Chapitre 20-1
J'entrepris d'ouvrir sa chemise pour constater l'étendue des dégâts et je ne fus pas déçue. Il avait presque été éviscéré ! Quatre balafres rougeâtres, résultat évident d'un coup de patte vicieux, lui barraient l'abdomen d'un bord à l'autre. Cependant, vu le peu de temps qui s'était écoulé depuis qu'il l'avait reçu, elle avait déjà bien cicatrisé. Ne pouvant pas faire grand-chose de plus la concernant, je continuai mon examen.
Il avait de nombreuses marques de griffures et de morsures, principalement sur les bras, mais toutes saines et en bonne voie de cicatrisation complète. Mais d'où venait le problème alors ? Car ça n'avait pas l'air de s'arranger. Il avait beau faire des efforts, il avait de plus en plus de mal à cacher sa souffrance.
— Je ne comprends pas. Tu as l'air de cicatriser normalement, un peu lentement pour toi peut-être mais... Où as-tu mal exactement ? lui demandai-je frustrée et perdue.
— Je ne sais pas vraiment le définir... C'est diffus. Je ressens ça depuis mon second changement dans les bois. J'ai l'impression que ça me vide de toute mon énergie.
De fait, sa voix paraissait de plus en plus apathique.
Je restai là un instant, les bras ballants à le regarder étendu sur le canapé, quand la phrase qu'il avait dite à l'inspecteur plus tôt dans l'après-midi me revint : « Surtout que c'est la plus belle des trois. »
— Il faut que tu te retournes, lui commandai-je d'une voix pressante alors que je joignais le geste à la parole et l'aidais à s'assoir pour que la manœuvre soit plus facile.
J'en profitai au passage pour lui enlever complètement sa chemise, et le peu que je pus voir de son dos confirma mes soupçons.
— Enlève aussi ton pantalon.
Il s'exécuta avec lenteur et ce que je vis alors me fit retenir de justesse un juron bien senti. Je n'avais donc pas rêvé tout à l'heure, je l'avais bien vu boiter.
— Mais nom de Dieu, pourquoi n'as-tu rien dit ? Je croyais que vous n'étiez pas sensible à l'infection ?
— De quoi tu parles ? dit-il d'une voix incertaine, presque comme s'il était ivre.
Il suivit néanmoins mon regard du sien et ses yeux s'écarquillèrent quand il vit l'état de la blessure par balle qu'il avait à la cuisse. Enfin ce qu'il pouvait en voir, mais c'était déjà bien suffisant. De mon côté, c'était carrément inquiétant ! Sa cuisse avait une couleur malsaine et une espèce de liquide indéterminé coulait de sa blessure enflammée qui avait doublé de volume. L'absence d'odeur nauséabonde me rassura quelque peu. Nous avions peut-être encore le temps d'agir, mais il ne fallait pas traîner.
— Je ne comprends pas, elle n'avait pas cet aspect-là tout à l'heure sous la douche. C'est vrai qu'elles ne guérissent pas comme elles le devraient, mais ça, c'est tout bonnement inconcevable !
— Inconcevable ou pas, il faut faire quelque chose, car j'ai beau avoir de faibles connaissances médicales, cela ressemble un peu trop à un début de gangrène à mon goût.
Je l'aidai à gagner la chambre et à s'allonger à plat ventre sur le lit. J'allai ensuite chercher la trousse de premiers secours dans la salle de bain et la vidai sur la couverture, à côté de moi. Alors que je contemplais les diverses fournitures éparpillées d'un regard perdu, je réfléchissais à ce qui pouvait bien causer cette réaction à cette blessure-ci plutôt qu'aux autres. Car les deux autres, bien qu'à peine mieux cicatrisées qu'il y a deux jours, n'étaient pas infectées. Je me souvins alors que pour la dernière, j'avais dû aller beaucoup plus vite et faire un point de compression. C'était peut-être ça ? Peut-être restait-il quelque chose dans la blessure.
Je cherchai frénétiquement quelque chose pour rouvrir la plaie, mais le plus aiguisé était une pauvre paire de ciseaux. Je me ruai donc dans la cuisine à la recherche d'un couteau, mais ils étaient tous à bout rond. Ils avaient peur qu'on se blesse avec ou quoi ? Argh... Frustrée, je passai alors violemment mes nerfs sur le tiroir et le claquait de toutes mes forces. Ce qui, bien évidemment, ne me soulagea en rien. D'un pas à la fois résigné et déterminé, je retournai dans la chambre et entrepris de rouvrir cette fichue plaie avec les fameux ciseaux.
Heureusement qu'il n'y avait pas d'odeur et que Jude ne semblait pas souffrir davantage, car je crois que cela aurait été au-dessus de mes forces. Je parvins malgré tout à drainer tout le liquide avant d'agrandir ensuite la blessure le plus proprement possible, puis me mis à farfouiller dedans avec une pince à épiler. Brrr !
Après une quinzaine de minutes de calvaire et la perte d'au moins un litre de sueur, je tenais triomphalement un petit bout de métal au bout de ma pince. Il avait un aspect bizarre comme s'il avait été corrodé. Je n'eus pas le temps de m'appesantir dessus cependant, car à la seconde où le métal quitta sa chair, je sentis Jude prendre une grande inspiration sifflante à mi-chemin entre le soulagement et la douleur. Je vis alors sa peau reprendre une couleur plus saine presque immédiatement, bien que sa blessure saignât toujours.
— Il te faut des points de suture ? demandai-je d'une voix geignarde, en espérant de tout mon cœur qu'il dirait non.
— Rapproche juste les bords avec du sparadrap et fait un pansement, maintenant ça ira. J'ai un mal de chien à la cuisse, mais je sens mon énergie me revenir. Un peu de repos et je serai comme neuf.
Je fis ce qu'il dit, puis rangeai la trousse à sa place avant de mettre le couvre-lit à tremper dans la baignoire, bien qu'à mon humble avis, il soit irrécupérable. Je me rafraîchis le visage de mes mains tremblantes et réussis à ne pas vomir... On s'habitue à tout apparemment. Prenant une longue inspiration, j'en profitai pour jeter un regard à mon reflet dans le miroir rectangulaire pendu au-dessus du lavabo. Mes égratignures au visage avaient déjà presque toutes disparu, mais mes cernes rivalisaient avec ceux de Jude tandis que mes cheveux étaient une cause perdue.
Je me traînai d'un pas lourd dans la chambre où je le trouvai endormi dans la même position que lorsque que je l'avais quitté. Son visage ainsi que son corps étaient détendus, signe que l'infection était enrayée et que son organisme de métamorphe réagissait de nouveau normalement. Je le recouvris du drap et quittai la chambre sans un bruit. Je laissai la porte ouverte au cas où il aurait besoin de moi et allai m'étendre sur le canapé où, à ma grande surprise, je m'endormis rapidement.
Je me sentais bien, merveilleusement bien en fait. À tel point que je n'avais même pas le courage d'ouvrir les yeux. Instinctivement, je me lovai encore plus confortablement contre la douce chaleur irradiant dans mon dos et savourai le sentiment de sécurité que me procurait l'étreinte douce mais ferme de bras passés autour de moi.
Hein ?!
Ma prise de conscience brutale que des bras n'avaient rien à faire autour de moi finit de me réveiller et je me dégageai précipitamment. Si vite d'ailleurs que j'atterris par terre. Heureusement pour moi, un tapis moelleux amortit ma chute. Mais comment m'étais-je retrouvée couchée dans le lit avec Jude, alors que je me souvenais m'être endormie dans le canapé ?
— Tu as le réveil tonique, dis-moi ! se moqua-t-il gentiment en me lançant un regard amusé.
Toujours dans la même position qu'au moment de mon réveil : couché sur le côté gauche, la tête tournée dans ma direction. À la différence près qu'il l'avait surélevée à l'aide de sa main gauche et paraissait aller beaucoup mieux. Comme il ne portait en tout et pour tout qu'un caleçon, je pus constater que les blessures de la créature avaient presque totalement disparu et qu'il n'aurait même pas de cicatrices. Constatant que je le fixais un peu trop longuement et qu'il l'avait remarqué, je piquai un fard et passai en mode furie en un quart de seconde.
— Mais qu'est-ce que je faisais là ? Aux dernières nouvelles, je n'ai jamais été somnambule.
— Et je te confirme que tu ne l'es toujours pas, dit-il en rigolant doucement. C'est moi qui t'y ai amenée.
— Et pourquoi donc as-tu fait cela ? lui demandai-je d'une voix dangereusement douce, mon regard suspicieux rivé sur lui.
— Parce que tu faisais un cauchemar et que tes gémissements m'ont réveillé.
Je restai un instant interloqué.
— Il fallait me réveiller dans ce cas !
— J'ai essayé, protesta-t-il, mais comme je n'y arrivais pas et que ça avait l'air d'empirer, je t'ai emmenée dans la chambre pour te surveiller. Tu as cessé de gémir au moment où je t'ai prise dans mes bras. J'ai donc fait en sorte de te garder contre moi, mais de façon plus confortable pour tous les deux. Enfin surtout pour moi, je dois dire. C'est que tu es plus lourde que tu n'en as l'air !
J'aurais pu m'offusquer de ces paroles volontairement blessantes, et ne m'en serais pas privée d'ailleurs, si son ton et son expression ne les avaient pas contredites. Son attitude décontractée et taquine se modifia subtilement et subitement pour laisser place à une expression soigneusement étudiée pour que je ne puisse rien y déceler.
— Qu'est-ce qui t'effrayait autant ? C'était une réminiscence de ce qui s'est passé... dans les bois ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro