I - Chapitre 20
Savannah
Après de brèves présentations, j'avais appris que Juliette avait été invitée à se joindre à nous pour le déjeûner. Je m'étais donc dépêchée d'aller prendre une douche et de trouver une tenue qui couvrerait la plus grande partie de ma peau tout en restant jolie. Parmi les affaires de Lucy, je trouvai une longue jupe couleur émeraude très légères que j'associais à un simple haut blanc. Puisque je venais de laver mes cheveux, ils étaient soyeux, volumineux et parfaitement bouclés. N'ayant pas tellement le temps et ne voulant pas que les Scandolas crussent que je faisais un effort à cause de Juliette, je ne me maquillai pas.
À table, je me retrouvai entre Raphaël et Stella, tandis que Juliette était entre Marina et Jeremy. Ils semblaient tous les trois très proches et lorsque nous entamâmes l'apéritif, Laura leva son verre à Juliette, ravie de l'avoir parmi nous.
- Depuis combien de temps la connaissez-vous ? chuchotai-je poliment à Raphaël tandis que les autres étaient en pleine conversation à propos de j'ignorais quoi puisqu'ils parlaient très vite et en français.
Le petit frère de Jeremy leva un regard surpris vers moi, comme s'il avait déjà prévu d'en finir avec ce repas le plus vite possible sans prononcer un mot et qu'il réalisait qu'il avait peut-être finalement quelqu'un à qui parler à cette table.
- J'en sais rien.
Je fronçai les sourcils.
- Ce n'est pas une amie de la famille depuis des années ? m'étonnai-je.
Je dus attendre qu'il eût fini son énorme bouchée de petits roulés saucisse pour avoir une réponse.
- Si, mais disons, pas de ce côté de la famille, fit-il en se désignant lui-même et Stella.
Je comprenais maintenant pourquoi cette dernière écoutait sagement sa grande soeur et son grand frère parler avec Juliette sans essayer de s'imposer dans la conversation. En fait, c'était probablement la première fois que je remarquai quelque chose qui ressemblait à de la timidité chez elle.
- Comment ça se fait ?
Raphaël hocha les épaules avec indifférence.
- Juliette et son frère ont grandi à Propriano comme Marina et Jeremy, ils étaient inséparables. Stella et moi on a grandi à Paris, on vient seulement ici en vacances l'été, on n'est pas corses comme eux.
Je hochai lentement la tête. La plupart du temps, ils s'en sortaient bien, mais la légère fissure entre les deux parties de la famille était bien là tout compte fait.
- Alors elle a aussi un frère.
Raphaël se pencha vers moi en chuchotant encore plus bas.
- Elle avait un frère.
Je restai sans voix un instant et lorsqu'il rencontra mon regard hébété, il sourit tristement.
- Raphaël et Anna, c'est quoi toutes ces messes basses ? demanda alors Laura en anglais.
Nous nous empressâmes de nous éloigner et de faire bonne figure.
- Rien du tout, soupira mon faux correspondant.
Juste avant de passer à table, les Scandolas s'étaient bien rappelés entre eux que devant Juliette, j'étais Anna, et surtout pas Savannah. J'avais toujours un peu de mal avec ça en toute honnêteté. Les seuls à m'avoir toujours appelée Anna était Lizzy, Jason, Marley, Alec et Cameron. J'eus alors une triste pensée à l'égard de mon cousin. J'ignorais comment il allait dernièrement. Dans mes souvenirs, Lizzy et Jason avaient l'air de dire que quelque chose n'allait pas entre Kelly et lui. Sans parler du fait qu'il était complètement dégoûté de mes sentiments pour Alec. Si seulement j'avais eu une chance de tout leur expliquer moi-même.
- Tu as l'air bien pensive, ma grande, fit alors Paul à mon attention.
Je redressai la tête et découvris qu'ils s'étaient tous mis à m'observer, mis à part Raphaël. Je souris poliment pour les rassurer et, je l'espérais, les encourager à reprendre leur discussion.
- D'où viens-tu, Anna ? me demanda alors Juliette avec un ravissant sourire.
Elle était si belle et pleine d'assurance que je me trouvai presque aussi intimidée que Stella face à elle. Je m'empressai de chasser cette impression. C'était ridicule, elle n'était pas si impressionnante.
- Du Minnesota.
Elle écarquilla les yeux.
- Tu es internée au pensionnat où enseigne Jeremy ?
Cela sonnait extraordinaire dans sa bouche.
- J'y étais internée, précisai-je, j'ai déjà eu mon diplôme alors à la rentrée que je commencerai à travailler pour un particulier.
Si seulement c'était vrai...
Juliette hocha la tête avec intérêt tandis que je répondais toujours d'un ton très neutre.
- C'est pour ça que tu es...comme en stage ici ?
- Oui, une expérience à l'étranger enrichit mon dossier. Au départ, je voulais être sur Paris, expliquai-je en lançant un regard furtif à Jeremy, mais vu que c'est ma première expérience il fallait que je sois avec quelqu'un de mon âge et Raphaël était le seul disponible cet été.
Mon ancien mentor, que je regardais à peine pour ne pas éveiller les soupçons, semblait en réalité assez stressé, en particulier à chaque fois que j'ouvrais la bouche.
- Crois-moi, tu es bien mieux ici qu'à Paris lorsqu'il fait vraiment chaud. Mais dis-moi, n'est-ce pas étrange d'être avec la famille de ton professeur ?
Si cela faisait longtemps que j'avais cessé de considérer Jeremy comme mon professeur, c'était rassurant de constater que c'était bien ce qu'il était pour moi à leurs yeux.
- À vrai dire, il n'a fait cours à ma classe qu'une ou deux fois.
- Je vois, acquiesça-t-elle en souriant poliment. Et alors, tu te sens prête à rentrer dans le monde actif à seulement 18 ans ?
« Bien sûr que non » était ce que j'avais envie de rétorquer à cette question stupide, mais je n'en fis rien. Par ailleurs, je n'étais même pas certaine d'arriver à être méchante face à quelqu'un qui me regardait avec tant de gentillesse alors qu'elle m'avait rencontrée il y avait 10 minutes. Vous savez, c'était le genre de personne qui réunissait typiquement toutes les raisons pour qu'on la détestât, mais c'était impossible.
- Ce n'est pas comme si j'avais le choix, répondis-je finalement.
- Bien sûr, je ne réalisais pas.
Un silence quelque peu gênant s'installa, jusqu'à ce que Marina s'exclamât :
- C'est dingue, quand même, on devrait vous laissez le choix au moins à 18 ans. Vous êtes si jeunes, vous devriez partir faire des études ou voyager.
Presque tous les Scandolas hochèrent la tête tandis que je la secouai. Ils voulaients tous bien faire, mais ils n'avaient pas la moindre idée de quoi ils parlaient.
- Ça ne changerait rien. On n'a pas le moindre sous en sortant des pensionnats, notre seul moyen d'avoir un toit et de la nourriture c'est d'être embauché. Les études et les voyages ce n'est même pas envisageable, nous on est ceux qui protège les gens qui vivent comme ça.
- Ouais enfin, ceux qui ont les moyens, nuança alors Raphaël.
Tous les regards se tournèrent vers lui, plus que surpris qu'il prît part à la conversation.
- Comment ça ? lui fis-je en me tournant vers lui, intéressée.
- Eh bien c'est connu, vous ne protégez que ceux qui peuvent s'offrir vos services, expliqua-t-il comme si c'était évident.
Je regardais droit dans ses yeux gris et vis que le pensait sincèrement.
- C'est complètement faux. Nous sommes trois fois plus nombreux que vous, c'est nous qui nous battons pour que vous ayez la gentillesse de nous laisser risquez nos vies en vous protégeant.
Raphaël eut un rire sarcastique.
- Je vois. Chez toi c'est peut-être comme ça que ça se passe parce que là-bas Élite est synonyme de richesse, mais c'est pas le cas partout. Stella et moi, on n'aura jamais de Soleils.
Dans un sens, il n'avait pas tort. J'oubliais en permanence que les petits frères et soeurs de Jeremy appartenait à l'Élite parce qu'ils n'étaient pas riches ni héritiers d'une position influente au gouvernement. Je n'étais pas entièrement fautive, au pensionnat, presque tous les élèves appartenant à l'Élite appartenaient également aux 24 familles du Conseil. Mais ce n'était pas le cas de beaucoup d'autres personnes et nous les protégions aussi.
- Peut-être pas dans l'immédiat, mais vous pourriez un jour. Les salaires des jeunes Soleils sont franchement minables.
- Oh vraiment ? rétorqua-t-il. Je te signale que c'est bien plus que le salaire minimum d'un humain.
Ce fut à mon tour de rire sarcastiquement.
- Encore heureux !
Raphaël me dévisagea presque avec horreur.
- T'es pas sérieuse là ?
- Bien sûr que je le suis ! m'exclamai-je fièrement. Le salaire minimum dont tu parles, il est donné à un étudiant qui travaille à McDonald's pour payer ses études, moi je suis payée pour protéger quelqu'un contre des monstres cannibales. C'est incomparable.
- C'est surtout ridicule, rétorqua-t-il en croisant les bras sur la défensive.
Le reste de sa famille semblait ne pas oser intervenir, même Jeremy, qui lui pourrait avoir son mot à dire, de telle manière que j'en oubliai que nous étions à table avec une invitée. Le monde s'était réduit à Raphaël et l'offense qu'il faisait à mon peuple.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles.
Il prit à son tour un air choqué.
- Je sais très bien de quoi je parle ! Tu crois que quelqu'un comme moi risque un jour de se faire attaquer ? Bien sûr que non, ce serait du vol de payer quelqu'un simplement pour me rassurer par sa présence.
Je secouai la tête en me mordant la lèvre. C'était aberrant.
- C'est tellement naïf de penser comme ça.
- Naïf !?
- Oui, naïf ! Les gens pensent qu'ils ne risquent rien jusqu'à ce que ça leur arrive et là bien sûr c'est trop tard ils ne peuvent plus rien faire. C'est pire que naïf, c'est stupide !
J'avais un peu de mal à croire que nous étions vraiment en train d'avoir cette discussion, mais une chose était sûre, j'avais été piquée au vif.
- Parce que tu crois que c'est vraiment vous qui faites la différence ? ricana alors Raphaël avec mépris.
Si je n'étais pas parvenue à me souvenir que nous étions en présence de sa famille, je l'aurais giflé.
- Tu sais quoi ? répondis-je à la place. Si tu penses vraiment ce que tu dis, tu ne mérites pas que quelqu'un risque sa vie pour toi.
Il plaça alors une main sur son coeur et fit une moue triste.
- Oh je suis vexé...
- Tu me dégoûtes. Tu prétends être le pauvre gars qui souffre de l'injustice de la société parce qu'il vient d'un milieu modeste, mais en réalité tu es aussi méprisant et orgueilleux que les vieux pétés de thunes qui font nos sociétés !
Je croisai les bras sur ma poitrine et lui lançai un regard chargé de défi, persuadée qu'il ne trouverait rien à répondre à cela. Mais contre toute attente, il ne lâcha pas l'affaire.
- Orgueilleux ? Moi !?
Je décroisai les bras et levai les yeux au ciel.
- Oui, toi ! Tu te crois plus malin que nous parce que tu as eu la chance de recevoir une éducation normale et c'est peut-être vrai. Oui, je n'ai pas dû rédigé une dissertation de 8 pages pour obtenir mon diplôme, à la place j'ai dû montrer que j'étais capable de tuer à main nues un être qui avait dix fois ma force. Mais être plus intelligent ne te rend pas supérieur. L'intelligence n'est rien sans la bienvieillance et la compassion, et ça tu sembles en être dépourvu !
- C'est faux ! s'offensa-t-il.
- C'est vrai ! Sinon tu ne mépriser aïs pas les gens comme moi qui ont été arrachés à leur famille à 11 ans simplement parce qu'ils étaient différents et tu respecterais notre travail !
Raphaël fronça les sourcils, perplexe.
- Quel est le rapport avec la compassion ?
Il voulait vraiment me rendre folle...
- T'es-tu déjà demandé, ne serait-ce qu'une fois, ce que l'on pouvait ressentir en sachant au centime près la valeur que l'on accorde à notre vie ?
Le petit frère de Jeremy resta muet en me regardant droit dans les yeux. Il découvrait seulement à quel point j'étais autant blessée que j'étais en colère. Je secouai la tête avec fatigue.
- Non, bien sûr que non. Les gens ne pensent jamais à ça. On n'est que des machines de combat sans sentiments et surpayées, c'est ça ?
Il baissa les yeux et porta doucement son verre de Coca à sa bouche.
- Et surdramatique, murmura-t-il juste avant de commencer à boire.
Là, je ne pus m'en empêcher. Je le foudroyai du regard et utilisai ma psychokinésie pour renverser le contenu sucré et collant sur son tee-shirt des Rolling Stones.
En sentant le liquide froid couler sur lui, il cessa de boire, la mâchoire décrochée avec colère et le regard meurtrier. Du coin de l'oeil, je vis le reste de sa famille se retenir de rire, même s'ils étaient tout aussi sous le choc.
- Oups...
D'un geste brusque et rapide, Raphaël attrapa mon propre verre d'eau à moitié rempli et me le lança à la figure. Je sursautai légèrement de surprise en recevant l'eau fraîche sur mon visage. Je me félicitai également de ne pas avoir mis de maquillage.
- Moi aussi je peux jouer à ça, ricana-t-il avec fierté.
Cette fois-ci, les Scandolas avaient échangé leurs regards amusés pour des regards chargés d'appréhension. Tout le monde ici savait que je ne plaisantais plus. D'une main, j'éloignai une mèche de cheveux mouillée qui s'était collée à ma peau tout en souriant démesurément à Raphaël, pendant que de l'autre main, j'attirai la grande carafe d'eau presque remplie à ras-bord jusqu'à moi. Avant qu'il ne pût comprendre ce qu'il se passait, je lui renversai tout le contenu de la carafe sur la tête. Il étouffa un cri de surprise et se leva précipitamment, sentant l'eau fraîche couler le long de son dos.
- Sauf que moi je ne joue pas.
Pensant qu'il lui faudrait un peu de temps pour se remettre du choc, je pris tranquillement ma serviette et commençait à essuyer mes joues. Sauf que pendant que j'eus le dos tourné ne serait-ce que quelques secondes, Raphaël s'était jeté sur la bouteille de 2L d'Ice Tea qui était à ses pieds parce qu'il n'y avait plus de place sur la table. Un instant plus tard, ce fut à mon tour de sentir le liquide couler dans mes cheveux puis le long de mon dos. Mon tee-shirt, qui auparavant été d'un blanc immaculé, revêtit une teinte entre le marron et l'orange. Les poings serrés, je me levai pour lui faire face.
- Tu vas tellement le regretter, grognai-je la mâchoire serrée.
- J'espère que tes cheveux ne colleront pas trop, grimaça-t-il.
- Je vais te...
Alors que je m'élançais vers lui, il quitta la table en courant et sortit sur la terrasse. Je le suivis sans la moindre hésitation. Les Scandolas, probablement aussi curieux qu'inquiets quant au sort que je réservais à Raphaël, se levèrent également et avancèrent jusqu'à la baie vitrée pour avoir une vue sur le spectacle. Ce dernier avait dévalé la terrasse à toute vitesse et s'était réfugié de l'autre côté de la piscine.
Quel imbécile...
Je pris tout mon temps pour descendre les marches qui séparaient la terrasse de la piscine, fixant mon adversaire avec détermination. Lorsque j'arrivais à sa hauteur de l'autre côté, il croisait tranquillement les bras, un air moqueur sur le visage, probablement persuadé que je ne pourrais rien faire qu'il ne verrait pas venir. Il ne savait vraiment pas à qui il avait affaire.
Étant Soleil de Feu, je n'avais pas la capacité d'agir sur les autres éléments, tels que l'eau, la terre ou l'air. Cependant, en plus de la psychokinésie, chaque Soleil pouvait créer des ondes magnétiques plus ou moins fortes, et elles, elles pouvaient tout altérer. J'insipirai donc profondément et, les paumes tournées vers l'eau, je créai une vague d'ondes suffisamment forte pour que Raphaël se retrouva arrosé de la tête aux pieds. Je ne pus m'empêcher de rire à gorge déployée.
- Tu ne l'avais pas vue venir celle-là, hein ?
- C'est de la triche ! cria-t-il en pointant un doigt accusateur vers moi. J'ai pas de pouvoirs moi !
Je pouffai.
- Même avec des pouvoirs tu me ferais pas grand-mal, crois-moi...
- OK, fit-il en hochant la tête.
Il s'assit alors au bord de la piscine puis battit des jambes, produisant de grands jets d'eau qui trempèrent entièrement ma jupe. Prête à jouer fairplay, je m'assis de la même manière et contrai ses projections en lui envoyant d'encore plus fortes. Rapidement les jets d'eau m'empêchèrent complètement de le distinguer mais je continuai toujours d'agiter les jambes aussi vite. Il n'était pas question qu'il gagnât.
Seulement, sans que je ne vis rien venir, deux mains vinrent s'aggriper à mes avants-bras et me tirèrent en avant. Je poussai un léger cri de surprise en tombant dans l'eau agitée. J'aperçus rapidement le visage de Raphaël, mort de rire. Nous remontâmes ensemble à la surface et je ne perdis pas un instant de plus pour créer une vague à l'unique force de mes bras et la diriger vers lui. Il en fit de même et nous nous aspergeâmes ainsi un bon moment. En fin de compte, la colère s'était rapidement dissipée pour laisser place au rire.
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