Chapitre 25-2
Ce que je découvris me remplit de tristesse, suivie presque instantanément par une colère et une rage sourde. C'était une petite pièce carrelée du sol au plafond, qui avait dû être une salle de bain à un moment donné de son histoire. Désormais, ce n'était plus qu'une antichambre de la mort, là où de toute évidence, des scientifiques sans la moindre conscience ni éthique professionnelle, se débarrassaient de leurs cobayes devenus inutiles. Des cages s'y entassaient pêle-mêle, contenant toutes des carcasses d'animaux morts et à divers stades de décomposition. Ces salauds n'avaient même pas eu la décence d'euthanasier sans douleur ces pauvres bêtes plutôt que de les laisser mourir à petit feu et dans d'atroces souffrances. C'étaient des sadiques sans la moindre conscience et cela ne laissait présager rien de bon quant au sort des disparus.
Il fallait absolument que je les retrouve. Je ne pouvais pas laisser une gamine de huit ans entre les mains de ces gens, je ne me le pardonnerais jamais. J'allais aider cette pauvre bête et ensuite utiliser toutes mes ressources, aussi maigres soient-elles, pour trouver cette fillette et les autres si je le pouvais. Il fallait que j'arrête de m'apitoyer sur mon sort. Cette bonne résolution prise, je me tournai doucement vers la grande cage à droite de la porte d'où s'échappaient des grondements et des feulements furieux bien que faibles. Je m'agenouillai précautionneusement à une distance raisonnable de la cage, tout en essayant de l'apaiser par des paroles réconfortantes. Mais je sentais dans mon esprit qu'elle était paniquée et ne faisait pas le lien entre moi et la présence dans sa tête. En même temps, qui aurait pu le lui reprocher ?
Elle était prise au piège, blessée, et ses pensées ne lui appartenaient plus vraiment. Il y avait de quoi être déboussolée. Elle avait peur et faisait peine à voir, tapie dans une cage beaucoup trop petite pour sa masse. Ses oreilles étaient couchées sur sa tête tandis qu'elle me montrait les crocs, ses deux magnifiques yeux orangés de panthère braqués sur moi. Car je me trouvais en face d'une magnifique panthère noire, qui n'avait a priori pas la même capacité de raisonnement qu'un humain. À peine cette pensée m'était-elle venue, qu'une réponse indignée me parvenait avec force.
S'il y avait quelqu'un de stupide et d'intellectuellement diminué dans cette pièce, ce n'était certainement pas elle ! Cela me fit l'effet d'un uppercut à l'estomac et je restai momentanément sonnée et sans voix. Elle avait repris ses esprits et avait cessé de gronder pour me regarder avec méfiance de l'autre côté des barreaux de sa cage. Elle attendait de voir ce que j'allais faire, même si la résignation et l'abattement semblaient avoir remplacé l'espoir qu'elle avait éprouvé au début de notre connexion. C'était du moins ce qui parvenait à mon esprit. Mon Dieu, que c'était bizarre ! Pour la première fois depuis le début de cette relation inattendue, je me demandai si je n'avais pas affaire à un métamorphe. Ce qui expliquerait mieux le lien, la clarté et la qualité presque humaine des pensées que je percevais.
« Pfft, quelle idée répugnante ! Être une humaine ! Non mais quelle horreur. Ces affreux bipèdes sont lents, ne savent pas se servir de leurs sens et sont dépourvus du moindre honneur. Je préférerais mille fois être une stupide souris qu'une humaine. »
Même si cette réponse avait eu lieu dans mon esprit, c'était comme si elle m'avait parlé de vive voix et avec la même cohérence qu'un humain. Du moins, c'est ainsi que mon cerveau l'avait retranscrit. Elle semblait réfléchir comme une femme en colère, conjuguée au même sens de l'humour caustique que Jude. Tout un programme !
« C'est qui ce Jude ? Et puis, je suis bien plus intelligente qu'un stupide humain ! »
Malgré le ton hautain de sa « voix », je ressentis la lassitude et la douleur qu'elle essayait de me dissimuler.
— Mer... Tu entends tout ce que je pense ?
Je plaquai rapidement une main sur ma bouche lorsque je me rendis compte que je venais, stupidement, de m'exprimer à haute voix et relativement fort. Il faut dire que j'étais passablement secouée, au point même d'en oublier où je me trouvais l'espace d'un instant. Ne recevant aucune autre remarque sarcastique ou indignée, je reportai mon attention sur la cage et remarquai qu'elle avait posé sa tête sur ses pattes et semblait lutter contre le sommeil. Ce n'était pas bon ça, pas un comportement digne d'un prédateur qui luttait pour sa survie. Je me levai et commençai à regarder autour de moi à la recherche d'une clef ou d'un outil pour ouvrir le cadenas qui maintenait la porte de la cage fermée.
— Tiens bon, je vais te sortir de là. Il faut juste que je trouve comment, lui dis-je en chuchotant.
Un sentiment de surprise m'envahit, ainsi qu'un petit sursaut d'espoir, venant de ma nouvelle amie féline. Je continuai ma recherche fébrile sans rien dénicher d'intéressant. Je restais un instant debout les bras ballants quand mon regard tomba sur la clef anglaise que j'avais laissée au sol près de la cage quand je m'étais agenouillée. Je m'en saisis et, tandis que je me relevais, mon regard passa sur les écuelles vides à côté d'elle. Son regard suivit le mien et je ressentis sa faim et sa soif aussi fortes que si cela avait été les miennes. Je me saisis rapidement d'un des deux récipients et allai jusqu'au lavabo crasseux et ébréché, que j'avais entraperçu au fond de la pièce, en espérant qu'il y aurait toujours de l'eau. Je tournai le robinet et poussai un soupir de soulagement lorsqu'un liquide couleur de rouille en jaillit. J'attendis qu'il redevienne clair puis en remplis le récipient en inox que je lui rapportai en toute hâte.
— Tiens, je ne peux rien faire pour ta faim dans l'immédiat, mais tu te sentiras mieux si tu te réhydrates. Maintenant il faut que je trouve un moyen de casser ce cadenas sans faire trop de bruit.
Je ne sais pas pourquoi j'éprouvais le besoin de parler à voix haute, car elle avait déjà sûrement tout « entendu » dans mon esprit, mais je pense que c'était pour avoir l'illusion de conserver un semblant de normalité et puis entendre le son de ma voix me rassurait. Je dénichai une espèce de chiffon crasseux rendu presque rigide par toute la saleté et le sang séché qui le maculaient et en enveloppai le cadenas pour atténuer les sons alors que je tapais dessus de toutes mes forces avec mon arme improvisée. Je réussis au bout du troisième coup et m'empressai d'ouvrir la porte de la cage puis de reculer à une distance raisonnable. On ne savait jamais après tout, les animaux sauvages étaient réputés pour être imprévisibles, surtout lorsqu'ils étaient blessés et acculés.
Le temps que j'ouvre la porte, elle avait bu toute l'eau que je lui avais apportée et se sentait déjà un peu mieux. Elle fit un pas prudent vers la sortie comme si elle ne croyait pas vraiment à sa chance, puis se décida à sortir complètement. Elle boitait et ne semblait pas très stable sur ses pattes.
— Tu veux bien me laisser regarder ? Voir si je peux faire quelque chose pour tes blessures ? lui demandai-je gentiment tout en lui montrant mes mains pour qu'elle puisse voir que je n'avais pas de mauvaises intentions.
Elle feula doucement à mon intention, avant de se coucher sur le flan avec lenteur. Elle était magnifique, malgré l'état déplorable de son pelage rendu sale et terne par les privations et les mauvais traitements. Elle devait faire au moins un mètre quarante de long et peser dans les quarante kilos ; on aurait dit un très très gros chat, mais il ne fallait pas s'y fier, car ses pattes ressemblaient plus à celles d'un lion, et je n'aurais pas aimé me retrouver du mauvais côté de ses griffes.
« Pourquoi m'as-tu libérée et pourquoi m'aides-tu maintenant ? Et pourquoi je t'entends dans ma tête ? »
« Je t'ai libérée parce que personne ne mérite d'être retenu contre sa volonté, maltraité et utilisé comme un objet jetable ! » lui répondis-je par la pensée d'une voix douloureuse. « Je t'aide parce que tu en as besoin et que tu souffres. Je ne peux pas assister à la souffrance de quelqu'un sans intervenir. Et enfin, je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle nous pouvons communiquer ainsi toutes les deux. A priori j'aurais une capacité innée pour ressentir les animaux qui m'entourent, mais c'est la première fois que quelque chose comme ça se produit. »
Tout en communiquant avec elle, j'avais commencé à l'examiner doucement. Je n'étais pas vétérinaire, mais mise à part la malnutrition et une petite plaie qui commençait à s'infecter à la patte arrière droite, certainement responsable de son léger boitement, elle semblait en pleine forme.
— Ça a l'air d'aller. Une fois cette blessure désinfectée, un bon repas et un peu de repos, tu seras comme neuve, lui dis-je gentiment en lui faisant une légère caresse sur le dos.
Elle grogna doucement en me montrant ses crocs.
« Prends garde que ce ne soit pas toi qui me serves de repas ! »
J'aurais pu avoir peur ou me sentir menacée. J'aurais dû même, mais la petite note d'agacement amusée que je ressentis dans ses pensées me rassura sur le fait que je ne risquais rien dans l'immédiat si je m'abstenais de la toucher.
— Ça fait longtemps que tu es là ?
Je compris à son absence de réponse traduisible, qu'elle ne savait pas comment me répondre. Elle n'avait pas la même notion du temps que nous. Pour elle, cela se résumait en nombres de levers et de couchers de soleil, et ici elle ne voyait pas le soleil. Elle essayait de lire dans mon esprit ce que je lui demandais, mais elle ne comprenait pas ce qu'elle y voyait. Je la rassurai mentalement et lui affirmai que ce n'était pas très important.
— Il faut que nous quittions cette pièce, et ensuite j'essaierai de te faire sortir d'ici.
« Tu ne viens pas avec moi ? Tu es avec eux ? » rugit-elle dans mon esprit, tellement fort et avec tellement d'indignation que j'en eus instantanément mal à la tête.
« Bien sûr que non ! Tu crois que je serais en sous-vêtements et couverte de bleus dans ce cas ? Je suis une prisonnière comme toi, sauf que dans mon cas c'est volontaire. Je suis là pour retrouver des personnes et les sauver. J'ai réussi à m'enfuir de ma cellule, mais maintenant je ne sais plus où aller et j'ai peur de me faire repérer », terminai-je d'une petite voix.
« Ces gens que tu cherches... Ce sont des humains bizarres qui ne sentent pas vraiment comme des humains ? »
« Je n'en suis pas vraiment sûre, mais ce serait logique car ils sont capables de se transformer en animaux. Tu les as vus ? » demandai-je pleine d'espoir.
Elle me montra l'image d'une petite fille terrorisée, recroquevillée dans le coin d'une grande cage, le visage strié de larmes. Mon Dieu, c'était sûrement Aria ! Il fallait que je la rejoigne tout de suite !
— Tu pourrais me dire où elle est ? lui demandai-je en tendant les mains devant moi dans un geste suppliant presque inconscient. Ça fait longtemps que tu l'as vue ?
Au moment où je posai la question, je le regrettai car je ne voulais pas l'embrouiller.
— Excuse-moi. C'est vrai que tu ne sais pas, ce n'est pas grave.
J'avais tellement l'impression que je conversais avec une autre personne que j'avais tendance à oublier que je parlais télépathiquement avec une panthère.
« Je ressens ton inquiétude, tu veux secourir ta petite. Il n'y a rien de plus important que les petits. Je vais t'aider et te montrer où je l'ai vue. »
Je ne la repris pas sur le terme « ma petite », de toute façon elle pourrait le lire dans mon esprit et je n'étais pas sûre qu'elle comprenne. Un sentiment irrité me parvint. Bien sûr qu'elle
comprenait, mais un petit était un petit, ça ne changeait rien qu'il ne soit pas de son propre sang, il fallait les protéger.
Elle se leva et je la suivis, mon arme de fortune à la main. Il devint très vite évident qu'il fallait que je passe devant pour ouvrir les portes et détecter les caméras et pièges éventuels, car pour elle tous les gadgets bruyants et lumineux des humains se ressemblaient. S'il n'y avait eu qu'elle, ils n'auraient pas leur place dans ce monde. Nous avions parcouru à nouveau tout mon trajet en sens inverse et venions juste de dépasser le coude gauche du couloir de ma cellule lorsque les lumières se rallumèrent, nous piégeant comme des lapins pris dans les phares d'une voiture.
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