CHAPITRE 5
"Putain, regarde donc devant toi!"
Je fige, littéralement. Son ton est si cassant, rempli de colère et ses yeux, ses yeux émeraude réflètent cette lueur étrange qui me fait froid dans le dos. Je peux sentir les frissons remonter le long de ma colonne avant de courir le long de mes bras jusqu' au bout de mes doigts. Le coin de ses lèvres roses et pulpeuses retroussent légèrement et sa mâchoire bien définie est crispée par l'énervement. Je n'arrive pas à comprendre son comportement. Il semblait plein de désinvolture lorsqu'il a dit que "j'étais juste une fille", puis arrogant en m'obligeant presque à entretenir une conversation avec lui et là totalement furax, limite violent tandis qu'il me bouscule pour me dépasser, continuant son chemin vers la sortie en maugréant des mots pratiquement incompréhensibles.
Et moi, je reste là, sans bouger, me concentrant de toutes mes forces pour contrôler la douleur irradiant de mes côtes et de ma hanche. Parce que, bien entendu, je devais avoir la malchance qu'il décide de heurter mon côté endolori.
J'inspire profondément, repoussant l'agacement qui commençait à élire domicile en moi. Je déteste ces émotions qui arrivent subitement pour nous engloutir et qui, une fois installées confortablement, sont si difficiles à maîtriser. Ma journée ne fait que commencer et je suis déjà exténuée de tous ces revirements. Tel un soldat inexpérimenté, je suis envoyé dans une guerre déchirante dont les retombées sont hors de tout contrôle, mais ça, je ne m'en doutais pas encore.
C'est dans le plus grand déni de ma douleur et de mes sentiments que je me dirige vers la chambre de madame Leblanc, ma résidente favorite, afin de commencer véritablement cette journée de travail.
Toujours aussi souriante, elle m'accueille dans sa chambre, débutant immédiatement un long monologue sur sa vie. Inévitablement, elle me partage sa rencontre avec l'homme qui deviendra son mari, ses plus grandes réussites dont la construction de son entreprise et la naissance de sa fille, passant par sa mort tragique dont les circonstances restent assez vagues. Tout en l'écoutant distraitement, je nettoie ce qu'elle m'indique, en pointant du doigt, entre les péripéties qui ont parsemés sa vie. Sa force de caractère et son courage me font apprécier à chaque fois un peu plus le temps que je passe en sa compagnie.
"Puis quelqu' un m'a rendu visite. Je croyais que ce serait toi, mais tu es arrivé un peu plus tard."
"Et qui était-ce?", questionnais-je en replaçant les fleurs au centre de la petite table de bois.
"C'était, uh.. Ah oui... Umm.. Désolé ma jolie, je ne me souviens plus" , s'excuse-t-elle en déposant ses paumes sur ses genoux. "Tu sais ma mémoire.."
Ses derniers mots ne sont que chuchotements. Je me dirige vers elle, un noeud se formant dans ma gorge. Cette femme exceptionnelle qui a fait preuve de force et de courage tout au long de sa vie est admirable, même si depuis quelques temps, les souvenirs sont plus complexes à raviver. Empathique, je m'installe à ses côtés sur le divan gris, déposant ma main sur les siennes. Je reste silencieuse, plus confiante en la capacité de mon expression que de ma voix pour déposer un baume sur la tristesse qui se frayait un chemin vers son coeur.
Une fois mes premières tâches accomplies, tout passe rapidement et sans accrochage. En ce qui me semble être un claquement de doigt, ma supérieur m'accoste et m'apprend que mon quart est terminé depuis déjà cinq minutes. Avec son "Ouste" habituel, elle me renvoie chez moi. Un arrêt bref au vestiaire m'apprend que Fred n'est plus là. La déception me gagne. Je croyais vraiment pouvoir passer plus de temps avec lui. Et par le fait même, moins à la maison. Ma conscience revient à la charge après avoir été en sourdine depuis ce matin. Évidemment, elle devait ajouter son fion, comme toujours. Parfois, j'aimerais que cette voix de mon inconscient prenne congé pour une durée illimitée.
Je pousse la porte, le coeur léger, laissant mes incertitudes derrière moi. Le soleil qui se tient bien plus bas dans le ciel, prêt à disparaître pour laisser place à la lune, offre encore une chaleur réconfortante. Les yeux fermés, je renverse la tête vers l'arrière, inhalant l'air pure de fin d'été. Ma journée n'était pas si terrible finalement. Contrairement à mes attentes, il n'y a pas eu d'autres surprises, d'autres moments stressant ou désagréables et c'est en me disant que tout ne pouvait qu'aller de mieux en mieux que je me dirige vers ma voiture.
Après une bonne heure à conduire de rue en rue, je décide de me stationner devant mon café favoris dans l'espoir de conserver cette paix d'esprit, qui m'englobe, le plus longtemps possible. Je repousse les mèches de cheveux qui virevoltent devant mon visage d'une main tandis que l'autre fouille distraitement dans mon sac à main à la recherche d'un élastique.
"Ouf!"
"Vraiment désolé!", m'exclamais-je en relevant la tête, laissant l'élastique que je venais de trouver retomber au fond du sac à main. Je suis soulagée en m'apercevant que je venais de percuter Dereck, le frère d'Emma, et non un inconnu.
"Je suis capable d'en prendre", rigole celui-ci avant de poursuivre. "Il semblerait qu'on va au même endroit. Je t'invite pour un café?"
J'acquiesce d'un signe de tête, passant devant lui tandis qu'il me tient la porte. Je vais m'asseoir pendant que le frère de mon amie patiente au comptoir que quelqu' un se décide à venir prendre sa commande. Je retiens un gloussement en l'observant lever le bras dans l'espoir qu'un employé daigne lui porter de l'attention et le serve. Il s'accoude finalement au comptoir, tourne légèrement la tête vers moi, haussant ses sourcils en même temps que ses épaules, une moue désolé sur le visage signifiant qu'il faisait son possible. Je lui souris, haussant les épaules à mon tour.
Il porte son éternel chandail rouge, je crois que je ne comprendrai jamais l'amour et l'attachement qu'il porte à ce vêtement. Emma a définitivement fait le meilleur choix de tous les temps en décidant de lui offrir en cadeau pour Noël, pas seulement parce qu'il le porte toujours, mais parce qu'il lui va à ravir. Il repousse ces cheveux bruns vers l'arrière de sa main droite, enfonçant l'autre dans la poche de son jean noir tout en se balançant d'avant en arrière, supervisant pensivement l'employé qui prépare notre commande.
''Dereck'', dis-je assez fortement pour qu'il m'entende, mais assez bas pour ne pas déranger les quelques clients éparpillés aux tables. Il se retourne vivement, m'observant légèrement déstabilisé comme s'il revenait de très loin. Pour simple réponse, je pointe les deux tasses sagement placées sur le comptoir devant lui. Il s'empresse de les prendre, puis se dirige vers notre table dans une démarche qui se veut décontractée, mais qui ne me convainc pas.
''Cappuccino au caramel'', chantonne-t-il en déposant la tasse pleine d'un liquide fumant qui sent divinement bon.
''Je suis surprise que tu t'en souviennes'', m'exclamais-je en entourant la tasse de mes mains.
''Ma soeur à la vanille, toi au caramel, c'est quand même assez simple. Ce n'est pas comme Jess qui prend un... heu... la chose au nom imprononçable.'' Il hausse les épaules avant de tirer la chaise et s'installer en face de moi.
''Pas faux'', riais-je. La première gorgée est presque brûlante alors qu'elle descend dans ma gorge et je dois me faire violence pour ne pas engloutir ma boisson. Au moins attendre qu'elle refroidisse un peu.
Notre discussion va de bon train lorsque mon attention est redirigée vers une silhouette à l'extérieur. Il est là, un bonnet sur la tête qui emprisonne ses boucles, une veste en cuir qu'il n'a pas pris la peine de refermer. Sa démarche nonchalante est en parfaite contradiction avec la discussion animée qu'il entretient au téléphone. Son bras s'agite devant lui tandis que l'autre maintient fermement l'appareil contre son oreille, puis sa personne en entier disparaît de mon champ de vision.
Satané mur.
''Lexie.''
Je repose mon regard sur mon interlocuteur, un peu gênée de ne même pas savoir ce qu'il était en train de me raconter. Heureusement, il ne semble pas s'être aperçu de mon écart, puisqu'il est celui qui me présente ses excuses. En se levant, il me promet que la prochaine fois nous aurons la chance de terminer nos cafés. Il m'offre un sourire chaleureux que je lui renvoie puis sort du petit commerce.
C'est en observant ma tasse, encore à moitié pleine, que ma curiosité l'emporte et que je décide d'aller voir s'il y a encore un bouclé dans les parages.
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Dereck Jenner est Harry Raftus
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