I - Chapitre 26
Jeremy
Le grand jour de Stella arriva très vite, me permettant d'échanger des pensées mélancoliques pour des pensées plus réjouissantes. Personne n'avait reparlé de Tom depuis que nous étions rentrés et j'en étais très reconnaissant. L'anniversaire de sa mort était déjà le jour le plus dur à surmonter de l'année, je n'avais pas besoin de m'inquiéter de ce que savait ou ne savait pas Savannah en plus du reste. Je n'eus plus qu'à attendre que cette journée arrivât à sa fin pour passer à autre chose. C'était stupide en réalité. Juste parce que la date avait changé ne voulait pas dire que la douleur était moins présente. Elle était là en permanence quoi que je fisse. Il y avait juste certains jours plus faciles que d'autres et j'étais pressé de retrouver ces jours-ci.
En début d'après-midi, nous nous mîmes tous en route pour Propriano pour le gala de Stella. Officiellement, il s'agissait pas d'une compétition, mais d'une simple représentation devant la famille et les amis. Les enchaînements masculins passeraient en premier, puis les filles passeraient chacune sur différents agrès et montreraient enfin leurs chorégraphies. Officieusement, leur travail déterminerait leur classement en fin de stage. Et grâce à Savannah, Stella était prête à tuer pour avoir la première place de ce classement. Pas littéralement, bien sûr, quand bien même je n'aurais pas été si surpris que mon ancienne élève eût appris à ma sœur quelques astuces pour briser une nuque pendant qu'elle travaillait sur la danse.
Nous prîmes place dans les gradins tandis que ma mère accompagnait Stella pour l'aider à se préparer. Nous avions beau avoir beaucoup d'avance, le gymnase était déjà rempli d'effervescence. Des jeunes filles en justaucorps brillants et parfaitement maquillées et coiffées couraient d'un endroit à un autre ou s'échauffaient discrètement. Les organisateurs semblaient absolument débordés. Assise à côté de moi, Savannah observait la scène dans les moindres détails avec beaucoup de curiosité.
- Ça te rappelle des souvenirs ? lui demandai-je.
Il lui fallut quelques secondes pour s'extirper à ses pensées.
- Hein ? Euh oui et non. Je veux dire, le gymnase, les agrès, tout ça, oui, mais je m'étais cassée le poignet avant ce qui était censé être mon premier gala, donc non.
Le fameux poignet. En réalité, Savannah n'avait que très peu abordé le sujet devant moi, même lorsque je lui avais posé des questions spécifiques dessus, lors de nos toutes première séances d'entraînement. Je savais qu'elle se l'était brisé deux fois. La première fois, en faisant de la gymnastique, cela n'avait jamais été un secret, mais la seconde, eh bien elle ne me l'avait jamais dit. De plus, lorsque Savannah faisait des crises de nerfs, elle avait le réflexe de grater violemment la peau de ce poignet. J'avais dû à plusieurs reprises l'empêcher de le faire avant que cela ne la blessât. Là encore, j'ignorais d'où cela venait.
- Je vois. Et la deuxième fois ?
- Pardon ? fit-elle en fronçant les sourcils.
J'étais curieux de voir si elle mentirait ou non.
- Tu as dit que tu te l'étais cassé deux fois. Comment as-tu fait la deuxième fois ?
- J...j'ai dit ça ?
Avant que je ne pusse insister davantage, j'aperçus ma mère jouer des coudes pour pouvoir nous rejoindre. Elle portait une expression inquiète.
- Vous étiez obligés de prendre les places les plus difficile d'accès ? Peu importe, on a problème.
- Que se passe-t-il ? demandai-je, légèrement inquiet.
- C'est Stella. Elle panique à propos de la chorégraphie, elle dit qu'elle refuse de sortir des vestiaires, j'ai tout essayé pour la motiver mais ça n'a pas marché.
Je fus soulagé en découvrant la mince ampleur du problème. Je n'avais même plus l'habitude de considérer ce genre de situation embêtante comme des problèmes à cause du métier.
- Je m'en occupe, déclarai-je avec assurance et apparemment en écho avec Savannah.
Une seconde plus tard, nous entamâmes un duel de regard qui me laissa abasourdi.
- Je suis son frère, dis-je après m'être ressaisis, je crois que...
- Elle n'a pas besoin de son frère, rétorqua sévèrement Savannah, elle a besoin d'une coach, et grâce à toi, sa coach c'est moi.
Je n'eus même pas la chance d'argumenter qu'elle était déjà en train de suivre ma mère jusqu'au vestiaire des gymnastes féminines. Je conservais un air perplexe encore quelques instants, si bien que Raphaël n'hésita pas à se moquer.
- T'es pas censé être celui qui a de l'autorité ?
Je me tournai vers lui, presque amusé de la situation.
- Moi aussi, ça m'échappe.
Je fus surpris lorsqu'il relançât la conversation, sachant que sa présence était déjà un gros effort.
- Au fait, j'ai...j'ai lu récemment la lettre qu'elle a écrit à Maman.
Voilà une chose à laquelle je m'attendais encore moins.
- J'étais curieux, rajouta-t-il. Je comprends mieux pourquoi elle a réagit aussi froidement, mais je voulais juste dire que...moi je t'en veux pas. Tu as fait ce que tu devais faire pour ta famille, j'aurais fait la même chose.
Je le dévisageai quelques secondes, silencieux. Ses yeux gris clairs ne cachaient pas la moindre moquerie, il semblait réellement sincère. Il était la dernière personne que j'aurais pensé prête à me soutenir. Cela me touchait plus que je ne pourrais le dire, mais il restait un problème.
- J'espère que non. Mes intentions n'étaient peut-être pas mauvaises, mais je l'ai vraiment blessée.
Mon petit frère haussa les épaules.
- Mais elle t'a pardonné.
- Tu trouves ? fis-je en arquant un sourcil.
Je pouvais encore voir la haine dans ses yeux turquoises, les larmes coulant sur ses joues par ma faute, son corps tremblant de froid. Je me considérais encore loin du pardon.
- Bien sûr, me contredit Raphaël, depuis longtemps.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Il inspira profondément, comme cherchant l'exemple parfait.
- Eh bien, tout simplement hier, elle a eu l'air d'avoir le cœur brisé en apprenant pour Tom.
Je restai interdit malgré moi. Est-ce qu'il venait de dire... Alors elle savait ? Elle savait enfin la confession que je n'avais jamais été capable de lui faire pendant des mois. Elle savait enfin pourquoi je la comprenais mieux que quiconque qu'elle le souhaitât ou non. Elle savait enfin de quoi parlait mes cauchemars quand il ne s'agissait pas d'elle. Elle savait, mais je n'étais même pas celui qui lui avait dit.
- Tu...tu es sûr que c'est de ça qu'elle avait l'air ?
- Pourquoi est-ce que tu crois qu'elle a proposé de préparer le dîner pour que vous vous reposiez ?
La réponse lui paraissait évidente et elle l'était, à vrai dire, mais je n'y avais vraiment pas pensé.
- Je croyais qu'elle avait juste envie de cuisiner, répondis-je naïvement.
La grimace de mon frère me confit comprendre à quel point c'était ridicule.
- Elle se sentait juste stupide de ne pas avoir su pendant tout ce temps, c'était sa manière de se rattraper un peu.
- De quoi vous parlez ? s'exclama la voix familière de la personne en question.
Savannah était de retour, souriante. Elle reprit sa place entre nous et sentit comme une petite tension.
- J'ai interrompu une conversation profonde ?
- Pas du tout, la rassurai-je finalement. Ça ira pour Stella ?
Son expression, en revanche, ne fut pas très rassurante.
- J'espère...
- De quoi va-t-elle parler au fait ?
- Elle a voulu montrer comme le bonheur et l'amour sont éphémères si on en prend pas soin, m'expliqua-t-elle fièrement.
Je la dévisageai.
- C'est...surprenant pour une adolescente.
Savannah leva les yeux au ciel.
- Les adolescents comprennent et ressentent bien plus de choses que tu ne le penses. C'est peut-être parce que c'était il y a si longtemps que tu en étais un que tu ne t'en souviens plus.
Je fus tellement secrètement ravi d'avoir à nouveau droit à ses remarques sournoises que j'en oubliai de chercher une répartie digne de ce nom.
- Je ne suis pas si vieux !
- C'est ça...
Je secouai la tête pour réprimer un sourire avant que le gala ne commençât. Comme à chaque fois que j'avais l'occasion de voir ces jeunes s'élever dans les airs sur des morceaux de bois de 15 cm de large ou au-dessus de barre à plusieurs mètres de haut, j'étais absolument émerveillé, et tout particulièrement lorsqu'il s'agissait de ma petite sœur. Néanmoins, il fallait bien que le moment fatidique arrivât à son tour.
Lorsque Stella monta sur le tapis, ma mère joignit ses mains et souffla des encouragements en corse. Je soupçonnais Savannah d'être tout aussi stressée. Après tout, elle s'était beaucoup investie dans ce projet. Les premières notes de musique se firent entendre et...Stella ne bougea pas. Pas d'un centimètre. Je jetais un rapide coup d'oeil à « sa coach » pour savoir si c'était normal et à croire son expression inquiète, ça ne l'était pas. Stella était pétrifiée.
- Tu me gardes ça ?
Je redressai la tête et découvris que Savannah était debout et me tendait ses chaussures. Je les lui avais à peine prises des mains qu'elle descendait les gradins à toute vitesse. Allait-elle tenté un nouveau discours de motivation de coach à gymnaste ? Mais dans ce cas, pourquoi me passer ses chaussures ? J'eus très vite la réponse. En quelques secondes, elle avait rejoint ma petite sœur sur le tapis et faisait signe aux personnes gérant la musique de la relancer. Je la devinai glisser quelques mots à Stella et un instant plus tard, elles commencèrent à danser. D'abord lentement, avec beaucoup de grâce, puis avec de plus en plus de fluidité, de souplesse. Elles étaient magnifiques.
Stella et Savannah avaient commencé à danser côtes à côtes, mais au fil de la chorégraphie, mon ancienne élève avait discrètement fait en sorte de reculer pour mettre en avant ma petite sœur. Elle ne s'était pas complètement éclipsée, ce qui aurait pu déstabiliser Stella, mais elle avait trouvé un moyen de faire comprendre que c'était elle qu'il fallait regarder. Ainsi, elle brillait peut-être même encore plus que si elle avait été seule à danser depuis le début. Parce que c'était ce qu'elle faisait : briller et danser, intensément. J'étais incroyablement ému et fier d'elle. De toutes les deux, à vrai dire.
J'étais incapable d'ignorer cette petite partie de moi qui était ne pouvait décrocher son regard de Savannah. Elle était fascinante. Le contraste avec Stella était frappant, sans être défavorable. En effet, elle était moins souple et moins fine, mais elle apportait une interprétation qui n'appartenait qu'à elle. Elle vivait chaque mouvement avec une authenticité époustouflante, à tel point que je me voyais obligé de lui donner raison : les adolescents comprenaient et ressentaient en effet bien plus de choses que je ne me souvenais.
À la fin du gala, Stella reçut énormément de félicitations et de compliments, notamment de la coach qui s'occupait d'elle pendant ce stage – la vraie. Tout le monde lui avait vite pardonné sa panique au vu de la magnifique performance qu'elle avait ensuite offerte. D'humeur rayonnante, nous nous apprêtions tous à remonter à Sainte Lucie lorsque j'eus une idée.
- Maman, je prends la deuxième voiture avec Savannah, on a une course à faire. Promis on sera là avant le dîner.
- Ah bon ? Quelle course ? s'étonna mon ancienne élève.
- Pas de problème, à plus tard.
Nous nous séparâmes ainsi sur le parking du gymnase, ma famille d'un côté et Savannah et moi-même de l'autre. Je leur fis un signe de la main avant de monter en voiture. Je me tournai ensuite vers ma protégée, qui attendait justement une explication, les bras croisés sur la poitrine et les sourcils froncés.
- C'est quoi cette histoire de course ? Attend ! s'exclama-t-elle finalement. Laisse-moi de deviner, tu as changé d'avis ! Tu vas me laisser conduire la voiture ?
Son excitation était palpable, mais cela n'allait, malheureusement pour elle, jamais se réaliser.
- Pas question, dis-je en secouant la tête, légalement tu ne sais pas conduire.
- C'est faux ! s'indigna-t-elle. J'ai un permis !
Je ne pus m'empêcher de rire doucement.
- Oui, un permis que tu as obtenu illégalement.
Elle leva les yeux au ciel.
- Ça personne ne le sait ici.
Comme d'habitude, sa détermination était plus méritoire que ses arguments.
- Oublie, même si ton permis était valide je ne te laisserai pas conduire en montagne. La vraie raison pour laquelle on est là est que je veux acheter un cadeau pour Stella. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas gâtée et elle le mérite pour tout le travail qu'elle a fait ces derniers jours.
Savannah portait une expression perplexe.
- OK, si ça te fait plaisir, mais c'est quoi le rapport avec moi ?
Je souris fièrement.
- Tu vas m'aider à choisir !
- Alors tu as déjà une idée précise ? C'est quoi ?
- Oh non, ricanai-je en mettant ma ceinture avant d'allumer le moteur, c'est une surprise, tu verras bien.
- Mais ce n'est pas mon cadeau, pourquoi ce serait une surprise ?
Elle pouvait tout essayer, j'étais déterminé à ne pas céder.
- Tu me remercieras le moment venu. Maintenant met ta ceinture, personne ne te prendra pour une conductrice responsable si tu ne l'es déjà pas en tant que passagère.
Elle me fit une grimace puis mit sa ceinture. Elle insista encore quelques minutes, mais elle passa principalement le reste du trajet perdue dans ses pensées. Je ne savais pas exactement si elles étaient gaies ou maussades, mais dès que nous nous garâmes à destination, c'est-à-dire devant ce qui de l'extérieur ressemblait à une grande cabane, toute sa curiosité reprit le dessus.
- C'est un drôle d'endroit pour acheter un cadeau à une adolescente, mais après tout les options semblent un peu limitées dans le coin...
Je ne pus m'empêcher de sourire en pensant à sa réaction lorsqu'elle comprendrait où nous étions vraiment. J'avais à peine claqué ma portière qu'une femme souriante aux cheveux blonds tressés de l'âge de ma mère émergea de la « cabane ».
- Jeremy ! Je ne m'attendais pas à te revoir si tôt mais c'est toujours un plaisir !
Je lui rendis son sourire et son étreinte.
- Il y a encore une heure je ne pensais pas passer non plus à vrai dire mais j'ai décidé de suivre l'inspiration du moment.
Je fus ravie de redécouvrir ses yeux bruns aussi étincelants de bonne humeur que d'habitude et non pas brillants de larmes comme quelques jours auparavant.
- Marie-Blanche, je te présente Anna, la correspondante américaine de Raphaël.
- Enchantée ! s'exclama la charmante mère de Tom, en français. Juliette m'a parlé de toi et elle a raison, tu es vraiment jolie.
Je m'apprêtais à traduire pour Savannah lorsqu'elle celle-ci répondit également en français :
- Enchantée également, merci.
Sa voix était plus discrète que d'habitude, mais toute aussi mélodieuse. J'étais curieux de découvrir si elle serait capable de s'exprimer encore davantage en français.
- Mais à ce propos, Juliette n'est pas là, expliqua Marie-Blanche, elle est partie à Porto-Vecchio pour le week-end, elle ne te l'avait pas dit ?
- Oh si, mais ce n'est pas pour la voir qu'on est là. J'aimerais beaucoup voir les chats que tu as en ce moment.
- Est-ce que tu viens de dire « chat » ? s'écria alors Savannah de nouveau en anglais.
Je ne lui répondis pas et suivis Marie-Blanche dans ce qui était en fait un refuge et dont elle était la propriétaire. Les principaux locataires étaient souvent des chats et des chiens errants ou abandonnés, et elle faisait de son mieux pour leur trouver un foyer aimant. Je devinai à la gestuelle de mon ancienne élève qu'elle se retenait de courir les caresser tous. Une moue d'attendrissement ne quittait désormais plus son visage.
- Alors en ce moment, j'ai 7 chats et 4 chatons. Vous cherchez quelque chose en particulier ?
- C'est pour Stella, expliquai-je, j'aimerais lui faire la surprise, alors j'avoue que je ne sais pas précisément quelle couleur elle préfèrerait mais elle sera folle de joie dans tous les cas.
- Quelle chanceuse ! Alors on part plutôt sur un chaton ?
- Ce serait l'idéal.
- Aucun problème, les voicis.
Dans un petit boxe, je découvris quatre adorables petites boules de poils et deux chats adultes. Deux des chatons étaients roux, un autre tigré et le dernier, plus petit que les autres, tout noir.
- Ils sont issus de deux portées différentes, m'expliqua Marie-Blanche, les trois plus grands sont les petits de la chatte rousse juste ici, ce sont deux mâles et une femelle, et le petit dernier, un mâle, est de la femelle tachetée. Celui-là n'est pas encore sevré et ne pourra pas être adopté avant quelques semaines. En revanche, les trois autres...
Elle jeta un coup d'oeil à une feuille accroché sur un grand panneau en liège à quelques mètres.
- Eh bien c'est ton jour de chance ! Le vétéraire devrait passer en fin d'après-midi pour leurs derniers vaccins et ils seront prêts, tu peux en prendre un dès ce soir ou demain, ce qui t'arrange !
Comme quoi, il arrivait que l'univers fût de mon côté. Je remarquai alors que Savannah en revanche n'était pas à mes côtés. Je relevai la tête et la trouvai quelques mètres plus loin, en complètement adoration devant un chiot berger allemand qu'elle portait dans ses bras. Je ne pus réprimer l'envie de la prendre discrètement en photo à son insu, elle qui insistait toujours pour avoir l'air d'une dure à cuir, un petit chiot suffisait pour faire fondre son armure.
- Anna ? l'appelai-je ensuite. Viens voir.
À contre coeur, elle reposa le petit berger allemand dans son panier et nous rejoignit. Sa tristesse disparut à l'instant où son regard rencontra ceux des chatons.
- Oh quels amours...
- Le plus petit n'est pas encore adoptable, l'informai-je en anglais puisqu'elle n'avait certainement ni suivi ni compris ce que Marie-Blanche m'avait dit, alors ça se joue entre les trois autres.
- Un roux, déclara-t-elle instantanément. C'est adorable et surtout c'est facile à repérer dans une maison ou un jardin, même s'il essaie de se cacher.
Cette fois-ci, son argument était assez tangible et je ne pouvais nier le fait que j'avais un petit faible pour les chats roux. Maintenant...
- D'accord, mais lequel ? Il y a un mâle et une femelle.
Savannah s'agenouilla et réussit à les prendre chacun dans un bras, ou plutôt une main. Elle les examina longtemps, les caressa puis les reposa pour jouer un peu avec eux. J'en profitai pour les observer tout aussi attentivement et un je-ne-sais-quoi finit par me faire me décider.
- Le mâle.
- La femelle, avait affirmé Savannah en même temps.
Un nouveau duel de regard s'installa entre nous, ce qui ne manqua pas de faire rire Marie-Blanche.
- Vous voulez peut-être en savoir un peu plus sur leur personnalité jusqu'à maintenant ?
- Avec plaisir.
Elle se pencha et prit le petit mâle dans ses bras. Sa seule marque distinctive était une petite tâche blanche sur sa patte avant droite.
- Ce petit bonhomme est une boule d'affection depuis sa naissance. Si vous voulez un chat affectueux qui réclame sans cesse des câlins, c'est celui qu'il vous faut.
Elle reposa et prit la femelle, qui elle avait une petite tâche blanche sur l'oreille gauche. Je me tournai vers Savannah pour voir si elle avait compris Marie-Blanche qui ne parlait que français et avec un accent corse – même peu prononcé. Elle semblait hocher la tête en signe de compréhension alors je ne m'inquiétai pas.
- Et cette petite demoiselle, également affectueuse mais aussi joueuse. Elle m'a tout l'air d'une vraie maligne.
- La femelle, insista alors Savannah. Définitivement.
J'ignorais si c'était étrangement par solidarité masculine ou parce que je craquais complètement, mais je me sentis obligé de défendre le mâle.
- Stella adorerait avoir un chat affectueux, elle ne demanderait que ça de pouvoir le caresser toute la journée.
- Certes, admit mon ancienne élève, mais Stella ne sera pas souvent à la maison à cause de l'entraînement, il ne lui faut pas un chat qui ne vit que pour les caresses, il lui faut un chat plein de vie, malin, qui a envie de jouer, même quand elle n'est pas là. Si déjà chaton il n'est pas joueur, imagine adulte ce que ce sera.
Cela me faisait légèrement mal de l'admettre, mais elle n'avait pas tout à fait tort.
- Et puis regarde-la, elle est tout simplement adorable.
- Certes, mais une femelle doit être stérilisée, c'est de l'argent et des soins en plus.
- Et un mâle doit aussi être castré si tu ne veux pas te retrouver responsable de tous les chatons des femelles du coin, rétorqua immédiatement Savannah.
Je pris une minute pour considérer la question. La seule chose dont j'étais sûr, c'est que ma petite sœur serait ravie dans tous les cas, mais ça ne m'aidait pas vraiment ici. Mon ancienne élève interrompit alors mes pensées très sérieusement.
- Jeremy, tu m'as amenée ici pour t'aider à choisir, ça doit bien vouloir dire que tu me fais un minimum confiance, non ? Alors je t'assure que c'est la femelle, je le sens.
- La femelle ? me demanda confirmation Marie-Blanche.
Il était inutile de lutter davantage. Je me consolais en me disant que le petit mâle rendrait quelqu'un d'autre très heureux, même si ce n'était pas ma sœur.
- On prendra la femelle.
Cette fois-ci, Savannah ne put se retenir de sauter de joie.
- Oh elle va l'adorer c'est sûr !
- Parfait, vous voulez la récupérer dans quelques heures ou demain ?
- Dans quelques heures, ce sera parfait, ça nous laisse le temps d'aller faire les courses nécessaires.
- J'ai des listes de courses pour chaton toutes prêtes, si tu veux, me proposa très gentiment la mère de Tom.
- Volontiers !
Elle partit une minute me chercher une liste. Un sourire triomphal ne quittait pas le visage de Savannah. Si je n'avais pas eu peur de m'attirer ses foudres, je lui aurais fait remarqué qu'elle avait pour habitude de se moquer de ma collègue Rachel, qu'elle connaissait comme Mlle Carson, pour son amour « débordant » pour les chats, mais elle était elle-même très sensible à leur charme.
- Et voici, fit Marie-Blanche en me tendant la liste.
- Merci beaucoup.
Je remarquai qu'elle était également revenue avec un appareil photo.
- Ça ne vous gêne pas de faire une photo avec la petite ? J'aime bien les afficher sur le tableau à chaque adoption.
Savannah se fit une joie de reprendre le petit chaton dans ses bras.
- Rapproche-toi, Jeremy, me dicta la mère de Tom.
Je me plaçai légèrement derrière ma protégée, pour ne pas la mettre mal à l'aise, mais je laissais mon bras frôler son épaule pour que Marie-Blanche n'eût pas non plus l'impression que je ne souhaitasse pas être près de Savannah. Je ne pouvais plus voir le visage de celle-ci mais j'étais persuadée que son sourire était radiant.
- Ne bougez plus... Et en voilà une. Jeremy prend-la maintenant.
- J'ai une meilleure idée, soufflai-je.
Je la pris des mains de Savannah et la posai dans la volumineuse chevelure rousse de celle-ci. Un petit hoquet de surprise lui échappa en sentant les petites pattes du chaton sur sa tête et elle plia les genoux, comme pour être moins grande afin de ne pas lui faire trop peur. Mon propre visage pouvait désormais dépasser l'adorable chaton dont la couleur rousse allait presque parfaitement avec les cheveux de Savannah.
- Jeremy !
- Souris, lui glissai-je simplement.
Marie-Blanche prit une dernière photo en riant, puis nous laissâmes la future boule de poils de Stella rejoindre ses frères.
- À tout à l'heure !
Nous sortîmes du refuge pour remonter en voiture.
- Et si elle m'avait griffée ? s'écria alors Savannah, les yeux écarquillés.
- C'est pas toi qui voulais un chaton joueur ?
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