❄❄❄❄ Erra ❄❄❄❄

Je me retournai, inquiète. Je l'avais sentie, j'avais senti sa présence. Il était là, tout proche. Je devais faire quelque chose, sinon je risquais bien d'être en danger. Plus il s'approchait, plus je pouvais distinguer dans son esprit un désir de vengeance, comme l'avait supposé Madame Taylor. Qui était-ce donc ? Un gardien, cela était certain. Je ressentais une puissance magique, mais je ne reconnaissais pas mon élément. Et si le gardien responsable (ou victime) de l'accident était porteur de l'élément de l'eau ? Je me sentirais honteuse, je pense. Nous sommes une grande famille, et les gardiens d'un même élément sont tous liés d'une façon ou d'une autre. Non pas honteuse d'avoir dans ma lignée un gardien ayant échoué dans sa mission. Honteuse si je n'arrivais pas à stopper le gardien fou qui voulait se venger.

Soudain, mes sens en alerte, je vis quelqu'un s'approcher de nous. Ses yeux étaient rouges. Un gardien du feu. Pour ma plus grande surprise, il ne me calcula même pas. Un des avantages de ma faculté émotionnelle : seuls les gardiens d'un même élément pouvaient remarquer la présence de leurs semblables. Le gardien du feu ne sut donc pas que je l'espionnais, ni que j'étais moi même en mission, mais grâce à ma faculté émotionnelle, je connaissais tous ses desseins.

Tommy marcha un peu à l'écart du groupe de lycéens, afin de pouvoir avoir un peu d'espace. Il tourna à gauche, se soustrayant à ma vue. Je n'y aurais fait aucunement attention si je n'avais pas vu le gardien du feu le suivre. Inquiète, je décidai d'élaborer un plan pour le stopper. Derrière le lycée, il y avait un grand parc, où presque personne ne se rendait jamais. Ici je pourrais alors le piéger. Le feu était sans grande surprise mon élément contraire, et je pouvais le combattre. J'avançai alors lentement, essayant de le suivre. Mais une voix derrière mon dos m'en empêcha.

- Hey ! Erra. Tu fais quoi ?

Je me retournai pour faire face à Lie. J'allais répondre, mais apparemment elle n'attendait aucune réponse ni explication.

- J'vais voir Tommy et je vais au centre commercial m'acheter des nouvelles Converse. Tu viens ?

- Euh, non merci, Lie. J'ai... Des choses à faire.

Elle m'assena un coup amical sur l'épaule qui me fit perdre l'équilibre, et insista.

- Allez ! Viens, ça te changera les idées et te fera découvrir la meilleure activité du monde, le shopping !

Impressionnée. Tandis que j'allais contester, je vis avec horreur le gardien du feu fixer Tommy. Il était sa cible. La cible de sa vengeance. Mais qu'est-ce que Tommy avait à faire dans cette histoire ? Pourquoi le gardien du feu lui en voulait-il ?

- Je prends ça pour un oui. Je vais le dire à Tommy, et je reviens. Une minute.

J'eus à peine le temps de la voir sautiller joyeusement que je me rendis compte du danger qu'elle courait elle aussi. J'allais lui hurler de s'arrêter, mais je vis le gardien du feu, inquiet de s'être fait remarqué par elle, se tapir derrière un mur, de façon à ce que Lie ne le voit pas. Et cela m'offrit une diversion parfaite pour mon plan. Tant pis pour Lie, si elle ne me voyait pas ici. Elle m'attendrait, de toutes façons, en pensant que je voulais absolument faire du shopping avec elle. Mais j'avais autre chose à penser, et à faire, que d'aller la voir essayer des paires de chaussures toute l'après-midi. Si elle pouvait en plus partir sans moi, ce serait l'idéal.

Après avoir soufflé quelques mots à l'oreille de Tommy, Lie partit dans ma direction, et je pus rapidement me placer hors du champ de vision du gardien, avec l'objectif de le prendre par surprise.

Le jeune homme d'apparence (et seulement d'apparence, car en vrai il devait avoir une quarantaine d'années, mais il était coincé dans ce corps de jeune adulte d'à peine vingt trois ans) tendit à nouveau les mains vers sa proie. Je devinais dans son esprit une colère immense. Il devait vraiment vouloir se venger du gardien responsable de l'accident mémorable. Ce que je pouvais comprendre, car à cause de lui - ou d'elle - il avait dû renoncer à son immortalité. Mais ce n'était pas une raison. Il y avait sûrement autre chose qui le blessait profondément, je le sentais dans son esprit. Seulement cela était d'une telle douleur qu'il gardait cette blessure au fond de lui, la rendant inaccessible à ma faculté émotionnelle.

Je devais agir. Une flamme rougeoyante sortit du briquet de Tommy, grandissant de plus en plus. Je ne pouvais pas utiliser mes pouvoirs pour le contrer: sa faculté émotionnelle rendait ses pouvoirs invincibles, invulnérables, puissants. Il fallait que je l'empêche de nuire, de se venger. Je respirai un grand coup, essayant de me donner du courage, et posai en tremblant ma main sur son épaule. Il ne réagit pas immédiatement, et je dus utiliser mes pouvoirs pour rendre ma main froide et le soumettre à un choc de température. Ainsi pourrait-il, surpris, lâcher son emprise sur les flammes.

- Arrête, Alexandre.

Alexandre, c'était son nom. Je l'avais déniché dans un coin de son esprit. En temps normal, je ne lisais pas dans les pensées, je devinais juste la raison d'un éventuel stress, d'une angoisse, d'une peine ou d'une tristesse. Mais il avait peur d'échouer, et se répétait en boucle "tu peux le faire, Alexandre" dans son esprit. Cela m'avait permis de connaître son nom, placé en avant plan pour ma faculté émotionnelle.

Et cette aubaine porta ses fruits, puisque, déstabilisé par le froid sur son épaule, et l'évocation de son nom, que personne ne connaissait (puisque qu'il devait forcément se cacher des autres: garder le même âge pendant vingt-trois ans n'était pas anodin), il baissa les mains, et la flamme s'éteignit.

J'allais en profiter pour le stopper de mes pouvoirs, mais il partit en courant, sans me laisser le temps de comprendre. Je tapai du pied, énervée de l'avoir laissé filer.

Tommy n'avait pas l'air d'avoir remarqué ce qu'il venait de se passer sous ses yeux.

Lie me vit heureusement trop tard pour se douter de quelque chose, mais trop tôt pour que j'aie trouvé une excuse convenable me permettant d'échapper à la séance de shopping qui m'attendait.

- Erra ! Je te cherchais. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je ne savais pas où tu étais passé.

Elle me tira par le bras, apparemment satisfaite par cet énième mensonge.

- Allez, viens ! Dépêche toi, il y a des soldes dans mon magasin préféré ! Je ne vais pas attendre qu'il soit dévalisé.

Et, prise au dépourvu, je la suivis à contre-cœur, oubliant que Madame Taylor m'avait dit de venir la voir en urgence si je croisais le chemin du gardien, que je connaissais à présent sous le nom d'Alexandre.