Le couple qui avait suivi les détectives était très élégant et ils allaient parfaitement bien ensemble. Maggie, qui avait pourtant un grand sens de l'observation et une mémoire visuelle très développée, n'arriva pas à trouver quel aurait pu être leur enfant.

           La femme était légèrement potelée mais ses formes lui étaient harmonieuses, une femme pulpeuse. Elle était brune avec de beaux yeux verts clairs, portait un pantalon de ville noir avec une chemise blanche rayée noire ainsi qu'un blaser, de la même couleur que le pantalon. Une tenue très sobre. Ses cheveux étaient coiffés en un parfait chignon banane, ce qui la rendait encore plus sérieuse. Son maquillage était très superflu, comme si elle l'avait étalé rapidement, sans vraiment faire attention à ce qu'elle faisait, mais cela lui allait bien, c'était tout aussi sobre. À ses oreilles pendaient une paire de boucles d'oreilles qui devaient sûrement coûter plus cher que la voiture de Maggie pensa cette dernière, de même que pour l'alliance qui ornait son annulaire gauche.

        L'homme était chauve, avec un crâne reluisant, et une barbe naissante. Il portait un costume noir, une chemise blanche et une cravate rouge. Encore beaucoup de sobriété dans cette tenue. Il ne lui manquait plus qu'un code barre à l'arrière de la tête songea Maggie, ce qui eut pour effet de faire apparaître un léger sourire sur le coin de ses lèvres. Il tenait un petit attaché-case qui ne devait le quitter que très rarement imagina la détective. Mise à part son alliance, il ne portait aucun bijou.

         Marina avait apporté deux chaises supplémentaires dans le bureau pour que tout le monde puisse s'asseoir. Chacun prit place sur une chaise et l'interrogatoire commença.

« —Alors, commença Ewen en se raclant la gorge, pour commencer vous êtes les parents de ?

—Eva, lui répondit sèchement la femme. »

         Maggie se saisit de sa feuille concernant Eva et était prête à noter tout ce qui allait être dit.

« —Puis-je avoir vos noms et prénoms s'il vous plaît ? demanda Ewen.

—Amélie et Quentin Delarosa. »

         Visiblement ce sera madame Delarosa qui répondra principalement aux questions.

« —Connaissiez-vous Driss Melcher, la victime ?

—Vous nous suspectez ?

—Non, ce sont juste de simples questions de routine.

—Nous ne connaissons pas ce jeune homme, mais nous sommes désolés de ce qui lui est arrivé.

—Votre fille ne vous en a jamais parlé ?

—Si elle l'a fait, ce ne devait pas être récurrent ni important puisque son nom ne nous dit rien. »

         Nous, elle ne le laisse pas en placer une pensa Maggie mais il faut qu'Ewen arrive à le faire parler. On aurait dit qu'il lisait dans ses pensées puisque le jeune détective demanda :

« —Et vous monsieur Delarosa ?

—Ma fille n'a pas l'habitude de me parler de ses petits amis, dit-il d'un ton totalement neutre.

—Maggie ? »

          La jeune femme sursauta, elle ne s'attendait pas à ce qu'Ewen lui parle, ni personne d'autre d'ailleurs.

« —Oui ?

—Est-ce que tu peux aller chercher Raphaël pour lui demander une photo de la victime s'il te plaît ? Je vais prendre les notes à ta place.

—Tout de suite. »

          Maggie sortit de la pièce et se mit en quête du journaliste. Il fallait faire vite car elle ne voulait pas manquer trop de détails de l'interrogatoire, les choses qu'elle ne pouvait pas noter mais qu'elle gardait précieusement dans sa tête et les choses qu'Ewen ne verrait pas. Elle finit par trouver le journaliste dans le jardin, il s'entretenait avec le lieutenant Messant.

« —Raphaël, appela-t-elle soulagée de l'avoir trouvé rapidement.

—Oui ? fit-il en se retournant vers la jeune détective, la lieutenant Messant faisant de même.

—Est-ce que tu as une photo de la victime s'il te plaît ?

—Djamila en a une normalement dans le dossier.

—Djamila est partie avec le dossier.

—Vous n'êtes vraiment pas organisés. Je vais en chercher une dans ma voiture, mais il faudra que tu me la rendes, c'est pour mon article.

—Il y a plus important qu'un article. »

         Raphaël haussa les épaules et se dirigea vers son véhicule garé un peu plus loin. Pendant qu'il cherchait sa précieuse photo, le lieutenant Ludivine Messant engagea la conversation :

« —Vous vous en sortez avec les parents ?

—On commence, mais je sens que ça ne va pas être une partie de plaisir.

—On dit toujours que les ados sont insupportables, mais c'est parce qu'on ne s'intéresse pas assez à leurs parents.

—Vous avez des enfants ?

—Non, je préfère le travail. Et je déteste les enfants. »

        Elle avait dit ça avec un sourire tendre, presque maternel. C'était tellement ironique.

        Raphaël revint avec la photo en main.

« —J'ai cru que je l'avais perdue mais non, elle était juste tombée sur le côté du siège passager. »

        Il tendit la photo à Maggie qui s'en saisit précautionneusement et le remercia avant de retourner auprès d'Ewen. Elle n'avait pas vu Driss de son vivant — ni mort d'ailleurs – alors, sur le chemin, elle détailla la photographie. Il était beau garçon. Des yeux bruns très sombres, un sourire en coin avec des dents blanches et droites. Un grain de beauté sur la joue droite et juste ce qu'il fallait de gel dans ses cheveux bruns coupés courts. La photo devait sûrement avoir été prise en même temps que la photo de classe, ce genre de photos individuelles qui sont les mêmes chaque années mais qui font toujours autant plaisir aux grands-parents quand on leur offrait. Si on avait encore ses grands-parents pensa amèrement Maggie qui ne savait rien d'eux, même pas s'ils étaient encore en vie.

         La jeune femme arriva devant la porte du bureau. Elle allait entrer mais elle hésita avant de finalement frapper.

« —Entrez ! ordonna Ewen. »

         Maggie entra donc dans la pièce et se réinstalla à la place qu'elle avait laissée quelques minutes plus tôt. Elle tendit la photo à son collègue qui prit quelques secondes pour l'analyser, car lui non plus n'avait encore jamais vu leur victime, et il la tendit aux parents d'Eva.

« —Il ne vous dit rien non plus sur cette photo ?

—Non, répondirent-ils en chœur. »

         Ils rendirent donc la photo au détective qui avait pris un air abattu.

« —Bon, se reprit-il. Donc je vous demandais si votre fille avait un comportement étrange ces derniers temps ?

—Elle a été stressée par le bac alors elle se mettait en colère pour tout et rien, lui répondit Amélie Delarosa. Mais une fois que ses examens furent passés, elle est redevenue la même qu'avant.

—Vous non plus, monsieur, vous n'avez rien remarqué d'anormal chez votre fille ?

—Comme l'a dit ma femme, elle a seulement traversé une mauvaise passe le temps du bac mais c'est fini.

—A-t-elle déjà eu de gros problèmes ?

—Non, lança froidement madame Delarosa. C'est une fille bien sous tous rapports.

—Désolé mais je dois poser ce genre de questions, c'est important. Pour terminer, que pensez-vous des amis d'Eva ?

—Ils ne nous ont jamais posé de problème. Toutes les personnes qu'elle a invitées chez nous ont toujours été très polis et respectueux.

—Vous n'avez rien à ajouter ?

—Non. »

          Au moins comme ça c'est clair, pensa Maggie. Les détectives saluèrent les parents d'Eva, les raccompagnèrent jusqu'à l'entrée mais ils ne sortirent pas tout de suite, ils voulurent d'abord voir leur fille en insistant bien pour être seuls. Maggie et Ewen allèrent donc chercher les prochains parents. Après de brèves salutations et une présentation rapide de la part des détectives, les deux individus suivirent les détectives dans le bureau.

         Le couple donnait l'impression à Maggie d'interviewer deux stars hollywoodiennes. Elle, grande, d'une minceur presque indécente, des cheveux décolorés en blond, un sourire avec des dents ultra blanches et parfaitement droites et un maquillage qui avait pour vocation de paraître naturel mais qui n'en était pas moins outrancier. Elle était vêtue d'une longue robe fleurie qui allait parfaitement bien avec son teint très pâle et portait des chaussures d'été très féminines. Lui, un homme musclé, très grand, légèrement bronzé par le soleil, une barbe de quelques jours et un sourire tout aussi parfait que celui de la femme qui l'accompagnait. Il portait une chemise noire aux manches remontées sur les coudes et pour laquelle prendre une taille au-dessus n'aurait pas été une perte de temps puisqu'elle était très serrée par sa musculature imposante. Sa tenue se complétait d'un jean simple et de chaussures de ville qui semblaient neuves. Maggie supposât pour elle-même que ces deux stars étaient les parents de Carla, bien qu'ils paraissaient très jeunes pour être parents d'une lycéenne.

         Ils s'installèrent dans le bureau et l'interrogatoire commença, mené par Ewen et pris en note par Maggie.

« —De qui êtes-vous les parents ? demanda le jeune détective.

—De Carla, lui répondit la femme avec une douceur qui contrastait beaucoup avec son apparence, « Bingo », pensa Maggie, ce qui lui valut un petit sourire discret que personne ne remarqua.

—Je pourrais avoir vos noms et vos prénoms ?

—Romain Judrel.

—Camille. Judrel aussi.

—Connaissiez-vous Driss Melcher ? »

         Camille pinça ses lèvres et son mari lui prit la main qui était la plus proche de lui.

« —Oui, répondit Romain. Nous le connaissions un peu.

—Vous pouvez développer ?

—Il venait de temps à autres à la maison, c'était un bon ami de Carla.

—Un ami seulement ?

—Je pense que oui, si je me souviens bien il a déjà une petite amie.

—Vous l'appréciez ? »

        Cette fois, Camille fit une grimace qui ressemblait à une expression de douleur. Elle contenait visiblement ses larmes de toutes ses forces, ce qui lui demandait un effort surhumain.

« —Nous... hésita Romain sans lâcher sa femme des yeux. Nous ne l'apprécions pas vraiment en fait. »

        Une larme roula sur la joue de Camille, ce qui déclencha ensuite de gros sanglots, comme si le reste des larmes voulaient rattraper la petite imprudente qui venait de s'échapper. Son mari la prit dans ses bras. Il va la casser s'il serre trop fort songea Maggie.

« —Le pauvre garçon... tenta madame Judrel entre deux sanglots. Nous n'avons pas toujours été... été... été gentils avec lui... Carla l'aimait bien... Et aujourd'hui... aujourd'hui... il... il... il est mort.

—Vous ne pouviez pas savoir, essaya de la rassurer Ewen qui avait l'air mal à l'aise.

—Pourquoi vous ne l'appréciez pas ? demanda Maggie avec un ton qui se voulait le plus doux possible.

—Il était gentil, ce n'est pas le problème. Poli, correct, mais... hésita encore une fois Romain.

—Mais ? insista Maggie.

—Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous savions qu'il avait une petite amie mais ça ne l'empêchait pas d'être assez avenant avec Carla.

—Vous pouvez développer ?

—Avec le recul je ne sais pas vraiment s'ils étaient juste meilleurs amis et donc étaient très proches et sans aucun sous-entendu, mais nous pensions qu'il draguait un peu notre fille et ça ne nous plaisait pas.

—Il la draguait ouvertement ?

—Je ne sais pas, je ne sais plus vraiment comment interpréter son comportement.

—Non, ils étaient juste amis, j'en suis sûre, affirma Camille qui avait réussi à se calmer un peu. »

        Et l'interrogatoire n'alla pas plus loin. Romain devait retourner au travail et Camille voulait aller se reposer avant son rendez-vous professionnel. Maggie était complètement confuse suite à cet interrogatoire. Carla avait bien dit à la jeune détective qu'elle ne connaissait pas Driss plus que ça et pourtant ses parents venaient de dire tout le contraire. Si elle avait réussi à rester de marbre durant leur interrogatoire, elle avait maintenant du mal à cacher sa perplexité et son énervement face à la situation.

          Ewen ne sembla rien remarquer. Il attendit un peu que les parents de Carla se furent éloignés avant d'aller chercher d'autres parents. Lorsqu'ils arrivèrent tous ensembles dans le bureau Maggie avait repris possession de ses émotions et arborait un petit sourire amical pour accueillir les nouveaux venus.