10.
Un centre commercial ! Je me tournai vers Elodie.
— Sérieusement ?
— Bah quoi ?
— Ton plan, c'est de m'emmener faire les emplettes ?
Elle me regarda avec de gros yeux et finit par hausser les épaules.
Elodie m'a appelée ce matin et m'a sommé de me rendre chez elle au plus vite. Le plan Réhabilitation était en marche. J'avais l'impression d'être une vieille maison en ruine sur le point d'être rénovée.
— Je vais te rendre ta beauté d'antan !
Je me disais bien...
Elle m'entraîna dans les boutiques, m'obligea à acheter des choses osées. Alors que je me débattais pour rentrer dans un jean slim, elle me tendit à travers le rideau ce qui ressemblait à de la lingerie fine.
— Pas question. Je ne porterai pas ça. D'ailleurs je ne comprends pas grand chose à ce que nous faisons ici.
Le rideau sombre fut tiré d'un coup sec et Elodie fit irruption dans la cabine. Dans un sursaut de pudeur, je passai mes bras autour de ma poitrine dans la vaine tentative de me cacher.
— Ce n'est pas parce que tu es maman que tu dois te laisser aller. Où est passée la Jess qui rentrait dans tous les pantalons ?
— La Jess en question a eu trois enfants, Elodie.
— Eh bien elle doit revenir ! C'était quand la dernière fois que tu t'es faite belle ?
— A l'anniversaire de mon fils, répondis-je après une courte réflexion. Je n'ai plus le temps pour ça.
Ses yeux devinrent aussi larges que des soucoupes. Qu'avais-je donc dit de mal ?
— Jess ! Avant d'être une épouse et une mère, tu es une femme. Tu n'as pas le droit de te négliger.
— Je sais, mes yeux vagabondèrent sur l'ensemble en dentelle qu'elle venait de déposer sur le banc. Mais je ne vais pas mettre ça.
Elle ignora mon refus et poussa un soupir d'enthousiasme en se tapant rapidement les mains.
— Je suis sûre qu'après cette opération, Tom va te tomber dans les bras.
Me tomber dans les bras ? Je n'étais pas sûre de le vouloir. J'aimais mon mari, mais après tout ce que nous avons vécu, je n'étais pas certaine de vouloir son retour. Il avait tellement changé.
— Allez, rhabille-toi. Je dois te présenter quelqu'un.
— Qui ça ?
— Tu verras.
Nous avons pris place dans un petit restaurant du centre commercial. On y mangeait italien et tout ce que j'avais envie de me mettre dans l'estomac c'était une bonne glace.
— Depuis quand Tom est devenu fou ? s'enquit-elle sur un ton léger.
— Je ne sais pas. J'aimerais te dire qu'il l'a toujours été, soufflai-je avec un petit sourire, l'esprit naviguant vers de doux souvenirs. Il n'a jamais été bavard, mais là...
— Tu as pensé au fait qu'il pourrait... elle passa ses yeux autour d'elle et mit sa main en cornet autour de sa bouche, avoir une maîtresse ?
— Non.
Je baissai les yeux sur ma glace. Je ne ressentais pas l'envie de discuter sur la possible infidélité de Tom. J'aurais merdé jusque là...
— Voilà Denisia !
Je tournai la tête et vis une jeune femme traverser la pièce dans notre direction. Ses yeux étaient baissés sur ses baskets et ses cheveux blonds attachés en un chignon lâche ballotaient sur son crâne. Elodie se leva et claqua deux bises bruyantes sur ses joues ; je lui offris une simple poignée de main.
A peine installée, déjà elle tirait une cigarette de son sac pour en allumer une. D'une main tremblante elle attrapa le briquet que lui tendait Elodie et mit le feu à sa clope.
— Ça va ? s'enquit mon amie en la couvant d'un regard plein de sollicitude.
Un large hochement de tête lui servit de réponse. Denisia serra fortement ses paupières s'adossa à sa chaise. A première vue elle faisait vieille. Peut-être était-ce dû à sa coloration terne aux racines criardes ou à ses pommettes saillantes affectant à son visage des traits strictes. Elle me regarda de ses petits yeux enfoncés et retroussa son nez constellé de taches de rousseurs. Elle ne devait même pas avoir trente ans.
— Denisia, dit-elle simplement.
Sa voix m'évoquait le bourdonnement monotone des abeilles.
— Jess.
— C'est une collègue de travail. Elle a... avait aussi des problèmes avec son mari, dit Elodie, hésitante.
— Je vois.
Non je ne voyais pas. Qu'est-ce que cette jeune femme à l'air dépressif faisait là ?
— Et elle connaît plusieurs femmes qui se sont retrouvées dans ton cas. Abandonnées, continue-t-elle. Denisia essaie de monter une mutuelle pour venir en aide à ces épouses, ces femmes maltraitées.
Je tiquai violemment.
— Je ne suis pas une femme maltraitée, dis-je en lui offrant un regard réprobateur.
— Il n'a jamais été violent ? Il ne te traite pas comme une merde ? cracha Denisia en serrant sa cigarette entre ses dents.
— Tu m'as dit que... tenta mon amie avec un air penaud.
— Je n'ai pas besoin de faire partie d'une mutuelle ou d'une association de femmes désespérées.
— Jess...
— Vous m'excuserez, dis-je en me levant. Je vais rentrer.
Je m'apprêtais à m'éloigner quand Denisia saisit mon bras pour me retenir. D'une voix atone elle déclara :
— A quel point tu l'aimes ma belle ? Ça ne suffira plus jusqu'à ce que tu te rendes compte que t'as toujours vécu avec un étranger. Fais gaffe à toi, finit-elle sur un ton plus doux.
Mes yeux scrutèrent le visage anguleux de Denisia. Ses mots tournaient dans ma tête, dans mon être, puis autour de moi comme un grondement de tonnerre annonciateur de mauvais présages.
C'est le cur lourd d'incertitudes que je sortis de l'établissement avant de me jeter dans les immenses allées bruyantes.
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