Chapitre 27 : Le dénouement
« —Bonjour aux personnes qui viennent de nous rejoindre. Merci à tous d'être présents. »
Maggie marqua une première pause pour avaler sa salive et prendre la température de la pièce. Tempérée. Si ses collègues l'encourageaient, la famille de Féniel était plus froide, méfiante. L'un d'entre eux est un meurtrier qui allait définitivement faire éclater leur famille et mettre à mal leur blason étincelant.
« —Victorine de Féniel, épouse Laseurier, était une femme au grand cœur. Je ne l'ai pas connue de son vivant, mais c'est une chose que je peux affirmer sans craindre de me tromper. Elle aimait les gens, elle aimait la vie. Pourtant, ce jeudi soir, elle a été retrouvée morte dans la piscine. Peut-être que le meurtrier a voulu faire passer son acte pour un accident, mais cette hypothèse fut aussitôt infirmée. En effet, elle n'avait pas, d'après le rapport du médecin légiste ici présent, d'eau dans les poumons, et des traces de strangulation ont été trouvées dans le cou de la victime (François Rieur hocha la tête en signe d'approbation, ce qui redonna un peu plus confiance à la petite détective).
« Donc, nous avons naturellement cherché à savoir qui aurait pu tuer Victorine. Qui en voulait suffisamment à cette pauvre femme pour mettre fin à ses jours ? Ce fut là en quelque sorte notre première grosse erreur. Personne ne pouvait lui en vouloir, elle était gentille et agréable avec tout le monde. Nous tournions en rond, nous n'arrivions pas à lui trouver d'ennemis. Chaque personne interrogée semblait l'aimer et était incapable de nous donner, ne serait-ce qu'un seul nom d'un individu pouvant lui en vouloir. Cette piste était donc une impasse.
« Le nœud s'est dénoué d'un seul coup. Le lendemain de notre arrivée, Judith avait quelque chose à me dire. Elle était affolée. Nous avons donc parlé et elle m'a ainsi fait une révélation qui, je pense, n'est plus une surprise pour personne. Elle m'a annoncé que la vraie victime, c'était elle. Nous nous sommes donc davantage penchés sur cette éventualité, elle a même reçu une protection rapprochée au cas-où le tueur décidait de passer une fois de plus à l'acte, pour cette fois tuer la bonne personne.
« Ses propos étaient tout à fait plausibles. Elle avait pour habitude de marcher le long du château le soir avant d'aller se coucher pour prendre l'air et se vider la tête. C'est Victorine elle-même qui lui a donné cette habitude puisqu'elle le faisait déjà avant. De temps à autre, l'une ne faisait pas sa petite balade nocturne pour des raisons qui leur étaient propres. Ce fut le cas ce jeudi soir. Victorine n'avait pas prévu de sortir tandis que Judith si, mais le contraire se produisit. Le meurtrier pouvait ne pas être au courant de ce changement de dernière minute et, avec la ressemblance frappante mais tout à fait hasardeuse des deux femmes, il s'est trompé de cible, l'obscurité aidant.
« De plus, elle n'était pas aimée de la famille, bien au contraire. J'ai commencé à m'apercevoir de cela avant qu'elle ne me le dise. Dans le petit salon plutôt moderne du château se trouve une photo de famille. Sur cette photo, un détail a attiré mon attention. Ce n'était pas Judith qui se trouvait aux côtés de Christophe, mais une autre femme. J'ai appris plus tard qu'il s'agissait de Marina Balirez, la première et précédente femme de Christophe. Il l'avait quittée pour Judith, une femme trouvée dans un bar en train de se soûler pour oublier ses problèmes. Ce n'est pas très glorieux comme comportement et cela risque de ternir le blason de la famille de Féniel.
« Alors j'ai commencé à avoir une liste de suspects plus précise. J'ai éliminé la plupart des membres de la famille car ils n'avaient pas de vraie raison de tuer Judith. Ils ne l'aimaient pas, mais elle les rendait indifférents, ils l'ignoraient. En revanche, deux personnes pouvaient vraiment vouloir la tuer de peur qu'elle ne coule la réputation de la famille. Monsieur et madame de Féniel. »
Il y eut soudain une grande agitation dans le salon. Des murmures, quelques protestations, notamment de la part de Madame de Féniel qui paraissait outrée.
« —Ne m'interrompez pas ! ordonna Maggie sur un ton tellement ferme qu'elle en fut elle-même étonnée. »
Tout le monde se tût. Patron se retourna vers la fenêtre pour tenter de dissimuler un large sourire, mais Maggie eut le temps de l'apercevoir, ce qui l'a requinqua.
« —Bon, reprit-elle calmement, je vais donc continuer mon récit, sans interruption cette fois je l'espère. Madame de Féniel est la seule personne à avoir vraiment vu quelque chose. Elle a vu l'ombre du meurtrier rentrant dans le château. Elle est persuadée qu'il s'agit d'un homme. Après avoir fait quelques petites expériences, je peux vous dire que l'ombre n'indique pas grand-chose, si ce n'est rien du tout, quant au sexe du tueur. A-t-elle menti pour se disculper ?
« Ou encore, elle peut être de mèche avec son défunt mari. Lui non plus ne voulait pas de Judith au sein de sa famille, jusqu'à avoir exercé suffisamment de pression sur le jeune couple pour qu'ils acceptent de se marier sous contrat. Mais le contrat ne suffisant plus, avec l'aide de sa femme il décide de tuer Judith mais tue accidentellement sa fille. Peut-être même n'a-t-il pas eu d'aide de sa femme et, dans ce cas, elle aurait dit la vérité à propos de l'ombre, ne sachant pas qu'il s'agissait de son mari.
« Mais j'ai trouvé cette éventualité peu probable, notamment suite au décès de monsieur de Féniel. Il était faible, il avait le cœur fragile, Judith est en bonne santé physique, il n'aurait pas pris le risque de se battre avec elle car il savait d'avance que c'était peine perdue. Il en est de même pour madame de Féniel, une vieille femme se déplaçant péniblement à l'aide d'une canne ne s'attaquerait pas à une quadragénaire encore en forme.
« J'en suis donc venue à accuser le mari de Judith. »
Un nouveau murmure s'éleva dans l'assemblée. Christophe allait répliquer pour se défendre, mais sa mère l'en empêcha d'un geste lent de la main lui indiquant de se taire. Maggie put donc continuer ses explications :
« —Suite à quelques témoignages, le nouveau coupable qui m'apparût alors n'était autre que Christophe. Fatigué de sa femme, de son état instable, il décide de la tuer sur un coup de tête, mais n'imagine pas qu'elle aurait échangé sa place avec sa belle-sœur quelques minutes auparavant. Peut-être même que Judith, se sentant menacée, convainc Victorine d'aller faire sa promenade tout en annulant la sienne. Elle n'aurait rien dit à personne, toujours reconnaissante que son mari lui ait, en quelque sorte, sauvé la vie dans ce bar où elle se soûlait le jour où ils se sont rencontrés.
« J'ai appris que Judith avait récemment replongé dans l'alcool et qu'il y avait eu une petite scène au bistrot du coin entre Judith, Christophe et Victorine. Gilles, le gérant du bistrot avait été frappé par l'attitude de Christophe qui paraissait complètement détaché de sa femme. Était-ce la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ? Cette histoire pourrait incriminer aussi monsieur de Féniel qui est venu proposer de l'argent à Gilles en échange de son silence mais, comme je vous l'ai dit, monsieur de Féniel n'a rien à voir avec le meurtre de sa fille, donc je ne vais pas plus m'étendre sur ce sujet.
« Revenons-en à Christophe. Il a lui aussi proposé de l'argent à Gilles pour que ce dernier garde le silence. Ce qui signifie qu'il était lui aussi très soucieux à propos de la réputation de sa famille. Il a le mobile, la possibilité, pas d'alibi, c'est le coupable parfait. Et avec le grand nombre d'ennemis qu'avait sa femme, il était aisé de faire passer quelqu'un d'autre pour le meurtrier. Il devient alors le veuf éploré, ce qui sonne beaucoup mieux que l'homme divorcé pour la seconde fois d'une femme ayant quelques soucis avec l'alcool, non ? »
Maggie vit Christophe bouillir de rage à côté de sa mère, mais elle n'en tînt pas compte et continua sur le même ton :
« —Mais ce n'est pas lui non plus qui a tué sa sœur en voulant tuer sa femme. C'est à ce moment que j'aperçois ma deuxième grosse erreur. J'étais focalisée sur le fait que Judith était la véritable victime et que Victorine n'avait été tuée que par erreur. Tout laissait croire que c'était effectivement le cas, les témoignages, la protection rapprochée, la place de Judith au sein de la famille, tout ! Mais en relisant mes notes, en me concentrant un peu plus dessus, j'ai réussi à voir autre chose que ce qui m'apparaissait à première vue.
« J'ai compris qui a tué Victorine et pourquoi cette personne a commis cet acte. »
Il y eut un lourd silence dans le salon. Tout le monde retenait sa respiration. Maggie regarda Patron, attendant son feu vert pour dévoiler enfin qui était le meurtrier. Elle le vit hocher très légèrement la tête alors elle se lança :
« —C'est Judith en personne qui a tué Victorine Laseurier ce jeudi soir aux alentours de 22h par strangulation. »
Maggie avait prononcé cette phrase le plus lentement possible, dévisageant tour à tour chaque membre de la famille de Féniel. Dans le salon, tout le monde était bouche bée. Ils se tournèrent vers Judith qui ne laissait rien paraître sur son visage.
« —C'est vrai ? demanda simplement Christophe à sa femme.
—Non, lui répondit-elle le plus calmement du monde, envoyant au passage un regard de défi à la jeune détective. Tu n'as aucune preuve de ce que tu avances pas vrai ? »
Maggie, qui s'était détendue pendant toute la durée de son discours, recommença à paniquer. Ses mains redevinrent moites et une nouvelle boule se forma dans son ventre. Patron vînt à sa rescousse avant qu'elle n'ait pu prononcer un seul mot :
« —Si vous me le permettez, j'ai deux personnes qui attendent dans votre salle à manger et qui seraient ravies de se joindre à nous. »
Il sortit de la pièce et revînt un court instant plus tard avec Marina et l'autre homme. Maggie vît Judith pâlir légèrement. Christophe, quant à lui, semblait hébété.
« —Veux-tu nous donner tes explications s'il te plaît Maggie ? lui demanda Patron.
—Judith était jalouse de Victorine, commença la jeune femme. Elle n'était pas appréciée de la famille, tout le monde lui en voulait, elle n'avait pas eu une vie facile, ce qui était tout le contraire de sa belle-sœur. Victorine était, comme je l'ai dit tout à l'heure, une femme aimée de tous avec un cœur en or. Elle était aussi le seul soutien de Judith, avec Alice, bien sûr.
« Elle savait que Victorine avait finalement prévu de sortir se promener. Judith est une femme psychologiquement instable, elle avait besoin de l'aide d'un professionnel, ce qu'elle a toujours refusé. La pression supplémentaire qu'elle recevait de la part de sa belle-famille l'a rendue dangereuse, au point qu'elle en vienne à tuer quelqu'un. C'est ainsi qu'elle a tué une pauvre femme dont elle était absolument jalouse. Elle disait à qui voulait l'entendre qu'elle aurait aimé être à la place de Victorine, être aussi gentille qu'elle, autant aimée qu'elle. Sa jalousie l'a conduite à commettre ce meurtre. »
Un policier se rapprocha doucement de Judith qui le remarqua aussitôt.
« —Que faites-vous ? lui demanda-t-elle froidement. Vous ne comptez tout de même pas m'arrêter j'espère ? Vous n'avez rien pour m'arrêter et vous le savez. »
Le jeune policier se stoppa net et commença à rougir.
« —Avoue que tu l'as tuée espèce de folle ! hurla l'homme que Patron avait fait venir. »
Tout le monde se tourna vers lui.
« —Avouer quelque chose que je n'ai pas fait ? lui demanda-t-elle sur un ton provocateur.
—Ferme-la ! continua-t-il. C'est toi qui as tué Victorine, arrête de nier ! Je leur ai tout raconté de l'enfer que j'ai vécu en te fréquentant ! Ils savent qui tu es ! Tu n'es pas la jolie jeune femme victime de la haine de l'univers, mais plutôt une manipulatrice sans cœur avec un gros problème mental. »
Le regard de Judith s'assombrit et son visage devînt dément. Elle lâcha soudain :
« —Elle l'avait cherché. »
Dans la seconde qui suivit, le policier qui s'était rapproché d'elle lui passa les menottes, lui annonça qu'elle était en état d'arrestation et lui récita ses droits.
« —Attendez avant de l'emmener ! ordonna Patron. Madame de Féniel, vous nous devez quelques explications.
—Votre chienne de Maggie vous a déjà tout dit il me semble ! lança Judith. Je ne parlerais pas sans la présence d'un avocat. »
Et le policier l'emmena hors du grand salon, accompagné de deux autres policiers et du lieutenant Messant. Patron se tourna vers Maggie :
« —Bravo miss Annisterre, une réussite de plus. »
Puis Patron s'en alla à son tour.
« —Merci Maggie. »
La jeune détective se retourna pour faire face à son interlocutrice. Elle se retrouva nez à nez avec Odile de Féniel.
« —Non, ce n'est rien, bafouilla Maggie.
—Je vous dois des excuses.
—Ce n'est pas la peine, je vous promets que ce n'est rien.
—Vous êtes quelqu'un de bien, vous irez loin Maggie. »
La jeune femme se sentit rougir. Chaque membre de la famille vînt remercier les détectives puis ils se dispersèrent tous, sauf Christophe, Marina et l'ex de Judith dont Maggie ignorait toujours le nom.
« —J'ai fait une grosse erreur en m'apitoyant sur son sort, se lamenta Christophe. J'ai eu pitié d'elle et tout ce qu'elle a fait pour me remercier c'est de tuer ma grande sœur.
—Ce n'est pas faute de t'avoir prévenu, lui dit Marina en lui posant une main chaleureuse sur l'épaule.
—Excuse-moi Marina. Si seulement je pouvais revenir en arrière... »
Une larme commença à couler sur sa joue mais son ex-femme lui essuya délicatement du bout du doigt. Ils se sourirent, ce qui poussa les détectives et l'homme à les laisser seuls. Ils se retrouvèrent tous les cinq dans le couloir.
« —Euh... commença l'homme. Je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Tommy Carlier. »
Les quatre détectives lui répondirent en cœur : « Enchantés !
—Je suis l'ex-compagnon de Judith et je suis vraiment désolé pour tout le mal qu'elle a pu faire.
—Ce n'est pas de votre faute, tenta de le rassurer Béthanie.
—Je me sens quand même coupable de l'avoir abandonnée, mais je ne pouvais pas faire autrement, elle me faisait vivre un véritable calvaire.
—Vous voulez nous raconter ? »
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