendre quelques secondes, aucune tête ne sortit de l'eau.
- Je vais aller voir.
Je me mis à nager jusqu'à ce que les rochers sur les côtés ne me cachassent plus la vision et cherchai à nouveau partout autour de moi. J'étais moi-même déjà assez loin de la plage. Malgré moi, je ne pus m'empêcher d'avoir des suspicions. S'était-elle enfuie pour rentrer au Minnesota ? Elle semblait réellement affectée par le fait que ses amis avançassent sans elle, mais au point de faire quelque chose d'aussi stupide ?
Finalement, j'aperçus du mouvement, quelques centaines de mètres plus loin. J'utilisai ma vision de Soleil pour effectuer comme un zoom et vit qu'il s'agissait en effet de Savannah. Elle nageait avec force, droit vers l'horizon et sans un regard ni derrière ni devant elle. Le soulagement que j'avais ressenti en voyant qu'elle ne s'était pas enfuie fut très vite remplacé par de la panique lorsque je découvris qu'un yacht naviguait perpendiculairement à elle. Aucun des deux ne semblaient avoir remarquer la présence de l'autre. Si ma notion des distances était correcte, la collision paraissait inévitable et ce n'était pas le bateau qui en souffrirait.
- Savannah ! hurlai-je dans l'espoir qu'elle m'entendît. Savannah !
Ce ne fut pas le cas et plus les secondes passaient, plus elle se rapprochait du yacht qui avançait lui-même à une vitesse impressionnante. Je fis alors appel à mon instinct devant cette situation critique. Ma première idée fut de geler l'eau pour courir par-dessus la glace, rejoindre ma protégée et la tirer hors du chemin du yacht. Ce n'était pas exactement une mauvaise idée, mais une qui me ferait forcément remarqué des personnes à bord du bateau et nous ne pouvions pas nous permettre d'attirer ainsi l'attention. Je réfléchis à nouveau. Je ne pouvais pas arrêter le yacht sans l'abîmer ou alerter ses passagers alors je devais l'arrêter elle. À cette distance, ma psychokinésie ne serait pas suffisamment efficace alors il ne me restait qu'une solution.
Je me concentrai sur l'élément dans lequel j'étais immergé et quelques secondes plus tard, celui-ci commença à devenir de plus en plus immobile jusqu'à durcir. Je venais de créer un couloir de glace d'environ deux mètres de large, s'étendant de là où j'étais à Savannah. Ne la voyant plus à la surface de l'eau, je compris qu'elle avait dû plonger au même moment. Cela signifiait deux choses : elle était enfermée dans la glace et je n'avais que très peu de temps pour la rejoindre avant qu'elle ne mourût étouffée.
Mes muscles se mirent aussitôt en action. Je n'étais ni un excellent ni un mauvais nageur, mais dans ce genre de moments, l'adrénaline me faisait repousser mes limites. Avait-elle conscience que j'étais la raison pour laquelle elle suffoquait ? Si seulement je pouvais lui parler, la rassurer, lui dire que je faisais cela pour la sauver. Je redoublai d'effort, je puisai au plus profond de mes forces pour nager plus vite et priai pour arriver à temps.
Dès qu'elle fut à ma portée, je fis fondre la glace en un instant et la tirai en arrière par la taille. Quelques secondes plus tard, nous nous retrouvâmes ensevelis par les vagues générées par l'avancée rapide du yacht. Le corps de Savannah était lourd et immobile dans mes bras et ses paupières étaient toujours closes. Je m'empressai de remonter à la surface et de la soulever sur mon épaule pour que son visage fût hors de l'eau. Je m'attendais désespérément à ce qu'elle se mît à cracher de l'eau et à tousser mais elle n'en fit rien.
Ne pouvant pas attendre et n'ayant plus de témoins, je gelai quelques mètres de surface à nos côtés et déposai Savannah sur la surface lisse avant de sortir moi-même de l'eau comme pour monter sur cette planche de glace. J'écartai les mèches de cheveux trempés qui étaient restées collées à son visage. Elle était extrêmement pâle et ses lèvres revêtaient une teinte bleutée. Je commençai immédiatement un massage cardiaque.
- Allez Savannah, c'est pas le moment de me lâcher.
J'alternai en lui faisant du bouche à bouche mais je n'observai aucune réaction. Je n'hésitai pas à exercer plus de pression. Je préférais lui briser quelques côtes que la voir mourir ainsi sous mes yeux.
- Reviens, Anna, je t'en prie. Allez, bat-toi !
Je me souvins alors que je n'avais pas seulement la vie de ma bien-aimée entre les mains mais aussi celle d'Elizabeth. Je n'avais pas le droit d'échouer.
- Anna, je t'en supplie, fait un effort ! Tu avais juré que je ne me débarrasserais pas de toi aussi facilement et je te le demande de tout mon cœur, reviens m'énerver !
Finalement, son corps fut agité d'un sursaut avant de commencer à cracher. Je soulevai son dos pour la redresser et l'aider à éliminer l'eau de ses poumons. Elle peina encore quelques secondes à respirer mais l'air rempli bientôt à nouveau ses poumons. Je remarquai ensuite à quel point elle tremblait. Je passai donc une main dans son dos et sous ses genoux pour la porter. L'eau se transforma en glace au fur et à mesure sous mes pas et nous rejoignîmes ainsi une petite crique encerclée de grands rochers, lui donnant un certain aspect intime.
Je fis descendre la fermeture de sa combinaison avant de l'écarter et de l'aider à retirer les manches. Maintenant allongée sur le sable chaud et sous un soleil brûlant, Savannah continua de récupérer. Si j'avais pu respirer pour elle, je l'aurais fait sans la moindre hésitation. Mais à la place, tout ce que je pouvais faire était éloigner ses cheveux de son visage et caresser délicatement sa peau froide. Sa respiration ne tarda pas à se calmer et ses lèvres retrouvèrent progressivement leur rose naturel. Finalement, son regard turquoise rencontra le mien.
- Est-ce que tu viens d'essayer de me tuer, Scandola ? souffla-t-elle avec un léger sourire.
Je soupirai de soulagement en ne voyant aucune colère dans ses yeux et laissai tomber mon front contre le sien avec tendresse.
- Dieu merci... Je suis tellement désolé, murmurai-je, il y avait ce bateau, tu fonçais droit dessus et je ne savais pas quoi faire, j'ai paniqué, je...
- Hé, fit-elle en posant délicatement une main sur ma joue, je vais bien. Grâce à toi. Tu n'as pas à t'excuser.
Nous étions si près que je pouvais sentir son souffle sur ma peau. Comme cela m'avait manqué. Être proche d'elle, pouvoir la toucher, la serrer dans mes bras, ne jamais vouloir la lâcher. Avec elle, je ne savais jamais à quoi m'attendre. Ce matin même, elle m'exaspérait au plus au point, et à cet instant, je voulais tout d'elle. Ses yeux, ses lèvres, sa peau, son corps, son cœur. J'étais irrémédiablement attirer vers elle et pour rien au monde je ne voulais perdre cette sensation. Pas encore.
Alors je l'embrassai. Je cessai de réfléchir, de m'inquiéter de ce que les autres penseraient, je lâchai prise. Savannah était là, contre moi, et tout le reste disparut à l'instant où elle me rendit mon baiser. Elle glissa une main derrière ma nuque et l'autre dans mon dos pour m'attirer encore plus près d'elle. Je déversai toute la passion que j'avais si longtemps gardé en réserve dans ce baiser. Je promenai mes mains sur son corps brûlants et ne m'arrachai à ses lèvres que pour embrasser la peau tendre de son cou et de son décolleté. Son dos se cambra et je sentis ses ongles griffer mon dos avant qu'elle ne m'attirât de nouveau à elle.
Je basculai sur le dos et elle chevauchât mes hanches sans rompre notre contact affamé. Le monde entier s'était résumé à ce simple contact primaire et il paraissait inconcevable qu'il en fût autrement. Nos corps étaient faits pour être l'un contre l'autre. C'était une évidence, mais c'était aussi dangereux. Plus elle me laissait l'aimer ainsi, plus je perdais tout bon sens et plus j'oubliais. J'oubliais que ma famille était côté. J'oubliais qu'elle risquait encore la peine de mort pour un autre. J'oubliais qu'elle n'était pas mienne. J'oubliais qu'elle ne pourrait jamais l'être car Elizabeth passerait toujours avant tout et que mon travail serait de protéger quelqu'un d'autre quoi qu'il m'en coûtât. J'oubliais que c'était voué à l'échec.
M'en souvenir me fit d'ailleurs l'effet d'une violente gifle. Savannah venait de s'arracher en reculant brusquement et elle me regardait maintenant avec de grands yeux horrifiés.
- Je ne peux pas faire ça, déclara-t-elle essoufflée.
Encore abasourdi, tout ce que je pus répondre fut :
- Quoi ?
Elle s'empressa de se relever et d'enfiler les manches de sa combinaison, recouvrant sa peau portant encore la trace de mes lèvres.
- C'est une erreur, j'aurais jamais dû faire ça, continua-t-elle de dire très vite sans me regarder, je ne sais pas ce qui m'a pris, c'était...
Son regard finit par se poser sur moi avec dureté.
- Ce n'est jamais arrivé.
Sur ce, elle me tourna le dos et partit contourner les rochers à la nage pour rejoindre l'autre plage. Je la regardai s'en aller, pétrifié. La petite voix que j'avais réussi à faire taire jusqu'ici refit cruellement surface.
Au fond, tu le savais. Tu savais que tu n'étais pas vraiment celui à qui elle pensait, celui avec qui elle voulait être de cette manière.
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Pardon pour le retard... Mais j'espère que vous avez trouvez que l'attente en valait la peine 😉
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