𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝟺𝟺, 𝙺𝚒𝚎𝚛𝚎𝚗
Note d'autrice.
Holala ça y est on y est, la dernière ligne droite 🤭 J'espère vraiment que ça va vous plaire !!
☽
Il finit par retrouver le chemin de la zone industrielle abandonnée en reniflant une vague odeur de brûlé. Le sang versé des semaines plus tôt s'est évanoui dans la terre, avec la pluie et le vent, mais les cendres et les tas de tôles à moitié fondues n'ont pas encore fait disparaître leur puanteur.
D'abord ça, les souvenirs, le sang sur ses mains, le manque de culpabilité pour les vies qu'il a prises.
Puis l'odeur de roses.
Maintenant, il se demande comment il a pu l'ignorer, continuer son chemin sans s'arrêter. Ca n'a rien à voir avec celle du bureau de Ruby Zayne, quand elle oublie d'ouvrir les fenêtres, ou la douce senteur d'Océane quand elle utilise son don : ça n'est même pas comparable avec l'odeur forte du bar à sorcières.
Ça sent les cadavres. La mauvaise magie. Ça sent la honte, la douleur, la peur.
Il serre les poings, et la colère qu'il ressent lui donne l'impression que son cœur va exploser, frustré de ne pouvoir battre à sa guise.
Ses yeux se ferment, Kieren se concentre. La forêt n'est toujours pas son chez lui, pas comme l'est celle du nord — celle qui l'a regardé grandir, faire ses premiers pas, celle qu'il a explorée pendant des heures, tous les jours, celle dans laquelle il a chassé, tué, mangé, dormi, vécu.
Ce n'est pas sa maison, et le fait que les McHale l'aient accepté miraculeusement comme l'un des leurs ne change rien. En revanche, il a appris à savoir comment la sonder, il a passé sa semaine, ses nuits éveillées — trop effrayé qu'Adrian ne comprenne que ses yeux fermés sont la plupart du temps un sommeil aussi réel que le sien — à deviner chaque buisson de cette forêt. Chaque animal, chaque voiture qui la traverse de temps en temps, chaque arbre, chaque feuille tombant des branches.
Alors il se concentre, laisse son esprit avancer en direction des usines. C'est la lisière, il voit à quel point la magie contenue dans le territoire s'amenuise, à quel point ce chemin de terre qui doit rejoindre une route plus au sud n'en fait déjà plus partie.
Il ne perçoit qu'une présence. Des sanglots. Un cœur qui bat tellement rapidement que ça doit en être douloureux.
Kieren rouvre les yeux, et se précipite dans les allées désertes.
La zone industrielle contient au moins une dizaine de bâtiments. Certains sont faits de tôle de plastique, comme celui que la meute perdue avait choisi pour s'installer, tandis que d'autres sont en béton et en brique, avec de hautes cheminées noires qui percent les toits.
C'est devant l'un de ces derniers que Kieren s'arrête.
Il n'hésite même pas avant de casser le cadenas presque neuf autour de la porte d'un mouvement du poignet, et ouvre les portes sans les toucher. Le grincement qu'elles font résonne dans la pièce, formant un écho qui dure quelques secondes. Les yeux de Kieren s'adaptent presque aussitôt à l'obscurité, et il serre les lèvres.
L'usine sent la poussière, la rouille, le sang et les roses. Le plafond est haut, et la pièce est uniquement coupée par des escaliers en fer qui rejoignent des plateformes en grilles caillebotis en acier. Le bruit de l'électricité qui s'échappe d'un vieux compteur le fait grimacer, et il remarque que l'endroit est assez aménagé dans un coin. C'est presque comme une cuisine, avec un comptoir en bois taché sur lequel est posé un grand réservoir dont le liquide à l'intérieur boue doucement. Il remarque un frigo, des étagères remplies de bouteilles en verre pleines de liquide colorés et de bocaux contenant des herbes utilisées par les sorcières pour leurs potions.
C'est à ce moment qu'il remarque la table en acier, les sangles en argent, et Tara McHale qui renifle bruyamment en essayant de bouger le moins possible.
Les yeux écarquillés, il s'y précipite.
— Merde, souffle-t-il en arrivant à sa hauteur.
Le visage de la femme est tuméfié, son nez surement cassé. Une coupure sur sa lèvre a fait couler un peu de sang le long de son menton. Ses cheveux sont emmêlés, poisseux, et son crâne ouvert a même taché la table. La blessure s'est mal refermée, et Kieren baisse les yeux sur les liens en argent qui la retiennent.
Quand il y pose les doigts pour essayer de les arracher, la brûlure est tellement intense que ça lui arrache un petit cri. Il recule d'un pas, les mains contre sa poitrine dans un geste défensif. L'odeur de brûlé qui lui monte au nez lui fait penser à celle d'un porc sur le grill.
Tara le suit des yeux, s'agitant soudain dans tous les sens. Il se rapproche pour lui enlever le bâillon en tissu qu'elle a dans la bouche.
— Au secours, sanglote-t-elle immédiatement. S'il te plait, s'il te plait...
Sa panique lui arrache presque une grimace. Il essaye d'afficher une mine sûre, confiante.
— Chut, dit-il pour essayer de la calmer. Chut, ne crie pas. Je viens t'aider, je suis de l'Agence. Je vais te sortir de là, d'accord ? Je dois juste...
Il balaye le laboratoire amateur du regard, en espérant y trouver une pince pour la libérer. L'argent qu'elle a aux poignets doit lui faire un mal de chien, même à une louve comme elle : c'est pur et concentré, et il sait qu'une lame de cette qualité n'aurait même pas besoin d'atteindre son cœur ou son cerveau pour tuer un vampire comme lui. Quelques centimètres dans sa poitrine serait déjà sûrement trop.
— Je vais trouver quelque chose, d'accord ?
Elle acquiesce en tremblant.
— D'accord, renifle-t-elle. D'accord.
Kieren se détourne, fouille les tiroirs à la recherche d'une clé, n'importe quoi. Un marteau pourrait aussi aider.
— Elle m'a dit qu'elle allait revenir, dit-elle en se mordant la lèvre. Elle m'a dit qu'elle ne tarderait pas, qu'elle... qu'elle voulait juste vérifier quelque chose, qu'elle s'occuperait de moi juste après et...
La voix de Tara faiblit quand Kieren passe juste à côté de l'immense réservoir où quelque chose chauffe doucement. L'odeur qu'il perçoit, en s'approchant, lui retourne complètement l'estomac. Le sang en canette qu'il a avalé ne fait qu'un tour mais pourtant c'est bien le peu de nourriture humaine qu'il a ingéré qu'il vomit sur le sol. Il se tord quelques instants, jusqu'à ce qu'il puisse enfin s'essuyer le coin de la bouche et jeter un regard horrifié en direction de la marmite.
Malgré le couvercle, il devine à présent sans mal ce qu'il y a à l'intérieur.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demande Tara. Qu'est-ce que c'est ?
Il ne se retourne pas vers elle, de peur qu'elle prenne peur en voyant son expression. Il continue de chercher quelque chose pour enlever les menottes, en essayant de penser à autre chose qu'aux fluides du corps d'Eliott qui sont en train de cuire à moins d'un mètre de lui.
— Les autres sont en chemin ? continue d'interroger Tara, toujours de sa voix complètement terrifié.
Le tremblement de son corps fait vibrer la table.
— Ils arrivent, n'est-ce pas ? Adrian est capitaine d'une équipe de l'Agence, il a dû être prévenu ? Elle ne pourra rien faire contre lui. C'est un Descendant, il pourra...
— Bon, souffle Kieren en l'interrompant, ne supportant plus d'entendre un mot de plus. Aux grands maux, les grands remèdes.
Il voulait éviter de faire quelque chose comme ça : son esprit est en furie, son corps est dérangé, il sent de la peur et de l'anxiété comme il n'en a jamais senti, et sait que sa concentration est monopolisée par son cœur à l'arrêt et ses efforts pour ne pas trembler à son tour.
Il aurait dû prévenir quelqu'un.
Bon sang, il aurait dû prévenir quelqu'un.
Même s'il parvient à la faire sortir de là, il ne pourra pas retourner à temps à l'usine pour mettre la main sur la sorcière avant qu'elle ne prenne la fuite en y devinant son passage. Elle leur filera entre les doigts. Et s'il attend, il devra se battre avec Tara à côté, et alors ça sera exactement comme le faire avec n'importe qui d'autre, mais sans l'aide que l'équipe 1 aurait pu lui apporter.
C'est exactement pour ça qu'il s'est toujours complu dans son caractère calme et posé : quand il prend des décisions hâtives, il le regrette immédiatement.
— Ne bouge surtout pas, d'accord ?
Elle écarquille les yeux.
— Qu'est-ce que tu comptes faire ? Qu'est-ce que tu...
Sa voix meurt dans sa gorge quand Kieren tend la main en direction de l'autre côté de l'usine. Une planche de métal se lève doucement dans les airs, et vole dans leur direction. La louve l'observe avec la bouche ouverte, puis tourne la tête vers Kieren.
Elle semble le voir d'un tout autre œil.
— Un Type 3 ? demande-t-elle d'une voix incertaine.
— C'est vraiment pas le moment de s'occuper de ça.
Il se concentre, plie la plaque à sa volonté, à l'image qu'il s'en fait. Il veut que ça soit pointu, coupant, acéré, alors la matière se tasse sur elle-même, s'écrase, se meut dans un bruit métallique aussi agréable qu'un grincement de dents.
Il remue les doigts, et la pointe qu'il a créé se tourne vers les menottes.
— Attends, souffle-t-il en remuant. Non, tu vas me blesser. Tu vas me sectionner les poignets...
— Pas si je m'y prends bien.
Ce n'était pas sa première option, c'est certain. Mais si ces derniers mois Kieren n'a pas vraiment eu le temps de s'exercer, ça ne fait pas disparaître l'expérience qu'il a gagné dans la forêt. Il a appris à faire flotter des objets jusqu'à lui avant de marcher. A contrôler son sang avant de courir.
Il est né vampire.
Alors il tend les doigts, s'apprête à abaisser l'arme à un point précis, quand une voix résonne dans l'usine :
— Cette matière coûte extrêmement cher, vous savez ?
Kieren se fige. Son arme reste immobile dans les airs. Sur la table, Tara se met soudain à gémir et tire sur ses liens de toutes ses forces. Elle murmure non, non, non et s'arc-boute de panique, remuant la tête alors que de nouvelles larmes roulent sur ses joues.
— S'il vous plaît, supplie-t-elle.
Kieren se tourne lentement vers la porte d'entrée, qu'il n'a pas refermée en entrant.
Une femme se tient dans l'embrasure. Elle le toise quelques secondes, avant qu'un immense sourire ne naisse sur ses lèvres et qu'elle ne se mette à avancer. La sorcière porte de grosses boucles d'oreille rouge, à peine visible derrière les épaisses boucles courtes de ses cheveux sombres. Elle a peut-être la cinquantaine, ou un peu moins : une peau blanche, tachetée, une chemise sous son manteau crème, et des yeux particulièrement noirs.
Kieren a presque l'impression de se regarder dans un miroir magique, qui lui montrerait une version de lui plus féminine et plus âgée. Il cligne des yeux, serre les dents en se demandant si elle lui a déjà lancé un sort.
Quel est le pouvoir de cette femme ? Quel don particulier possède-t-elle, en plus de celui, commun à toutes les sorcières, des potions et des baumes ?
Il lance un coup d'œil à Tara, dont la peau normalement sûrement foncée vient de blanchir à une vitesse impressionnante. Elle claque des dents, et Kieren aperçoit une flaque s'étendre sous ses fesses jusqu'au bord de la table où tombent quelques gouttes.
Elle ne peut pas le voir, s'il s'avance vers la sorcière. La tête de Tara fait face à l'entrée, à plusieurs mètres de là. Elle ne verrait rien.
Kieren se détourne, et commence à marcher lentement vers la femme, qui elle s'arrête en le voyant faire. Ses sourcils se haussent, mais son sourire ne disparaît pas.
— Si tu savais comme je suis ravie, dit-elle.
— Ah, vraiment ?
— J'avais fait un pari. Avec moi-même. Et j'aurais été vraiment embêtée de le perdre.
Kieren serre les poings. Il n'a pas le temps de discuter avec elle, de faire la discussion : la lumière de l'aube commence à apparaître dans son dos.
Alors il charge. Il est encore à plusieurs mètres, mais décide de les franchir en quelques secondes à peine : ses jambes poussent sur le sol, il cesse de retenir sa force, et bondit presque juste devant elle. Tout se passe vite, même pour lui, et ses yeux s'illuminent quand il la voit retirer sa main de sa poche.
Peu importe l'arme qu'elle compte utiliser, même si c'est une lame en argent, il peut l'éviter. Il peut danser autour de son attaque : si son sort augmente sa vitesse, sa force, sa précision, il s'attend à tout mais reste réaliste et s'imagine, en un instant, éviter n'importe quoi.
Ce qu'il n'imagine pas, en revanche, c'est que la sorcière ouvre son poing juste devant elle. Rien ne s'y trouve, pas de poignard, d'arme à feu, ou d'arbalète.
Et l'étonnement le fait ralentir. Il perd une milliseconde à peine, peut-être moins. Mais c'est en tout cas suffisant pour qu'elle souffle de toutes ses forces.
C'est là qu'il la remarque. La poudre.
— Que –
Un nuage lui arrive en pleine figure. Quelques heures plus tôt, il n'aurait ressenti qu'une vive brûlure face à la brume d'argent en poudre qui lui tombe sur le visage, les yeux, les épaules et les cheveux. Il gémit, s'arrête brusquement, recule d'un pas.
Sa concentration faiblit et dans son dos il entend la planche en métal façonnée chuter contre la table puis sur le sol.
Quelques heures plus tôt, il n'aurait été déstabilisé que pendant quelques secondes.
Mais juste avant de se rendre dans la forêt, il s'est autorisé à respirer. Il a rouvert ses poumons, les a remis en fonctionnement.
Alors par réflexe, dans un sursaut surpris, il inspire profondément.
Le sourire de la sorcière s'étire encore plus.
— Le pari, mon cher...
Kieren tombe à genoux. Quelque chose en lui hurle de douleur, son esprit se ferme, son corps s'éteint.
Il s'étale sur le sol. Et la dernière chose qu'il entend, avant de sombrer, c'est une voix satisfaite qui termine :
—... c'est toi.
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