Chapitre 24-2
L'homme s'approcha de moi et posa sa mallette au sol qu'il ouvrit. Il en sortit tout le matériel nécessaire à une prise de sang et je me détendis légèrement. Vu où je me trouvais, c'était dans l'ordre logique des évènements, et tant qu'ils ne m'injectaient rien, le risque était plutôt minime. J'eus quand même un mouvement de recul instinctif lorsqu'il s'approcha de moi avec un coton imbibé de désinfectant.
— Je vous conseille de vous laisser faire si vous ne voulez pas goûter à la manière forte, me dit le jeune homme d'une voix agréable, tout en me désignant le sadique au fusil d'un signe de tête.
Je lui en fis un discret en retour pour lui signifier que j'avais compris et que je le laisserais m'approcher sans faire d'histoire. Il me saisit doucement le bras droit et me posa l'espèce de garrot en caoutchouc au-dessus du coude, puis il me désinfecta la peau avant de pratiquer la prise de sang proprement dite. Je commençai à m'inquiéter au quatrième tube ; conscient de mon agitation grandissante, il me rassura et m'affirma que c'était le dernier. Enfin, il retira l'aiguille, ôta le garrot et désinfecta une nouvelle fois le point de piqûre mais sans y mettre le pansement traditionnel. Il savait déjà que sur moi ça ne servirait à rien ; la piqûre était si légère qu'il n'y en avait déjà plus aucune trace.
— Serait-il possible d'avoir au moins une couverture ? Pas que je sois excessivement pudique, mais il fait un froid de canard chez vous, demandai-je doucement au jeune homme en essayant de garder un ton léger pour ne pas montrer ma gêne à être ainsi en sous-vêtements devant trois hommes que je ne connaissais pas.
De toute manière la chair de poule apparente sur tout mon corps venait renforcer l'effet de mes paroles. Il ne me répondit pas et se contenta de baisser les yeux d'un air gêné et un peu coupable, comme s'il était d'accord avec moi mais n'avait pas voix au chapitre. Il rangea son matériel dans sa mallette qu'il alla poser près de la porte, puis s'approcha de l'homme à lunettes qui lui passa le porte-bloc. Débarrassé, le scientifique se mit alors à me fixer d'un regard dérangeant, un peu comme un badaud au zoo, nez à nez avec un animal particulièrement exotique. Le pervers au fusil se rapprocha de moi et braqua son arme encore plus ostensiblement dans ma direction.
— Je vais vous poser quelques questions, dit le jeune homme. Il serait dans votre intérêt d'y répondre.
On sentait qu'il essayait de m'intimider, mais le cœur n'y était pas. Pourquoi ce n'était pas le grand chef qui posait les questions ? Tout cela était de plus en plus bizarre. Il commença par me demander mon âge, mon poids, ma taille, le genre de choses très faciles à obtenir en piratant mon dossier médical. Je ne voyais donc pas de raison de refuser de répondre, ce que je fis en finissant quand même par enrouler mes bras autour de moi pour me tenir chaud.
— Êtes-vous capable de vous transformer en animal ?
Ah, on rentrait enfin dans le vif du sujet ! Mais pourquoi me posaient-ils la question ? Nous étions partis du principe qu'ils savaient pour ma « différence » et que c'était pour cette raison qu'ils en avaient particulièrement après moi. Mais si nous nous étions trompés, comment devais-je réagir ? Je restai indécise durant tellement longtemps qu'ils durent croire que je ne voulais pas répondre. Avant que je n'aie eu le temps d'anticiper, le gorille empoigna son fusil par le canon et m'assena un violent coup avec le corps de son arme derrière les jambes. Je tombai brutalement à genoux avec un grognement de souffrance et me retins de justesse avec les mains.
— Ne nous forcez pas à répéter une nouvelle fois la question, mademoiselle Jones. Vous n'aimeriez pas ce qui en résulterait, me menaça Monsieur Lunettes d'une voix glaciale.
Pour ça, je le croyais sur parole ! Mais que devais-je dire ? Qu'attendaient-ils comme réponse ? J'étais perdue et je savais que ce que j'allais dire serait déterminant quant à la suite des événements. Après une rapide réflexion, je décidai de nier. Après tout, c'était la vérité, et je ne me sentais pas la force d'inventer un mensonge élaboré.
— C'est ridicule ! Bien sûr que non, dis-je tout en secouant la tête d'un air ahuri, comme si je trouvais cette idée complètement folle.
— Vous croyez vraiment nous avoir avec votre petit numéro de bécasse écervelée ? me demanda d'une voix mielleuse et condescendante l'homme aux lunettes. Nous savons qui vous êtes et ce que vous êtes, vous et les autres dégénérés ! Nous mentir ne vous servira à rien. Vous n'êtes tous que des erreurs de la nature, ce à quoi je compte bien remédier, et il est hors de question que je vous laisse mêler la police à mes affaires. Oui, nous sommes au courant, ajouta-t-il avec un petit rire dédaigneux. Nous avons trouvé le mouchard, le micro ainsi que le matériel caché dans vos vêtements. Ce dont vous deviez déjà vous douter vu votre tenue ! Désormais, vous êtes seule et personne ne vous trouvera ici. Ni vous... ni les autres.
Puis sur ses paroles rassurantes, il me tourna le dos, non sans m'avoir jeté un regard plein de dégoût.
— Je ne veux néanmoins prendre aucun risque inutile. Vas-y. Mais ne vise pas la poitrine cette fois-ci, on a encore besoin d'elle en vie un petit moment.
Le temps que je réalise ce qu'il venait de dire, j'entendis le bruit d'une détonation et ressentis une vive douleur dans le bras droit, puis ma vue commença à se brouiller et mes membres me lâchèrent. Je me retrouvai par terre dans une position plus qu'inconfortable et commençai à sombrer dans l'inconscience induite par la drogue qui remontait mon bras comme un courant incandescent.
***
Je me réveillai plus mal que je ne l'avais jamais été. Un mal de tête abominable me saisit, ainsi qu'une terrible nausée et l'impression d'avoir avalé du carton. Je paniquai l'espace d'un instant, incapable de sentir mes membres, mais je me rendis vite compte qu'ils étaient simplement terriblement engourdis. Je reposai doucement la tête que j'avais instinctivement relevée sur le sol et tentai doucement d'ouvrir les yeux. Étonnée, je me rendis compte que la lumière était enfin éteinte et que la pièce n'était plus éclairée que par la faible lueur d'une veilleuse de sécurité placée près de la porte. Ils étaient tellement certains de l'efficacité de leur somnifère, qu'ils n'avaient pas jugé utile de me surveiller. C'était leur première grosse erreur et, je l'espérais bien, pas la dernière. Le problème était que je n'avais aucune idée du temps durant lequel j'étais restée dans les vapes. Je ne croyais pas être demeurée inconsciente très longtemps, mais je ne pouvais être sûre de rien. Le temps que j'avais donc devant moi avant qu'ils rallument était plus qu'incertain.
Je profitai de ma position ramassée pour essayer de récupérer discrètement les kits de crochetage cachés dans mon soutien-gorge. Je ne pensais pas qu'un jour je serais si heureuse de ne faire qu'un 85B ! Le fait d'avoir une petite poitrine avait permis de cacher deux kits de crochetage dans le rembourrage de mon soutien-gorge push-up, sans que personne ne se doute de rien. Pour ne rien laisser au hasard, Worth avait insisté pour cacher un kit manuel et un kit pour serrure électronique. J'avais eu un cours accéléré pour les nuls, quand je lui avais fait remarquer que sa brillante idée ne servirait pas à grand-chose si je ne savais pas me servir du matériel.
Il en était vite ressorti qu'il valait mieux pour tout le monde, et surtout pour moi dans un premier temps, que je tombe sur une serrure électronique, car soyons clair, je n'avais aucun avenir en tant que cambrioleuse. Mais bien évidemment avec ma chance légendaire, la serrure de ma cellule était manuelle. Je n'avais plus qu'à prier pour qu'ils aient plus confiance dans leurs somnifères que dans leurs serrures.
Je passai au moins dix bonnes minutes à extraire le matériel du rembourrage, à cause de mes doigts complètements engourdis et des tremblements incoercibles me parcourant le corps. J'avais la désagréable impression que leur somnifère, bien que n'ayant pas l'effet soporifique escompté, commençait à avoir de plus en plus de conséquences néfastes sur ma santé à chaque dose supplémentaire que l'on m'injectait. Je ne tentai même pas de me lever, sachant pertinemment que mes jambes ne me porteraient pas pour le moment, et me mis plutôt à ramper le plus discrètement possible en direction de la porte.
Une fois parvenue à destination, je me hissai tant bien que mal sur les genoux en me collai au mur de sorte d'être la moins visible possible. Enfin correctement stabilisée, je commençai à essayer de crocheter la serrure. « Essayer » était bien le mot-clef. J'avais à peine débuté, qu'une cavalcade et des voix paniquées se firent entendre dans le couloir. L'adrénaline me donna des ailes et je me retrouvai à ma place initiale, en vrac sur le sol, en moins de quelques secondes. J'attendis le souffle court et le cœur battant à tout rompre, mais personne ne vint me voir. Lorsque les derniers bruits de pas eurent fini de retentir, j'attendis au moins dix minutes et me risquai à nouveau près de la porte pour retenter ma chance.
Je fus contrainte de m'arrêter au bout de seulement quelques minutes, terrassée par les crampes et les nausées de plus en plus nombreuses et rapprochées. De la sueur me coulait dans le dos et dans les yeux, et mes tremblements ne faisaient que s'accentuer. Je fis donc une pause jusqu'à ce que mon corps soit en mesure de me permettre de retenter ma chance. J'y parvins enfin au bout de la troisième tentative, avant de me laisser aller au sol, les larmes aux yeux de soulagement, autant physique que psychologique. Puis je m'autorisai une petite pause supplémentaire avant de tenter de me mettre debout.
Une fois à peu près à la verticale, je fis un essai de déplacement jusqu'au lavabo afin de pouvoir tester mes appuis, mais aussi surtout pour pouvoir me désaltérer, ce qui me fit me sentir tout de suite mieux et me rappela le b.a.-ba. Éliminer les résidus de cette substance aiderait mon corps à récupérer plus vite, enfin en théorie ! Ce principe était vrai pour les anesthésies, j'espérais qu'il en serait de même ici. Cela ne coûtait rien d'essayer de toute façon, me dis-je en effectuant un petit passage aux toilettes, ce que je n'avais pas pu faire jusqu'à présent compte tenu de la lumière allumée, et rebus ensuite à même le robinet. La différence se fit sentir presque immédiatement. Je n'étais pas encore bien vaillante mais au moins tenais-je debout, bien droite et sans tanguer.
Je me dirigeai donc de nouveau vers la porte avec mille précautions sûrement inutiles, car s'ils s'étaient doutés de quelque chose ils auraient déjà été là. Je l'entrebâillai légèrement et risquai un œil à l'extérieur. Décidément, la chance me souriait enfin ! Le couloir était plongé dans la même pénombre que ma cellule et, pour le peu que je pouvais en voir, il n'y avait pas de caméra dans le périmètre immédiat. L'espace d'un instant, l'idée que cela puisse être un piège me traversa l'esprit. Tout cela me paraissait trop simple pour être honnête, mais dans ce cas, dans quel but ? De toute façon, piège ou pas, je n'avais pas le choix. J'ouvris donc la porte, avant de m'engager dans le couloir.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro