❄❄❄❄ Leyn ❄❄❄❄

En descendant la pente menant au fast food, une idée germa dans un coin de ma tête. Une idée aux intentions si floues et insensées que personne ne me prendrait au sérieux. Une idée si folle pour parvenir à mes fins que cela pourrait bien marcher. Une idée dans laquelle Madame Taylor jouait un rôle primordial. J'étais une personne des plus honnêtes, disant toujours la vérité à qui voulait bien l'entendre. Pour moi l'honnêteté ne rimait pas avec "dire toujours ce que l'on pense", comme se vantaient certaines personnes. Le mensonge par omission n'avait pas le même but, il servait dans la majorité des cas à protéger les autres des pensées malveillantes qui rodaient à leur égard dans les esprits des gens, pourquoi pas même dans le nôtre.

Mais je devais mentir. Pour comprendre ce que cachaient les deux voisines qui de leurs secrets et complots m'enfermaient dans une spirale de doutes à laquelle seule la vérité était la clé de ma survie, mais peut-être aussi le poison qui les tuerait. Pour tout cela, je devais le faire. Mais non pas sans alliés. Lie et Tommy seraient parfaits, mais comploter en groupe contre une personne seule n'étaient pas dans nos principes. Mais j'avais tout le temps d'y réfléchir.

J'arrivai devant l'enseigne, observant chacun des mouvements et des expressions de visage d'Erra. Elle était revêtue de son visage à l'expression émerveillée, que je commençai à bien connaître, mais qui cachait sûrement quelque chose de plus mystérieux. Lie allait pousser la porte du restaurant, mais je la retins par le bras de la façon la plus naturelle possible, essayant de la retarder. Je voulais voir comment Erra s'en sortait devant une porte à battants. Mais voyant que je retardais Lie par le bras, elle s'arrêta à son tour, et ce fut Tommy qui finit par le faire, exaspéré de nous voir piétiner en attendant que la porte s'ouvre pour nous. Erra se positionna en troisième place à côté de Lie, et nous suivit. Je décidai alors d'abandonner un instant, elle était plus douée que moi en matière de mensonge. Si seulement elle mentait, car plus le temps passait, plus elle me paraissait sincère. Mais j'essayai tout de même d'y voir plus clair dans son jeu.

Tommy désigna une table, et pendant que les filles restaient garder nos affaires, nous deux allâmes commander. Erra avait commandé "la même chose que Lie", et je n'avais pu m'empêcher de le remarquer. Il fallait que je lâche prise, du moins jusqu'à la fin du repas. Une fois les burgers commandés, nous nous mîmes à parler des ragots et des rumeurs qui circulaient en ce moment. Comme j'étais têtu, et que personne, pas même ma propre conscience, ne pouvait effacer un objectif qui s'était ancré dans ma tête, je ne pu m'empêcher de scruter Erra. Elle mangeait avec plaisir cet aliment nouveau (si l'on peut vraiment parler d'aliment), au poisson. Oui, au poisson, immangeable, je sais. Pourquoi aller dans un fast-food si c'est pour manger un burger au poisson ? Mais Lie était végétarienne, et comme Erra avait pris la même chose...

Le repas se termina sans encombre. Pour les autres. Car en moi naissait une petite flamme attisée par le regard d'Erra. Indescriptible sentiment. Dont, malgré la signification évidente, je ne connaissais pas la cause...

❄❄❄❄ Erra ❄❄❄❄

Après ce sympathique repas tous les quatre, où je n'avais pas lâché des yeux ma future proie, nous avions eu le droit à un cours d'histoire. La moitié du temps, Lie, installée un rang derrière moi, m'avait parlé, jusqu'à finir par se lasser, et j'avais pu écouter ce cours qui m'intéressait beaucoup, sur l'histoire de cette planète, sur l'histoire de ce pays, sur l'histoire de cette ville. Certains chuchotaient "ça sert à quoi d'apprendre ça, le passé ne bougera pas, de toute façon" et d'autres avaient dit une phrase qui avait choqué Leyn: "Bah ils sont tous morts, on s'en fiche de leur vie". Leyn s'était alors retourné malgré les avertissements du professeur, et avait répliqué: "Sans eux, nous serions peut-être sous occupation nazie, à ne plus pouvoir faire un pas sans être épiés, comme tous ces enfants persécutés à cause de leurs origines, dont la jeunesse a été purement gâchée. Ces personnes sont mortes pour nous, et connaître leur histoire nous aide à ne pas reproduire les erreurs du passé".

À vrai dire j'étais assez impressionné par l'énergie qu'il mettait pour défendre ses valeurs, ses pensées, ses convictions. Dans sa façon d'argumenter, de persuader autant que de convaincre, il me ressemblait. C'était un garçon qui me paraissait honnête, courageux par ses propos, et intelligent par son raisonnement au quotidien. Mais je ne m'y attachais pas pour autant.

❝ Un gardien ne peut ressentir quelconque attachement envers un humain, pour cause d'une barrière émotionnelle ne pouvant être déjouée seulement par son inverse, la faculté émotionnelle, propre à chaque gardien ❞

Je rentrai dans mon petit appartement, posai d'un air détaché mon sac contre le canapé du salon et m'affalai sur mon lit. Et si j'échouais ? Je ne devais pas penser à cela. Je devais réussir coûte que coûte. Pour Allie, pour mon élément, pour ma planète, je ne devais pas. Il fallait que je mette un plan à exécution. Un après-midi, en rentrant du lycée. Le temps d'une brève hésitation, d'un esprit ailleurs... Le temps d'une faiblesse. Et, enfin, je pourrais souffler, être rassurée, et vivre tranquillement mon avenir paisible, linéaire et tout tracé, avec en récompense le poids de la pollution terrestre sur mes épaules. Mais le temps n'était plus à penser, à se morfondre sur un sort des plus enviés, celui d'un immortel. Non, le temps était à agir, à préparer le terrain, connaître ses faiblesses, tout en découvrant le monde et les humains que j'étais censée protéger. Ce week-end était l'occasion parfaite pour préparer l'attaque imminente qui le menaçait de mort. Et Lundi, après le cours d'allemand auquel Leyn et Lie assistaient (Tommy faisait Espagnol), nous devions rentrer seulement tous les deux. Et, alors, j'attaquerai.