CHAPITRE 2
- Vous devriez aller dormir, capitaine.
Léocadie releva les yeux sur Tal, son commandant en second. La Jancienne avait servi sous les ordres de son meilleur ami, Calahan Reese, à bord du Nicodemus. Ça aussi, c'était une drôle d'histoire, pensa-t-il en levant les yeux du rapport dont il ne voyait plus les lignes.
Il lui sourit, fatigué.
- Ça va aller, Commander. Il y a encore beaucoup à faire et...
- Capitaine, c'est calme et vous n'êtes plus de quart depuis... longtemps, contra la jeune femme. Nous pouvons veiller sur le navire.
- Sauf que nous sommes en état d'alerte depuis qu'un escadron murien est passé dans la zone 7.
- Oui et il a été intercepté par le Warranty, continua la jeune femme. Et Icare le rejoint avec ses fighters. Le navire est au maximum de ses capacités depuis Eluria. Ils ne craignent rien.
Léo coula un regard las à la Jancienne. Elle avait réponse à tout et ça l'énervait – surtout au « Les deux mêmes » qu'elle murmura. Mais comment avait fait Call, d'autant plus que son ami la lui avait fortement recommandé.
Elle avait toutefois raison : cela faisait trente-deux heures qu'il était sur la passerelle et il était fatigué. Ce n'était pas quelques heures de repos qui allaient changer grand chose à leur situation. Il se leva et fit signe qu'il lui laissait les commandes du Saphir.
- Le Commander Calan prend la passerelle, annonça-t-il.
Il prit la porte puis l'ascenseur pour rejoindre ses quartiers. Une fois à l'abri des regards, il se permit de souffler. Ses épaules s'affaissèrent, son visage montra les signes de fatigue des longues heures à rester debout, à scruter chaque écran dans la salle de contrôle. Il se pinça l'arête du nez dans un soupir.
Il prit une douche, longue, chaude et apaisante avant de se sécher. Puis, passant juste un boxer, il s'allongea dans son couchage. Il fixa le plafond. Tal avait raison, il avait besoin de dormir mais il avait peur. Enfin ce n'était pas vraiment le terme exact mais il appréhendait parce que ça faisait dix ans. Aujourd'hui. Et que chaque année, à cette période, il faisait des cauchemars.
Dix ans depuis qu'Andie était mort. Il se demandait souvent ce qu'ils seraient devenus si son fiancé était rentré à la maison ou s'il n'avait tout simplement rien dit. Seraient-ils encore ensemble ? Seraient-ils séparés ? Il penchait plus pour la seconde option mais, au moins, Andie serait en vie et Léo ne se sentirait pas aussi coupable. Les regrets étaient la pire chose qui puisse arriver à quelqu'un.
Il en avait parcouru du chemin depuis ce moment fatidique. Il avait passé trois jours enfermé chez lui, à déprimer, ignorant les appels de sa famille, de ses amis, de Benedict. Surtout de Benedict. Puis il s'était mis une claque et avait décidé de tourner la page – ou le pensait-il. Il était allé trouver le doyen de l'Académie, l'amiral Canton, et lui avait fait part de son envie de quitter la Terre. Il ne voulait pas arrêter sa carrière, au contraire, il voulait aller sur Lagoon. Le haut gradé lui avait déjà offert cette opportunité. Léo avait choisi de suivre Andie mais là, il n'y avait plus d'Andréas Lanstrong. L'amiral l'avait écouté faire son plaidoyer et avait finalement accepté de lui donner cette chance d'entrer dans la meilleure académie de la Fédération.
Après avoir vendu son appartement et d'autres affaires, Léo était parti pour Lagoon, une des planètes du système Locque, plate-forme stratégique. Là-bas, il avait refait sa vie, sans trace d'Andie, sans souvenir triste.
Sa formation s'était intensifiée comme le voulait le programme spécial qu'il avait intégré. Il était sorti lieutenant au bout d'un an au lieu des deux habituels dans une autre école. On lui avait confié quelques commandements : le transport de troupes, la logistique, il avait secondé le colonel Banks à bord du France – un croiseur de classe B – puis le lieutenant-colonel Hans sur le cuirassé Houda. Cela avait été des postes importants et au bout de six ans, l'État-major lui avait confié le commandement du Saphir avec le grade de capitaine.
- Déjà trois ans, souffla-t-il en fermant les yeux.
Le Saphir était un patrouilleur de classe A2. Pas le meilleur des meilleurs – actuellement les A1 comme le Perle – mais pas le pire non plus – les B4. Léo tenait son vaisseau avec une main de fer tout en respectant son équipage. Il avait à son bord un escadron de vingt fighters pour la protection. C'était peu par rapport à un cuirassé ou un croiseur mais c'était suffisant pour leur mission. Ses hommes et femmes étaient au nombre de quatre-vingt-seize, de toutes races confondues, et il veillait sur leur vie.
Il soupira en enfouissant la tête dans le coussin. Depuis Andie, il n'avait pas eu de relations sérieuses. A peine quelques coups d'un soir quand il était en permission et encore, c'était juste un besoin physique. Une envie soudaine à évacuer. Rien qui ne pourrait le faire souffrir et c'était bien comme ça. Pas d'attache, pas de douleur. Pourtant, il avait été bien pendant les quelques mois qu'il avait passé à fréquenter un Mandran. Jensen était ingénieur en chef sur le Houda. Il avait une peau d'un rose tirant sur le rouge léger et des yeux d'un noir profond où il s'était perdu à chaque étreinte. Les Mandrans étaient un peuple mystique, très proches de la Nature et Jensen lui avait fait l'amour avec le même dévouement : lent, contrôlé, profond et intense. Il rougit en se rappelant la conversation avec Calahan : l'ancien capitaine du Nicodemus avait vécu des moment similaires avec un Mandran. Ils s'étaient regardé d'un air gêné avant d'éclater de rire en lâchant un « Le peuple du Sexe Mystique ! ». Parce que oui, c'était un Art à ce niveau-là.
Perdu dans ses pensées, il finit par s'endormir mais ce fut une alarme qui l'éveilla, une heure plus tard, en sursaut. Il prit deux secondes pour comprendre qu'ils se faisaient attaquer alors que la lumière rouge pulsait dans sa chambre.
- Commandant, ici la passerelle.
Il enfonça le bouton de l'intercom et répondit tout en repassant sa combinaison.
- Ici Brigman. Au rapport !
- Un croiseur murien, monsieur.
Léocadie frissonna. Il ne ferait pas le poids face à un bâtiment équipé pour le combat.
- J'arrive, faites sortir les fighters et appelez le central et demandez du renfort !
- A vos ordres.
Il passa sa combinaison et ses chaussures puis courut rejoindre la passerelle où ses hommes étaient fébriles et concentrés à leur tâche. Déjà on sentait quelques secousses.
- Commander, la situation ?
- On l'a pas vu arriver, capitaine. Il a débarqué de nulle part.
- Comment ? demanda-t-il à son second.
- Je ne sais pas, avoua-t-elle avec sérieux. Lan avait les yeux rivés sur l'écran, Peaton sur l'écoute. On n'a rien vu arriver...
- On aurait dû enregistrer des fréquences de sortie de distorsion, commandant, souffla Peaton. Mais rien, pas un mouvement !
- Impossible.
Léo prit place sur son fauteuil et donna ses ordres.
- L'État-major ?
- En ligne dans six secondes. Cinq, quatre, trois... »
Une secousse fit frémir la coque du navire et Léo grogna.
- Peaton !
- Voilà, on est en ligne.
- Central, ici le capitaine Brigman, commandant du patrouilleur Saphir.
- Saphir, ici Central, je vous écoute.
- Nous subissons une attaque d'un croiseur murien. Le radio vous envoie notre position. Nous avons besoin de soutien.
- Coordonnées reçues, nous faisons au plus vite.
- Central, faites vite. Saphir, terminé.
Léo fit signe de couper la communication. Les secousses continuaient à faire vibrer le patrouilleur. Le capitaine donna ses ordres. Tout allait vite. Il le fallait sinon ils allaient finir exploser dans ce vaste univers.
- Commandant, les boucliers sont à 62% de leur capacité et ça chute, l'informa son officier défense. 51%... 49%...
- Commandant, nous avons une brèche en section 42, un début d'incendie en 23.
- Faites condamner les zones sinistrées et mettez les boucliers avant aux trois quarts. Les batteries 1 à 8 doivent donner toute leur puissance de tir, il faut toucher le croiseur !
Les ordres fusaient tandis que l'état du bâtiment se dégradait. Il y eut un tir de plus et la passerelle s'écroula en partie. L'alarme incendie retentit. Ils ne tiendraient pas plus longtemps...
- Saphir, ici Imperator, vous m'entendez ?
L'intercom grésillait. Le radio était mort sur le coup. Tal toussait fortement en dégageant une poutre qui était tombée sur elle.
- Imperator, ici Saphir, grogna-t-elle en parvenant à la console. La passerelle est touchée, notre navire est en sale état. Nous ne tiendrons pas !
- Saphir, on s'occupe de tout. Terminé !
Tal soupira, soulagée.
- Commandant ! L'Imperator prend les commandes. Commandant ? Léocadie ?
Elle appela une nouvelle fois mais Léocadie ne lui répondit pas. Tandis que les autres officiers de pont reprenaient le contrôle de leur vaisseau éventré, Tal et Klax dégageaient les tôles et autres décombres qui étaient tombés sur le fauteuil du capitaine. Ils faisaient attention tout en essayant d'être rapides. Ils craignaient le pire...
Ils trouvèrent leur commandant inconscient. Le plafond lui était tombé dessus et l'avait assommé. Il était blessé.
- Klax, aide-moi !
Tal et l'ingénieur extirpèrent l'homme de là en faisant attention. La jeune femme arracha une de ses manches pour faire un garrot.
- Imperator, faites vite !
Son murmure était comme une prière alors qu'elle observait son capitaine, pâle comme un linge. Elle lui caressa la joue avec douceur et inquiétude. Icl était en vie, c'était le principal.
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