A mon réveille, je me trouve dans un petit lit dans une pièce lugubre. Chez Amé en sommes. Elle n'a d'ailleurs toujours pas changé sa litterie.

Je n'ai pas le temps de bouger que la porte s'ouvre sur Amé qui me lance sans perdre de temps :

-Tu es bien étrange... Nous t'attendons dans la pièce d'à côté.

Elle referme la porte me laissant seul. Tout seul.

Non, ne me dites pas que j'ai pété un câble ? Oh non, je vais avoir droit à un interrogatoire ! D'ailleurs, ils ont dû me prendre pour un fou il y a... Il y a combien de temps ? On est quel jour ? Il est quelle heure ? En quelle année ? Maman va bien ? Papa, Lucas et Manon aussi ? Tout est bien réel ? Ma tête... Je vais me lever, terminer cette histoire, rentrer chez moi et... ça recommenceras. Ne déprime pas ! Bon allez, courage, c'est parti pour l'interrogatoire.

Je me lève en direction de la porte avec un mal de ventre indescriptible, sûrement à la vague de panique qui vient de s'abattre sur moi, et je me force quand même à croire que tout ira bien.

-Yo ! s'exclame Théo en me voyant.

-Tiens ? Le lunatique est réveillé ? dit Liz en souriant.

Bon, ça commence bien. Comment ça "lunatique" ? J'ai juste un peu été manipulé par mes émotions, c'est tout, nous n'allons pas en faire tout un plat.

Ils sont tous assis autour d'une table brune usée à vue d'œil. Dessus, il y a des canettes de soda et des gâteaux qui me sont inconnus. Quelques classeurs et feuilles sont posés bien proprement dans un coin.

-Bon, on va parler ! clame Kelly en posant brutalement la canette qu'elle tient.

Le fait qu'elle ait parlé fort ou que quelques gouttes soient tombées sur la table, ne semble pas faire plaisir à Amé qui la regarde de travers.

-N'essaie pas de t'enfuir ou de devenir aussi étrange que tout à l'heure ; ajoute Raphaël en me regardant droit dans les yeux.

J'ai l'impression d'être un criminel sur le point d'être jugé.

-Oui, il va y avoir des révélations ! Ne nous fait plus attendre ! Qu'as-tu vu dans la sphère grise ?! me demande Liz toute joyeuse. On veut tous les détails.

Elle aime vraiment voir les gens mal. Je ne tiens pas à leur raconter ma vie, je vais donc passer quelques détails.

-Un moment désagréable de ma vie ; dis-je en baissant la tête.

J'entends quelqu'un soupirer, puis je sens une main attraper mes cheveux et lever brutalement ma tête. La tête d'Amé est tellement terrifiante que j'oubli instantanément la douleur de mon cuir chevelu.

-Ecoute-moi bien, on veut juste savoir ce qui te tracasse, comment veux-tu que l'on te fasse totalement confiance si tu nous caches des choses si importantes ? Maintenant si tu ne veux pas que je te fasse boire, de façon peu élégante, une potion d'obéissance, répond à nos questions.

Elle relâche mes cheveux comme si elle avait été piquée par un insecte, et se renfonce dans son fauteuil de maîtresse de maison, un peu à l'écart de la table. Sans me lâcher du regard.

Elle peut faire ça ? Là, j'ai plus le choix, je suis obligé de leur dire. Par contre, ils n'ont pas intérêt à me juger sur une certaine partie. De toute façon, plus je tarde à leur dire, plus ce sera difficile. Courage, viens à moi !

-En fait-

-Pas "en fait", explique nous tout. Tout ; me coupe Amé en me fixant toujours si intensément.

En général, quand on me regarde droit dans les yeux, ça ne me dérange pas, sauf que maintenant, quand Amé me regarde... ça me donne l'impression qu'elle scrute mon âme dans les moindres recoins. Ce qui est assez flippant à vrai dire.

-Quand je suis entré en seconde, au bout de quelques semaines...

Sans m'en rendre compte, ma voix se perd dans le vide. Raphaël me fait la remarque et je reprends d'une voix plus assurée, après tout, je ne perds pas grand-chose, même je ne perds rien.

-Au mois de novembre, une fille de ma classe a dit à tout le monde que j'étais un sorcier maudit et, grâce à ça, j'ai perdu les amis que j'avais réussi à me faire ; lancé-je en fermant les yeux. En plus, vu qu'on est dans un petit lycée tout le monde se connaît, et vous savez... quelques soit la rumeur lancée par une populaire... Aussi absurde soit-elle, on y croit dur comme fer !

Voilà ! Maintenant, il y a un silence de mort ! Même une bibliothèque fait plus de bruit qu'actuellement. Je savais que je ne devais pas en parler.

-Que lui as-tu fait ? lance Théo en rompant le silence.

-Je ne lui ai rien fait.

-Ce n'est pas logique, personne ne lancerait une telle rumeur, de plus, pourquoi tes amis ont été surpris ? Je veux dire, on vit dans un monde magique ! renchérit-il en levant les mains en l'air.

-Il n'a pas tort. Ce n'est pas étrange d'être un sorcier. Regarde Amé ; affirme Liz en montrant Amé.

-Pardon ? s'offusque Amé en mettant une main sur sa poitrine. Je ne suis pas une sorcière, ce n'est pas parce qu'on me surnomme ainsi que c'est le cas. D'autant plus que ce gars n'est clairement pas armitiens.

-Oui, il est terrien ; affirme Raphaël.

Je ne leur avais pas dit ? Mince alors... J'avais complètement oublié. Au moins maintenant, ils le savent. Plus de surprise.

-Tu es quoi ? s'étrangle Liz en se levant brusquement de sa chaise. Mais c'est impossible !

-Là n'est pas la discussion Liz ; dit Raphaël en prenant un gâteau. Aurélien, je me demande comment tes amis ont eu plus confiance en une simple camarade « populaire » qu'en leur propre ami. Aurais-tu une réponse à nous donner ?

Je me le demande aussi. A vrai dire, je ne le sais pas moi-même. Apparemment "j'attire" les gens d'après cette fille, pourtant je n'avais qu'une petite bande d'amis. D'autant plus que mes précédents amis du collège et de primaire n'ont jamais duré longtemps... La seule personne avec qui je suis toujours en contacte depuis la primaire, c'est Dorian. Mais, serait-ce une réponse pour eux ? Enfin, avec tout ce que je leur ai dit, autant leur dire ce qu'elle m'a dit.

-D'après cette fille, je donne trop rapidement confiance aux gens.

-Comment ça ? demande Raphaël.

-Je ne sais pas, elle m'avait dit que pour un humain, réussir à sympathiser avec le trois quart de son lycée en à peine deux mois, est trop suspect.

Quoiqu'en y réfléchissant, c'est assez suspect. Pourtant je suis sûr d'être entièrement humain, j'en suis sûr et certain. C'est bien marqué sur mon livret de famille que je suis le fils de mes parents ! Et ce sont bien des humains !

-Je vois... ; commente Amé semblant réfléchir.

-Est-ce tout ? me demande Kelly, mettant ses coudes sur la table pour tenir sa tête dans ses mains.

-Après elle s'est peut-être vengée, étant donné que j'ai refusé de sortir avec elle ; ajouté-je sans faire attention.

Mince, j'aurais dû faire l'impasse sur ce genre de souvenir, rattrape de suite ces mots.

-Une fille ne détruirait pas la vie sociale de quelqu'un pour ça. Quel détail n'as-tu pas mentionné ? me questionne Théo en ouvrant une canette. Ah, prend une canette si tu veux.

Il me tend une canette bleu que je saisis sans pour autant l'ouvrir. Je me contente de la tripoter en guise d'anti-stress.

Après tout je n'ai pas soif, même si c'est gentil de leur part de proposer.

-Devant tout le monde ; chuchoté-je en évitant leurs regards.

Un nouveau silence, beaucoup plus oppressant que le premier, vient nous rendre visite.

Liz finit par exploser de rire, Kelly est victime de sombres-saut la tête baissée et les autres ont juste les yeux écarquillés.

-Devant tout le monde ? Répète en articulant Liz. Mais tu es odieux ! Faire ça à une fille, c'est la mort assurée ! Tu ne l'auras pas volé !

-J'allais quand même pas lui dire « oui »pour la plaquer quelques heures plus tard. Rétorqué-je en la regardant. Elle m'avait tendu guet-apens, tout de même !

Kelly éclate soudainement de rire, suivit de près par Amé. Elles n'arrivent qu'à s'arrêter quelques minutes plus tard, à force de repartir dans un nouveau fou rire au bout de quelques secondes.

-Liz, je voudrais te parler en privé, tu peux venir ? demande Amé en essuyant l'une de ses larmes.

-C'est surprenant venant de ta part, mais d'accord, j'arrive ! lance Liz, guillerette.

Lorsqu'elles partent, Kelly, toujours en train de se marrer, et Raphaël décident d'aller se reposer dans les petites chambres que leur a assignées Amé. Leurs chambres sont aussi petites et miteuses que la mienne, mais pour une nuit, on s'y fait. Et puis ça m'étonnerait qu'Amé ait décidé de faire de sa demeure une chambre d'hôte.

Théo me demande des détails sur mon monde, je lui en donne plusieurs en ajoutant qu'il n'est pas aussi super que le leur. Mais il a l'air impressionné. Il me demande également comment je suis arrivé sur Armitas. C'est-à-dire le moyen que j'ai utilisé. Je lui dis que ce qui m'a permis d'arriver ici est un secret, mais que je veux bien lui dire, s'il me promet de ne le dire à personne. Ce sera à moi de le dire. Il me le promet, je lui dis alors.

Cette nuit j'ai du mal à dormir, et une fois endormie, je la revois. Cette jeune fille, mais ça ne ressemble pas à la dernière fois, le décor à changer. Un souvenir.