Chapitre 20 : Le suspect est un homme
Maggie marchait mécaniquement jusqu'au château, tout en pensant, encore et toujours. Elle entra dans le château par la cuisine qui était ouverte, sortit dans le couloir, et commença à se diriger vers sa chambre pour noter tout ce qu'elle avait en tête lorsqu'elle aperçut Christophe monter les escaliers quatre à quatre. Elle décida de le suivre.
Il s'arrêta devant le bureau de son père, toujours suivi par Maggie qui prit place à ses côtés, légèrement en retrait. Il voulait ouvrir la porte mais sa main s'arrêta à mi-chemin. La petite détective vit une larme couler le long de la joue de l'homme et s'écraser sur le sol. Elle lui posa une main amicale sur l'épaule. Christophe tourna alors sa tête vers la petite femme qui lui sourit le plus chaleureusement possible.
« —Ça va aller, fit-il comme pour rassurer la jeune femme plus que lui-même.
—Vous êtes sûr ?
—Oui. De toute façon je n'ai pas le choix, il faut que j'entre, j'ai des papiers à récupérer. L'entreprise est à moi maintenant.
—Vous êtes rentré uniquement pour ça ? »
L'expression triste que le bel homme arborait se transforma en une expression de haine.
« —Pour qui me prenez-vous Maggie ? Pour un monstre c'est ça ? Je suis également venu pour consoler ma famille, mais certaines démarches administratives doivent être traitées le plus rapidement possible, alors je suis venu m'en occuper. Je n'ai pas le choix, les affaires sont les affaires.
—Auriez-vous quelques minutes à m'accorder avant de vous occuper de ces urgences ?
—Le méritez-vous vraiment ?
—Je suis désolée de vous avoir laissé penser que je vous prenais pour un monstre.
—Entrez avec moi, nous parlerons dans le bureau de mon père. »
Il saisit la poignée et ouvrit la porte très rapidement. Il entra dans le bureau, invita Maggie à faire de même, et referma la porte derrière elle.
« —Allez-y mais soyez brève.
—Parlez-moi de ce mariage sous contrat que vous avez fait avec votre femme.
—J'ai été poussé à le faire par ma famille. Il en était hors de question pour moi, mais face à une telle pression, je n'ai pas pu résister longtemps.
—Qui vous a le plus incité à le faire ?
—Ma mère. Ou mon père. Mes parents.
—Expliquez.
—Ils ne voulaient pas que la fortune de leurs familles soit dispersée par une pauvre traînée.
—C'est ainsi qu'ils l'appelaient ?
—Et bien pire.
—Ils ne préféraient pas empêcher le mariage ?
—Ils savaient que je me marierais quoi qu'il arrivait, j'aimais Judith plus que tout, j'étais fou d'elle. Alors c'est le compromis qu'on a trouvé : ils me laissent me marier tranquillement à condition qu'il y ait un contrat légal et reconnu par la loi qui ne donne aucun droit à Judith sur les biens familiaux.
—Elle a accepté sans broncher ?
—Elle n'avait pas son mot à dire, ce ne sont pas ses sous.
—Vous l'aimez toujours par-dessus-tout ?
—Je pense que non. »
Surprise par l'honnêteté du frère de feu Victorine, Maggie n'en laissa pourtant rien paraître et poursuivit son interrogatoire sur le même ton neutre :
« —Pourquoi ?
—Elle est dépressive. Elle ne le voit pas et ne se fait donc pas soigner, mais elle ne va pas bien. Et c'est trop dur à gérer. Je pensais qu'elle allait mieux, mais non, elle a replongé rapidement.
—Vous comptez divorcer ?
—Je commence à hésiter. Mais ne lui dites pas, je vous en supplie.
—Je vous le promets.
—Je pense que je vais effectivement lui demander le divorce. Cette histoire va empirer son état et je ne pense pas que cela soit vivable.
—Et votre ex-femme ?
—Marina ? Que lui voulez-vous ?
—Parlez-moi d'elle.
—Tout le monde l'aimait ici. Elle avait tout et je l'ai détruite. Autre chose ?
—Non. Merci de votre franchise. Bon courage pour la suite.
—Bon courage à vous Maggie, je sens que vous brûlez et que vous ne tarderez pas à trouver le tueur. Je regrette juste que mon père ne soit plus là pour le jour où cette ordure se verra passer les menottes. »
Une nouvelle larme coula sur la joue de Christophe et ce fut le moment que choisit Maggie pour quitter le bureau. La jeune femme se rendit dans sa chambre et nota très rapidement tout ce qu'elle venait d'apprendre, tout ce qu'il venait de se passer, ainsi que toutes ses intuitions. Puis elle reprit chaque feuille noircie par ses notes et relut l'intégralité de ce qu'elle avait écrit. Il manquait encore quelque chose. Quelque chose de crucial. Et il fallait qu'elle le trouve vite, avant qu'elle ne passe totalement à côté.
C'était un homme que madame de Féniel avait vu entrer dans le boudoir, il fallait donc qu'elle se concentre davantage sur les hommes. En excluant monsieur de Féniel, il restait Christophe, les jumeaux Joshua et Émilien, Guillaume et Léonard. Maggie se sentait bête d'avoir négligé ce détail qui lui avait été donné dès le début de l'enquête. Heureusement que Patron veillait sur le bon déroulement de cette enquête. Mais cette pensée la dérangeait, elle essaya de ne plus y penser et se mit à chercher Joshua, le mari de Victorine. Avec un peu de chance, il ne serait pas au travail aujourd'hui.
La petite détective descendit au premier étage et se rendit dans le grand salon, là où les premiers interrogatoires avaient été menés. Personne. Elle se rendit donc dans la salle à manger. Personne. Dans le salon moderne. Toujours personne.
« —Je peux vous aider ? lança une voix féminine derrière elle. »
Maggie se retourna et découvrit Sara.
« —Oui, lui répondit la jeune femme, je cherche Joshua.
—Il est au bord de la piscine.
—Merci. »
Sara entra dans une pièce et Maggie se dirigea vers la piscine. Elle trouva effectivement l'homme qu'elle cherchait, debout, bras croisés, au bord de la piscine, le regard vide.
« —Excusez-moi, fit Maggie pour attirer l'attention du veuf. »
Il ne bougea pas.
« —Joshua, il faut que je vous parle, que je vous pose d'autres questions, c'est important. »
Il se tourna enfin vers son interlocutrice, le regard toujours vide. Soudain, ses yeux se remplirent de larmes et il fondit en sanglots. Maggie lui tapota maladroitement l'épaule et le dirigea vers les fauteuils d'extérieurs placés un peu plus loin pour le faire asseoir.
Quelques minutes passèrent et il se calma enfin.
« —Allez-y, dit-il à Maggie, c'est bon.
—Vous êtes sûr ?
—Oui.
—J'aimerais que vous me parliez de la relation que vous avez avec Judith.
—Je ne la détestais pas, mais je ne l'aimais pas non plus. Je n'ai pas à me mêler des affaires de la famille de ma femme, donc je n'avais pas mon mot à dire sur sa relation avec mon beau-frère Christophe. Mais pour être tout à fait franc avec vous, je n'étais pas pour cette union. Pour moi, elle a brisé un beau couple et n'a fait qu'apporter des ennuis à cette famille.
—Pourtant votre femme l'appréciait.
—Elle était beaucoup trop bienveillante et amicale pour pouvoir la détester. C'est ce qui l'a perdue.
—Comment ça ?
—Je viens d'apprendre que c'était Judith qui était visée par le meurtrier, et non pas ma femme. Si Victorine ne s'était pas faite copine avec cette pauvre fille, qu'elle n'avait pas partagé ses habitudes avec elle, elle ne se serait pas fait tuer bêtement par un imbécile qui n'est même pas capable de s'en prendre à la bonne personne. Je le savais qu'elle allait apporter que de mauvaises choses.
—Avez-vous déjà eu une querelle avec Judith ?
—Demandez-moi plutôt si j'avais des raisons pour la tuer, ça ira plus vite et ça vous évitera de tourner autour du pot pendant des heures. À ce rythme-là, vous ne résoudrez jamais cette enquête. Sinon non, je ne me rappelle pas avoir eu d'altercation avec elle. En fait je ne lui parle pas, je l'ignore. »
Maggie ne répondit rien. Elle était à court de questions.
« —Merci Joshua pour avoir répondu à mes questions. Je ne vais pas vous importuner plus longtemps, vous allez peut-être retourner au travail ?
—Non, j'ai pris une semaine de congés exceptionnels.
—D'accord. Je reviendrais vers vous si jamais j'avais d'autres questions à vous poser. »
Joshua acquiesça et se remit à contempler la piscine d'un air absent. Maggie s'éloigna de lui tout doucement.
Elle entra dans le château et s'assit dans la salle à manger. Elle était seule à table et elle contemplait la piscine, derrière Joshua, sans qu'il ne s'en aperçoive. Il resta immobile pendant un long moment, passant quelques fois sa main sur son visage, sûrement pour essuyer des larmes. Si elle continuait à travailler pour Patron, c'est à cela que Maggie serait confrontée maintenant : la douleur de perdre un être cher.
La petite détective réfléchit pendant tout le temps qu'elle restait assise dans la salle à manger. Judith n'était peut-être pas aimée de la famille, mais les seules personnes qui auraient un mobile vraiment valable seraient son mari ainsi que monsieur et madame de Féniel. Peut-être que Guillaume et Léonard avaient un autre mobile, mais elle en doutait fort. Elle n'imaginait pas non plus Odile et Nathaniel de Féniel, deux vieilles personnes, tuer une femme encore pleine de vie. Ou peut-être étaient-ils complices. Ou encore, ils n'avaient rien à voir avec la mort de Judith, mais c'était Christophe qui avait fait le coup, lassé de supporter une épouse névrosée.
Maggie se prit la tête dans ses mains. Elle ne parvenait plus à réfléchir posément. Cette enquête l'épuisait mentalement. C'était beaucoup moins fatiguant de faire des compliments à de futures mariées pour qu'elles achètent la plus belle robe du magasin — mais aussi la plus chère — et de proposer des mouchoirs aux mères qui soudain se sentaient vieillir en voyant leur petit bébé devenir une dame.
Ewen entra dans la pièce.
« —Alors Maggie, du nouveau ? »
Surprise, la détective sursauta.
« —Pardon, je ne voulais pas te faire peur. Tu vas bien ? T'es toute pâle.
—Oui, je vais bien, merci. Je réfléchissais.
—L'enquête avance ?
—Non, elle stagne. Et de ton côté, t'as trouvé quelque chose ?
—Non plus. Je suis allé parler à Ségolène et elle est inconsolable. Je lui ai appris, en même temps qu'à son père, que Judith était la véritable cible du tueur. Elle ne s'en remet pas. J'ai tout fait pour la consoler, mais rien n'y fait. Elle s'est même mise à faire une crise d'angoisse, alors j'ai été obligé d'appeler son mari pour le faire venir. Heureusement qu'il ne travaille pas loin.
—Je viens d'aller voir Joshua justement, il est resté au bord de la piscine pendant au moins une demi-heure. Il est sous le choc lui aussi.
—Oui, j'ai bien cru qu'il allait me frapper quand j'ai annoncé ça. Mais il s'est calmé et il est sorti. C'est là que t'as dû tomber sur lui. Ségolène et Guillaume m'ont un peu parlé de Judith quand elle s'est enfin calmée.
—Et ?
—Ségolène ne l'appréciait pas, mais elle ne lui voulait pas de mal et elle n'avait aucune raison valable de la tuer.
—Ce n'est pas à moi de t'apprendre qu'on peut tuer pour la moindre raison, valable ou pas. Et sinon, c'est Guillaume qui m'intéresse puisque c'est un homme que madame de Féniel a vu entrer dans le manoir.
—Il n'aime pas non plus Judith, il la trouve bizarre et pas assez distinguée pour faire partie de la famille, mais il l'ignore. Il estime qu'il n'a pas à se mêler des affaires de sa belle-famille.
—On tourne en rond. On dirait qu'ils ont tous bien rodé leurs discours.
—J'ai aussi cette désagréable impression. »
Un silence s'installa entre les deux détectives. Ewen, qui s'était assis à côté de sa collègue pendant qu'ils parlaient, se mit à se tourner les pouces, ce qui eut l'effet d'agacer Maggie, mais elle n'en dit rien.
« —Ewen ? demanda la jeune femme pour capter l'attention de son collègue.
—Oui ? »
Il arrêta de se tourner les pouces, au grand soulagement de Maggie.
« —T'as quelque chose de prévu ce soir ? questionna la petite détective.
—Euh, je ne pense pas qu'on aura le temps, enfin, le droit d'aller boire un...
—J'ai besoin de toi pour une expérience, le coupa encore une fois Maggie.
—Quel genre d'expérience ?
—Je veux que ce soir, à 22h, quand je serai dans la cuisine, tu entres dans le boudoir, tu captes ?
—Tu veux voir ce que madame de Féniel a vu c'est ça ? demanda le détective avec une pointe de déception dans la voix.
—Exactement. Je vais rejouer la scène en me mettant dans la peau de tous les personnages, dans les mêmes conditions que le soir du meurtre. Enfin, avec le même éclairage quoi. J'espère qu'il ne pleuvra pas.
—Comment ça « tous les personnages » ?
—Je vais me mettre à la place de madame de Féniel, je vais aussi essayer de reconstituer les faits et gestes du tueur avec ce que je sais, ainsi que ceux de la victime, toujours d'après mes connaissances actuelles. Il me faudra une autre personne.
—Demande à Béthanie plutôt qu'à Djamila, elle sera plus apte à te servir d'actrice.
—J'espère que ça me permettra de trouver le morceau manquant.
—Je te le souhaite. »
Maggie sourit à son ami, puis elle prit congé de lui. Elle monta dans sa chambre, se saisit d'une feuille blanche encore vierge et se mit à noter tout ce qu'elle devait retenir pour ne rien oublier ce soir lorsqu'elle ferait une reconstitution du meurtre. Une fois qu'elle eut fini, elle reprit son tas de feuilles noircies par son écriture pour y rajouter quelques dernières petites notes.
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