Chapitre 15 ❄ Sur le papier
❄❄❄❄ Erra ❄❄❄❄
Avant toute chose, trouver un point d'eau. Mon regard se balada sur les différents murs autour de moi. J'aperçus un robinet extérieur. Un sourire s'afficha sur mon visage tandis que l'inconnu articulait des propos sûrement injurieux qui ne parvenaient plus jusqu'à mes oreilles. Je fixai le lavabo avec intensité. L'inconnu en face de moi était assez près. Le robinet s'ouvrit subitement sans que personne ne s'en aperçoive. Maintenant, il fallait que j'ordonne à mon élément de dévier sa trajectoire. Ma main se redressa discrètement, et d'un geste du doigt l'eau gicla en direction de la personne, qui coupa net son discours haineux et transforma son sourire supérieur en un rictus déformant son visage. Puis un petit cri aigu sortit de sa gorge et il partit l'air effrayé. Je relâchai ma pression mentale sur l'eau et la laissai suivre son chemin naturel avant de refermer le robinet. Puis j'éclatai de rire en même temps que Leyn et Lie. Tommy suivit du regard la personne d'un air de vengeance. Il avait dû s'attaquer à lui avant, et la chose tout à fait improbable qui venait de lui arriver était une bonne vengeance. En guise d'explication, Tommy grimaça :
- Il m'a écrasé son mégot de cigarette sur l'pied, quand j'suis passé en s'conde.
J'avais remarqué la tendance de Tommy à avaler ses mots et à n'en dire que la moitié. Cela m'impressionnait réellement, je me disais qu'il maîtrisait si bien la langue française qu'il l'avait apprivoisée et reconstruite à sa façon. Mais ce qu'en disait le professeur de français montrait pleinement que maîtriser cette langue, ce n'était pas avaler ses mots, c'était créer des jeux de mots et des phrases aussi incongrues qu'insensées, tels les poètes de l'époque. C'est ce que j'avais appris en lisant les poèmes que nous donnait notre professeure de français, qu'elle qualifiait de "merveilleux, si poétiques et majestueux".
Leyn se rapprocha de moi en riant. Il me mâchait le travail, je n'avais pas à venir le voir moi-même. Nous avions cours de physique chimie, puis de SVT juste après. Deux nouvelles matières pour moi, ce qui me permettait d'avoir une chance de trouver une place à côté de lui.
- Ça te dit de sortir, ce week-end, avec les autres ? Le père de Tommy travaille à l'aquarium, il avait quatre places depuis longtemps, et on attendait de trouver quelqu'un avant d'y aller.
J'acquiesçai, pleine de gratitude envers eux, bien que je ne connaisse pas la signification de ce mot, "aquarium", mais ça avait l'air divertissant. Je profitai d'un moment de distraction de sa part pour demander à ma lettre ce qu'était un "aquarium". La réponse que je reçus m'enchanta. "Le paradis des espèces aquatiques" disait la lettre.
Leyn revint vers moi, me confirmant que nous pourrions y aller samedi. C'était réellement ce que j'attendais de cette venue sur terre, découvrir des espèces animales de tous genres. Un espoir naquit alors dans mon esprit. Et si, là bas, je voyais Allie ?
❄❄❄❄ Leyn ❄❄❄❄
L'incident de ce matin avait éclairé notre journée. Nous avions ri une bonne dizaine de minutes, pensant encore et toujours à l'expression faciale que nous avait laissé paraître la personne - dont je ne connaissais d'ailleurs pas le nom. Tout en montant les marches, je me dis que je connaissais déjà beaucoup Erra. Cette faculté à comprendre vite la caractère des personnes qui m'entouraient, je l'avais depuis petit. Et personne n'avait jamais échappé à mon analyse rapide. Mais pour Erra, c'était assez complexe. J'avais cerné son caractère le jour même, ce qui ne m'arrivait que très peu de fois. Et puis, jours après jours, j'avais découvert de nombreuses choses qui mettaient en péril mes premières impressions sur elle. Comme si chaque chose qu'elle disait, ou même qu'elle inspirait, n'était que mensonge. Pourtant, elle avait l'air d'une sincérité débordante, ainsi que d'un naturel et d'une joie non condamnables. Mais les meilleurs menteurs ne sont pas forcément ce qu'ils nous laissent paraître.
Je montai quatre à quatre les marches pour rejoindre le cours de physique-chimie. Le cours suivant m'angoissait, nous avions sciences, et j'avais peur de voir mon contrôle entre mes mains, puis directement dans la poubelle - là où finissaient la plupart des contrôles de SVT - avec les autres, parce que ma note sur cinquante points ne contiendrait qu'un seul chiffre.
Le cours de physique chimie se passa dans la crainte du cours suivant. Erra avait été installée au fond de la classe, dernière place disponible.
Je trainai des pieds pour arriver devant la salle de sciences. Mon seul espoir était qu'elle n'ait pas eu le temps de tout corriger, ce qui était fort probable, mais dans tous les cas je ne pourrais pas échapper au jugement ultime très longtemps.
Je m'assis comme à mon habitude aux côtés de Lie. Après nous avoir annoncé pour le plus grand soulagement de tous qu'elle n'avait pas regardé nos copies, elle se présenta à Erra, puis son visage s'éclaira.
- Eh bien mets toi à la place de Lie, je vais lui trouver une nouvelle place. Peut-être que n'avoir personne à qui parler permettra à Leyn de se concentrer un peu plus sur mon cours.
Très sympathique le "personne" destiné à Erra. Pourtant malgré cette maladresse, Mme Cristac avait l'air d'apprécier sa nouvelle élève souriante.
- Bien. Commençons. Il nous reste deux grands thèmes à étudier. En temps normal je ne vous aurais pas laissé le choix, mais je suis de bonne humeur, alors je vais laisser Erra décider.
Mme Cristac lui expliqua brièvement en quoi consistaient les deux thèmes, et un murmure se propagea dans la classe, essayant de faire entendre la voix de ses créateurs. Mais Erra ne se laissa en rien influencer, et énonça tout haut :
- Je choisis "Des ressources naturelles à protéger". Je pense qu'il est primordial de penser à notre planète qui nous donne tant sans aucun retour.
Certains protestèrent en vain, et notre professeure la félicita pour son choix, commençant ainsi son cours en souriant, pour la première fois depuis que nous la connaissions...
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