Chapitre 20-2
À sa légère hésitation, je sus qu'il ne parlait pas seulement de notre confrontation avec les horreurs poilues, mais aussi, et surtout, de sa métamorphose en direct. C'est vrai qu'avec tout ce qu'il s'était passé depuis, je n'avais pas eu un seul instant pour y repenser et nous n'avions pas pris le temps d'aborder le sujet. Mais la vérité était que si je n'y avais pas repensé, c'était que je n'avais aucun problème avec ça. Sur le coup et vu le contexte, cela m'avait un peu choquée, mais plus maintenant.
Perdue comme je l'étais dans mes réflexions, je ne lui répondis pas immédiatement et, lorsque je levai les yeux dans sa direction, ce que je vis me déstabilisa. Il y avait tellement d'attente et de doutes dans ses yeux que je compris ce qu'il essayait de cacher depuis le début derrière ses remarques acerbes et sarcastiques : la peur d'être rejeté, qu'on ne l'accepte pas tel qu'il était et ça, je pouvais le comprendre mieux que quiconque.
— Je vois, dit-il avec un petit soupir en se redressant pour s'adosser à la tête de lit. C'est vrai que cela fait beaucoup à assimiler d'un seul coup et j'aurais voulu que tu assistes à ta première métamorphose dans d'autres conditions... mais je n'avais pas le choix. J'espère juste que je ne t'ai pas plus effrayée que les monstres eux-mêmes, finit-il d'une voix morne et résignée en fixant ses mains.
— Bien sûr que non, lui répondis-je gentiment en lui touchant très légèrement le bras pour qu'il me regarde dans les yeux. Mon cauchemar n'avait absolument rien à voir avec la journée d'hier.
Un infime soupçon d'espoir sembla passer dans son regard, vite remplacé par le doute puis par l'assurance froide dont il se servait comme d'une carapace.
En vérité, je ne me souvenais pas de mon cauchemar, mais je savais néanmoins ce qu'il contenait. Car c'était toujours le même depuis mes huit ans.
« ... Cet horrible hôpital, une porte qui se ferme... Le bruit d'une clef qui tourne dans la serrure. Puis la solitude et la douleur de l'abandon... »
Je frissonnai malgré moi et tentai de repousser les affreuses sensations que me laissaient toujours ces rêves au réveil... sauf cette fois-ci.
— Pourquoi cet aussi chaleureux réveil alors ? me lança-t-il d'une voix chargée de rancœur, visiblement incapable de comprendre les raisons de ma réaction.
— Mais parce que j'ai été surprise tiens, quelle question ! Je m'endors seule et je me réveille dans les bras d'un homme ! C'est en droit de surprendre n'importe qui.
— Ta réaction était un peu disproportionnée si tu n'as pas peur de moi, tu ne trouves pas ? À moins que je ne te dégoûte ?
Il n'avait pas bougé d'un pouce depuis la seconde partie de notre conversation et sa posture paraissait toujours décontractée. Cette dernière était néanmoins démentie par la crispation évidente de son visage et le ton doucereux qu'il employait.
— Tu n'y es pas du tout. C'est juste que... C'est la première fois que je me réveille dans les bras d'un homme.
La surprise puis la stupeur se succédèrent sur son visage. Je baissai la tête, gênée par mon aveu. Après tout, ça ne le regardait pas.
— Tu veux dire que tu es ...
— Mais non ! Bien que je ne voie pas du tout en quoi ça te regarde. C'est juste que le peu d'hommes que j'ai connus n'ont jamais été assez intéressants pour que j'aie envie de me réveiller à leurs côtés.
En fait, je n'en avais connu que deux et c'étaient eux qui étaient partis comme des voleurs juste après. Pourquoi m'étais-je sentie obligée de me justifier ? Qu'est-ce que ça pouvait bien me faire qu'il me croit vierge ou me prenne pour une traînée ? Quant au pourquoi, pas question que je m'appesantisse dessus pour le moment.
— D'accord... Alors qu'est-ce qui t'empêche de revenir près de moi pour m'expliquer ce qui a provoqué une telle terreur ?
Rien en effet, sauf que d'un côté, j'étais extrêmement gênée d'être si près de lui alors qu'il n'était vêtu que d'un caleçon, et que de l'autre, si je ne le faisais pas, il le prendrait comme un affront personnel et je ne voulais pas lui faire de mal. Je me recouchai donc à côté de lui tout en prenant bien garde d'observer une distance respectueuse entre nous. Si j'avais fait l'effort de revenir près de lui, je n'avais en revanche aucune intention de lui raconter mon cauchemar. Je tentai donc de changer de sujet.
— Comment va ta jambe ? lui demandai-je le plus innocemment possible.
Il me lança un regard consterné accompagné d'un petit sourire qui disait clairement qu'il n'était pas dupe. Puis son sourire s'élargit, jusqu'à devenir moqueur. Je sus que j'avais fait une erreur lorsqu'il commença à soulever le drap et que je sentis le rouge me monter aux joues. Mais c'est pas vrai ! Je me comportais comme une vraie midinette, c'était pitoyable. Le pire, c'est que Jude avait très bien anticipé ma réaction et mettait tout en œuvre pour me mettre mal à l'aise, histoire de me faire payer au centuple mon changement de sujet, tout sauf subtil. C'était ridicule. Je me forçai à relever la tête et le fixai d'un air bravache, puis je fis descendre mon regard lentement le long de son corps jusqu'à sa cuisse, qui effectivement se portait beaucoup mieux, ainsi que tout le reste de sa personne.
— Maintenant que tu t'es fait prendre à ton propre piège, vas-tu enfin répondre à ma question ?
— Non. Premièrement parce que ça ne te regarde pas, et deuxièmement parce que je refuse d'en parler... pas seulement à toi, à tout le monde. Alors s'il te plaît... laisse tomber.
Je ne savais si c'était le ton de ma voix ou le « s'il te plaît », mais il n'insista pas. Un silence gêné s'installa entre nous avant que je ne le rompisse.
— Merci... pour cette nuit, lui dis-je d'une petite voix tout en contemplant mes mains.
— C'était la moindre des choses après tout ce que tu as fait pour moi ces derniers jours.
Tout en disant cela, il décolla son dos de la tête de lit et s'assit en tailleur à mes côtés, puis il commença à me masser tout doucement les épaules. Hum... Qu'est-ce que ça faisait du bien !
— Non... ce n'est pas seulement... C'est la première fois que je me réveille sans aucun souvenir de mon cauchemar. Alors merci pour... ça.
— Si tu n'en as aucun souvenir, comment peux-tu être sûre de ce dont tu as réellement rêvé cette nuit dans ce cas ? me demanda-t-il d'une voix soupçonneuse.
Il avait arrêté de me masser et ses mains étaient crispées sur mes épaules.
— Parce que je fais toujours le même cauchemar depuis que j'ai huit ans. S'il avait subitement changé, je m'en rappellerais.
Je le sentis se détendre légèrement, puis il reprit son massage paradisiaque. Je m'en délectai pendant de longues secondes, avant de me dégager fermement mais en douceur de ses mains de fée. Puis je me levai à nouveau, pour couper court à cette conversation trop personnelle.
— Alors quel est le programme ? Tu es assez remis pour m'emmener à la chasse ?
Mon ton léger n'arrivait pas à masquer entièrement mon impatience mâtinée d'appréhension. Il se leva à son tour et commença à s'habiller.
— C'est trop dangereux tant qu'on ne sait pas à quoi l'on a affaire.
— Tu plaisantes ! On ne va pas rester planqués là ? En ce qui me concerne, c'est hors de question. Avec ou sans ton aide, je vais faire quelque chose...
— Et quoi ? demanda-t-il d'un ton colérique. Entre ces monstres sortis de nulle part et leurs balles spéciales, c'est une chance que nous soyons encore en vie. Il nous faut plus d'informations. Attendons au moins des nouvelles de Colombo avant de nous jeter dans la gueule du loup.
— On peut au moins demander de l'aide.
— À qui ? N'attends plus rien de la part de Charles. Pas depuis que nous avons mêlé un humain à l'affaire. Il ne lèvera pas le petit doigt pour nous. Pour lui, je suis un traître à présent et je devrais en assumer les conséquences le moment venu. Dans l'immédiat, ne comptons que sur nous-mêmes.
Je compris à sa posture qu'il était sérieux, et grâce au peu que j'avais pu voir du comportement dictatorial de Charles, cela n'aurait pas dû m'étonner.
Mais qu'allions-nous donc bien pouvoir faire ? J'avais l'impression d'évoluer en pleine série Z...
Rien n'avait de sens !
— Ne te décourage pas, sois juste un peu patiente.
— Tu crois vraiment que l'on peut se permettre d'être patients ? Que tes amis et la mienne peuvent se permettre d'être patients ? criai-je, ma voix augmentant à chaque mot.
Le regard triste et résigné qu'il me lança valait tous les discours. Il pensait qu'ils étaient morts, et, même si je refusais de me l'avouer, une part de moi le pensait aussi. Sans un mot, je tournai les talons et allai m'enfermer dans la salle de bain où, pour la deuxième fois depuis le début de cette histoire de fou, je me laissai aller au chagrin et au désespoir en pleurant toutes les larmes de mon corps.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro