Chapitre 2 : Le repas
Après plusieurs verres bus, plus ou moins avec modération, et de nombreuses paroles échangées, Aurélie proposa de passer à la salle à manger. Il était déjà 22h et la nuit était largement tombée en cette soirée du 19 décembre.
Tout le monde suivit Chelsea — l'employée de maison nommée plus tard par Aurélie — hors du salon. C'était une femme au physique très athlétique. Elle avait des yeux noisette et ses cheveux étaient teints en blond. Elle ne devait pas avoir plus de 25 ans. Des tâches de rousseur sur son nez mutin lui donnaient un air de petite fille. Elle était très souriante.
Chelsea alla dans un couloir qui partait à gauche et prit la deuxième porte sur la droite. Ils se retrouvèrent alors dans une pièce immense. Au milieu de la pièce, se trouvait une grande table garnie de couverts, d'assiettes et de verres élégants. La nappe était très simple, toute blanche. Maggie s'apercevra en s'approchant qu'elle était en réalité finement brodée sur les bords. Les chaises rappelaient les fauteuils dans le salon, en bien meilleur état. Elles étaient en acajou avec un dossier lui aussi en acajou mais décoré du tissu rouge en plus. Le mur en face de la porte avait les mêmes fenêtres que dans le salon, mais il y en avait deux supplémentaires. Entre ces fenêtres, il y avait de magnifiques tableaux représentant chacun des vues différentes du manoir en de bien meilleurs temps pour lui. Le mur où il y avait la porte était vide. À la droite de la salle, se trouvait un sofa en acajou et en tissu rouge terriblement usé. Il était présent uniquement pour la décoration car il n'aurait certainement pas supporté le poids d'un enfant. À la gauche se trouvait un buffet en acajou avec des portes en verre transparent parfaitement propre. Le très vieux papier peint était à fleurs grises et, au-dessus du buffet, il y avait des traces de moisissure maladroitement dissimulées derrière une plante verte. Le parquet était le même que dans le salon mais en bien plus détérioré.
Tout le monde s'avança dans la pièce et chacun prit place autour de la table, guidés par Chelsea, l'employée de maison. Maggie était installée entre Aurélie et Léa. Elle avait la luxueuse Agnès en face d'elle. Les deux enfants mangeaient autour d'une petite table dressée sur le côté, non loin de leur mère.
Une fois tout le monde assis, Chelsea arriva par une porte dissimulée dans le mur derrière le buffet. Elle faisait rouler devant elle une petite desserte contenant un énorme plat de tajine de poulet. Heureusement pour leurs estomacs, Aurélie et Nicolas n'avaient pas prévu d'entrée après cet apéritif déjà très copieux. Chelsea fit le tour de la table pour servir un à un tous les convives. Maggie contemplait la splendeur du service de table quand Agnès la tira de ses pensées.
« —Que fais-tu dans la vie Maggie ?
—Je suis vendeuse en magasin.
—Intéressant ! Et dans quel magasin ?
—Rêve d'un soir.
—C'est un magasin de robes de mariées et de soirées ! C'est là que j'ai trouvé ma robe de demoiselle d'honneur pour le mariage de ma cousine. C'est celui à Jouville ?
—Oui, c'est bien lui. »
Il s'agissait d'un magasin très chic et très prisé des gens aisés du coin. Maggie commençait à se faire une idée plus précise du genre de personne qu'était son interlocutrice. Agnès avait recommencé à manger avec un sourire aux lèvres en repensant au mariage de sa cousine.
De belles boucles, faites au fer, tombaient gracieusement sur les épaules d'Agnès. Ses yeux bleus étaient sombres, contrairement à la personnalité qu'affichait la femme. Elle avait un magnifique sourire et des dents bien droites d'un blanc éclatant.
Maggie allait attaquer son repas quand Ewen l'interpella en la fixant de ses beaux yeux bleu :
« —Agnès a bien dit que tu travailles à Jouville ?
—Oui pourquoi ?
—J'y travaille aussi !
—C'est vrai ?! Tu travailles où ?
—Dans des bureaux, avenue des Brocantes.
—Je ne connais pas ce coin.
—C'est à l'opposé de ton magasin il me semble. »
Après un vague signe de la tête, Maggie reprit sa fourchette qu'elle avait laissée pour écouter Ewen et avala sa première bouchée. Avant de prendre une deuxième bouchée, elle leva la tête et vit qu'Agnès l'observait. Pour commencer une conversation elle dit :
« —Et toi Agnès, tu travailles où ?
—J'ai mon propre salon d'esthétique sur Paris.
—Tu vis à Paris ?
—Oui. Mais quelquefois je retourne en Normandie, où je suis née. »
Maggie refit son signe de tête et recommença à manger. Au bout d'un certain temps, elle leva la tête pour s'assurer que personne ne la regardait. Elle aimait observer les gens mais n'aimait pas qu'on la regarde. Cette fois, c'était Léa qui avait les yeux rivés sur elle. Elle la regardait en souriant et, avant même qu'elle n'ait dit un mot, Léa lui posa une question.
« —Quel âge as-tu Maggie ?
—L'âge d'une femme ne se demande pas, répondit Maggie avec un clin d'œil et un sourire en coin.
—Tu fais vraiment très jeune en tout cas. »
Maggie sourit et vit que toutes les personnes autour d'elle la regardaient, y compris Ewen.
« —Et toi Léa, quel âge as-tu ?
—Je vais avoir 18 ans. »
Léa était une très jolie rousse aux cheveux coupés au carré avec de belles boucles très denses. Elle portait une frange brouillonne qui lui tombait en partie sur les yeux, des yeux d'un vert profond. Pour une rousse comme elle, elle avait très peu de tâches de rousseurs. Seulement quelques-unes sur son nez. Elle portait un jean slim qui allait très bien avec sa fine silhouette et qui mettait en valeur ses longues jambes de danseuse. Son tee-shirt, très simple et d'un vert émeraude uni, faisait ressortir ses yeux. Elle était vraiment très jolie.
« —Moi, dit Agnès, je trouve qu'on veut travailler de plus en plus jeune en oubliant les études. »
La phrase d'Agnès, qui n'avait aucun sens selon Maggie à part le fait de se faire remarquer, fut comme un élément déclencheur d'un gigantesque brouhaha. Maggie décida à son tour d'observer les autres parler.
Tout au bout de la table, à gauche, il y avait Aurélie qui discutait avec Agnès. Léa parlait avec la très négligée Louisa qui était en face d'elle. Ewen, qui était à côté de Louisa, parlait avec Frédéric. Ils riaient beaucoup. À la gauche d'Ewen, il y avait Nicolas qui essayait, avec beaucoup de mal, d'entrer dans leur conversation. En face de lui, il y avait Éric, le mari de Louisa, qui ne parlait pas. André, qui ne parlait pas non plus, se trouvait au bout de la table, loin de sa fille Léa. Claire et Sara dessinaient en même temps qu'elles mangeaient sur leur petite table. Maggie les observait depuis un bon moment quand Chelsea revint dans la pièce avec sa desserte. Elle refit le tour de la table pour resservir ceux qui avaient encore faim. Maggie ne prit rien. Aurélie l'interpella.
« —Tu cales déjà Maggie ?
—Je me préserve pour le dessert, lui répondit la jeune femme avec un sourire malicieux. »
Sans transition, Aurélie poursuivit :
« —Il faudra qu'on s'organise une journée souvenirs du lycée Louisa, toi et moi. Tu en penses quoi ?
—Volontiers ! firent Maggie et Louisa en cœur.
—À condition que la filière littéraire ne prenne pas le dessus dans nos conversations, ajouta Maggie sur le ton de la blague. »
Après une seconde générale, Maggie s'était dirigée vers un bac économique et social, tandis que ses deux amies s'étaient suivies en littéraire. Depuis, une gentille guerre des filières s'était installée entre les trois amies et continuait à les faire rire d'année en année.
« —On parlera de romans policiers alors, renchérit Aurélie. Comme tu les aimes, c'est notre méthode douce pour parler littérature sans que tu te braques. En plus, Louisa adore toutes ces choses. Elle a lu tous les livres d'Agatha Christie. Elle pourrait commettre le meurtre parfait ! »
Soudain, dans la salle, il y eut un grand silence. Tous les regards étaient tournés vers Aurélie qui se demandait ce qu'elle avait dit pour qu'on la regarde comme ça. Pour elle, ce n'était qu'une simple boutade. Elle n'avait pas perçu l'ambiance qui se tendait au fil de la soirée et que Maggie ressentait très bien.
« —Vous avez quoi tous à me regarder ? »
Un « rien » général se fit entendre et tout le monde se pencha de nouveau sur son assiette, sauf Louisa et Éric qui s'étaient arrêtés et qui se regardaient. Ils donnaient l'impression qu'Aurélie avait dévoilé leurs plans. Ils étaient comme embarrassés. Pour Maggie, cet embarras était dû au fait que Louisa était très timide et réservée et qu'elle détestait être le centre de l'attention. Il devait en être de même pour Éric. Agnès, qui n'avait rien repris à manger, observait les convives rassemblés autour de la table. Ses yeux s'arrêtèrent sur Louisa, qui était encore perturbée par ce qu'Aurélie avait dit. Son regard sur la jeune femme était un parfait mélange d'affection, de compassion et de jugement. Les deux femmes étaient les parfaites opposées. D'un côté, il y avait la négligée et empotée Louisa. De l'autre, se dressait fièrement la très soignée Agnès.
« —Tu n'es jamais allée au salon d'Agnès ? demanda Léa à Maggie avec le souhait de l'intégrer à la conversation qu'elle tenait avec Aurélie.
—Non. Je ne vais jamais sur Paris. Et je vais rarement chez l'esthéticienne, tout simplement.
—C'est dommage, c'est vraiment bien là-bas ! Et Agnès est une vraie professionnelle, n'est-ce pas Louisa ?
—Oh oui ! »
Comment ça Louisa avait déjà fait appel aux services d'Agnès ? De plus, Agnès semblait être connue de tous ici. De tous, sauf de Maggie. Une sensation étrange s'installa chez la jeune femme. Elle ne chercha pourtant pas à l'identifier clairement. L'introspection attendra.
La dernière assiette terminée, Chelsea vint débarrasser la table et revint une seconde fois avec une assiette se composant de différentes sortes de fromages, de grosses tranches de pain blanc et complet, et quelques feuilles de salade accompagnées de leur vinaigrette. Elle apporta une nouvelle assiette à chaque personne. Maggie ne mangea que la salade et le pain. Le fromage ne lui donnait pas envie ce soir. Elle n'était visiblement pas la seule en voyant André faire de même.
Une fois que tout le monde eut terminé de déguster leur assiette, Chelsea fit son apparition encore une fois pour débarrasser complètement la table en y laissant uniquement les verres. Son service était rapide et efficace, elle faisait du bon boulot. Tout en discrétion.
« —Si nous allions dans un autre salon pour manger le gâteau ? demanda Aurélie en se levant de sa chaise. »
Un « Oui » collectif se fit entendre. Même si leur avis importait peu. Tout le monde se leva à son tour de sa chaise et suivit Aurélie. Agnès fit un détour pour aller coucher ses filles, accompagnée de Chelsea pour leur montrer leur chambre. Les autres sortirent de la pièce, se dirigèrent vers le hall d'entrée et allèrent dans le couloir de droite, passèrent devant deux grands escaliers en bois, avant d'atteindre le bout du couloir. Aurélie ouvrit une porte pas comme les autres, une porte neuve, en bon état.
Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que leur vie allait changer à jamais derrière cette porte.
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