Chapitre 31-2
Jude réussit à prendre son arc et à tirer aussi vite qu'il le put dans son état et dans la position dans laquelle il se trouvait. À genoux et avec du sang lui dégoulinant sur le visage d'une mauvaise entaille au-dessus de l'arcade sourcilière, il parvint à décocher trois flèches et abattit le monstre. À l'instant où celui-ci mourut, la forêt reprit vie d'un seul coup. Un peu comme si l'on venait de remettre la lumière et le son. Mes perceptions aussi me revinrent violemment et me firent chanceler. Je levai la tête vers l'arbre où s'était trouvé l'animal quelques minutes plus tôt et je sus, avant même de regarder, ce que j'allais y trouver, ou plutôt qui. Worth en descendait déjà et était en train d'aider Cassie à faire de même.
— Où est Adam ? demandai-je avec une certaine angoisse, lorsque je ne le vis pas descendre à la suite des autres.
— Il arrive. Il... il est en train de... « changer » ?
Le ton interrogateur de l'inspecteur indiquait clairement qu'il ne savait pas quoi en penser, ni comment l'exprimer sans faire de gaffe.
— Vous allez bien ? me demanda Cassie d'une voix un peu plus alerte que la dernière fois. On voulait vous aider, mais cette bête nous traquait et Gabriel n'avait plus de balles... Oh mon Dieu !
Elle se prit le visage dans les mains et se mit à sangloter.
— On a tenté de vous prévenir mais ce qu'a fait Adam était à double tranchant, continua Worth. Cela empêchait la créature de nous voir, de nous entendre et de nous sentir, mais ça nous empêchait également de communiquer avec vous.
— Où est Adam ? demanda à son tour Jude qui s'était relevé et s'essuyait le visage avec le bas de son tee-shirt avant de se retourner.
Sa plaie avait déjà cessé de saigner à défaut d'être complètement guérie. C'était quand même sympa les gènes de métamorphe.
— Il était dans l'arbre avec nous. Je suppose qu'il voulait reprendre sa forme humaine avant de nous rejoindre.
— S'il s'est vraiment transformé, c'est l'une de ses premières fois, et il aura besoin d'un autre métamorphe près de lui pour reprendre sa forme humaine si rapidement. En quel animal s'est-il métamorphosé ?
À un autre moment, ce qu'il disait m'aurait sûrement beaucoup intéressée, mais là, je restai obnubilée par sa blessure à l'épaule que je voyais partiellement à travers les lambeaux de son tee-shirt. C'était une vilaine plaie, pas du tout cicatrisée, un peu comme une brûlure. Comme si sa peau était entrée en contact avec un objet incandescent et en avait gardé la marque. La question était : pourquoi n'avait-il pas encore guéri ? Son épuisement n'expliquait pas tout.
Je me rapprochai le plus silencieusement possible et tendis une main pour écarter le tissu qui me bouchait la vue. Avec horreur, je constatai que cela me faisait de plus en plus penser à une brûlure au fer rouge. Mais où diable Jude aurait-il pu hériter d'une blessure pareille ? Nous n'étions plus au Moyen Âge ! Non, je devais me tromper.
Je n'étais plus qu'à quelques centimètres de ma cible, quand il m'entendit, ou me sentit, et se retourna et attrapa mon poignet avant que je n'aie eu le temps de le toucher en un seul mouvement fluide.
— Ne t'occupe pas de ça ! me dit-il en me regardant droit dans les yeux, le visage crispé par la colère.
Puis, aussi vite qu'il m'avait attrapé le bras, il me lâcha et commença à se diriger vers l'arbre où devait se trouver Adam.
— On ne sait pas, on ne l'a pas vu... mais il ne doit pas être bien gros, lui répondit Cassie comme si notre bref échange n'avait pas eu lieu ou qu'elle ne l'avait pas remarqué. Il nous a juste dit qu'il avait acquis sa forme animale ainsi qu'un don qui pourrait nous être utile, mais qu'il avait besoin de calme pour se transformer rapidement. Alors il est monté plus haut dans l'arbre et après quelques minutes, la créature ne pouvait plus nous trouver, raconta Cassie d'un ton mi-émerveillé, mi-paniqué.
Jude se posta au pied de l'arbre, ferma les yeux et commença à appeler Adam autant par son prénom que par son pouvoir, au vu de la brise qui se formait autour de lui et commençait à remonter le long de l'arbre en faisant bruisser les feuilles. De là où nous étions, cette brusque bourrasque pouvait paraître un peu étrange, mais un coup d'œil à mes deux compagnons me rassura quant au fait qu'ils n'avaient apparemment rien remarqué d'anormal. Le vent cessa aussi brusquement qu'il était apparu et Jude leva les bras pour saisir quelque chose que nous ne pouvions voir d'où nous étions, avant de revenir vers nous d'un pas mesuré.
Alors qu'il se rapprochait, nous vîmes tous les trois ce qu'il avait d'enroulé autour de son bras gauche, un serpent et pas n'importe lequel... Un cobra ! J'avais beau savoir que c'était Adam, je ne pus m'empêcher d'avoir un mouvement de recul instinctif. Ce qui me rassura, et me fit sentir moins honteuse, c'est que les deux autres eurent la même réaction que moi. Jude, quant à lui, esquissa un petit sourire, malgré son air fatigué, face à notre réaction.
Dès l'instant où il s'arrêta, le serpent se laissa brusquement tomber au sol et se mit à foncer dans ma direction en ondulant sur le sol à une vitesse folle. Je commençai à reculer, quand je me souvins que l'on ne devait pas fuir face à un prédateur. Mais cela s'appliquait-il aux serpents ? J'étais sérieusement en train de pencher en faveur du non, quand la voix de Jude me stoppa net.
— Worth, ne tirez pas ! Il ne lui fera aucun mal.
Je remarquai alors seulement à ce moment-là que Worth essayait de tenir le serpent en joue avec l'arme que j'avais imprudemment laissée par terre, une fois la menace écartée.
— N'aie pas peur et ne fuis pas. Il recherche juste ton contact, continua Jude en s'adressant à moi de nouveau à moi.
Je m'arrêtai et, ne voyant pas pourquoi Jude me mentirait ou me voudrait volontairement du mal, je décidai de lui faire confiance. Je m'accroupis donc, tout doucement et non sans appréhension, avant de tendre ma main vers le cobra.
— Pourquoi ne reste-t-il pas avec toi, plutôt ? Il me connaît à peine et je n'ai pas l'impression qu'il me fasse particulièrement confiance, demandai-je alors que j'essayai de ne pas secouer le bras comme une hystérique au contact des écailles du reptile mortellement dangereux sur ma peau.
— À ton avis, quels sont les prédateurs naturels des serpents ? me demanda Jude avec son petit sourire sarcastique que je commençais à bien connaître.
— Mais tu es sous ta forme humaine là ! arguai-je, un tantinet sur la défensive.
— Il est trop jeune pour que cela change quelque chose. Sous sa forme animale, c'est encore son instinct qui parle. Pour lui, je sens le rapace, et c'est l'instinct de sa bête qui prend le dessus sur son raisonnement logique. Il a besoin de la présence et de la force d'un autre métamorphe pour se retransformer si vite après une de ses premières métamorphoses, et tu es la seule disponible, à part moi.
Worth et Cassie suivaient notre échange avec une concentration douloureuse et des yeux de plus en plus écarquillés.
— Mais tu sais bien que je ne suis pas une vraie métamorphe, plaidai-je encore d'une voix légèrement paniquée.
Et pour cause, j'avais un serpent mortellement dangereux et dirigé par ses instincts sur les bras, littéralement, et je n'avais aucune idée de quoi faire pour pouvoir l'aider.
— Apparemment, tu l'es assez pour lui, alors aide-le.
— D'accord... mais je ne sais pas comment faire !
— Je vais t'aider et t'expliquer, mais ce serait bien que l'on se dépêche car j'entends les collègues de notre cher inspecteur qui ne vont pas tarder à débarquer, et je préfèrerais qu'ils n'assistent pas à une métamorphose en direct. Cette enquête va déjà faire bien assez de dégâts comme cela, déclara-t-il d'un ton acide.
Je voyais bien que Cassie comme Worth mouraient d'envie de nous inonder de questions, mais heureusement pour tout le monde, ils se continrent. L'inspecteur baissa son arme et proposa même d'aller au-devant de ses collègues pour que nous ayons un peu plus de temps. Il emmena Cassie avec lui, se doutant instinctivement que, plus nous aurions d'intimité, mieux ce serait. Je me retrouvai donc plantée au milieu des bois avec, rivés sur moi, le regard de faucon de Jude et celui hypnotique d'un crotale venimeux.
De mieux en mieux !
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